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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2049/2020

ATA/1174/2020 du 24.11.2020 ( FPUBL ) , REJETE

Descripteurs : DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE;RAPPORTS DE SERVICE DE DROIT PUBLIC;FONCTIONNAIRE;MISE À LA RETRAITE;PRÉVOYANCE PROFESSIONNELLE;PERSONNE RETRAITÉE;RENTE-PONT;CHANGEMENT DE PRATIQUE
Normes : LTrait.23.al1; LTrait.23.al2; LPol.27; LPRCP.1; LPRCP.2
Résumé : Recours d’un fonctionnaire de police contre le refus de son employeur de lui verser, au moment de son départ à la retraite, un double salaire au motif notamment de l’égalité de traitement avec plusieurs de ses collègues. Le recours est rejeté, l’administration ayant de manière licite modifié sa pratique lorsqu’un fonctionnaire de police est, comme en l’espèce, au bénéfice d’une rente-pont.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2049/2020-FPUBL ATA/1174/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 24 novembre 2020

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Romain Jordan, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE L'EMPLOI ET DE LA SANTÉ



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______1962, a commencé à travailler pour la police genevoise le 1er avril 1983 et a pris sa retraite à la fin du mois d'avril 2019, alors qu'il était âgé de 56 ans et cinq mois, soit après trente-six années de service.

Il en avait fait la demande auprès de la direction des ressources humaines (ci-après : RH) de la police par courrier du 24 décembre 2018.

Selon lettre du département de la sécurité du 18 janvier 2019, il devait, à compter du 1er mai 2019, toucher un pont-retraite, conformément aux art. 2 al. 2 et 10 de la loi concernant un pont-retraite en faveur du personnel assuré par la Caisse de prévoyance des fonctionnaires de police et des établissements pénitentiaires du 3 décembre 2010 (LPRCP - B 5 35) et à l'art. 28 de la loi modifiant la loi sur la police.

2) Le 6 mars 2019, M. A______ a écrit à l'office du personnel de l'État (ci-après : l'office du personnel) pour demander qu'à l'instar de tous ses anciens collègues, son dernier salaire, à savoir d'avril 2019, soit doublé.

3) Le 29 mars 2019, l'office du personnel, soit pour lui un gestionnaire du service des paies et assurances du personnel, a écarté cette demande.

La disposition qui prévoyait le doublement du dernier salaire ne s'appliquait qu'aux membres du personnel qui prenaient leur retraite à l'âge terme, et non pas à ceux qui bénéficiaient d'une rente versée par l'employeur pour faire le pont entre la cessation d'activité et la retraite LPP prévue à l'âge de 58 ans.

4) Par acte mis à la poste le 14 mai 2019, M. A______ a recouru à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le courrier précité, concluant à ce qu'un double salaire lui soit versé lorsqu'il prendrait sa retraite.

5) Par arrêt ATA/1813/2019 du 17 décembre 2019, la chambre administrative a déclaré ce recours irrecevable, dans la mesure où la lettre attaquée émanait d'une autorité incompétente pour rendre une décision, ce qui entraînerait sa nullité, mais aussi dans l'hypothèse où ladite lettre ne serait pas une décision, mais une simple information.

6) Après que M. A______ a demandé, le 13 février 2020, à ce qu'il soit statué formellement sur son droit au doublement de son dernier salaire, le département de la sécurité, de l'emploi et de la santé (ci-après : le département) a rendu, le 5 juin 2020, une décision lui déniant un droit à un double salaire.

Suite à l'entrée en vigueur dès le 1er janvier 2011 de la loi sur la police du 9 septembre 2014 (LPol - F 1 05) (recte : dès le 1er mai 2016) et de la LPRCP, l'OPE avait, le 12 juillet 2017, informé les directions RH des départements que les membres du personnel ayant 58 ans révolus et dix ans d'activité dans l'administration cantonale n'avaient pas le droit au doublement de leur dernier traitement à leur départ s'ils prenaient une rente-pont AVS ou une rente de pont-retraite.

L'administration avait en conséquence, à compter du 1er août 2017, modifié sa pratique, laquelle était jusque-là contraire à la loi, et partant avait cessé de verser un dernier traitement mensuel doublé aux fonctionnaires de police qui avaient sollicité une rente de pont-retraite.

Les autres éléments figurant dans cette décision seront repris ci-dessous en droit dans la mesure nécessaire au traitement du litige.

7) Par acte expédié le 9 juillet 2020, M. A______ a formé recours auprès de la chambre administrative contre cette décision. Il a conclu préalablement à ce qu'il soit ordonné au département de produire l'intégralité de son dossier, de même que tous les documents permettant d'établir sa pratique depuis le 1er janvier 2011 « à ce jour » en matière de doublement du dernier salaire. Principalement, il a conclu à l'annulation de la décision du 5 juin 2020 et à sa réforme en ce sens qu'il avait droit au doublement de son dernier traitement mensuel.

La décision litigieuse consacrait une violation de l'art. 23 de la loi concernant le traitement et les diverses prestations alloués aux membres du personnel de l'État, du pouvoir judiciaire et des établissements hospitaliers du 21 décembre 1973 (LTrait - B 5 15) de même que des principes d'égalité de traitement et d'interdiction de l'arbitraire.

Conformément à l'art. 2 LPRCP, M. A______ avait vu s'ouvrir son droit au pont-retraite le 31 décembre 2014, dès lors qu'il avait atteint trente années de service ainsi que l'âge de 52 ans. Il avait néanmoins décidé de poursuivre son activité jusqu'au 30 avril 2019 et avait été mis au bénéfice d'une rente pont-retraite à compter du 1er mai 2019. Son départ se fondait exclusivement sur son âge et ses années de service. Les dispositions transitoires adoptées dans le cadre de la modification de la LPol maintenaient un droit à la retraite à 52 ans pour les fonctionnaires particulièrement touchés par ladite modification, en vertu du principe de la bonne foi, seules les modalités de versement de rente étant modifiées. M. A______ remplissait les conditions de l'art. 23 al. 1 LTrait qui consacrait le doublement du dernier salaire mensuel versé aux collaborateurs de l'État à la prise de la retraite issu d'une tradition genevoise ancienne et une marque d'estime, de considération et de reconnaissance du travail effectué.

La rente-pont AVS et la rente de pont-retraite n'étaient pas de même nature. La première visait à encourager la retraite anticipée et la seconde instaurait des mesures transitoires permettant d'atténuer les conséquences de la modification législative. On ne pouvait étendre l'application de l'art. 23 al. 2 LTrait, au demeurant adopté largement postérieurement à la LPRCP, à la rente de pont-retraite sans tomber dans l'arbitraire. Ainsi, si le législateur avait entendu étendre l'exclusion y consacrée aux rentes fondées sur la LPRCP, il l'aurait expressément prévu.

Il avait eu connaissance que de nombreux collègues se trouvant dans une situation similaire en avaient bénéficié de sorte que le principe de l'égalité de traitement commandait qu'il en fût ainsi pour lui. Le département n'apportait aucune preuve du changement de pratique qui serait intervenu en juillet 2017, contraire à la loi, et qui n'avait d'ailleurs fait l'objet d'aucune communication aux fonctionnaires intéressés.

8) Dans ses observations du 28 août 2020, le département a conclu au rejet du recours.

M. A______, conformément à l'art. 17 al. 1 règlement d'application de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01) pouvait en tout temps, sur simple demande, obtenir de la direction des RH la consultation de son dossier.

Le 12 juillet 2017, l'office du personnel avait informé, par un courriel (produit, de même qu'un tableau récapitulatif des spécificités des agents de police et de détention affiliés à la Caisse de la police [ci-après : CP]), les directions RH des départements que les membres du personnel ayant 58 ans révolus et dix ans d'activité dans l'administration cantonale qui solliciteraient une retraite statutaire anticipée bénéficiaient, comme les retraités AVS, d'un double traitement mensuel à leur départ. En revanche, la prise d'une rente-pont AVS ou d'une rente de pont-retraite (« Pont AVS ou Pont Police » à teneur du tableau récapitulatif) n'y donnait pas droit. Dès le 1er août 2017, l'administration avait donc modifié sa pratique, contraire à la loi jusque-là, et cessé de verser un dernier traitement doublé aux fonctionnaires de police ayant sollicité une rente de pont-retraite.

Il ressortait des travaux préparatoires que les députés avaient décidé d'adopter la loi sur la rente-pont AVS du 3 octobre 2013 (LRP - B 5 20) après que le magistrat en charge du département des finances leur avait expliqué que « quelqu'un qui part à 64 ou 65 ans, à l'âge de la retraite, sans PLEND (Plan d'encouragement au départ anticipé, selon la loi instaurant des mesures d'encouragement à la retraite anticipée du 15 décembre 1994 [LERA - B 5 20]) ne reçoit ma foi rien d'autre qu'un double salaire. Or, quelqu'un qui prend trois ans de son PLEND reçoit 80'000.- » (http://ge.ch/grandconseil/m/memorial/seances/

570412/71/79 - PL 10912).

La LPRCP avait été adoptée pour éviter que les fonctionnaires de police et les gardiens de prison ne voient l'âge de leur retraite passer abruptement de 52 à 58 ans, pour se conformer à l'art. 11 de l'ordonnance du 18 avril 1984 sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (OPP2 - RS 831.441.1) qui n'autorisait pas de prévoir un âge de retraite ordinaire inférieur à 58 ans. L'art. 2 al. 1 LPRCP prévoyait un régime spécifique, notamment pour les personnes ayant atteint l'âge de 53 ans ou plus en 2017 et 2018. La LPol avait ensuite repoussé l'âge de la retraite à 58 ans.

L'interprétation littérale ou systématique de l'art. 23 al. 2 LTtrait ne permettait pas de déterminer si le terme de « rente-pont AVS » couvrait également celui de « rente de pont-retraite ». L'interprétation téléologique et historique conduisait en revanche à retenir que la modification de la LTrait avait pour but, comme déjà relevé, de ne pas doubler le dernier salaire du fonctionnaire touchant une rente-pont AVS. En définitive, que l'une soit appelée rente de pont-retraite et l'autre rente-pont AVS était sans pertinence, toutes deux étant de même nature, à savoir financées exclusivement par l'employeur et permettant au membre du personnel d'avoir un revenu entre la fin de ses rapports de service et la retraite, cas échéant anticipée.

M. A______, lorsqu'il avait donné sa démission, était éligible, en fonction de son âge, uniquement à une rente pont-retraite, à l'exception donc d'une retraite anticipée ou retardée, qu'il avait effectivement obtenue et valable jusqu'au 31 décembre 2020, veille du jour à partir duquel il recevrait une pension de la CP. En conséquence, il n'avait pas droit au doublement de son dernier traitement, étant précisé que la LPol ne prévoyait aucune disposition contraire à ce sujet.

Il n'y avait enfin pas eu d'inégalité de traitement en sa défaveur dans la mesure où les neuf anciens collègues qu'il citait en exemple avaient pris leur rente de pont-retraite avant le 1er août 2017, date du changement de pratique du département.

9) Dans sa réplique du 1er octobre 2020, M. A______ a notamment persisté dans sa demande de production de l'ensemble des échanges et directives permettant d'établir le changement de pratique du département, la seule production de la communication du 12 juillet 2017 n'étant pas suffisante et constituant une obstruction illicite de l'accès au dossier.

Il était insoutenable de prétendre que l'art. 23 al. 2 LTrait s'appliquait aux rentes-pont de retraite, destinées à une catégorie très restreinte de collaborateurs particulièrement touchés par l'élévation de l'âge de la retraite, tels les agents de police, qui avait partant un but différent d'une rente-pont AVS, visant à l'encouragement de la retraite anticipée. Il allait en outre de soi que le législateur n'avait pas entendu inclure les fonctionnaires de police au bénéfice d'une rente pont-retraite dans le cadre de la modification de la LTrait qui non seulement découlait directement de l'adoption de la LRP, mais en plus était postérieure à la LPRCP. Ainsi, si le législateur avait voulu étendre l'exclusion du dernier salaire aux bénéficiaires d'une rente de pont-retraite, il l'aurait expressément prévu.

Le changement de pratique allégué par le département était illicite et opérait une distinction arbitraire entre des collaborateurs d'une même catégorie ayant choisi d'activer leur rente de pont-retraite avant juillet 2017, ce d'autant plus que les fonctionnaires de police concernés n'en avaient pas été informés.

10) La cause a été gardée à juger le 5 octobre 2020.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recourant sollicite la production de son dossier personnel et de tous les documents liés à la pratique du département depuis le 1er janvier 2011 « à ce jour » en matière de doublement du dernier salaire.

a. Le droit de consulter le dossier est un aspect du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) (ATF 132 II 485 consid. 3.2). Dans ce contexte, le droit de consulter le dossier doit aussi pouvoir s'exercer lorsque les pièces du dossier ne sont pas de nature à influencer la décision à rendre. Il ne suffit donc pas, pour refuser la consultation d'un acte dans une procédure déterminée, de déclarer que le document en cause est sans importance pour l'issue de la procédure. Il faut plutôt laisser à la partie qui en demande la consultation de juger elle-même de la pertinence de cet acte (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, p. 144-145 n. 553 et l'arrêt cité). Le dossier doit être complet et l'administré dispose du droit d'avoir accès à tous les éléments de celui-ci, même si ceux-ci ne sont visés ni dans la décision dont est recours, ni dans les écritures de l'administration (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, op. cit., p. 145 n. 556 et l'arrêt cité).

Selon la jurisprudence, le justiciable ne peut toutefois pas exiger la consultation de documents internes à l'administration, à moins que la loi ne le prévoie (ATF 125 II 473 consid. 4a ; 122 I 153 consid. 6a ; 117 Ia 90 consid. 5). Il peut s'agir de communications entre les fonctionnaires traitant le dossier (arrêt du Tribunal fédéral 2C_250/2009 précité consid. 2.1), d'avis personnels donnés par un fonctionnaire à un autre, de projets de décision, d'avis de droit (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 1544).

Le principe de l'accès au dossier figure à l'art. 44 LPA, alors que les restrictions sont traitées à l'art. 45 LPA. Ces dispositions n'offrent pas de garantie plus étendue que l'art. 29 al. 2 Cst. (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, op. cit., p. 145 n. 553 et l'arrêt cité).

b. En l'espèce, le recourant ne remet pas en cause le fait que l'autorité intimée lui a donné l'accès à son dossier dans son intégralité s'il l'avait demandé, comme cela lui a été rappelé dans ses écritures du 28 août 2020. Il ne motive pas en quoi des pièces pouvant s'avérer pertinentes s'y trouveraient et devraient être connues de la chambre, au-delà de celles déjà produites, pour trancher le litige. Il ressort de plus de la procédure de recours que les faits ne font pas débat, seule la question juridique de l'application de l'art. 23 al. 2 LTrait à la situation du recourant devant être résolue.

À cet égard, le département a versé à la procédure un courriel du 12 juillet 2017 adressé par l'office du personnel à l'ensemble des directions RH consacrant son changement de pratique à compter du 1er août 2017 en matière de versement de double salaire aux fonctionnaires de police au bénéfice de rente-pont AVS ou d'une rente de pont-retraite, selon le tableau y annexé, récapitulatif des spécificités notamment des agents de police. Le recourant ne dispose pas d'un droit à consulter ou obtenir les éventuelles notes et échanges internes ayant précédé ce changement de pratique.

Il ne sera en conséquence pas fait droit à ses demandes de production de pièces.

3) Le recourant conclut au paiement d'un double salaire sur la base de l'art. 23 al. 1 LTrait. Le département s'y oppose en application de l'art. 23 al. 2 LTrait.

4) a. Suite à des modifications du droit fédéral puis du droit genevois, relevant l'âge de retraite de 50 ans à 58 ans (art. 27 LPol), les statuts de la CP ont été modifiés dans ce sens le 1er juillet 2011, avec effet rétroactif au 1er janvier 2011. Trente-cinq années de cotisation et 58 ans révolus étaient requis pour le droit à une rente entière correspondant à 75 % du traitement assuré alors qu'avant cette modification, ce droit était acquis après trente années de cotisation et 52 ans révolus.

b. Dans le but d'atténuer les effets de l'augmentation de l'âge de la retraite, le législateur genevois a adopté la LPRCP, entrée en vigueur le 1er janvier 2011. Selon son art. 1, les assurés de la CP particulièrement touchés par l'élévation de l'âge de la retraite bénéficient d'une rente de pont-retraite accordée par l'État de Genève (al. 1). Le coût de la rente ainsi que la libération de l'obligation de cotiser à la CP incombent à l'État (al. 2).

L'art. 2 al. 1 LPRCP retient que sont considérés comme particulièrement touchés les assurés affiliés à la CP au 31 décembre 2010, qui : ont 52 ans révolus ou plus et se voient reconnaître par la CP une durée minimale de trente années de cotisations entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2016 (let. a), et se voient reconnaître par la CP au minimum trente années de cotisations et ont, notamment 53 ans révolus ou plus en 2017 et 2018 (let. b 1). La rente de pont-retraite est octroyée à la condition que le bénéficiaire ait préalablement demandé à la CP le versement irrévocable d'une pension de retraite ordinaire, différée jusqu'à l'âge de 58 ans (art. 2 al. 2 LPRCP).

c. Il est constant que le recourant a pris sa retraite à la fin du mois d'avril 2019, alors âgé de 56 ans et cinq mois, après trente-six années de service à la police. Il n'est plus contesté devant la chambre de céans qu'il bénéficie, ce qui figure au point 13 de la décision querellée, à compter du 1er mai 2019, comme il l'a requis, d'une rente de pont-retraite fondée sur l'art. 2 al. 2 LPRCP. Dès le 1er janvier 2021, il touchera une pension versée par la CP, puis dès l'année de ses 63 ans, pourra le cas échéant prétendre à une rente AVS anticipée. À compter du 1er janvier 2028 (65  ans), il percevra une rente AVS.

5) a. La LTrait, qui concerne la rémunération des membres du personnel de l'État de Genève, s'applique notamment au personnel de la police, sous réserve des dispositions particulières de la LPol (art. 1 al. 1 let. d).

b. Selon l'art. 23 al. 1 LTrait, lors de leur mise à la retraite, et après au moins dix ans d'activité au sein de l'administration, les membres du personnel reçoivent leur dernier traitement mensuel doublé.

Selon son al. 2, le dernier traitement des membres du personnel qui touchent une rente-pont AVS n'est pas doublé.

6) a. Selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte légal n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, la juridiction recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d'autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu'elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique ; ATF 145 I 108 consid. 4.4.2 ; 143 I 109 consid. 6 ; ATA/273/2019 du 19 mars 2019 consid. 3). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme. Il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 144 V 313 consid. 6.1 ; ATA/1026/2019 du 18 juin 2019 consid. 5a). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution (ATF 144 III 58 consid. 4.1.3.1).

Il y a lacune proprement dite lorsque la loi reste, même après interprétation, muette sur un point qu'il est nécessaire de trancher pour pouvoir l'appliquer, autrement dit lorsque le législateur s'est abstenu de régler un point qu'il aurait dû régler. Il y a lacune improprement dite lorsque la loi apporte une solution qui peut être considérée comme objectivement insoutenable ou lorsque la réponse qu'apporte la loi est insatisfaisante (ATA/317/2020 du 31 mars 2020 consid. 2d ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 440). En règle générale, les lacunes improprement dites ne peuvent, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, être comblées par les juges. Les lacunes proprement dites doivent en revanche l'être sous peine de commettre un déni de justice. Cette conception revient à assimiler la lacune improprement dite au silence qualifié, c'est-à-dire à la volonté du législateur de ne pas réglementer une situation ou de ne pas inscrire une solution déterminée dans la loi. Il est certain que lorsqu'il apparaît que c'est à dessein que la loi ne réglemente pas une situation donnée, ce silence qualifié doit être respecté. Il n'y a alors pas de place pour un quelconque comblement de lacune (ATA/317/2020 précité consid. 2d ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 441). La lacune proprement dite sera comblée non seulement par les juges, qui feront acte de législateur en s'inspirant des buts et valeurs qui sous-tendent la législation en cause, mais aussi par l'administration, chargée d'appliquer la loi en premier lieu. On peut certes imaginer que la lacune soit comblée par voie d'ordonnance législative (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 442). S'agissant ensuite de la distinction entre lacune proprement dite et lacune improprement dite, la jurisprudence tend à assimiler à la première l'inconséquence manifeste de la loi, à savoir le cas où l'on arrive à la conclusion que si le législateur avait vu le problème, il aurait prévu une législation topique. Il apparaît ainsi que la jurisprudence admet des comblements de lacunes dans des cas où il aurait quand même été possible d'appliquer la loi sans cela, certes au prix d'un résultat insatisfaisant (ATF 123 II 225 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 444).

D'après la jurisprudence, afin d'assurer l'application uniforme de certaines dispositions légales, l'administration peut expliciter l'interprétation qu'elle leur donne dans des directives. Celles-ci n'ont pas force de loi et ne lient ni les administrés, ni les tribunaux, ni même l'administration. Elles ne dispensent pas cette dernière de se prononcer à la lumière des circonstances du cas d'espèce (ATF 145 II 2 consid. 4.3). Par ailleurs, elles ne peuvent sortir du cadre fixé par la norme supérieure qu'elles sont censées concrétiser. En d'autres termes, à défaut de lacune, elles ne peuvent prévoir autre chose que ce qui découle de la législation ou de la jurisprudence (ATF 141 II 338 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_522/2012 du 28 décembre 2012 consid. 2.3 ; ATA/829/2019 du 25 avril 2019 consid. 6a).

b. Le sens littéral de l'art. 23 al. 1 LTrait des termes « mise à la retraite » ne renseigne nullement sur le sens que le Conseil d'État a entendu leur donner.

c. En revanche, le but et la systématique de l'art. 23 LTrait, soit l'opposition de ses al. 1 et 2, permet de comprendre qu'à l'al. 1 il est question d'une mise à la retraite sans rente-pont.

Dans un tel cas et comme soutenu par le recourant, l'État entend remercier la personne qui a atteint l'âge de la retraite AVS et a travaillé au moins dix ans à son service, par le doublement de son dernier traitement.

d. Selon l'interprétation téléologique et historique, comme relevé par le département, la lecture des travaux préparatoires en lien avec l'adoption de l'art. 23 al. 2 LTrait lors de la modification de ladite loi adoptée le 3 octobre 2013 et entrée en vigueur le 1er janvier 2014 (PL 10912 ; MGC 2011-2012 /V A 4082-4109, 2012-2013 /XII A 17358-17519, D/71 5618-5655), conduit à retenir que ladite modification avait pour but de ne pas doubler le dernier salaire du fonctionnaire touchant une rente-pont AVS, dans la mesure où celle-ci est financée exclusivement par l'employeur et permet au membre du personnel d'avoir un revenu entre la fin de ses rapports de service et la retraite, cas échéant anticipée.

7) a. La situation du recourant qui a pris une retraite à l'âge de 58 ans ne correspond pas à celle visée à l'art. 23 al. 1 LTrait de cette disposition, sauf à trouver une disposition spécifique, par exemple dans la LPol, qui serait applicable notamment aux agents de police comme il le soutient. Or, il n'en est rien.

b. Reste à déterminer si l'al. 2 de l'art. 23 LTrait lui est opposable, étant rappelé qu'il fonde son argumentation sur le fait qu'à teneur de l'art. l'art. 2 al. 2 LPRCP il bénéficie d'une rente de pont-retraite, laquelle serait à distinguer de la rente-pont AVS figurant à l'art. 23 al. 2 LTrait.

c. Il ne saurait être suivi dans ce raisonnement. Il y a lieu au contraire de retenir, comme relevé à juste titre par le département, que dès ses 56 ans et cinq mois, il est au bénéfice d'une rente pont-retraite, prise en charge par son ancien employeur, laquelle est de même nature qu'une rente-pont AVS, dans la mesure où elles sont toutes deux financées exclusivement par l'employeur et permettent à l'ancien membre du personnel d'avoir un revenu entre la fin des rapports de service et la retraite, cas échéant anticipée, étant précisé qu'elle interviendra pour le recourant dès le 1er janvier 2020, soit à ses 58 ans.

En conséquence, il doit être retenu que le législateur, en adoptant l'art. 23 al. 2 Trait, n'a pas entendu faire une différence entre ces deux rentes, de sorte qu'il s'applique également aux agents de police.

8) Reste à déterminer si le changement de pratique de l'office du personnel à compter du 1er août 2017, jugé illicite par le recourant, lui est opposable, dans la mesure où il n'aurait pas été dûment annoncé, et si le principe d'égalité de traitement aurait été violé.

a. La notion de pratique administrative désigne la répétition constante et régulière dans l'application d'une norme par les autorités administratives. De cette répétition peuvent apparaître, comme en ce qui concerne la jurisprudence, des règles sur la manière d'interpréter la loi ou de faire usage d'une liberté d'appréciation. Elle vise notamment à résoudre de manière uniforme des questions de fait, d'opportunité ou d'efficacité. Cette pratique ne peut être source de droit et ne lie donc pas le juge, mais peut néanmoins avoir indirectement un effet juridique par le biais du principe de l'égalité de traitement (ATA/596/2015 du 9 juin 2015 consid. 7d et les références citées).

b. Un changement de pratique administrative doit reposer sur des motifs sérieux et objectifs, c'est-à-dire rétablir une pratique conforme au droit, mieux tenir compte des divers intérêts en présence ou d'une connaissance plus approfondie des intentions du législateur, d'un changement de circonstances extérieures, de l'évolution des conceptions juridiques ou des moeurs. Les motifs doivent être d'autant plus sérieux que la pratique suivie jusqu'ici est ancienne. À défaut, elle doit être maintenue (ATF 135 I 79 consid. 3 ; 132 III 770 consid. 4 ; 127 I 49 consid. 3c ; 127 II 289 consid. 3a ; ATA/596/2015 précité).

c. Valant pour l'ensemble de l'activité étatique, le principe de la bonne foi, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst. exige que l'administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale. En particulier, l'administration doit s'abstenir de toute attitude propre à tromper l'administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d'une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; 129 I 161 consid. 4 ; 129 II 361 consid. 7.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_18/2015 du 22 mai 2015 consid. 3). Il protège le citoyen dans la confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 ; 137 I 69 consid. 2.5.1). La protection de la bonne foi ne s'applique pas si l'intéressé connaissait l'inexactitude de l'indication ou aurait pu la connaître en consultant simplement les dispositions légales pertinentes (ATF 135 III 489 consid. 4.4 ; 134 I 199 consid. 1.3.1).

d. Aux termes de l'art. 8 al. 1 Cst., tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Une décision ou un arrêté viole cette garantie lorsqu'il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu'il omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances. Il y a notamment inégalité de traitement lorsque l'État accorde un privilège ou une prestation à une personne, mais les dénie à une autre qui se trouve dans une situation comparable (ATF 140 I 201 consid. 6.5.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_223/2014 du 15 janvier 2015 consid. 4.5.1).

La protection de l'égalité (art. 8 Cst.) et celle contre l'arbitraire (art. 9 Cst.) sont étroitement liées. Une décision ou un arrêté est arbitraire lorsqu'il ne repose sur aucun motif sérieux et objectif ou n'a ni sens ni but (ATF 141 I 235 consid. 7.1 ; 136 II 120 consid. 3.3.2 ; 133 I 249 consid. 3.3 ; 131 I 1 consid. 4.2 ; 129 I 113 consid. 5.1). Selon le Tribunal fédéral, l'inégalité de traitement apparaît comme une forme particulière d'arbitraire, consistant à traiter de manière inégale ce qui devrait l'être de manière semblable ou inversement (ATF 141 I 235 consid. 7.1 ; 129 I 1 consid. 3 ; 127 I 185 consid. 5 ; 125 I 1 consid. 2b.aa).

Il n'y a en principe pas d'égalité dans l'illégalité (arrêt du Tribunal fédéral 8C_107/2019 du 4 juin 2019 consid. 4.3 ; ATA/508/2020 du 26 mai 2020 consid. 6c).

9) Il ressort du courriel adressé le 12 juillet 2017 par l'office du personnel aux directions RH qu'il a adapté sa pratique, concernant en particulier les agents de police, s'agissant de l'interprétation de l'art. 23 LTrait dans le sens retenu ci-dessus. Il ne peut ainsi être dit que ce changement de pratique, valant pour l'avenir, serait illicite.

Dans la mesure où le recourant se prévaut de situations de collègues ayant tous pris leur pont-retraite avant ledit changement de pratique, laquelle n'était pas conforme à la loi, c'est à tort qu'il prétend pouvoir être traité comme eux.

En tous points infondé, le recours sera rejeté.

10) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et il ne sera pas alloué d'indemnité (art. 87 al. 2 LPA).

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 juillet 2020 par Monsieur A______ contre la décision du département de la sécurité, de l'emploi et de la santé du 5 juin 2020 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain Jordan, avocat du recourant, ainsi qu'au département de la sécurité, de l'emploi et de la santé.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Payot Zen-Ruffinen et Lauber, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :