Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1269/2017

ATA/1368/2017 du 10.10.2017 ( TAXIS ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : TAXI ; CHAUFFEUR ; DEVOIR PROFESSIONNEL ; AMENDE ; PRESCRIPTION ; SANCTION ADMINISTRATIVE ; PROCÉDURE ADMINISTRATIVE ; CONSTATATION DES FAITS
Normes : LPA.19 ; LPA.20.al1 ; LTaxis.48
Résumé : annulation d'une décision infligeant une sanction à un chauffeur de taxi pour plusieurs infractions à ses devoirs professionnels en raison d'une violation de la procédure instaurée par la LTaxis et absence d'instruction initiale nécessaire à l'établissement des faits.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1269/2017-TAXIS ATA/1368/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 octobre 2017

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Jacques Roulet, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR



EN FAIT

1) Monsieur A______, domicilié 1______, chemin B______ à Onex, titulaire d’une carte professionnelle de chauffeur de taxi émise le 30 septembre 2002, exploite en qualité d’indépendant un taxi de service public portant les plaques GE 2______, depuis le 23 septembre 2005.

2) Par dénonciation du 23 juin 2013, adressée à Genève Tourisme & Congrès, Monsieur C______ de Hong Kong s’est plaint du comportement de M. A______, lors d’une course du 16 juin 2013.

Le chauffeur l’avait pris en charge pour une course devant l’hôtel Kempinski pour aller à la gare de Cornavin. Le chauffeur l’avait effrayé par sa conduite et lui avait demandé CHF 23.- pour la course pour laquelle il n’avait pas enclenché son taximètre. La quittance remise par le chauffeur ne comportait que le montant et la signature du chauffeur avec indication de son numéro de plaque. Dite plainte a été transmise au service du commerce, devenu depuis le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) du département de la sécurité et de l’économie (ci-après : le département) le 18 novembre 2013.

3) Par plainte du 19 novembre 2013, adressée au PCTN, Madame D______ a dénoncé les agissements de M. A______ lors d’une course du 21 octobre 2013. À l’hôtel Kempinski, elle avait été prise en charge par ce chauffeur qui avait démontré une attitude hargneuse et agressive envers les autres conducteurs et les piétons. Lorsqu’elle lui avait demandé d’arrêter d’être si agressif, il lui avait dit de se taire.

4) Le 3 décembre 2013, le PCTN a invité M. A______ à se déterminer suite à la plainte reçue concernant la course du 16 juin 2013.

Il avait manqué à son devoir général de courtoisie, n’avait pas affiché ou mis à disposition immédiate du client le feuillet d’information portant sur les tarifs et les obligations essentielles des chauffeurs et n’avait pas remis au client une quittance comportant les mentions obligatoires, en infraction aux art. 34 al. 1, 3 et 4 ainsi qu’aux art. 45, 46 et 53 du règlement d’exécution de la loi sur les taxis et limousines (transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles) du 4 mai 2005 (RTaxis – H 1 30.01). Le prononcé d’une sanction et/ou d’une mesure administrative était envisagé.

5) Le 13 décembre 2013, le PCTN a invité M. A______ à s’expliquer au sujet de la plainte reçue concernant une course du 21 octobre 2013 lors de laquelle il était accusé d’avoir manqué à son devoir de courtoisie. Le prononcé d’une sanction et/ou d’une mesure administrative était envisagé.

6) Le 17 février 2014, M. A______, représenté par son conseil, a exposé sa version des faits des événements des 16 juin et 21 octobre 2013.

Il avait été provoqué par la cliente, le 21 octobre 2013, qui avait tenu des propos déplacés quant à ses origines, voire des propos racistes. Le client de la course du 16 juin 2013 avait refusé de payer le prix de la course et s’était comporté de manière très agressive, l’insultant en anglais. Le concierge de l’hôtel Kempinski pouvait témoigner de l’agressivité de cette personne. Il avait rédigé en hâte la quittance afin de pouvoir s’en aller devant le comportement du client. Rien ne justifiait une quelconque sanction à son encontre.

7) Par dénonciation du 18 juin 2014, au PCTN, Madame E______ a accusé M. A______ d’avoir refusé de la prendre en charge à l’aéroport de Genève, le lundi 16 juin 2014 vers 15h00, alors qu’elle souhaitait se rendre à Ferney Voltaire. Le chauffeur avait prétexté qu’il n’avait pas le droit d’aller en France. Il avait ensuite remonté la file d’attente des clients pour en choisir un qui se rendait à Chamonix. Alors qu’elle avait annoncé son intention de dénoncer ses agissements, le chauffeur lui avait répondu : « j’en ai rien à foutre ». Il semblait que ce chauffeur soit connu pour ce genre d’actions, comme ses deux frères. Il raflait les meilleures courses, faisait des queues de poissons et prenait n’importe quel client dans la queue pour les courses lointaines, créant ainsi des disputes.

8) Le 24 juin 2014, le PCTN a informé M. A______ des constats effectués à l’aéroport de Genève par les agents de la société F______ SA qui avaient pour mandat du Conseil d’État de surveiller les transporteurs présents à l’aéroport de Genève. Il avait violé son devoir général de courtoisie, enclenché son taximètre avant la prise en charge effective du client et violé son obligation d’accepter toutes les courses. Si de tels agissements devaient être formellement constatés par les autorités, il serait sanctionné sans détour. Dans l’intervalle, le présent avertissement était versé à son dossier et avait valeur d’antécédent.

9) Le 7 juillet 2014, M. A______ a contesté les diverses infractions qui lui étaient reprochées ainsi que l’avertissement prononcé le 24 juin 2014. Il avait eu une altercation avec un agent de F______ SA sur un parking à l’extérieur du lieu de chargement des passagers alors qu’il réglait un problème avec un client. Après cette altercation, cet agent lui avait fait savoir devant trois autres chauffeurs qu’il « aurait de ses nouvelles » et qu’il allait faire un rapport au PCTN.

10) Le 20 novembre 2014, le PCTN a invité M. A______ à faire valoir des observations concernant deux plaintes reçues. Le 16 juin 2014, vers 15h00, à l’aéroport de Genève, il avait refusé la prise en charge d’une cliente qui voulait se rendre à Ferney-Voltaire et lui avait répondu grossièrement lorsqu’elle l’avait informé de son intention de le dénoncer.

Le 25 juin 2014, à 18h30, à l’aéroport de Genève, il avait négocié le prix d’une course au préalable à CHF 120.-, et avait refusé de se justifier sur le prix. Il n’avait pas respecté l’ordre de la file d’attente des chauffeurs de taxis.

Une sanction et/ou une mesure administrative était envisagée.

11) Le 15 décembre 2014, M. A______, a exposé que Mme E______ dans sa dénonciation semblait connaître toute sa famille alors qu’il ne l’avait jamais rencontrée. Il mettait en doute l’existence de l’autre plaignant. Il ne pouvait apporter la preuve que les plaintes émanaient de chauffeurs concurrents mais cela lui semblait probable. En tous les cas, il s’agissait d’une fausse dénonciation et il contestait les faits.

12) Le 25 juin 2015, le PCTN a invité M. A______ à faire valoir des observations concernant une dénonciation dont il résultait que le 13 mars 2015, vers 11h45, au départ de l’aéroport de Genève en direction du Grand-Saconnex, il avait manqué à son devoir général de courtoisie en étant impoli et virulent à l’égard d’un client qui lui avait demandé une quittance ainsi que le numéro du véhicule et n’avait donc pas remis d’office une quittance au client lorsqu’il avait encaissé le prix de la course.

Un rapport de la police de sécurité internationale de l’aéroport de Genève établi le 3 juin 2015 faisait reproche au chauffeur de ne pas avoir facturé le prix de la course au moment indiqué par le compteur et avoir facturé deux fois le prix de la course, d’avoir remis une quittance incomplète et d’avoir manqué à son devoir général de courtoisie. Monsieur G______, domicilié aux USA, avait déclaré qu’une autre personne avait profité de se joindre à lui et à son épouse, avec leur consentement, lors d’une course en taxi de la ville à l’aéroport. À l’arrivée, le chauffeur lui avait demandé EUR 50.- ainsi qu’à l’autre personne. Le taximètre affichait CHF 35.- et le chauffeur avait eu une attitude grossière. Le chauffeur n’avait délivré qu’une quittance ne portant que le montant de la course et sa signature.

13) Le 5 juillet 2015, M. A______ a exposé au PCTN que le 13 mars 2015, il avait exécuté son travail correctement et n’avait pas manqué de respect ni de courtoisie à son client. Il lui avait remis une quittance au moment de l’encaissement. Le 3 juin 2015, il était à la place du Molard où se trouvaient deux couples. L’un des couples avait dit être le premier dans la file d’attente et souhaitait se rendre à l’aéroport de Genève. Le second avait alors demandé s’il pouvait se joindre au premier, se rendant dans un hôtel proche dudit aéroport. Les clients s’étaient arrangés seuls, en anglais. Il avait pris les quatre personnes dans son véhicule plus leurs quatre bagages.

À l’aéroport de Genève, le client voulait payer avec une carte de crédit alors qu’il n’avait pas de machine. L’autre couple n’ayant pas d’espèces, il avait encaissé le prix de la course de EUR 50.- (tarif 2 plus CHF 6.- de bagages). Il avait expliqué au client que c’était à lui de payer pour les deux couples car il avait permis au deuxième couple de monter avec lui. Il n’avait pas encaissé une double course. Le client était très mécontent qu’il n’accepte pas les cartes de crédit et avait dit qu’il se plaindrait auprès de la police. Il ne lui avait pas laissé le temps de remplir correctement la quittance. Ensuite, il avait accompagné l’autre couple à son hôtel à Meyrin, ce qui avait fait dépasser le prix de la course.

14) Le 21 août 2015, le PCTN a invité M. A______ à se prononcer sur une dénonciation reçue le 14 août 2015 dans laquelle un client reprochait au chauffeur d’avoir le 26 mai 2015, à l’aéroport de Genève, refusé une course au Grand-Saconnex au motif que la destination n’était pas assez lointaine.

Au début du mois de juillet, alors qu’une cliente était à bord du véhicule en direction du centre John Knox au Grand-Saconnex, il n’avait pas suivi l’itinéraire le meilleur marché pour se rendre à destination. Le chemin Palud étant fermé à la circulation ce jour, il avait violé le devoir général de courtoisie en refusant d’amener la cliente à destination après l’avoir fait descendre du véhicule et avoir encaissé CHF 35.- puis refusé de lui remettre une quittance.

Le 21 juillet 2015, aux alentours de 12h30, à l’aéroport de Genève, pour une cliente qui se rendait au centre John Knox, il n’avait pas respecté l’itinéraire le moins cher en facturant un montant de CHF 45.- au lieu des CHF 25.- habituels. Cette cliente ne pouvant régler que par carte, il avait répondu de manière agressive et l’avait emmenée par contrainte devant un distributeur d’argent puis laissée sur le bord de la route sans lui remettre de quittance.

Ces faits étaient susceptibles de donner lieu au prononcé d’une sanction administrative pouvant aller de l’amende administrative à l’interdiction d’exercer le transport professionnel de personnes sur le territoire genevois. Un délai lui était fixé pour faire valoir ses observations par écrit.

15) Le 31 août 2015, M. A______ a exposé au PCTN qu’il n’avait commis aucun faute pouvant donner lieu à sanction, niant les faits tant pour le 26 mai 2015 que pour début juillet et le 21 juillet 2015. Il donnait une version détaillée mais différente de ces trois événements.

16) Le 9 décembre 2015, le PCTN a informé M. A______ qu’il ressortait d’une dénonciation reçue le 9 novembre 2015, qu’il avait le 31 octobre 2015, vers 20h25, à la gare de Cornavin, violé son devoir général de courtoisie. Lorsqu’une cliente avait indiqué qu’elle se rendait à Saint-Jean, il avait été grossier et l’avait insultée, refusant de plus d’effectuer la course.

17) Le 20 décembre 2015, M. A______ a répondu au PCTN au sujet de l’incident du 31 octobre 2015. Il connaissait cette cliente et avait effectué la course. Cette personne était malade et il ne l’avait pas insultée.

18) Le 6 avril 2016, le PCTN a informé M. A______ que les agents de F______ SA, présents sur le site de l’aéroport de Genève, avaient constaté qu’il avait violé son obligation d’accepter toutes les courses. Le courrier se terminait par un avertissement identique à celui du 24 juin 2014.

19) Le 1er novembre 2016, le PCTN a informé M. A______ que les agents de F______ SA, présents sur le site de l’aéroport de Genève, avaient constaté qu’il avait violé son obligation d’accepter des courses et avait enclenché son taximètre avant la prise en charge effective du client. Le courrier se terminait par un avertissement identique à celui du 24 juin 2014.

20) Le 10 novembre 2016, le PCTN a informé M. A______ qu’il avait violé son obligation d’accepter une course selon le rapport des agents de F______ SA. Le courrier se terminait par un avertissement identique à celui du 24 juin 2014.

21) Le 25 janvier 2017, le PCTN a sollicité le préavis de la commission de discipline. Les incidents du 16 juin 2014, 13 mars, 3 juin, 26 mai, 21 juillet et 31 octobre 2015 étaient relatés tels qu’ils ressortaient des plaintes reçues. Une sanction de CHF 2'000.- était envisagée ainsi qu’une suspension de la carte professionnelle de chauffeur de taxi pour une durée de trois mois. Passé un délai de dix jours, une décision serait rendue, le silence de la commission de discipline équivalant à un préavis favorable.

22) Par courriel du 1er février 2017, Monsieur H______, président de la commission de discipline, a informé le PCTN que la sanction prévue était préavisée favorablement.

23) Le 7 mars 2017, le PCTN a infligé à M. A______ une amende administrative de CHF 2'000.- et prononcé la suspension de sa carte professionnelle de chauffeur de taxi pour une durée de trois mois.

La procédure était classée concernant la dénonciation du 27 juin 2014, les faits n’ayant pas pu être établis à satisfaction de droit.

Il était en revanche retenu que :

- le 16 juin 2014, il avait commis une infraction en n’acceptant pas une course et en enfreignant son devoir général de courtoisie ;

- le 13 mars 2015, il avait à nouveau enfreint son devoir de courtoisie et n’avait pas remis d’office à son client une quittance complète ;

- le 3 juin 2015, il avait commis une troisième fois une violation de son devoir général de courtoisie et une seconde violation de son obligation de remettre une quittance et une violation de la détermination des tarifs selon l’enregistrement du compteur horokilométrique ;

- le 26 mai 2015, il avait commis une seconde fois une infraction à l’obligation d’accepter toutes les courses ;

- le 21 juillet 2015, il avait commis une quatrième violation de son devoir général de courtoisie et une troisième infraction à l’obligation de remettre d’office une quittance au client ;

- le 31 octobre 2015, il avait commis une cinquième infraction à son devoir général de courtoisie.

Les affirmations contenues dans les différentes observations faites par M. A______, détaillées dans la décision, n’emportaient pas la conviction du PCTN. Les explications données étaient moins précises que les dénonciations et nullement prouvées à satisfaction de droit. Le PCTN persistait à retenir que les infractions avaient été commises. Certaines observations étaient contradictoires. Au vu du manque de vraisemblance et de cohérence des allégations, la version des faits donnée par le chauffeur ne pouvait être retenue dans aucun des cas. De plus, le dossier faisait état de quatre autres dénonciations relatives à la violation du devoir général de courtoisie ainsi que de deux autres concernant l’absence de remise de quittance. Partant les faits reprochés étaient établis.

La sanction tenait compte, notamment, de la réitération des manquements et de la gravité de certaines des infractions.

24) Par acte mis à la poste le 7 avril 2017, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision du PCTN, en concluant à son annulation ainsi qu’au versement d’une indemnité de procédure.

Il revenait en détail sur tous les faits reprochés, contestant la version retenue par le PCTN et donnant sa version des faits.

Près de treize mois après ses dernières observations, le PCTN avait adressé à la commission de discipline un projet de sanction pour préavis dans un courrier succinct de deux pages énumérant comme des faits établis les infractions que les diverses plaintes dénonçaient, telle qu’interprétées et résumées par la PCTN. Il n’était fait aucune mention de ses observations ni même qu’il contestait les faits. Les courriers d’observations n’étaient pas non plus joints au projet, lequel ne comportait aucune annexe.

Les dénonciations étaient possibles par internet et donc de manière parfaitement anonyme ou inventée et étaient prises pour argent comptant par le PCTN, alors qu’elles étaient dépourvues d’éléments documentés.

Le préavis rendu par la commission de discipline n’était pas valable. Il avait été donné sur le fondement du seul document de deux pages rédigé par le PCTN et une acceptation tacite était prévue après un délai de dix jours. Cela suffisait à entraîner l’annulation de la décision incriminée.

Il revenait ensuite sur chaque événement en détail en contestant la version des faits retenue par le PCTN et en expliquant notamment, dans les cas où une dispute était survenue avec un client, qu’un partage des torts rendait le comportement de l’un et de l’autre non punissable.

La décision violait également le principe de proportionnalité même si l’on retenait, ce qui était contesté, l’ensemble des infractions reprochées. Trois quarts de celles-ci concernaient des prétendues violations de l’obligation de courtoisie et d’erreurs dans la remise de quittances, soit des violations qui n’entraient pas dans le cadre des infractions les plus graves. Il n’avait aucun antécédent et un retrait de son permis pour trois mois, alors que le maximum légal était de six mois, avec une amende en sus, était assurément disproportionné et portait gravement atteinte à sa liberté économique.

La nouvelle loi qui entrerait en vigueur le 1er juillet 2017, devrait s’appliquer à titre de lex mitior, la sanction étant trois fois plus sévère que celle prévue pour une personne ayant un antécédent de suspension entré en force et une suspension un mois plus longue que celle frappant les conducteurs ayant déjà fait l’objet de plusieurs mesures de suspension ou de retrait.

25) Le 18 mai 2017, le PCTN a déposé des observations et conclu au rejet du recours.

Les infractions dénoncées par les plaintes de M. C______ du 23 juin 2013 et Mme D______ du 19 novembre 2013 étaient prescrites.

Les différentes plaintes étaient suffisamment claires et précises pour ne pas avoir à être complétées par les plaignants. Elles avaient toutes été entièrement contestées par le chauffeur dans leur substance. Il avait décidé de retenir une version parfaitement soutenable, plutôt que l’autre. Pour ce faire, il s’était appuyé sur des raisons sérieuses, fondées sur des indices propres à fonder sa conviction. La valeur probante de chacune des plaintes avait été appréciée de cas en cas et à la lumière des circonstances et compte tenu des antécédents du chauffeur et des constats des agents de sécurité de F______ SA à l’aéroport de Genève et des plus anciennes plaintes de clients qui, si elles concernaient des infractions prescrites, restaient totalement pertinentes pour forger la conviction du service.

Même si les différentes amendes infligées précédemment au recourant avaient été annulées par la chambre administrative pour des motifs procéduraux, celle-ci avait retenu que les explications du chauffeur étaient d’autant moins crédibles que ce dernier n’en était pas à sa première altercation avec des clients.

S’agissant de la proportionnalité de la sanction, les fautes avaient été commises de manière volontaire. Les faits du 21 juillet 2015 étaient particulièrement graves, dans la mesure où les infractions commises avaient été accompagnées d’une forme de contrainte, d’une attitude intimidante ainsi que de violences verbales et gestuelles. Au vu du nombre d’infractions commises, de leur nature et compte tenu d’une récidive à la violation du devoir général de courtoisie, l’amende et la suspension prononcées devaient être considérées comme proportionnées.

26) Le 1er juin 2017, lors d’une audience de comparution personnelle des parties, le représentant du PCTN a exposé que des problèmes organisationnels au sein du service expliquaient le fait que les infractions n’avaient pu être traitées avec célérité. Normalement, à réception d’une plainte, le dénonciateur n’était pas entendu mais il arrivait que des précisions soient demandées par écrit. Les plaintes absolument incohérentes étaient classées sans suite. Il n’était pas possible pour des raisons pratiques d’entendre les dénonciateurs. Les plaintes contre un même chauffeur étaient traitées ensemble.

Il n’y avait pas d’interpellation spéciale du chauffeur de taxi sur sa situation personnelle et financière.

M. A______ a précisé que depuis le 7 mars 2017, il n’avait pas eu d’interpellation du PCTN pour d’autres plaintes, ce qui a été confirmé par le représentant du PCTN.

27) Le 22 juin 2017, lors d’une audience de comparution personnelle et d’enquêtes, M. H______, directeur du PCTN et président de la commission de discipline, a confirmé que le délai de traitement du dossier de M. A______ était dû à une surcharge de travail générale du service. Pour les mêmes raisons, sauf cas très particuliers, il n’était pas possible de procéder à des confrontations entre plaignants et chauffeur. Ce dernier avait l’occasion de faire part de sa situation personnelle lors de l’exercice de son droit d’être entendu. Un formulaire idoine était en préparation.

Les membres de la commission de discipline étaient nommés par le Conseil d’État. Le fait qu’il soit directeur du PCTN et supérieur hiérarchique des juristes préparant et proposant les décision de sanction à soumettre à la commission de discipline qu’il présidait pour préavis, n’avait jamais posé de problème. Il n’y avait pas d’interférence, les juristes ne lui soumettaient pas les décisions en sa qualité de directeur. Au sein de la commission de discipline, il ne représentait qu’une voix sur neuf.

Les membres de la commission de discipline recevaient par courrier électronique le message du juriste sollicitant leur préavis et avaient un délai de dix jours pour réagir. S’ils ne réagissaient pas, le préavis était supposé favorable. S’il y avait des avis divergents, la commission de discipline pouvait être réunie, ce qui n’avait toutefois jamais eu lieu depuis qu’il présidait ladite commission. Il n’avait pas souvenir d’avoir eu des demandes de dossiers ou de compléments d’informations de la part des membres de la commission de discipline saisis d’une demande de préavis. Il était arrivé qu’il y ait parfois une voix discordante entraînant le retour du dossier au service juridique pour examen et cas échéant nouvelle proposition.

28) Le 22 mai 2017, le PCTN a transmis un relevé des infractions du taxi immatriculé GE 2______ établi par F______ SA, sur le site de l’aéroport de Genève. Les infractions constatées étaient transmises mensuellement au PCTN qui avait formé les agents à cette surveillance. Pour le taxi concerné, depuis le 1er janvier 2015, un chargement en milieu de colonne, une mise en route prématurée du compteur et cinq refus de course avaient été constatés les 7 février 2015, 14 janvier, 10 mars, 5 août, 21 août et 18 octobre 2016.

29) Par envoi du 7 juillet 2017, le recourant a persisté dans son argumentation et les conclusions prises.

Lorsqu’un chauffeur contestait les faits retenus, aucune mesure d’instruction supplémentaire n’était diligentée, aucune confrontation n’était faite et aucun témoin n’était interrogé. Les observations du chauffeur étaient simplement versées à la procédure sans qu’il en soit tenu compte. En bonne application du principe in dubio pro reo, aucune sanction ne pouvait être prononcée à son encontre.

30) Le 2 août 2017, le PCTN a expliqué que le rapport de F______ SA, transmis spontanément le 22 mai 2017, complétait des allégués de son mémoire.

31) La cause a ensuite été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur la conformité au droit de la décision du PCTN du 7 mars 2017 infligeant une amende de CHF 2'000.- au recourant et prononçant la suspension de sa carte professionnelle de chauffeur de taxi pour une durée de trois mois, sanctionnant neuf infractions pour des faits des 16 juin 2014, 13 mars, 26 mai, 3 juin, 21 juillet et 31 octobre 2015.

3) a. Le 1er juillet 2017 est entrée en vigueur la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 13 octobre 2016 (LTVTC – H 1 31) qui a abrogé la loi sur les taxis et limousines (transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles) du 21 janvier 2005 (LTaxis – H 1 30).

b. Aux termes des dispositions transitoires de la LTVTC, les infractions commises sous l’empire de l’ancien droit se poursuivent selon l’ancien droit et, devant les autorités compétentes, sous l’empire de ce droit. L’art. 48 LTaxis, concernant la commission de discipline, n’est toutefois pas applicable. L’application du nouveau droit est réservée, si ce dernier est plus favorable à l’auteur de l’infraction (art. 66 du règlement d’exécution de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 21 juin 2017 – RTVTC – H 1 31.01).

c. En l’espèce, les faits retenus dans la décision attaquée se sont tous déroulés entièrement sous l’ancien droit. S’agissant de l’amende, la chambre de céans a déjà retenu que le nouveau droit (art. 38 al. 1 LTVTC) qui prévoit en cas de violation de ses prescriptions ou de ses dispositions d’exécution une amende CHF 200.- à CHF 20'000.- n’était pas plus favorable que l’art. 45 al. 1 LTaxis qui punit d’une amende administrative de CHF 100.- à CHF 20'000.- toute personne ayant enfreint les prescriptions de la LTaxis ou de ses dispositions d’exécution (ATA/1239/2017 du 29 août 2017).

S’agissant de la suspension et du retrait de la carte professionnelle de chauffeur, prévue par l’art. 46 LTaxis et l’art. 37 LTVTC, le nouveau droit apparaît comme étant plus favorable, dans la mesure où, la suspension est prévue pour une durée de sept jours à six mois mais que des suspensions minimales de trente jours et soixante jours ne sont prévues que si le contrevenant a, dans les trois ans qui ont précédé l’acte, déjà fait l’objet d’une suspension exécutoire, respectivement de plusieurs suspensions. A contrario, cette disposition crée un plafond de principe pour les contrevenants n’ayant pas subi d’autres suspensions. Sous l’ancien droit, la suspension de la carte professionnelle était prévue pour une durée de dix jours à six mois, sans minimum ni maximum lié aux antécédents (art. 46 al. 1 let. a LTaxis).

En l’espèce, sous réserve de l’examen, cas échéant, de la durée de la suspension de la carte professionnelle, la présente cause est donc soumise à la LTaxis et à ses dispositions d’exécution.

4) a. Les amendes administratives prévues par les législations cantonales sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des contraventions pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant aussi exister. C’est dire que la quotité de la sanction administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/1057/2017 du 4 juillet 2017 ; ATA/610/2017 du 30 mai 2017 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 160 n. 1.4.5.5 ; plus nuancé : Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n. 1211).  Ces principes sont aussi applicables s’agissant du prononcé de sanctions disciplinaires (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 1226).

b. En vertu de l'art. 1 al. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), les dispositions de la partie générale du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif, sous réserve de celles qui concernent exclusivement le juge pénal (comme notamment les art. 34 ss, 42 ss, 56 ss, 74 ss, 106 al. 2 et 3 et 107 CP ; ATA/533/2017 du 9 mai 2017). Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d’une simple négligence (ATA/1054/2017 du 4 juillet 2017 ; Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 7ème éd., 2016, p. 331 n. 1493).

c. La LTaxis ne contenant pas de disposition réglant la question de la prescription, il y a lieu de faire application, par analogie, de l’art. 109 CP, à teneur duquel la prescription de l'action pénale est de trois ans (ATA/913/2015 du 8 septembre 2015 et les références citées).

Selon l’art. 98 CP, la prescription court, alternativement, dès le jour où l'auteur a exercé son activité coupable, dès le jour du dernier acte si cette activité s'est exercée à plusieurs reprises ou encore dès le jour où les agissements coupables ont cessé s'ils ont eu une certaine durée.

En vertu de l’art. 97 al. 3 CP, elle ne court plus si, avant son échéance, un jugement de première instance a été rendu.

d. La prescription est une question de droit matériel qu’il y a lieu d’examiner d'office lorsqu'elle joue en faveur de l’administré (ATF 138 II 169 consid. 3.2 ; ATA/647/2016 du 26 juillet 2016).

e. En l’espèce, la prescription est acquise pour les faits du 16 juin 2014, sanctionnés par l'intimé en mars 2017 seulement.

5) Selon l’art. 19 LPA, l’autorité établit les faits d’office. Elle n’est pas limitée par les allégués et les offres de preuve des parties. Elle réunit les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision (art. 20 al. 1 LPA).

En l’espèce, aucun des faits n’est admis par le recourant qui conteste avoir contrevenu à ses obligations. Aucun des incidents dénoncés survenus les 13 mars, 26 mai, 21 juillet et 31 octobre 2015, n’a fait l’objet d’un rapport de police. La dénonciation du 3 juin 2015 a uniquement été enregistrée par la police de la sécurité internationale de l’aéroport puis transmise au PCTN.

En conséquence, le PCTN ne pouvait pas retenir comme déterminante la version des dénonciateurs, sans procéder à des vérifications supplémentaires, étant relevé qu’à rigueur de dossier, il disposait des identités, voire d’adresses ou de numéros de téléphone ou d’adresses de messagerie des intervenants. Le recourant n’a pas d’antécédents défavorables, aucune sanction ou mesure, entrée en force, ne figure au dossier, contrairement à ce que retient le PCTN, et, même dans l’hypothèse où ses antécédents seraient défavorables, ceux-ci ne peuvent constituer une motivation par substitution, étant précisé encore que les avertissements ne constituent pas des sanctions ou mesures prévues par la LTaxis et ne peuvent donc en avoir la portée, en particulier comme antécédent, comme la chambre de céans a déjà eu l’occasion de le relever (ATA/1024/2016 du 6 décembre 2016 ; ATA/263/2016 du 22 mars 2016).

À ce stade, il n’appartient pas à la chambre de céans, juridiction de recours appelée notamment à examiner le grief de constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents, de se substituer à l’autorité administrative et de procéder à l’instruction initiale nécessaire à l’établissement des faits (ATA/698/2015 du 30 juin 2015).

6) De surcroît, la LTaxis prévoit qu’une commission de discipline, formée des représentants des milieux professionnels, des organes de police et de la direction générale des véhicules, préavise les mesures et sanctions administratives prononcées par le département. Ses préavis ont valeur consultative et ne lient pas le département (art. 48 LTaxis).

En l’espèce, il ressort de l’instruction faite par la chambre de céans que le PCTN a soumis aux membres de la commission disciplinaire, présidée par le directeur du PCTN, un projet de sanction rédigé par un juriste du service, sans que les plaintes et les déterminations du recourant ne soient soumises aux membres de ladite commission. Ces derniers n’ont donc pu se prononcer valablement que sur la quotité de la sanction, sur la base d’un état de fait préétabli mais n’ont pas été en mesure de se déterminer en toute connaissance de cause sur les fondements de la sanction.

En conséquence, il apparaît que la décision a également été rendue en violation de la procédure instaurée par la LTaxis.

7) Au vu de ce qui précède, le recours sera admis partiellement. La décision litigieuse sera annulée. Le dossier sera retourné au PCTN pour instruction et nouvelle décision.

Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 1’000.- sera allouée au recourant, à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 avril 2017 par Monsieur A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 7 mars 2017 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 7 mars 2017 ;

retourne la cause au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir pour instruction et nouvelle décision ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de CHF 1'000.- à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacques Roulet, avocat du recourant, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Krauskopf et Junod, MM. Pagan et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Poinsot

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :