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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1581/2012

ATA/113/2013 du 26.02.2013 ( AMENAG ) , ADMIS

Recours TF déposé le 18.04.2013, rendu le 11.02.2014, RETIRE, 1C_353/2013
Descripteurs : ; DROIT DE PRÉEMPTION ; DROIT D'EMPTION ; RÉALISATION(EN GÉNÉRAL) ; PROMESSE DE CONTRACTER; VENTE ; COMMUNE ; LOGEMENT SOCIAL ; COMMUNICATION ; QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR ; INTÉRÊT DIGNE DE PROTECTION ; RÉTROACTIVITÉ ; DROIT DE SUPERFICIE ; IMPORTANCE NOTABLE ; MODIFICATION(EN GÉNÉRAL) ; ZONE DE DÉVELOPPEMENT
Normes : LPA.60 ; LGL.1 ; LGL.2 ; LGL.4 ; LGL.5 ; LGL.6 ; LAC.30.al1.letk ; CO.1
Parties : COMMUNE DE THONEX / CONSEIL D'ETAT, BATIMA (SUISSE) SA, C2I COMPTOIR D'INVESTISSEMENTS IMMOBILIERS SA, COMMUNE D'AMBILLY
Résumé : Recours d'une commune contre un refus du Conseil d'Etat de constater l'obligation du propriétaire d'une parcelle promise-vendue de notifier à la commune de situation titulaire d'un droit de préemption sur ladite parcelle un avenant à la promesse initiale de vente et d'achat. La commune dispose de la qualité pour recourir alors même que son Conseil administratif déclare dans ses écritures recourir par principe et ne pas vouloir exercer concrètement ledit droit de préemption, car cette décision appartient au Conseil municipal. Notion d'aliénation au sens de l'art. 3 LGL. Constitue un tel acte l'avenant qui modifie de façon essentielle la promesse de vente et d'achat initiale. La conclusion d'une telle promesse avant le déclassement des terrains concernés en zone de développement soustrait ces terrains au droit de préemption prévu par la LGL, sous réserve d'un abus de droit ou d'une modification essentielle des conditions de la promesse après ce déclassement.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1581/2012-AMENAG ATA/113/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 février 2013

 

dans la cause

 

COMMUNE DE THÔNEX
représentée par Me Pierre Louis Manfrini, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT
représenté par Me Jean-Pierre Carera, avocat

 

et

 

BATIMA (SUISSE) S.A., appelée en cause

et

C2I COMPTOIR D'INVESTISSEMENTS IMMOBILIERS S.A., appelée en cause

représentées par Me François Bellanger, avocat

et

COMMUNE D'AMBILLY, appelée en cause

représentée par Me Danièle Falter, avocate


EN FAIT

1) La commune d’Ambilly (France) est propriétaire des parcelles nos 5’632 (194'799 m2) et 4’414 (1'022 m2) qui se trouvent au lieu dit « Les Sillons », sur la commune de Thônex.

2) Ces terrains, situés en zone de fond 5 (villas), sont connus sous l’appellation « les communaux d’Ambilly ». Ils constituent, avec les parcelles principales nos 4'538, 5'125 et 5'633, propriétés de diverses collectivités publiques, ainsi que d’autres parcelles plus petites situées alentours, une des plus grandes réserves de terrains à bâtir du canton (424'000 m2).

3) Ce site, désigné par le plan directeur cantonal  « Mon Idée-Communaux d’Ambilly » (MICA ; fiche 2.16) est voué, selon le plan directeur cantonal, à être urbanisé.

4) Courant juin 2006, la commune d’Ambilly, dont le maire était alors Monsieur Jean-Michel Duret, est entrée en pourparlers avec les sociétés suisses Batima (Suisse) S.A. (ci-après : Batima) et C2I Comptoir d’Investissements Immobiliers S.A. (ci-après : C2I), spécialisées dans le développement immobilier, dans la perspective de valoriser ses terrains.

5) Les présidents respectifs du département des constructions et des technologies de l’information (ci-après : DCTI ), devenu depuis lors département de l’urbanisme (ci-après : DU), et du territoire (DT), devenu depuis lors département de l'intérieur, de la mobilité et de l'environnement (DIME), désireux de voir avancer l’urbanisation desdits terrains, ont appuyé ces démarches et y ont prêté leur concours. Un plan directeur de quartier (ci-après : PDQ), ainsi qu’un projet de modification du régime des zones, étaient par ailleurs à l’étude (modification de la zone villa 5 en une zone de développement 3).

6) La commune de Thônex, commune de situation desdites parcelles et propriétaire de certains des terrains situés dans le périmètre, a également pris une part active à ces discussions, en défendant âprement la nécessité pour les propriétaires principaux des parcelles concernées d’adopter un projet commun avant tout déclassement.

7) Le 30 mai 2007, la commune d’Ambilly a signé avec Batima et C2I une promesse de vente et d’achat portant sur ses parcelles (ci-après : la promesse de vente ou la promesse initiale).

Un projet de loi portant sur le déclassement de ces parcelles était en cours d’adoption. Avec celui-ci, le Conseil d’Etat présenterait un plan directeur de quartier définissant les affectations projetées (logement, activités, zone d’utilité publique, etc.). Des plans localisés de quartier, visant des sous-périmètres, seraient ensuite adoptés, définissant en détails l’implantation et le type des constructions projetées. Viendraient ensuite les demandes d’autorisation de construire.

Le travail à effectuer pour les premières phases de ce développement était estimé entre CHF 2'000'000.- et CHF 3'000'000.-.

La commune d’Ambilly, ne souhaitant ni les conduire ni en prendre en charge les frais, promettait aux sociétés précitées (ci-après : les promettant-acquéreurs) de leur vendre ses parcelles et leur concédait un droit d’emption et un droit de préemption sur celles-ci. En échange de cela, les promettant-acquéreurs s’engageaient à mettre celles-ci en valeur à leurs risques et périls, jusqu’au dépôt des demandes d’autorisation de construire, puis à les acheter. L’exécution de la promesse de vente se ferait par tranches successives, au fur et à mesure de l’entrée en force des autorisations de construire.

Si lesdits terrains étaient déclassés dans le futur en zone de développement 3, l’Etat de Genève et la commune de Thônex disposeraient d’un droit de préemption à l’occasion de chaque vente ultérieure par les promettant-acquéreurs.

Le prix de vente n’était pas déterminé. Il correspondrait au prix admis par l’Etat de Genève dans les plans financiers et serait payé à la signature des actes de vente définitifs.

La commune d’Ambilly pourrait exiger d’être payée par dation, soit contre la livraison d’un ou de plusieurs immeubles.

La commune d'Ambilly serait soumise à une astreinte de CHF 10'000.- par jour de retard en cas de refus de signer l’acte de vente, après convocation par le notaire chargé d’instrumenter l’acte.

La durée de la promesse de vente et d’achat était fixée à 15 ans eu égard à la complexité du projet. Il en allait de même du droit de préemption. La durée du droit d’emption était de dix ans à compter de son inscription au registre foncier, mais prolongeable d’entente entre les parties pour cinq ans.

Si les procédures de déclassement n’avançaient pas dans des délais raisonnables pour quelque raison que ce soit, les promettant-acquéreurs pourraient déposer des demandes d’autorisation de construire des villas en conformité avec la zone 5 en vigueur. Le prix des terrains serait alors celui du marché.

Tout litige en rapport avec ladite promesse serait déféré à un tribunal arbitral.

8) Cette promesse a été fortement contestée au sein de la commune d’Ambilly. Les arguments portés par les opposants consistaient sur ce point à reprocher au maire et au conseil municipal de n’avoir pas envisagé la conservation d’une partie des terrains en ne concédant par exemple qu’un droit de superficie pour une partie d’entre eux. De leur point de vue, une telle solution aurait permis à la commune d’obtenir des revenus plus réguliers que ne lui procurerait une vente définitive (compte-rendu de la séance du conseil municipal de la commune d'Ambilly extraordinaire du 22 septembre 2011).

9) Le principal opposant de cette opposition, Monsieur Guillaume Mathelier, a été élu maire de la commune d’Ambilly en mars 2008.

10) Par lettre du 21 mai 2008 adressée aux promettant-acquéreurs, la commune d’Ambilly a déclaré vouloir résilier la promesse de vente et d’achat en invoquant la lésion et l’erreur essentielle (art. 21 et 23 de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 [Livre cinquième : Droit des obligations] - CO - RS 220).

11) Le 13 juin 2008, le Grand Conseil a approuvé le plan n° 29'460'537 portant modification des limites de zone sur le territoire de la commune de Thônex, déclassant la majeure partie des 424'000 m2 précités en zone de développement 3 et créant une zone de bois et forêt. Cette loi a été publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le 23 juin 2008. Elle n’a fait l’objet d’aucun référendum.

12) Suite à cela, Batima et C2I se sont vu confier par les autorités concernées la maîtrise d’œuvre du projet d’urbanisation des parcelles en question et l’élaboration d’un plan localisé de quartier (ci-après : PLQ).

13) Le 29 octobre 2008, elles ont saisi conjointement le greffe permanent de la conciliation et du Tribunal arbitral d’une demande de conciliation et d’arbitrage en contestant toute lésion et toute erreur essentielle et en concluant à ce que la commune d’Ambilly soit condamnée à exécuter la promesse litigieuse.

14) Les parties ont alors désigné comme conciliateur Monsieur Philippe Joye, architecte et ancien conseiller d’Etat.

15) Aux termes de plusieurs séances, les parties se sont mises d’accord sur un avenant modifiant la promesse initiale.

16) Cet acte a été signé par les parties conciliées, le 3 novembre 2011.

L’assiette de la promesse de vente était réduite à 70 % des droits à bâtir, les 30 % restants étant concédés sous forme d’un droit de superficie d’une durée de nonante-neuf ans. La rente de ce droit était fixée à 5 % de la valeur du terrain par année.

La durée du droit d’emption de dix ans à compter de son inscription au registre foncier demeurait. En revanche, la commune d’Ambilly s’engageait à le renouveler pour une durée de dix ans à son échéance, le 1er juin 2017, sur demande des promettant-acquéreurs, puis à nouveau, jusqu’à l’échéance de l’avenant, lequel prolongeait la durée de la promesse à vingt ans, à compter de la signature de l’avenant (soit jusqu’au 3 novembre 2031).

La durée du droit de préemption pouvait également être prolongée sur simple demande des promettant-acquéreurs à son échéance, le 1er juin 2022, jusqu’à l’échéance de l’avenant.

Le versement d’arrhes de CHF 10'000'000.- en quatre tranches par les promettant-acquéreurs était prévu pour garantir la commune contre les éventuelles conséquences d’une absence d’action de la part des promettant-acquéreurs.

Le montant des indemnités de retard imposé à la commune était réduit à CHF 5'000.- par jour de retard.

Les parties renonçaient enfin à la clause d’arbitrage.

17) Le 13 janvier 2012, le conseil administratif de la commune de Thônex a écrit au Conseil d’Etat.

Il le priait de constater que l’avenant devait être notifié aux collectivités publiques concernées - dont elle-même - afin que celles-ci puissent, cas échéant, exercer leur droit de préemption, en application de l’art. 3 de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL - I 4 05).

Cette disposition instituait un droit de préemption en faveur de la commune de situation des terrains lors de la signature de tout acte d’aliénation portant sur des immeubles sis en zone de développement 3. Si la promesse initiale avait été signée avant le déclassement des terrains litigieux, la signature de l’avenant était en revanche intervenue après celui-là. Cet acte avait modifié la promesse initiale sur des points essentiels. Il constituait, dès lors, un nouvel acte d’aliénation qui devait lui être notifié en application de l’art. 3 LGL afin qu’elle puisse exercer, cas échéant, son droit de préemption.

18) Le notaire ayant instrumenté la promesse initiale s’est déterminé dans une lettre adressée au DCTI le 27 février 2012.

L’avenant n’avait pas modifié la promesse initiale ; la durée du droit d’emption était toujours la même, le prix était identique et aucun des droits conférés n’avait été cédé. Cet acte ne faisait qu’affiner les modalités d’exercice de ladite promesse. En outre, il ne péjorait pas la situation des bénéficiaires du droit de préemption légal, et en particulier de la commune de Thônex, puisque celle-ci pourrait exercer ce droit le jour où la commune d’Ambilly déciderait de vendre le 30 % des terrains dont elle gardait finalement la nue propriété ou lors d’une vente future des promettant-acquéreurs.

19) Par décision du 18 avril 2012, le Conseil d’Etat a constaté l’absence de tout droit de la commune de Thônex de se voir notifier l’avenant litigieux.

Il partageait l’appréciation du notaire ayant instrumenté la promesse initiale. En outre, il ne voyait pas l’usage que la commune de Thônex ferait de ce droit en l’espèce.

20) Par acte du 22 mai 2012, la commune de Thônex a recouru contre cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) le 12 juin 2012, en concluant à ce qu'elle constate que l’avenant du 3 novembre 2011 devait lui être notifié.

L’avenant litigieux constituait un nouveau droit d’emption ouvrant l’exercice du droit de préemption légal prévu par l’art. 3 LGL. Il avait modifié la promesse initiale sur deux points essentiels : l’assiette de la vente avait été réduite de 100 % à 70 % des terrains, les 30 % restants étant concédés en droit de superficie. Cette modification entraînait un changement du prix de la vente. La durée du droit d’emption était par ailleurs prolongée.

La résiliation de la promesse initiale par la commune d’Ambilly attestait également de la nature nouvelle du droit d’emption conféré par l’avenant.

Les actes d’aliénation tombant sous le coup de l’art. 3 LGL devaient être interprétés de manière large afin de permettre à cette loi d’atteindre ses buts (lutte contre la spéculation immobilière, réalisation d’équipements publics et construction de logements sociaux, notamment). A défaut, il suffirait aux propriétaires et aux promoteurs de s’empresser de signer une promesse de vente à la veille de l’adoption d’une loi de déclassement puis d’amender les termes de leur transaction ensuite pour s’affranchir de tout droit de préemption fondé sur la LGL. Seule une notification de l’acte de vente initial pourrait valoir dispense de l’obligation de notifier son avenant. En l’espèce, le Conseil d'Etat avait anticipé sans droit le contenu de la délibération du conseil municipal de la commune de Thônex pour lui dénier le droit de se faire notifier l’acte d’emption. Or, le droit d’une commune de se faire notifier un tel acte était indépendant de la détermination ultérieure de son conseil municipal au sujet de l’exercice concret de son droit de préemption.

21) Par décisions du 1er juin 2012, le juge délégué a ordonné l’appel en cause de Batima, C2I et de la commune d’Ambilly.

22) Le conseil administratif de la commune de Thônex a adressé une lettre au Conseil d’Etat le 12 juin 2012.

Il l’informait du dépôt de son recours et souhaitait clarifier l’objet de sa démarche. Le but de ce recours était exclusivement d’obtenir une décision judiciaire sur la question de savoir si des propriétaires et des promoteurs pouvaient signer une promesse de vente à la veille d’un déclassement pour s’affranchir du droit de péremption légal institué en faveur des collectivités publiques par l’art. 3 LGL. Cette question dépassait l’urbanisation des communaux d’Ambilly, qui n’était pas remise en cause, mais au contraire approuvée par la commune. La position du conseil municipal lors d’une éventuelle délibération sur cet objet demeurait toutefois réservée.

23) Le Conseil d’Etat, Batima et C2I, ainsi que la commune d’Ambilly se sont déterminés sur le recours par trois actes séparés, déposés respectivement le 24 juillet 2012 pour le premier et le 13 août 2012 pour les suivants. Ils y ont développé des arguments similaires et ont conclu au rejet du recours.

L’avenant ne constituait pas un acte indépendant de la promesse de vente. Il n’avait pas de portée propre et ne constituait pas un nouveau droit d’emption. En effet, les parcelles visées étaient les mêmes dans les deux actes, de sorte que l’objet et l’assiette de la vente n’étaient pas modifiés. En qualité de titulaires du droit de superficie, les intimées demeureraient par ailleurs propriétaires des bâtiments construits sur les parcelles concernées, disposeraient d’une maîtrise juridique et de fait sur celles-ci et encourraient une responsabilité de propriétaire selon la jurisprudence du Tribunal fédéral. Seule la nue propriété du sol resterait à la commune d’Ambilly.

Ces modifications de la promesse initiale n’apparaissaient sous cet aspect que mineures et ne définissaient que des modalités d’exécution de la vente initialement prévue. Il en allait de même du versement des arrhes, qui n’avait trait qu’aux modalités de paiement du prix, lequel restait inchangé. La lettre de résiliation de la vente du 21 mai 2008 de la commune d’Ambilly n’avait pas annulé la promesse de vente initiale. Les intimées l’avaient en effet contestée et le Tribunal arbitral n’avait pas pris de décision l’invalidant. Cette résiliation était intervenue pour des motifs politiques et non juridiques. En outre, même si un vice du consentement avait pu être constaté, la signature subséquente de l’avenant par la commune aurait valu ratification de l’acte initial, selon le CO.

Suite à la signature de la promesse de vente initiale, Batima et C2I avaient engagé à leurs propres frais les études nécessaires au développement du projet et mandaté le groupe URBATEC à cet effet. De septembre à décembre 2007, le projet de PDQ avait été examiné, des améliorations et des recommandations avaient été proposées. Des réunions avaient été organisées avec la commune de Thônex pour présenter le projet aux associations de quartier. De juin à novembre 2008, un concours d’urbanisme avait été lancé, en association avec la commune de Thônex et l’Etat de Genève. Batima, C2I, ladite commune et l’Etat de Genève avaient ensuite procédé conjointement à l’attribution des mandats dans les divers domaines considérés. En 2009, des présentations publiques des deux premières pièces urbaines, élaborées conjointement par les précités, avaient été organisées. Enfin, de nombreuses séances de coordination avaient eu lieu entre tous les protagonistes pour faire avancer le projet.

24) La commune de Thônex a répliqué le 18 octobre 2012 en persistant dans ses conclusions.

Les parties avaient conclu la promesse de vente initiale pour se soustraire au droit de préemption légal qui découlerait du déclassement à venir des parcelles concernées. Par la conclusion d’un amendement en lieu et place d’un nouvel acte de vente, ils avaient voulu éviter le paiement de nouveaux droits d’enregistrement.

Alors qu’il s’était adressé au conseil municipal de sa commune, le maire d’Ambilly avait désigné de « nouvelle transaction » l’acte qui devait porter plus tard le nom de simple « avenant ». Les éléments essentiels d’une vente d’immeuble étaient la désignation des parties, celle de l’immeuble vendu, l’indication du prix du transfert de la propriété, les engagements de transférer, d’acquérir et de payer le prix convenu. En l’espèce, tant l’assiette que le prix, qui devait s’entendre comme la contre-prestation effective, avaient considérablement varié.

25) Par lettre du 2 décembre 2012, la commune d’Ambilly a renoncé à dupliquer.

26) Le 3 décembre 2012, le Conseil d’Etat a persisté dans ses conclusions.

Les parties à la promesse de vente n’avaient eu aucune intention de se soustraire à la loi. Elles avaient conclu la promesse initiale à la demande de la commune d’Ambilly, qui souhaitait valoriser ses terrains pour payer sa dette communale et investir dans d’autres projets (CEVA, etc.). La conclusion ultérieure d’un avenant, après le déclassement desdits terrains, n’avait pas été envisagée à l’origine. Elle était intervenue suite aux élections communales d’Ambilly en raison de divergences politiques survenues à cette occasion. La seule question à trancher était celle de savoir si ledit avenant apportait des modifications essentielles au contrat initial.

27) Batima et C2I ont dupliqué le 3 décembre 2012 et ont campé sur leurs positions.

28) Le 4 décembre 2012, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente contre une décision constatatoire au sens de l'art. 49 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2) La décision entreprise nie le droit de la commune de Thônex de se voir notifier l'acte signé par les parties le 3 novembre 2011.

3) a. A teneur de l’art. 60 let. a et b LPA, les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée, sont titulaires de la qualité pour recourir (ATA/343/2012 du 5 juin 2012 consid. 2 et références citées).

Selon la jurisprudence, le recourant doit être touché dans une mesure et une intensité plus grande que la généralité des administrés, et l’intérêt invoqué – qui n’est pas nécessairement un intérêt juridiquement protégé, mais qui peut être un intérêt de fait – doit se trouver, avec l’objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d’être pris en considération (ATF 137 II 40 consid. 2.3 p. 43 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_152/2012 du 21 mai 2012 consid. 1.2). En application de ces principes, le recours formé dans l’intérêt de la loi ou d’un tiers, est irrecevable (ATF 134 II 120 consid. 2 p. 122 ; ATF 131 II 587 consid. 2.1 p. 588 ss ; 131 II 361 consid. 1.2 p. 365 ; 120 Ib 48 consid. 1 p. 49 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1A.133/2006 du 4 octobre 2006 consid. 2.1 ; ATA/402/2009 du 25 août 2009 ; ATA/399/2009 du 25 août 2009 ; ATA/13/2009 du 13 janvier 2009 et les arrêts cités). Ces exigences ont été posées de manière à empêcher l’action populaire. Il faut donc que le recourant ait un intérêt pratique à l’admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 134 II 120 consid. 2 p. 122 ; Arrêts du Tribunal fédéral 1C_152/2012 du 21 mai 2012 consid. 2.1 ; 8C_696/2011 du 2 mai 2012 consid. 5.1 ; ATA/365/2009 du 28 juillet 2009 consid. 3b ; ATA/207/2009 du 28 avril 2009 consid. 3 et références citées). Un intérêt purement théorique à la solution d'un problème est insuffisant.

b. La question de savoir si la commune de Thônex dispose en l'espèce d'un intérêt digne de protection lui conférant la qualité pour recourir se pose. En effet, dans son courrier du 12 juin 2012 adressé au Conseil d’Etat, le conseil administratif a relevé que la commune n'entendait pas exercer son droit de préemption in casu, mais qu'elle demandait la notification de la vente « par principe ». Dans son acte de recours, elle a indiqué qu'elle agissait dans le but de faire trancher une question de principe, réaffirmant implicitement qu'elle n'entendait pas l'exercer in fine.

Si ce point devait être confirmé, la commune ne disposerait d’aucun intérêt pratique à l’admission du recours et ne pourrait en conséquence pas se voir accorder la qualité pour recourir.

c. Selon l'art. 48n let. n de la loi sur l’administration des communes du 13 avril 1984 (LAC - B 6 05), le conseil administratif est chargé de défendre les intérêts de la commune dans les procès qu’elle a ou qui lui sont intentés et de prendre les mesures nécessaires. Cette compétence de représentation n'affecte pas celle du conseil municipal de se déterminer sur l'opportunité d'exercer ou non un droit de préemption (art. 30 al. 1 let. k LAC).

La position exprimée par le conseil administratif, qui a au demeurant expressément réservé la position du conseil municipal sur ce point, ne saurait lier ce dernier et valoir renoncement à l'exercice de cette compétence. Les prérogatives de ce conseil demeurent ainsi malgré ces allégués. L'existence d'un intérêt digne de protection de la commune doit ainsi être reconnue.

La qualité pour recourir de la commune de Thônex doit dès lors être admise.

4) La LGL a pour but de permettre à l'Etat d'encourager la construction de logements d'utilité publique et d'améliorer la qualité de l'habitat, par le biais d'acquisitions de terrains, de financements de projets de constructions et de contrôle des loyers (art. 1 LGL). La loi instaure à cet effet un droit de préemption et d'expropriation en faveur de l'Etat et des communes (art. 2 LGL). Ce droit s'applique notamment aux biens-fonds situés en zone de développement (art. 3 LGL). Selon l'art. 4 LGL, le propriétaire qui aliène ou promet d'aliéner avec droit d'emption un bien-fonds soumis au droit de préemption de l'Etat doit en aviser immédiatement le Conseil d'Etat et la commune lors de la passation de l'acte notarié; le propriétaire et l'acquéreur sont entendus. Conformément à l'art. 5 LGL, le Conseil d'Etat décide, dans les soixante jours, s'il renonce à exercer son droit, s'il entend acquérir le bien-fonds aux prix et conditions fixés dans l'acte, ou s'il offre de l'acquérir aux prix et conditions fixés par lui ; dans ce dernier cas, si l'offre n'est pas acceptée, il pourra recourir à la procédure d'expropriation conformément à l'art. 6 LGL. Si le Conseil d'Etat renonce à exercer son droit de préemption, la commune disposera ensuite d'un nouveau délai de trente jours pour faire valoir les mêmes prérogatives.

5) Lors de la conclusion de la promesse initiale, le 30 mai 2007, les terrains promis-vendus se situaient en zone villa. Faute d'être « sises en zone de développement au sens de la LGZD », ces parcelles n'étaient soumises à aucun droit de préemption.

En effet, en règle générale, s'appliquent aux faits dont les conséquences juridiques sont en cause, les normes en vigueur au moment où ces faits se produisent (P. MOOR/A. FLÜCKIGER/V. MARTENET, Droit administratif, vol. 1, 3ème éd., 2012, p. 184, n° 2.4.2.3). La rétroactivité d'une disposition légale est contraire aux principes de la sécurité et de la prévisibilité du droit. Elle n'est admise qu'exceptionnellement par la jurisprudence, qui exige, entre autres conditions, qu'elle figure dans une base légale claire (ATF 116 Ia 207 ; 104 Ib 157 ; op. cit., p. 200, n° 2.4.3.1), ce qui n'est pas le cas en l'espèce, s'agissant de la LGL.

La rétroactivité de la LGL au moment de la signature de l’acte n’est pas envisageable.

6) Le fait que les parties aient pris en compte, dans le choix de conclure leur convention, les changements probables de la situation juridique future des terrains ne sauraient justifier une dérogation à cette règle (ATF 119 Ia 256 ; 116 Ia 207 ; 104 Ib 157 ; 102 Ia 969 ; 99 V 200 ; 95 I 6 ; op. cit., p. 200, n° 2.4.3.1). Il n’est en effet pas interdit aux parties de prendre en compte les éventuels changements de législation dans l’aménagement de leurs relations contractuelles, sous réserve d’un abus de droit.

Les droits conférés par la promesse initiale constituent ainsi des droits acquis en application de ces règles de droit intertemporel.

7) La question juridique principale est celle de savoir si l’avenant signé par les parties le 3 novembre 2011 consacre un nouveau droit d'aliénation, postérieur à l'entrée en vigueur de la loi affectant les terrains concernés en zone de développement 3. L'examen de la validité de la promesse initiale se trouve à une étape ultérieure du raisonnement, dans la mesure où si l'avenant constitue un nouvel acte d'aliénation, l'examen de cette question préjudicielle devient dépourvu de pertinence du point de vue du droit de préemption.

8) Un droit d’aliénation nouveau existe, au sens de l'art. 3 LGL, si l'avenant contient des modifications essentielles à la promesse initiale, qui sont objectivement et selon le cours ordinaire des choses, de nature à changer la détermination du titulaire du droit de préemption. Cette interprétation découle des principes généraux du droit des contrat (art. 1 CO) et des buts d'intérêts publics poursuivis par la LGL, énoncés notamment aux art. 1 et 3 LGL (principalement, construction de logements d'utilité publique, amélioration de l'habitat et contrôle des loyers).

Lorsque l'acte d'aliénation initial est soumis au droit de préemption légal de l'art. 3 LGL et que les titulaires dudit droit déclarent y renoncer, il convient ainsi de se demander, en présence d'un avenant ultérieur, si les modifications qu'il contient sont, du point de vue de ces titulaires et au regard des intérêts poursuivis par la LGL, de nature à modifier cette position.

Il n'en va pas différemment lorsque le droit de préemption n'a pu être exercé sur l'acte d'origine, comme dans le cas d'espèce, parce que ce droit n'existait pas à ce moment-là.

9) En l'espèce, la vente prévue par l'avenant ne porte plus désormais que sur le 70 % des terrains, le 30 % restant étant cédé en droit de superficie.

Le prix de cette cession, comme du terrain, s’en trouve évidemment modifié, puisque la référence faite par la promesse et l’avenant au « prix admis dans les plans financiers par l’Etat de Genève » s’en trouvera réduit de manière substantielle. Certes, le montant de cette réduction ne sera pas de 30 %, puisque la cession du droit de superficie n’est pas gratuite, mais également fixée par l'Etat de Genève dans ses plans financiers.

Il n'en demeure pas moins qu'au prix des terrains à bâtir à Genève et sans qu'il soit nécessaire de disposer de calculs prévisionnels précis, le 30 % d'une vente de plus de 195'000 m2 représente une différence de prix de plusieurs millions de francs. Même en ajoutant le coût de la cession d'un droit de superficie, la différence restera substantielle du point de vue d'une collectivité publique devant se déterminer sur l'opportunité d'un investissement sur ces parcelles.

La présence d'un droit de superficie sur le 30 % de chacun des PLQ concernés est également de nature à modifier une renonciation initiale de l'autorité qui, selon l'avenant, ne dispose plus de la pleine propriété des terrains et dont le projet et la stratégie d'investissement doivent tenir compte des paramètres propres au droit de superficie (amortissements des constructions, durée de jouissance du bien, etc.).

L'existence d'une rente annuelle de 5 % sur les terrains concernés par ce droit n'est pas non plus sans effets sur le projet que la collectivité peut être à même d'envisager.

Si la durée des droits d’emption et de préemption n’est pas modifiée, les conditions de leur prorogation sont nettement plus favorables aux promettant-acquéreurs qu’elles ne l’étaient dans la promesse initiale (engagement de la commune de la proroger en cas de demande, au lieu d’un accord entre les parties). La durée de la prorogation du droit d’emption est également sensiblement plus longue (jusqu’à l’échéance de l’avenant, soit jusqu’en 2031, au lieu des cinq ans initialement prévus). Une possibilité de proroger le droit de préemption, inexistante dans la promesse initiale, a par ailleurs été accordée.

Enfin, le versement d’arrhes, échelonné dans le temps, a été prévu, alors que le prix ne devait être originellement payé qu’au moment de la signature de la vente.

10) Considérées dans leur globalité, ces modifications changent fondamentalement les enjeux financiers, contractuels et relationnels liés à un éventuel projet d'investissement pour la collectivité titulaire du droit de préemption. Dans la pesée des différents intérêts publics qu'elle doit effectuer pour asseoir son choix, ces éléments sont de nature à réformer sa position, par rapport à l'acte d'origine.

11) Le fait que de tels logements soient prévus en l'espèce par les investisseurs est indépendant de la question examinée qui est uniquement de savoir si la commune de situation a le droit de se faire notifier l'acte litigieux.

12) Il en va de même de l'existence d'un projet d'investissement de la commune, le droit de celle-ci de se faire notifier l'acte étant indépendant de la détermination ultérieure de son conseil municipal au sujet de l’exercice concret de son droit de préemption.

13) Quant à l'appréciation selon laquelle la situation de la commune serait améliorée et non péjorée par l'avenant, elle ne saurait lier le conseil municipal et ne saurait constituer un motif valable de refus de lui notifier l'acte en question.

14) Au vu de ces éléments, le recours sera admis et la commune d'Ambilly condamnée, en sa qualité de propriétaire de l'immeuble promis-vendu, à notifier à la commune de Thônex l'avenant du 3 novembre 2011, en application de l'art. 4 LGL.

15) Un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de Batima (Suisse) S.A. et C2I Comptoir d'Investissements Immobiliers S.A., prises conjointement et solidairement, pour CHF 750.-, et à la charge de la commune d'Ambilly, pour CHF 750.-, le Conseil d'Etat ne pouvant plus désormais participer au paiement de l'émolument de procédure (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée à la commune, qui compte plus de 10’000 habitants. Celle-ci est en effet réputée disposer de son propre service juridique et ne pas avoir à recourir aux services d'un mandataire extérieur (art. 87 al. 2 LPA ; ATA/825/2012 du 11 décembre 2012 ; ATA/717/2012 du 30 octobre 2012 ; ATA/462/2011 du 26 juillet 2011 ; ATA/163/2011 du 15 mars 2011 ; ATA/362/2010 du 1er juin 2010 et les références citées).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 mai 2012 par la commune de Thônex contre la décision du Conseil d'Etat du 18 avril 2012 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du Conseil d'Etat du 18 avril 2012 ;

dit que la commune de Thônex dispose du droit de se faire notifier l'acte notarié du 3 novembre 2011, conclu entre Batima (Suisse) S.A., C2I Comptoir d'Investissements Immobiliers S.A. et la commune d'Ambilly ;

condamne la commune d'Ambilly à notifier à la commune de Thônex l'acte notarié du 3 novembre 2011, conclu entre elle-même, Batima (Suisse) S.A. et C2I Comptoir d'Investissements Immobiliers S.A. ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de Batima (Suisse) S.A. et de C2I Comptoir d'Investissements Immobiliers S.A., prises conjointement et solidairement, pour CHF 750.-, et à la charge de la commune d'Ambilly, appelée en cause, pour CHF 750.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pierre Louis Manfrini, avocat de la recourante, à Me Jean-Pierre Carera, avocat du Conseil d'Etat, à Me François Bellanger, avocat de Batima (Suisse) S.A. et de C2I Comptoir d'Investissements Immobiliers S.A., ainsi qu'à Me Danièle Falter, avocate de la commune d'Ambilly, appelées en cause.

 

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges, M. Jordan, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :