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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/2626/2019

ACST/28/2019 du 30.09.2019 ( ABST ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2626/2019-ABST ACST/28/2019

 

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Décision du 30 septembre 2019

Sur effet suspensif

dans la cause

 

A______ SÀRL

et

B______ SA
représentées par Me Sidonie Morvan, avocate

contre

CONSEIL D'ÉTAT

 



1) a. Le 5 juin 2019, le Conseil d'État de la République et canton de Genève a adopté un règlement modifiant le règlement d'application de la loi sur l'énergie du 31 août 1988 (REn - L 2 30.01) dont l'art. 2 souligné a la teneur suivante :

Art. 2 (souligné) Entrée en vigueur

Le présent règlement entre en vigueur le lendemain de sa publication dans la Feuille d'avis officielle.

b. Le même jour, le Conseil d'État a publié un communiqué de presse faisant état des modifications adoptées.

Il avait modifié le REn afin de rendre compatible les standards énergétiques genevois avec l'évolution des exigences en matière d'optimisation énergétique. L'adaptation introduite permettait d'atteindre les objectifs de la société à deux mille watts et le zéro carbone pour les constructions neuves. Les critères pour obtenir les certifications avaient évolué à la suite des prescriptions énergétiques élaborées conjointement par les cantons (ci-après : MoPEC). Les certificats genevois n'étaient plus compatibles avec celles-ci. La modification adoptée accroissait les possibilités de certification des bâtiments dans le canton. Des mesures de soutien pour les constructions neuves répondant aux standards de très haute performance énergétique étaient prévues.

2) Publié dans la Feuille d'avis de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 11 juin 2019, le règlement précité est entré en vigueur le 12 juin 2019.

3) Par acte déposé le 11 juillet 2019, A______ Sàrl et B______ SA ont interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre le règlement précité, concluant préalablement à l'octroi de l'effet suspensif au recours et principalement à l'annulation de l'art. 2 souligné et à ce que la cause soit renvoyée au Conseil d'État et que celui-ci soit invité à édicter une règle relative au régime transitoire, subsidiairement à ce qu'il soit dit que la modification ne s'applique pas à toutes les demandes d'autorisation de construire déposées avant son entrée en vigueur ni à celles déposées jusqu'à trois mois après son entrée en vigueur, plus subsidiairement encore à ce qu'il soit dit que la modification ne s'applique pas à la demande d'autorisation de construire enregistrée sous DD 1______.

L'art. 2 souligné du règlement portait atteinte à leurs intérêts dans la mesure où il rendait inutilisable et caduc leur projet à l'étude depuis près de deux ans. Prises par surprise et se trouvant dans l'impossibilité d'anticiper le changement, elles avaient été contraintes de déposer la demande d'autorisation de construire pour leur projet sans l'adapter à la nouvelle législation. La modification de celui-ci impliquant des changements dans le concept architectural et les infrastructures techniques de chauffage et ventilation engendrait des coûts supplémentaires non planifiés. Elles avaient un intérêt à disposer d'un temps d'adaptation et de voir leur demande DD 1______ examinée à l'aune de l'ancien droit. La réalisation de leur projet dans un proche avenir revêtait un intérêt public prépondérant de construction de logements. L'application immédiate des modifications adoptées enlevait au recours sa raison d'être dans la mesure où l'autorité de décision en matière d'autorisation de construire pourrait refuser leur demande d'autorisation au motif du respect des nouvelles dispositions. L'entrée en vigueur du règlement modifié le lendemain de sa publication consacrait une violation de leurs droits constitutionnels. La demande d'effet suspensif présentait un caractère urgent et permettait de maintenir leur intérêt actuel à l'annulation requise. Il n'y avait pas d'intérêt public prépondérant à l'application immédiate des modifications en cause.

4) Le 31 juillet 2019, le Conseil d'État a conclu au rejet de la demande d'octroi de l'effet suspensif, ainsi qu'au rejet du recours sur le fond.

Les griefs de pertes financières importantes et de retard conséquent de dossiers de construction ne constituaient pas de justes motifs à l'application différée du nouveau droit. Les dossiers qui pourraient être impactés par les modifications adoptées seraient traités dans le respect de la sécurité du droit, de l'égalité de traitement et du principe de la proportionnalité de manière à minimiser l'impact de l'application immédiate des nouvelles dispositions réglementaires. L'analyse se ferait au cas par cas de manière concrète. Le cas échéant, un contrôle judiciaire serait effectué dans le cadre d'un recours concret contre une décision de l'administration. Selon la teneur des pièces produites par les intéressées, celles-ci n'auraient pas prima facie besoin de déposer une nouvelle demande d'autorisation de construire ni de réaliser un nouveau concept énergétique. L'intérêt privé invoqué ne pouvait pas l'emporter sur l'intérêt public à la protection de l'environnement et du climat. La nécessité de mettre en oeuvre la transition énergétique et de lutter contre le réchauffement climatique commandait l'application immédiate des nouveaux standards énergétiques. Elle permettait des économies d'énergie et le passage au chauffage 100 % non fossile qui constituait une avancée en matière de politique énergétique.

5) Le 17 septembre 2019, A______ Sàrl et B______ SA ont persisté dans leurs conclusions sur effet suspensif.

L'adaptation de leur projet aux nouveaux standards énergétiques nécessitait d'importantes et couteuses modifications. Les variantes envisageables induisaient des coûts supplémentaires importants. L'abandon du projet leur occasionnait également une perte financière importante. Les principes de l'égalité de traitement, de l'interdiction de l'arbitraire, de la proportionnalité imposaient au Conseil d'État de prévoir des dispositions transitoires leur permettant de s'adapter à une nouvelle situation légale. La nouvelle pratique de l'autorité compétente de soumettre les demandes déposées avant le 12 juin 2019 à l'ancien droit et celles déposées après au nouveau droit démontrait la nécessité de prévoir un régime transitoire. Elle créait une inégalité de traitement selon le moment du dépôt de la demande d'autorisation de construire. La confiance des administrés devait également être protégée. Le Conseil d'État reconnaissait aux administrés la nécessité de disposer d'un temps d'adaptation, des dérogations à l'application des nouvelles dispositions étant possibles sur demande. L'autorité compétente avait requis l'adaptation de leur projet faisant l'objet de la demande d'autorisation de construire DD 1______ et n'avait pas pris en considération leur demande de dérogation. Faute d'autorisation de construire, les travaux ne pouvaient pas commencer.

6) Le 19 septembre 2019, le juge délégué a transmis au Conseil d'État la réplique et lui a fixé un délai pour dupliquer. Il a également informé les parties qu'il serait statué à bref délai sur la requête d'effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1) L'examen de la recevabilité du recours est reporté à l'arrêt au fond, étant précisé qu'il n'apparaît pas prima facie que les conditions de recevabilité ne seraient pas remplies.

2) a. Selon l'art. 66 LPA, en cas de recours contre une loi constitutionnelle, une loi ou un règlement du Conseil d'État, le recours n'a pas d'effet suspensif (al. 2) ; toutefois, lorsqu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, restituer l'effet suspensif (al. 3). D'après l'exposé des motifs du projet de loi portant mise en oeuvre de la chambre constitutionnelle, en matière de recours abstrait, l'absence d'effet suspensif automatique se justifie afin d'éviter que le dépôt d'un recours bloque le processus législatif ou réglementaire, la chambre constitutionnelle conservant toute latitude pour restituer, totalement ou partiellement, l'effet suspensif lorsque les conditions légales de cette restitution sont données (PL 11311, p. 15).

b. Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation, qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l'absence d'exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1). Pour effectuer la pesée des intérêts en présence (arrêt du Tribunal fédéral 8C_239/2014 du 14 mai 2014 consid. 4.1), l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

L'octroi de mesures provisionnelles - au nombre desquelles figure l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER / Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER / Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) - présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405). En matière de contrôle abstrait des normes, l'octroi de l'effet suspensif suppose en outre, en principe, que les chances de succès du recours apparaissent manifestes (Stéphane GRODECKI / Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 835 ss ; Claude-Emmanuel DUBEY, La procédure de recours devant le Tribunal fédéral, in François BELLANGER / Thierry TANQUEREL [éd.], Le contentieux administratif, 2013, 137-178, p. 167).

c. En principe, il revient à l'auteur d'une norme légale d'en fixer l'entrée en vigueur. Dans ce domaine, l'autorité jouit d'une certaine liberté d'appréciation de fixer notamment une entrée en vigueur immédiate sous réserve du respect des principes de l'intérêt public et de la proportionnalité (Jacques DUBEY / Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, p. 128 n. 353 ; Pierre MOOR / Alexandre FLÜCKIGER / Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. 1, 3ème éd., 2012, p. 180 ss).

3) a. En l'espèce, les modifications règlementaires décidées par le Conseil d'État ont pour but de rendre compatibles les standards énergétiques genevois avec l'évolution des exigences en matière d'optimisation énergétique. Elles s'intègrent dans l'évolution des critères permettant d'obtenir des certifications prévues par les prescriptions énergétiques élaborées conjointement par les cantons dans le domaine du bâtiment. Elles visent à atteindre les objectifs d'une société à deux mille watts et zéro carbone pour les constructions neuves.

b. Les recourantes ne remettent pas en cause la volonté du canton de se conformer aux nouveaux standards énergétiques pour les bâtiments. En revanche, elles font grief au Conseil d'État de ne pas avoir prévu de dispositions transitoires pour éviter une situation de blocage de projets immobiliers déjà déposés ou sur le point de l'être au moment de l'entrée en vigueur des dispositions adoptées. Elles acceptent la mise en oeuvre des nouvelles exigences après une période transitoire. L'absence d'un régime transitoire combinée avec le manque d'informations au sujet des nouvelles dispositions règlementaires et de leur entrée en vigueur immédiate ne leur ont pas permis de se préparer à celles-ci. Or, cette absence d'un régime transitoire les expose à d'importantes pertes financières. Leur intérêt privé à obtenir des dispositions transitoires est ainsi prépondérant.

c. L'intérêt financier des recourantes et celui de voir autoriser le projet faisant l'objet de la demande d'autorisation de construire DD 1______ se heurtent à un intérêt public à ce que les modifications introduites ne se trouvent pas entravées dans leur mise en oeuvre par une période transitoire qui consisterait à accorder intégralement ou pour le moins partiellement aux recourantes ce qu'elles demandent au fond, soit que le Conseil d'État ne mette pas en place les modifications réglementaires adoptées.

d. Les modifications décidées par le Conseil d'État s'inscrivent dans le cadre du MoPEC mis sur pied par les cantons. L'octroi de l'effet suspensif au recours aurait un impact sur la mise en oeuvre des prescriptions énergétiques élaborées par les cantons et placerait les autorités genevoises dans la situation de ne pas pouvoir assumer leurs engagements d'atteindre une société de deux mille watts et zéro carbone pour les constructions neuves. L'intérêt public à la protection de l'environnement et du climat qui commande la mise en place d'une transition énergétique pour lutter contre le réchauffement climatique serait également mis en cause. Cet intérêt public apparaît prépondérant par rapport à l'intérêt privé essentiellement d'ordre financier invoqué par les recourantes.

e. Par ailleurs, les recourantes n'apparaissent pas dénuées de tout moyen de faire examiner les griefs qu'elles soulèvent à l'encontre du Conseil d'État. Un contrôle concret reste possible dans le cadre de leur projet précité au cas où leur demande d'une autorisation de construire serait refusée sur la base de l'application des dispositions réglementaires adoptées. En outre, le Conseil d'État a fait part de la volonté du département compétent d'analyser avec diligence chaque cas qui lui serait soumis et d'octroyer des dérogations dûment motivées. En effet, dans la pesée des intérêts en présence, il se justifie de prendre en considération le fait que le Conseil d'État affirme que dans sa pratique actuelle le département compétent soumet les demandes de permis de construire déjà déposées avant le 12 juin 2019 à l'ancien droit et celles qui l'ont été à partir du 12 juin 2019 au nouveau droit. En outre, il sied de considérer que, sur le fond, en cas d'admission du recours, il pourrait se poser, comme l'allèguent les recourantes, la question d'une inégalité de traitement entre les demandes d'autorisation de construire déposées en conformité avec les nouvelles dispositions règlementaires qui auraient été déjà traitées et celles qui seraient toujours pendantes pour lesquelles celles-ci ne s'appliqueraient pas à la suite de l'introduction d'un régime transitoire. Cette situation créerait une insécurité juridique. En cas de rejet du recours, les dispositions règlementaires adoptées continueraient à s'appliquer à toutes les demandes déposées depuis le 12 juin 2019 conformément à la pratique diligente précitée du département compétent.

f. Au demeurant, d'après un premier examen du recours, les chances de succès de celui-ci n'apparaissent pas prima facie, notamment sous l'angle de l'absence d'un intérêt public prépondérant, à ce point manifestes qu'il se justifierait de déroger à la pratique de refuser l'effet suspensif dans le cadre d'un contrôle abstrait des normes.

g. Il s'ensuit que la demande d'octroi de l'effet suspensif sera rejetée.

4) Le sort des frais sera quant à lui réservé jusqu'à droit jugé au fond.

vu le recours interjeté le 11 juillet 2019 par A______ Sàrl et B______ SA contre le règlement du 5 juin 2019 modifiant le règlement d'application de la loi sur l'énergie du 31 août 1988 ;

vu l'art. 66 al. 2 et 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985.

LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

refuse d'octroyer l'effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me Sidonie Morvan, avocate des recourantes, ainsi qu'au Conseil d'État.


Le président :

 

Raphaël MARTIN

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :