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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/624/2011

ATA/181/2011 du 17.03.2011 ( ELEVOT ) , REJETE

Parties : ADJADJ Malek / CONSEIL D'ETAT
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/624/2011-ELEVOT ATA/181/2011

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 mars 2011

 

 

dans la cause

 

Monsieur Malek ADJADJ

contre

CONSEIL D’ÉTAT

 



EN FAIT

1. Monsieur Malek Adjadj est domicilié en Ville de Genève, commune dans laquelle il exerce ses droits politiques. En vue des élections municipales du 13 mars 2011, il a reçu deux fois le matériel de vote.

2. Par acte du 2 mars 2011, il a saisi la chambre administrative de la section administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d’un recours avec requête de mesures provisionnelles, concluant sur le fond à ce qu’il soit constaté que le matériel de vote violait la garantie des droits politiques des citoyens, à ordonner le report de l’élection du 13 mars 2011 et la mise en place d’un système de contrôle efficace permettant de garantir l’expédition d’un seul matériel de vote à chaque citoyen et à constater d’ores et déjà l’invalidité de l’élection et la nullité du scrutin du 13 mars 2011.

Il se dressait contre une carence de l’autorité qui mettait en péril tout le processus de vote démocratique et la confiance que le citoyen pouvait avoir dans le résultat des votations à Genève. Le 24 février au plus tôt, il avait reçu deux plis simples séparés comportant chacun un exemplaire complet et original du matériel de vote. La Chancellerie procédait à une publication en masse du matériel de vote mais ne disposait pas de moyens de contrôle de qualité permettant de s’assurer que des citoyens ne puissent pas voter à plusieurs reprises lors d’un même scrutin. Un nombre indéterminable de citoyens avait reçu plusieurs cartes et bulletins de vote, ce qui était susceptible de causer des doubles votes par ces personnes. Outre les citoyens indélicats il fallait tenir compte du cas de ceux qui, comme lui, n’étaient pas en mesure de savoir quel matériel utiliser et craignaient de voir leur vote invalidé en cas de choix du mauvais bulletin. Cette absence de clarté induisait le votant en erreur. Ce n’était que lors d’un éventuel contrôle informatique des cartes de vote pendant ou après le dépouillement qu’il pourrait apparaître que des citoyens avaient voté plusieurs fois, sans qu’il soit possible de retrouver les bulletins surnuméraires et de procéder à un comptage exact des suffrages. De nombreux citoyens ayant sans doute déjà renvoyé leurs bulletins en raison du vote par correspondance, la seule réparation possible de ces vices de procédure importants consistait à annuler et à reporter le scrutin.

3. Par décision du 2 mars 2011, la présidente siégeant de la chambre administrative a rejeté la demande de mesures provisionnelles, celles-ci se confondant avec les conclusions au fond.

4. Le 9 mars 2011, M. Adjadj a transmis à la chambre de céans les courriers de deux citoyens domiciliés à la même adresse que lui, attestant qu’ils avaient reçu leur matériel électoral à double. Il persistait dans les conclusions de son recours.

5. En date du 10 mars 2011, le Conseil d’Etat a conclu au rejet du recours.

S’agissant de la Ville de Genève, c’était le service des votations et élections (ci-après : SVE) qui, par délégation, avait procédé à la composition et à l’impression du matériel électoral et le service éditique du centre des technologies et de l’information (ci-après : CTI) qui avait été chargé de sa mise sous pli. L’impression des cartes de vote, au nombre de 117'051 pour cette commune, avait eu lieu entre le 24 janvier et le 3 février 2011. Cette opération se faisait de manière automatique et industrielle. Vu son ampleur, on ne pouvait exclure que suite à un incident, une carte soit réimprimée, ce qui d’après l’expérience arrivait en moyenne dix à douze fois par opération électorale sur l’ensemble du canton, soit sur environ 295'000 cartes. La mise sous pli, elle aussi automatisée, était intervenue entre le 14 et le 23 février 2011. Le matériel avait ensuite été remis à la poste, pour distribution entre le 23 février et le 2 mars 2011.

Pour limiter les risques, le SVE procédait à un contrôle intégral de toutes les enveloppes de vote qu’il recevait lors du vote anticipé. A cette occasion, le code-barres de chaque carte était saisi dans le système informatique. Si les informations étaient correctes, la carte était alors séparée de l’enveloppe renfermant le bulletin de vote. Cette dernière était mise dans l’urne du local de vote de l’électeur considéré.

Au local de vote, l’électeur devait remettre sa carte de vote aux jurés. Après le scrutin, les jurés vérifiaient qu’il y ait le même nombre de cartes que d’enveloppes. En outre, le SVE procédait à une lecture optique des cartes remises dans les locaux de vote. Au cas où un électeur aurait ainsi voté deux fois, la fraude serait immédiatement décelée, le système ayant déjà enregistré le premier vote. Depuis que la mise en place, en 1995, du système actuel de vote par correspondance, cette situation ne s’était jamais produite. Au demeurant, celui qui aurait agi ainsi aurait fait l’objet de poursuites pénales, sur la base des dispositions du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) dont la teneur était mentionnée sur la carte de vote. Selon le Tribunal fédéral, cela était suffisamment dissuasif pour empêcher le risque de fraude massive.

Le fait que M. Adjadj ait reçu à double son matériel électoral ne constituait pas une atteinte à ses droits politiques et le risque de double vote qu’il évoquait était théorique. Il n’y avait eu par ailleurs aucune violation de la procédure des opérations électorales.

6. Le 10 mars 2011, la détermination du Conseil d’Etat a été transmise à M. Adjadj et le courrier de ce dernier du 9 mars 2011 a été communiqué pour information à celui-là. Les parties ont été avisées que la cause était gardée à juger.

7. Les résultats définitifs des élections dans la commune de Genève publiés sur le site de l’Etat de Genève le 15 mars 2011 (http://www.ge.ch/elections/ 20110313/commune/21) sont les suivants s’agissant de la récapitulation des votes :

Récapitulation des bulletins et des suffrages

 

Nombre de sièges :

80 

 

Electeurs inscrits :

117’051 

 

Votes enregistrés :

41’766 

 

Votes rentrés :

41’593 

 

Votes blancs :

224 

 

Votes nuls :

440 

 

Bulletins sans nom de liste :

1’774 

 

          dont panachés:

1’525 

Participation :

35.68 %


Aucun incident relatif à un double vote n’a été porté à la connaissance à la chambre de céans.

EN DROIT

1. Depuis le 1er janvier 2011, suite à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), l’ensemble des compétences jusqu’alors dévolues au Tribunal administratif a échu à la chambre administrative, qui devient autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 131 et 132 LOJ).

2. A teneur de l’art. 180 LEDP le recours à la chambre administrative est ouvert contre les violations de la procédure des opérations électorales indépendamment de l’existence d’une décision. Constitue une opération électorale tout acte destiné aux électeurs et de nature à influencer la libre formation de l’expression du droit de vote (ATA/454/2009 du 15 septembre 2009 et les références citées).

3. Selon l’art. 62 al. 1 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) le délai de recours est de six jours en matière de votations et élections. Ce délai court à partir du moment où l’intéressé a eu connaissance de l’acte qu’il considère comme une atteinte à ses droits politiques (ATA/459/ 2009 déjà cité). Le recourant indique, sans contestation, avoir reçu au plus tôt son matériel électoral le 24 février 2011. Le délai de recours venait à échéance le 2 mars 2011. Le recours a donc été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente et est dès lors recevable.

4. Le recourant exerce ses droits politiques en matière communale en Ville de Genève. Il n’a en effet pas qualité pour agir s’agissant des quarante-quatre autres communes du canton, n’y étant pas électeur (art. 3 LDEP). Ses conclusions ne sont donc recevables qu’en tant qu’elle sont limitées aux élections municipales en Ville de Genève.

5. La liberté de vote est garantie par l’art. 34 al. 2 Cst.

Selon la doctrine, cette liberté se décompose en plusieurs sous-principes, au nombre desquels figure le droit à la composition exacte du corps électoral, qui oblige les autorités à vérifier que seuls prennent part aux votations et élections les citoyens qui ont l’exercice de droits politiques, mais aussi que tous ceux qui remplissent cette qualité puissent effectivement participer au scrutin. Elle comporte également le droit au respect des règles de procédure en matière électorale et qui concerne notamment les modalités du vote, le système électoral ou les délais à respecter (A. AUER, G. MALINVERNI, M. HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse vol. I, 2ème édition, Berne 2006, n° 876 et ss, not. 787 et 885).

Le Tribunal fédéral a déduit de cette disposition constitutionnelle que les procédures électorales devaient être menées de manière à garantir la libre formation de la volonté des électeurs (ATF 130 I 290 consid. 3). Le droit de vote autorise tout électeur à exiger que le résultat d’une votation ou d’une élection ne soit reconnu que s’il est l’expression fidèle et sûre d’une volonté librement exprimée par le corps électoral.

6. Toute informalité entachant une procédure électorale ne conduit pas forcément à l’annulation du scrutin. Encore faut-il que l’irrégularité constatée revête une importance déterminante dans la formation de la volonté des électeurs. Selon les termes du Tribunal fédéral, il faut bien plutôt examiner selon l’ensemble des circonstances, d’un point de vue tant quantitatif que qualitatif, si le résultat de la votation a pu en être influencé. Le recourant n’a pas à établir un lien de causalité entre le vice qui affecte le scrutin et les résultats de ce dernier : il suffit que les irrégularités aient été propres à influencer le résultat du scrutin (ATF 130 I 290 consid. 4 à 6 ; 117 I a 41 et ss., consid. 5 b).

7. En l’espèce, le recourant se plaint du risque que la distribution en nombre de matériel électoral en double exemplaire fait courir au scrutin.

Il mentionne l’existence de deux autres cas. En regard des 117'051 cartes émises, ces trois cas sont insuffisants pour soutenir que le phénomène se serait produit à de nombreuses reprises, comme il l’affirme sans démonstration. Rien ne permet ainsi de contredire les constatations empiriques du Conseil d’Etat selon lesquelles l’impression à double du matériel de vote n’intervient que dix à douze fois par opération électorale et sur l’ensemble du canton.

Si le risque de double vote ne peut ainsi être d’emblée écarté, les contrôles mis en place par le Conseil d’Etat permettent de le repérer avant le dépouillement et donc de l’écarter s’il intervient entièrement par vote par correspondance - rejet par le système au moment du passage de la seconde carte - et de le restreindre considérablement s’il se réalise complètement dans un local électoral - contrôle par les jurés. Il est plus envisageable que cette anomalie ne soit identifiée qu’une fois le scrutin clos si la personne a voté une fois par correspondance et une fois dans son local de vote. Toutefois, le Conseil d’Etat indique qu’une telle situation ne s’était jamais produite jusqu’aux élections du 13 mars 2011 et aucun incident de ce type n’a été rapporté à la chambre de céans à l’occasion de ces dernières.

Enfin, dans ces différentes hypothèses, les noms des personnes ayant voté deux fois sont connus et cas échéant, elles pourront être sanctionnées.

Force est donc de constater que l’argumentation du recourant demeure purement hypothétique et que rien ne permet de retenir que l’existence d’une irrégularité liée à la distribution de matériel électoral en double exemplaire ait entaché le scrutin du 13 mars 2011 en Ville de Genève.

8. Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge du recourant qui succombe (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté le 2 mars 2011 par Monsieur Malek Adjadj contre le Conseil d’Etat;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de Monsieur Malek Adjadj ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur Malek Adjadj ainsi qu’au Conseil d’Etat.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy, Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :