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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4196/2015

ATA/1352/2015 du 16.12.2015 ( FPUBL ) , ACCORDE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4196/2015-FPUBL

" ATA/1352/2015

 

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 16 décembre 2015

sur effet suspensif et mesures provisionnelles

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Imed Abdelli, avocat

contre

COMMUNE DE TROINEX
représentée par Me Emmanuel Ducrest, avocat



Attendu, en fait, que :

1. Monsieur A______, né en 1959, a été engagé par la commune de Troinex le 13 janvier 2009 en tant que concierge. Il a commencé à travailler le 1er février 2009, bénéficiant depuis d'un logement de fonction à la place de la Mairie.

2. En mai 2012, un expert externe mandaté par la mairie a remis un rapport d'« audit-coaching » concernant M. A______, concluant en substance à la poursuite des rapports de service au sein de la commune, l'intéressé « devant pouvoir s'adapter aux exigences et réussir à mener sa mission à satisfaction de son employeur ».

3. À des dates indéterminées, vraisemblablement en 2014, M. A______ a adressé deux courriers de plusieurs pages chacun à l'exécutif communal au sujet de sa fonction et de ses conditions de travail.

4. Le 4 mars 2015, le maire de la commune a prononcé un avertissement à l'encontre de M. A______. Il faisait suite à un entretien ayant eu lieu la veille en présence de l'intéressé et de Monsieur B______, secrétaire communal.

Les prestations fournies par M. A______ n'étaient pas satisfaisantes. Les règles à respecter en cas d'utilisation de matériel ou de locaux autres que ceux qu'il gérait lui avaient été rappelées ; malgré cela, dans les semaines qui précédaient, il avait à deux reprises au moins emprunté du matériel situé dans d'autres bâtiments sans en avertir le responsable.

5. Le 2 avril 2015, M. A______ s'est adressé par écrit à l'exécutif communal pour contester ledit avertissement.

6. Le 26 mai 2015, le maire a prononcé un autre avertissement à l'encontre de M. A______. Celui-ci n'avait à nouveau pas respecté, à deux reprises, les règles relatives à l'utilisation de matériel ou de locaux.

7. Le 3 juillet 2015, s'exprimant désormais par l'intermédiaire d'un avocat, M. A______ a également contesté le second avertissement du 26 mai 2015.

8. M. A______ a été en arrêt maladie à partir du 11 août 2015. Il a produit des certificats médicaux de son médecin traitant, le Dr C______, attestant d'une incapacité totale de travail au moins entre le 31 août 2015 et le 26 novembre 2015.

Par le biais de son avocat, des négociations ont cependant eu lieu pendant cette période avec l'exécutif communal au sujet de son poste de travail.

9. Le vendredi 30 octobre à 09h59, le conseil de M. A______ a envoyé un courriel au conseil de la commune en suggérant la reprise de négociations, y joignant un nouveau certificat médical attestant de l'incapacité de travail de son client jusqu'au 26 novembre 2015.

10. Par décision du même jour, soit du 30 octobre 2015, adressée directement à l'intéressé et non à son avocat, le maire a résilié les rapports de service de M. A______ avec effet au 31 janvier 2016.

11. Le 2 novembre 2015, faisant suite à la décision précitée, le maire a également résilié le bail de l'appartement de fonction de M. A______ pour le 30 avril 2016.

12. Par acte posté le 1er décembre 2015, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de résiliation des rapports de service, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif au recours, et principalement à la constatation de la nullité de la résiliation et à la condamnation de la commune à verser l'équivalent de douze mois de salaire à titre d'indemnité de fin de rapports de travail, avec intérêts à 5 % l'an dès le 30 octobre 2015.

L'effet suspensif était la règle. Une pesée des intérêts en présence devait aboutir à sa restitution. Sans effet suspensif – ou sans mesures provisionnelles le cas échéant –, M. A______ serait privé des droits découlant de la période de protection contre les congés en temps inopportun.

Sur le fond, les chances de succès du recours étaient réelles vu l'ensemble des circonstances, et en particulier le caractère « notoirement nul » de la résiliation des rapports de service.

13. Invitée par le juge délégué à répondre sur effet suspensif et mesures provisionnelles en particulier en lien avec le grief de nullité allégué, la commune a conclu au rejet de la demande d'effet suspensif et de mesures provisionnelles.

Des négociations étaient intervenues entre la commune et M. A______, et n'avaient malheureusement pas abouti. Par conséquent et vu l'absence prolongée de son employé, la commune avait pris ses dispositions en vue de le remplacer. On ne voyait pas en quoi M. A______ serait privé de la protection contre les congés en temps inopportun en l'absence d'effet suspensif. Si la procédure devait durer, l'intéressé pouvait par ailleurs demander une suspension de la procédure en évacuation.

Au sujet de la nullité alléguée de la résiliation des rapports de service, celle-ci avait été notifiée le 30 octobre 2015, alors que le dernier certificat médical reçu couvrait uniquement la période jusqu'au 18 octobre 2015. Le courriel du conseil de M. A______ du 30 octobre 2015 n'avait été reçu par la commune que le lundi 2 novembre 2015. La commune n'avait pas délibérément passé outre la prescription légale, mais face aux exigences sans fin de M. A______ concernant les conditions de logement et le refus de signer une convention pourtant âprement négociée par son conseil et qui lui était largement favorable, elle avait estimé que le temps des négociations était terminé.

14. Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif et mesures provisionnelles.

Considérant, en droit, que :

1. Aux termes de l’art. 66 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).

2. Les décisions sur mesures provisionnelles sont prises par le président ou le vice-président de la chambre administrative ou, en cas d’empêchement de ceux-ci, par un autre juge (art. 21 al. 2 LPA et art. 7 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 septembre 2010).

3. L’autorité peut d’office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (art. 21 al. 1 LPA).

4. Selon la jurisprudence constante, les mesures provisionnelles - au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif - ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1244/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2 ; ATA/1110/2015 du 16 octobre 2015 consid. 3 ; ATA/997/2015 du 25 septembre 2015 consid. 3). Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif, ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HAENER, Vorsorgliche Massnahmen, in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess, RDS 1997 II 253-420, 265).

5. Parmi les différents types de mesures provisionnelles, l’effet suspensif vise à maintenir une situation donnée. Il n’a pas pour objectif de créer un état correspondant à celui découlant du jugement au fond. Il ne peut donc que concerner une décision administrative positive (fût-elle défavorable à l'administré), soit une décision qui impose une obligation à l’administré, qui le met au bénéfice d’une prérogative ou qui constate l’existence ou l’inexistence d’un de ses droits de l’une de ses obligations (Cléa BOUCHAT, L’effet suspensif en procédure administrative, 2015, p. 104 n. 278). En procédure administrative, cela correspond à une décision au sens de l’art. 4 al. 1 let. a ou b LPA.

6. a. Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1). Pour effectuer la pesée des intérêts en présence qu’un tel examen implique, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

b. Toutefois et de jurisprudence constante, la chambre de céans considère que lorsque le statut applicable à l'agent public ne permet pas d'imposer la réintégration en cas d'admission du recours, elle ne peut faire droit à une demande de restitution de l’effet suspensif, car elle rendrait alors une décision allant au-delà des compétences qui sont les siennes sur le fond (ATA/1231/2015 du 12 novembre 2015 consid. 3b ; ATA/1000/2015 du 28 septembre 2015 ; ATA/986/2014 du 10 décembre 2014 ; ATA/42/2014 du 24 janvier 2014 consid. 6 ; ATA/610/2013 du 16 septembre 2013 consid. 5 ; ATA/182/2012 du 3 avril 2012 consid. 5 ; ATA/107/2012 du 22 février 2012 ; ATA/92/2012 du 17 février 2012 ; ATA/371/2011 du 7 juin 2011 ; ATA/343/2011 du 25 mai 2011 ; ATA/160/2011 du 11 mars 2011 ; ATA/341/2009 du 21 juillet 2009 et les références citées).

7. a. Par ailleurs, le statut du personnel communal de Troinex, du 9 novembre 2009 (ci-après : le statut) prévoit que la commune peut mettre fin, pour un motif fondé, aux rapports de service en respectant le délai de résiliation (art. 12 al. 2 du statut), qui est de trois mois dès la fin d'un mois dès la troisième année de service (art. 13 al. 2 let. c du statut). En vertu des art. 16 et 64 des statuts, l'employé dont les rapports de service ont été résiliés ne dispose pas d'un droit à la réintégration, même en cas d'admission de son recours. En revanche, l'art. 336c de la loi fédérale complétant le Code civil suisse, du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220), est applicable par analogie (art. 14 du statut).

b. À teneur de l’art. 336c al. 1 let. b CO, qui réglemente la résiliation en temps inopportun, après le temps d'essai, par l’employeur, ce dernier ne peut pas résilier le contrat pendant une incapacité totale ou partielle résultant d’une maladie ou d’un accident non imputables à la faute du travailleur durant cent quatre-vingts jours à compter de la sixième année de service, le congé donné pendant cette période étant nul (art. 336c al. 2 CO).

8. En l'espèce, la restitution de l'effet suspensif n'est en principe pas possible, puisque le statut ne donne pas à la chambre de céans le pouvoir d'ordonner la réintégration. Néanmoins, si un cas de nullité était avéré, le recourant devrait être considéré comme n'ayant pas été licencié et comme faisant encore partie du personnel communal.

Or le recourant est employé de la commune dans sa septième année de service, si bien qu'il bénéficie d'une période de protection de cent quatre-vingts jours. Étant en incapacité totale de travail documentée par certificat médical depuis le 11 août 2015, la période de protection s'étendait potentiellement jusqu'en février 2016.

Par ailleurs, en l'état de l'instruction de la cause, on ne comprend pas comment la commune (qui peut se voir imputer les actes de son représentant) n'aurait reçu le certificat médical couvrant la période jusqu'au 26 novembre 2015 que le lundi 2 novembre 2015, alors que son avocat l'a en principe reçu le 30 octobre à 09h59 ; ni pourquoi elle n'a pas adressé la décision de résiliation à l'avocat constitué du recourant, chez qui celui-ci avait fait élection de domicile.

Dès lors, vu le probable constat de nullité que la chambre de céans sera, prima facie, amené à opérer, il y a lieu de restituer l'effet suspensif au recours et de faire interdiction à la commune, à titre de mesure provisionnelle ordonnée d'office, d'engager un tiers au poste occupé par M. A______, ce jusqu'à droit jugé dans la présente procédure.

9. Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

restitue l’effet suspensif au recours ;

fait interdiction à la commune de Troinex, jusqu'à droit jugé au fond, d'engager un tiers au poste occupé par Monsieur A______ ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me Imed Abdelli, avocat du recourant ainsi qu'à Me Emmanuel Ducrest, avocat de la commune de Troinex.

 

 

Le président :

 

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :