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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2922/2023

ATA/797/2024 du 02.07.2024 ( EXPLOI ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2922/2023-EXPLOI ATA/797/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 2 juillet 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Bruno MÉGEVAND, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimé

 



EN FAIT

A. a. B______Sàrl (ci-après : B______), inscrite au registre du commerce du canton de Genève depuis le 16 décembre 2015, est active, notamment, dans l'exploitation de restaurants et bars et dans l'organisation d'événements. Elle a pour associé gérant président, avec signature individuelle, A______.

b. Elle exploite, à l'enseigne « C______ » (ci-après : « C______ »), un café-restaurant saisonnier, installé durant la période estivale, au bord du lac Léman à côté de la digue nord du port de la D______, sur la partie nord‑ouest de l’avancée de E______constituée par la parcelle n° 2'258 de la commune de F______ (ci-après : la commune), d’une surface de 30'443 m2, propriété de l'État de Genève, abritant les piscines et les installations de E______.

c. Cette exploitation saisonnière a déjà donné lieu à plusieurs décisions administratives et judiciaires, notamment :

-          le 8 février 2017, le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) a délivré à A______, alors associé gérant de G______ Sàrl, l’autorisation d’exploiter le café‑restaurant, d’une surface d’exploitation intérieure de « 0 m2 » et d’une terrasse de 910 m2 ;

-          le 15 juillet 2021, le PCTN a délivré à A______ une autorisation d’exploiter un « établissement de catégorie café-restaurant », propriété de B______, d’une surface d’exploitation intérieure de « 0 m2 » (une salle au rez‑de-chaussée de 0 m2), attenante à un espace terrasse de 1'131 m2 « qui était sous autorisation de la commune » ; l'autorisation n'était délivrée que pour l'exploitation de l'établissement de catégorie café-restaurant ;

-          pour la saison 2022, une autorisation de construire DD 1______a été délivrée par le département du territoire (ci-après : DT) le 9 mai 2022 à B______ pour l’installation provisoire d’un « café‑restaurant et terrasses », pour une durée de quatre mois ; les recours successifs déposés par la commune auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) et de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette autorisation ont été rejetés ; un recours contre l'arrêt de la chambre administrative (ATA/836/2023 du 9 août 2023) est pendant devant le Tribunal fédéral au jour du prononcé du présent arrêt ;

-          pour la saison 2023, une autorisation de construire DD 2______a été délivrée par le DT le 17 mai 2023 à B______ pour la « construction et l’installation provisoires d’un café‑restaurant et terrasses », pour une durée de cinq mois ; un recours a été déposé à l’encontre de cette autorisation par la commune auprès du TAPI ; ce dernier a rejeté le recours par jugement du 25 janvier 2024, lequel a fait l'objet d'un recours à la chambre administrative ; la procédure est en cours au jour du prononcé du présent arrêt ;

dans le cadre de l'instruction de la requête, le service de l'air, du bruit et des rayonnements non ionisants (ci-après : SABRA), se fondant notamment sur un rapport acoustique réalisé par le bureau H______, a délivré un préavis favorable sous conditions ; en particulier, l'établissement ne serait pas sonorisé après 22h00 ; pour diffuser de la musique, il devrait déposer une demande d'autorisation musicale auprès du PCTN et un niveau sonore de 80 dB(A), contrôlé par un limiteur-enregistreur, pour une exploitation de l'établissement avant 22h00 était demandé ;

-          pour la saison 2024, une autorisation de construire DD 3______ a été délivrée par le DT le 5 mai 2024 à B______ pour « l’installation provisoire d’un café‑restaurant et terrasses », pour une durée de cinq mois ; dans le cadre de l'instruction de la requête, le SABRA, se fondant notamment sur le rapport acoustique réalisé par le bureau H______ du 3 mai 2024, a délivré un préavis favorable sous conditions, similaires à celles fixées dans le préavis délivré dans le cadre de la DD 2______, un niveau sonore maximum de 81 dB(A), contrôle par un limiteur-enregistreur, étant en sus demandé pour une exploitation de l'établissement après 22h00.

d. Le 31 mai 2023, le secteur inspectorat du PCTN a effectué un contrôle sur place de l'établissement et a réalisé un reportage photographique, dont le contenu sera repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

B. a. Le 12 juin 2023, A______, en sa qualité d'exploitant des « C______ », a déposé auprès du PCTN, au moyen du formulaire H (changement de catégorie, transformation, agrandissement) une requête en autorisation d'exploiter « C______ ». La requête avait pour objet la transformation ou l'agrandissement de l'établissement. Le projet de café-restaurant avait été modifié par la création d'un toit non amovible et de murs/portes. La surface d'exploitation après travaux s'élevait à 700 m2.

Des plans ont été joints à la requête. Leur contenu sera repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

b. Par courriel du 16 juin 2023 adressé à l'office des autorisations de construire (ci‑après : OAC), le PCTN a indiqué que A______ lui avait adressé une requête en modification des « C______ » en faisant valoir l'existence d'une surface intérieure et le fait que le toit ne serait plus amovible et que la façade du côté du lac pourrait être fermée au moyen d'une bâche en plastique transparent. Or, lors du contrôle du 31 mai 2023, il avait été constaté que le toit était identique à celui qui existait au moment de la délivrance de l'autorisation le 15 juillet 2021. De plus, les bâches en plastique constituant la façade du côté du lac n'offraient pas d'isolation contre les nuisances sonores et, sauf en cas de pluie, resteraient ouvertes.

Il sollicitait en conséquence la confirmation de l'OAC que la surface intérieure dont se prévalait le requérant devait être considérée comme telle.

c. Le 20 juin 2023, la Police du feu, soit pour lui son chef de service I______, a répondu au PCTN que le projet des « C______ » avait évolué d'année en année. Le projet déposé pour l'année 2023 comportait initialement des façades vitrées donnant sur le lac, lesquelles s'étaient « transformées » en bâches plastiques transparentes dans la seconde version présentée. Le toit était composé d'une couverture étanche sur la majeure partie de celui-ci. Par conséquent, elle avait été amenée à considérer l'établissement comme fermé du point de vue de la protection incendie uniquement, les fumées ne pouvant pas s'évacuer librement en cas de sinistre lors d'une exploitation par mauvais temps.

d. Le 30 juin 2023, le PCTN a informé A______ de son intention de rejeter sa requête. En effet, lors du contrôle du 31 mai 2023, il avait été constaté que la configuration actuelle de l'établissement était extrêmement similaire à celle qui prévalait lors de l'octroi de l'autorisation du 15 juillet 2021. Dès lors, il ne pouvait considérer que l'établissement avait été transformé au point de retenir qu'il existait un espace intérieur.

e. Dans le délai imparti pour transmettre ses observations, A______ a relevé que, pour l'année 2023, le café-restaurant disposait d'un espace circonscrit et fermé, puisqu'il était muni d'un toit non ouvrable, contrairement à l'année précédente, et de murs. La visite d'un inspecteur du PCTN en plein chantier ne pouvait démontrer le contraire, puisque la Police du feu avait confirmé qu'il s'agissait d'un lieu quasiment fermé. L'établissement était non seulement un café‑restaurant mais possédait également une terrasse.

f. Par décision du 7 août 2023, le PCTN a rejeté la requête en autorisation d'exploiter.

A______ ne démontrait pas que l'établissement avait été transformé pour comprendre une surface intérieure supérieure à 0 m2. En effet, les plans déposés en annexe à la demande d'autorisation étaient similaires à ceux déposés à l'appui de la requête du 5 juillet 2021. Les photos exposées sur le site internet des « C______ », prises lors d'événements organisés en juin et juillet 2023, confirmaient l'absence de nouvelles installations.

Les installations ne revêtaient pas un caractère stable, dès lors qu'elles étaient composées de murs en bois et de rideaux transparents (bâches) qui restaient en permanence ouverts.

L'analyse d'I______ visant à évaluer la capacité d'évacuation de la fumée en cas d'incendie ne se fondait pas sur les critères déterminants pour qualifier un établissement défini par la loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22). Même du point de vue de la protection incendie, I______ avait considéré l'établissement comme étant quasiment fermé, et non pas fermé. Le fait que l'espace soit fermé n'était pas déterminant pour distinguer l'établissement d'une terrasse, dès lors qu'une terrasse pouvait également être fermée.

L'autorisation délivrée le 15 juillet 2021 avait été délivrée pour permettre à l'exploitant de requérir une autorisation relative à la terrasse, compte tenu de la configuration des lieux. Dès lors que l'espace était constitué d'une installation en bois, démontable et saisonnière, il revêtait bien les caractéristiques d'une terrasse au sens de la LRDBHD.

C. a. Par décision du 12 septembre 2023, le PCTN a suspendu l'autorisation délivrée le 15 juillet 2021, pour une durée de deux mois.

Ladite autorisation avait été délivrée pour permettre à A______ d'exploiter une entreprise dans un établissement de 0 m2 et solliciter de la commune une autorisation relative à la terrasse. La totalité de la surface d'exploitation de l'entreprise était une terrasse, si bien que « l'établissement équivalait à 0 m2 ». La commune l'avait informé que A______ n'avait sollicité aucune autorisation pour exploiter la terrasse.

D. a. Par acte remis à la poste le 14 septembre 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre la décision du 7 août 2023, concluant à son annulation et à ce qu'une « nouvelle décision soit rendue ».

« C______ » avaient toujours été considérées, au sens de la LRDBHD, comme un café-restaurant. Il s'agissait donc bien d'un établissement ayant pour caractéristique d'être une installation circonscrite, délimitée et localisée. Sa structure en bois munie d'un toit avec des murs en définissait tant les contours que sa construction fermée.

Le concept des « C______ » prévoyait une terrasse saisonnière, soit un espace en plein air, couvert ou fermé, permettant la consommation de boissons ou d'aliments, qui était accessoire à une entreprise et qui se situait sur domaine public ou privé. « C______ » étaient un espace « lounge » composé d'un café-restaurant et de terrasses.

 

b. Le PCTN a conclu au rejet du recours, persistant dans les termes de sa décision et réaffirmant que l'autorisation d'exploiter du 15 juillet 2021 avait été délivrée « pour l'exploitation d'une entreprise dans un établissement de 0 m2 » afin de permettre à l'exploitant de solliciter l'autorisation d'exploiter la terrasse auprès de la commune.

c. Dans sa réplique, A______ a persisté dans ses conclusions et relevé que bien que le concept n'ait pas changé, la structure des « C______ » avait été modifiée et autorisée en café-restaurant et terrasses par le DT. Elle ne pouvait ainsi être considérée comme une seule terrasse.

d. Le PCTN a transmis un exemplaire de la demande en reconsidération formulée le 14 mai 2024 par A______ ainsi qu'un exemplaire de sa décision sur reconsidération du 4 juin 2024, par laquelle il déclarait irrecevable la demande de reconsidération.

e. Dans une écriture spontanée, A______ a indiqué qu'une autorisation de construire pour l'année 2024 avait été délivrée par le DT le 5 juin 2024 et avait fait l'objet d'une facture établie le 5 juin 2024. Le SABRA avait émis un préavis favorable, réglant les questions relatives à la diffusion de la musique à l'intérieur de l'établissement, aucune musique ne pouvant être diffusée à l'extérieur.

f. Le PCTN a relevé que le projet était le même que celui présenté en 2023. La facture établie le 5 juin 2024 portait sur un café-restaurant de 250 m2 et des « terrasses de 1000 m2 ». Or, dans le formulaire de requête du 12 juin 2023, A______ avait indiqué une surface d'exploitation après travaux de 700 m2. La surface de 250 m2 ne pouvait que correspondre à la cuisine et ses annexes. L'OAC n'avait en réalité pas considéré la terrasse couverte comme un espace intérieur. Le 21 juin 2024, son secteur inspectorat avait pris des photographies qui le confirmaient. Elles confirmaient également qu'aucune baie vitrée n'avait été installée et que des espaces étaient visibles sur le toit, ce qui démontrait que l'isolation phonique n'était pas assurée.

g. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit du refus du PCTN de délivrer au recourant l'autorisation d'exploiter « C______ ».

2.1 La juridiction administrative chargée de statuer est liée par les conclusions des parties. Elle n’est en revanche pas liée par les motifs que les parties invoquent (art. 69 al. 1 LPA).

2.2 Telle qu'elle est garantie par l'art. 27 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101), la liberté économique comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (art. 27 al. 2 Cst.). Cette liberté protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (ATF 128 I 19 consid. 4c.aa ; Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, in FF 1997 I 1 ss, p. 176). Le libre exercice d'une profession implique de pouvoir choisir le moment, le lieu, les moyens de production, la forme juridique, les partenaires, les clients, les conditions de travail, les prix, les coûts, soit tous les éléments qui organisent et structurent le processus social conduisant à la production d'un gain (ATA/542/2024 du 30 avril 2024 consid. 5.1 ; Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKGER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 4e éd., 2021, n. 1031).

Comme tout droit fondamental, la liberté économique peut être restreinte, pour autant qu'une telle restriction soit fondée sur une base légale, repose sur un intérêt public ou sur la protection d'un droit fondamental d'autrui et soit proportionnée au but visé (art. 36 Cst. ; ATF 131 I 223 consid. 4.1 et 4.3).

Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/708/2024 du 11 juin 2024 consid. 3.5 et les arrêts cités).

2.3 Selon son art. 1, la LRDBHD a pour but de régler les conditions d'exploitation des entreprises vouées à la restauration et/ou au débit de boissons à consommer sur place, à l’hébergement, ou encore au divertissement public (al. 1). Elle vise à assurer la cohabitation de ces activités avec les riverains, notamment par leur intégration harmonieuse dans le tissu urbain, et à développer la vie sociale et culturelle et sa diversité, dans le respect de l'ordre public, en particulier la tranquillité, la santé, la sécurité et la moralité publiques (al. 2). Les dispositions en matière de construction, de sécurité, de protection de l'environnement, de tranquillité publique, d’utilisation du domaine public, de protection du public contre les niveaux sonores élevés et les rayons laser, de prostitution, de protection contre la fumée et l'alcool, d'âge d'admission pour des spectacles ou divertissements (protection des mineurs), de denrées alimentaires et d’objets usuels, d’hygiène, de santé, ainsi que de sécurité et/ou de conditions de travail prévues par d’autres lois ou règlements sont réservées. Leur application ressortit aux autorités compétentes (al. 4).

2.4 Au sens de la LRDBHD, constitue une entreprise toute forme d'exploitation d'une activité vouée à la restauration et/ou au débit de boissons à consommer sur place, à l’hébergement, ou encore au divertissement public, exercée contre rémunération ou à titre professionnel (art. 3 let. a LRDBHD). Un établissement est une entreprise, dont l'activité s'exerce dans un local fermé ou dans un lieu circonscrit (art. 3 let. b LRDBHD). Un café‑restaurant et un bar sont des établissements où un service de restauration et/ou de débit des boissons est assuré et qui n'entrent pas dans la définition d'une autre catégorie d'entreprise (art. 3 let. f LRDBHD). Selon l'art. 9 du règlement d'exécution de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement du 28 octobre 2015 (RRDBHD - I 2 22.01), les cafés-restaurants sont destinés principalement au service de restauration à consommer sur place (al. 1). Ils peuvent proposer tout type de restauration (chaude ou froide) et doivent disposer d'une cuisine adaptée à l'offre de restauration proposée (al. 2).

Une terrasse est un espace en plein air, couvert ou fermé, permettant la consommation de boissons ou d'aliments, qui est accessoire à une entreprise et qui se situe sur domaine public ou privé ; elle peut être saisonnière ou permanente (art. 3 let. r LRDBHD). La commune du lieu de situation de l'entreprise est compétente pour autoriser l'exploitation des terrasses (art. 4 al. 2 LRDBHD).

2.5 La notion « d'établissement » de l'ancienne loi sur la restauration, le débit de boissons et l'hébergement (aLRDBH) a été remplacée par celle « d'entreprise » dans la LRDBHD, afin de tenir compte de la variété des activités dans le domaine, dont certaines ne se déroulent pas dans des locaux fixes ou fermés, mais dans des structures mobiles et/ou éphémères (Projet de loi PL 11282 du 12 septembre 2013 sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement [ci‑après : PL 11282], p. 34). Dans ce projet de loi, cinq catégories d'établissements ont été proposées : les cafés-restaurants et bars ; les dancings et cabarets-dancings ; les buvettes, les buvettes de service restreint, les hôtels et autres établissements voués à l'hébergement (PL 11282, p. 40). La commission de l'économie chargée d'examiner le PL 11282 a réduit le nombre des catégories d'établissements à quatre, les établissements publics susceptibles d'accueillir une terrasse ont été classés parmi les cafés-restaurants. Lors de l'examen du PL 11282 par la commission, certaines communes ont exigé que le périmètre d'une terrasse soit délimité par un enclos. Pour ces dernières, les établissements ne pouvaient plus vendre de boissons alcooliques si celles-ci n'étaient pas consommées à l'intérieur ou dans le strict périmètre de la terrasse (Rapport du 18 novembre 2014 de la commission de l'économie chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'État sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement PL 11282-1A PL 11282-2A, pp. 133 à 136 et p. 184 ; ATA/1025/2020 du 13 octobre 2020 consid. 5a).

2.6 S'agissant de la notion de lieu circonscrit utilisée pour définir un établissement, un membre de la commission a relevé que celle-ci avait été imaginée pour permettre la prise en compte de divers types d'activités comme celles à l'air libre (Orange cinéma par exemple). Cette notion ne devait cependant pas être confondue avec celle très spécifique d'une terrasse directement adjacente à un établissement. Un amendement au PL 11282 visant à ajouter la mention « ... dont l'activité s'exerce dans un lieu ou dans un bâtiment », de manière à élargir les situations et le périmètre répondant à la définition d'établissement, a été refusé par les membres de la commission. Il fallait néanmoins définir un périmètre précis pour la définition d'établissement proposée (Rapport du 18 novembre 2014, p. 184). Le rapport de la minorité de la commission a critiqué la notion de local fermé ou de lieu circonscrit, la considérant comme cloisonnant les espaces et figeant les catégories alors que la réalité du monde de l'animation était différente. La minorité de la commission estimait que, dans ce contexte, un café-restaurant ne pouvait proposer une animation à sa clientèle que sur une surface restreinte (Rapport du 18 novembre 2014 précité, p. 378 ; ATA/1025/2020 du 13 octobre 2020 consid. 5a).

La notion d'espace circonscrit n'a pas été définie par le législateur. Selon les travaux préparatoires précités, sans avoir les caractéristiques d'un local fermé, un lieu circonscrit doit être identifiable, être un espace sur lequel il est possible d'exercer l'activité réglementée par la loi en cause et permettre d'atteindre les buts visés par celle-ci, entre autres d'assurer la cohabitation des activités réglementées avec les riverains, et à développer la vie sociale et culturelle et sa diversité, dans le respect de l'ordre public, en particulier la tranquillité, la santé, la sécurité et la moralité publiques. La notion d'établissement telle qu'elle ressort du PL 11282 et de la loi adoptée est celle d'une entreprise, soit toute forme d'exploitation d'une activité vouée à la restauration et/ou au débit de boissons à consommer sur place voire au divertissement, dont l'activité s'exerce dans un local fermé ou dans un lieu circonscrit. D'après la systématique de la loi, la notion d'entreprise comprend plusieurs catégories (art. 5 LRDBHD). En outre, une entreprise doit bénéficier d'une autorisation pour exercer son activité (art. 8 ss LRDBHD) qui est délivrée à certaines conditions relatives notamment à ses locaux (art. 11 LRDBHD).

Le législateur genevois n'a ainsi pas voulu restreindre l'exercice de l'activité autorisée à un local fermé. Pour prendre en considération les activités exercées à l'air libre, il a intégré dans la notion d'établissement celle de lieu circonscrit. Toutefois, une activité effective doit être déployée par un exploitant autorisé sur un espace identifiable ou matérialisé. En d'autres termes, une emprise effective sur le lieu circonscrit par une activité autorisée est nécessaire pour créer un établissement. Une conception abstraite d'un espace identifiable n'est pas suffisante. Un lieu circonscrit ne saurait par conséquent en lui-même se confondre avec un établissement au sens de la loi (ATA/1025/2020 du 13 octobre 2020 consid. 5b).

2.7 Selon l'art. 8 LRDBHD, l'exploitation de toute entreprise vouée à la restauration, au débit de boissons et à l'hébergement est soumise à l'obtention préalable d'une autorisation d'exploiter délivrée par le département de l’économie et de l’emploi, soit pour lui l’intimé (al. 1 ; art. 3 al. 1 et 2 ainsi que 18 al. 1 let. a RRDBHD). Cette autorisation doit être requise lors de chaque création, changement de catégorie ou de lieu, agrandissement et transformation, changement d'exploitant ou de propriétaire de l’entreprise, ou modification des conditions de l'autorisation antérieure (al. 2).

Aux termes de l'art. 11 LRDBHD, l’autorisation d’exploiter est délivrée à condition que les locaux de l’entreprise ne soient pas susceptibles de troubler l’ordre public, la sécurité, l'environnement et la tranquillité publique, du fait notamment de leur construction, de leur aménagement et de leur implantation manifestement inappropriés, à teneur des préavis des autorités compétentes dans les domaines visés à l'art. 1 al. 4 (let. a), soient conformes à la vocation de la catégorie à laquelle l’entreprise appartient et contiennent uniquement l'équipement autorisé, tel que défini par le règlement d'exécution (let. b) et répondent, le cas échéant, aux dispositions particulières prévues par la LRDBHD et son règlement d’exécution pour certaines catégories d’entreprises (let. c).

2.8 À teneur de l’art. 31 RRDBHD, le service s’assure que les conditions d’octroi de l’autorisation sollicitée sont remplies, au vu des pièces produites par le requérant et des informations figurant sur le formulaire (al. 1). Il rend une décision de rejet de la requête si les conditions prévues par la loi ne sont pas réalisées ou si des intérêts publics prépondérants l’exigent (al. 13).

3.             En l'espèce, il n'est pas contesté que « C______ » constituent une entreprise vouée à la restauration et au débit de boissons à consommer sur place (art. 3 let. a LRDBHD), soit plus spécifiquement un café‑restaurant au sens de l'art. 3 let. f LRDBHD, lequel est installé durant la période estivale exclusivement, au bord du lac, et ce depuis 2017 à tout le moins. À teneur des plans figurant au dossier et de ceux déposés à l'appui de la DD 2______, l'entreprise, dont la surface totale est d'environ 1'331 m2, est constituée de locaux techniques couverts, d'une partie couverte (surface d'exploitation d'environ 700 m2) ainsi que d'une « terrasse » (partie non couverte). Il ressort du reportage photographique du 31 mai 2023 que la partie couverte peut être fermée par des rideaux en plastique transparent et qu'elle est contiguë à la partie non couverte.

Le 12 juin 2023, le recourant a déposé auprès du PCTN une requête en autorisation d'exploiter « C______ », à la suite de la transformation de l'entreprise, le projet de café-restaurant ayant été modifié par rapport aux années précédentes par la création d'un toit non-amovible et de murs/portes.

 

Le PCTN a refusé de délivrer l'autorisation sollicitée. Il a considéré qu'à teneur des plans, le projet n'avait subi aucune modification, que la surface intérieure de l'établissement ne dépassait pas 0 m2 et que l'activité de l'entreprise ne s'exerçait ni dans un local fermé ni dans un lieu circonscrit. En effet, les installations ne revêtaient pas un caractère stable, dès lors qu'elles étaient composées de murs en bois et de rideaux transparents.

Par ailleurs, depuis le 8 février 2017, le PCTN considère « C______ » exclusivement comme une terrasse (au départ de 910 m2 puis 1'131 m2) « sous autorisation de la commune », dès lors que l'espace occupé par l'entreprise est constitué d'une installation en bois, démontable et saisonnière.

Vu ce qui précède, il convient de déterminer si (1) « C______ » sont, selon la LRDBHD, un établissement, (2) un établissement avec une terrasse ou (3) exclusivement deux terrasses, au regard de leur partie couverte (surface d'exploitation d'environ 700 m2) ainsi que de leur « terrasse » non couverte. Se pose donc au préalable la question de savoir si « C______ » peuvent se prévaloir, comme le soutient le recourant, d'exercer leur activité dans un local fermé ou un lieu circonscrit. En effet, en tant que café‑restaurant, elles doivent répondre, pour pouvoir obtenir une autorisation d'exploiter, à la définition de l'établissement au sens de l'art. 3 let. b LRDBHD, ce qui implique l'exercice d'une activité dans un local fermé ou un lieu circonscrit.

3.1 La solution donnée au présent litige commande d'analyser la condition du lieu circonscrit.

La LRDBHD ne semble pas exiger que l'activité de cafés‑restaurants s'exerce impérativement dans un lieu fermé, et rien de tel ne ressort du reste des travaux préparatoires. Elle semble en effet laisser la possibilité que cette activité s'exerce dans un lieu ouvert, s'il est circonscrit (art. 3 let. b cum let. f LRDBHD). Ainsi, il n'apparaît pas insoutenable de considérer que l'activité d'un café-restaurant doit en principe s'exercer dans un lieu fermé, mais que ce principe peut souffrir des exceptions, en particulier pour tenir compte, comme l'a voulu le législateur, de la variété des activités dans le domaine couvert par le LRDBHD, dont certaines ne se déroulent pas dans des locaux fixes ou fermés, mais dans des structures mobiles ou éphémères, ou encore qui se déroulent majoritairement ou entièrement à l'air libre, à l'instar des « C______ » qui sont installées chaque année exclusivement pendant la période estivale.

Dans l'ATA/1025/2020 précité, la chambre de céans a retenu que, pour qu'une activité soit réputée s'exercer dans un lieu circonscrit, l'activité doit être déployée par un exploitant autorisé sur un espace identifiable ou matérialisé et doit être effective. En l'occurrence, il ressort notamment des photographies prises les 31 mai 2023 et 21 juin 2024 par le secteur inspectorat du PCTN que l'espace considéré est identifiable et matérialisé. « C______ » s'étendent en effet sur une surface délimitée de minimum 1'131 m2, dont une partie couverte et une non-couverte, reposent sur un plancher en bois et sont constituées d'une structure en matériaux légers composée notamment de poutres et de poteaux ainsi que de murs en bois. En outre, l'activité exercée aux « C______ » est effective, puisqu'un service de restauration et de débit de boissons y est proposé, ce qui n'est pas contesté et est du reste notoire.

Par conséquent, il doit être constaté que « C______ » exercent leur activité dans un lieu circonscrit et constituent donc un établissement au sens de l'art. 3 let. b LRDBHD avec une terrasse. Sur ce dernier point, il convient de préciser que le recourant ne conteste pas que la partie non-couverte des « C______ » est une terrasse au sens de l'art. 3 let. r LRDBHD, dont l'exploitation est soumise à autorisation de la commune (art. 4 al. 2 LRDBHD).

Les arguments du PCTN visant à établir que « C______ » ne sont pas un établissement, mais une seule et unique terrasse, ne peuvent être accueillis favorablement. En effet, en premier lieu, il n'est pas déterminant que l'OAC n'ait pas considéré la terrasse couverte comme un espace intérieur, puisque la définition de la « terrasse » dans la LRDBHD ne lie pas les autorités d'application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). En deuxième lieu, il n'est pas nécessaire que les installations revêtent un caractère stable, cette exigence ne ressortant pas de la loi et ne pouvant pas non plus être inférée des travaux préparatoires, ce d'autant plus qu'un établissement peut être éphémère, ce qui peut justifier le recours à une structure démontable comme en l'espèce.

En troisième lieu, la position du PCTN depuis le 8 février 2017 à tout le moins, selon laquelle l'établissement serait une terrasse exclusivement, ne peut être suivie. En effet, en ayant considéré et en considérant toujours une surface d'établissement de 0 m2, le PCTN nie l'existence d'un établissement au sens de la LRDBHD. Or, d'une part, sans établissement, il ne peut pas y avoir de terrasse, celle‑ci étant accessoire à une entreprise et donc à un établissement. D'autre part, le PCTN a délivré au recourant, à plusieurs reprises et malgré sa position ambiguë, les autorisations pour « l'exploitation de l'établissement de catégorie café-restaurant ». Enfin, le fait que l'installation soit saisonnière ne suffit pas à lui seul à faire d'elle une terrasse, un établissement pouvant également, comme exposé supra, être éphémère ou saisonnier.

3.2 Par ailleurs, à l'exception de la protection contre le bruit, le PCTN ne se prévaut d'aucun intérêt public ou privé justifiant l'interdiction de l'exploitation de l'établissement et ne prétend pas non plus que celle-ci serait susceptible de troubler l’ordre public, la sécurité ou la moralité publiques ou l'aurait été par le passé. Bien que des nuisances sonores aient été relayées par la presse, on ignore l'intensité et la fréquence de ces nuisances. De plus, le SABRA, service spécialisé en matière de protection contre le bruit (art. 4 al. 1 du règlement sur la protection contre le bruit et les vibrations du 12 février 2003 - RPBV - K 1 70.10), a, après avoir requis la réalisation d'une étude acoustique sur laquelle il s'est appuyé, délivré, tant en 2023 qu'en 2024, des préavis favorables sous conditions, lesquelles portent sur la limitation des nuisances sonores et sur la diffusion de la musique dans l'établissement, étant précisé que l'étude précitée prend en compte le fait que la façade côté Lac est dotée de rideaux transparents et non pas de baies vitrées (page 5 de l'étude, version au 3 mai 2024) et que l'affirmation du PCTN selon laquelle des espaces seraient visibles sur le toit ne ressort pas des photographies produites.

L'exploitant devra non seulement respecter ces conditions et les faire respecter mais devra également obtenir une autorisation de la commune pour l'exploitation de la terrasse (partie non-couverte ; art. 4 al. 2 LRDBHD). Il apparaît dès lors que l'interdiction faite au recourant d'exploiter « C______ » ne poursuit aucun intérêt public ou privé prépondérant et constitue ainsi une atteinte injustifiée à la liberté économique de l'intéressé, qui, au demeurant, risque de subir un manque à gagner non négligeable en raison de cette interdiction, laquelle apparaît donc disproportionnée également. Celle‑ci va pour le surplus à l'encontre d'un des buts poursuivis par la LRDBHD, soit développer la vie sociale et culturelle genevoise, en l'occurrence autour du lac pendant la période estivale. Elle se justifie d'autant moins que l'activité déployée par « C______ » prend place dans une structure suffisamment délimitée qui a obtenu – du moins dans un premier temps – les autorisations de construire nécessaires et qui a donc été validée par les autorités compétentes en matière de construction.

Il s'ensuit que c'est à tort que le PCTN a refusé de délivrer, pour les motifs qu'il a invoqués, l'autorisation sollicitée.

Le recours sera en conséquence admis et la décision querellée annulée. La cause sera renvoyée au PCTN pour qu'il rende une nouvelle décision tenant compte de ce qui précède.

4.             Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 500.- sera allouée au recourant, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui le PCTN (art. 87 al. 2 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 septembre 2023 par A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 7 août 2023 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 7 août 2023 ;

renvoie la cause au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 500.- à A______, à la charge de l'État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Bruno MÉGEVAND, avocat du recourant, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. CROCI TORTI

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :