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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/492/2017

ACST/20/2017 du 30.10.2017 ( ABST ) , ADMIS

Recours TF déposé le 07.12.2017, rendu le 21.12.2018, IRRECEVABLE, 2C_1023/2017
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/492/2017-ABST ACST/20/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 30 octobre 2017

 

dans la cause

 

Monsieur A______

et

B______
représentés par Me Malek Adjadj, avocat

contre

GRAND CONSEIL

 



EN FAIT

1. Monsieur A______, domicilié à C______, travaille comme expert-comptable au sein d’une fiduciaire à Genève. Il est également député au Grand Conseil.

Sous la dénomination B______ sont regroupés plusieurs avocats, dont Messieurs D______ et E______, qui exercent au sein d’une même étude leur profession à Genève. Le registre du commerce (ci-après : RC) ne contient aucune entrée sous B______ (ci-après : B______).

2. Le 13 janvier 2016, le Conseil d’État a déposé au Grand Conseil un projet de loi (ci-après : PL) 11803 visant à modifier la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc - D 3 17). Ce projet prévoyait que les employeurs devaient remettre à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE), pour chaque période fiscale, une attestation sur leurs prestations aux travailleurs au moyen de copies des certificats de salaire.

Selon l’exposé des motifs y relatif, le droit fédéral ne contenait pas l’obligation faite à l’employeur de remettre spontanément un exemplaire ou une copie du certificat de salaire à l’autorité fiscale. Toutefois, dans la mesure où il laissait une grande liberté aux cantons s’agissant de l’établissement de règles de procédure, ceux-ci pouvaient prévoir – à l'instar d'une dizaine d'entre eux, tant romands qu’alémaniques – une telle obligation. Ce système permettait d’alléger la charge administrative incombant au contribuable en matière fiscale, dès lors que celui-ci n’avait plus nécessairement à remettre ce document lui-même à l’administration fiscale et que, à moyen terme, l’objectif était de parvenir à un pré-remplissage automatique des déclarations d’impôt. Il permettait également d’uniformiser les procédures pour la transmission des certificats de salaire pour les employeurs, de corriger les erreurs ou les oublis des contribuables et de lutter efficacement contre la soustraction d’impôt, l’augmentation escomptée des recettes fiscales annuelles étant de l’ordre de CHF 16'000'000.-.

3. Lors de sa séance du 28 janvier 2016, le Grand Conseil a renvoyé sans débat le PL 11803 à la commission fiscale.

4. Le 23 février 2016, la commission fiscale (ci-après : la commission) a refusé d’entrer en matière sur le projet par huit voix contre six et aucune abstention.

5. Le 10 mars 2016, la commission a déposé son rapport. Selon le rapport de majorité, qui avait voté la non-entrée en matière, le projet ne présentait qu’une mesure de contrôle supplémentaire, transférant une nouvelle responsabilité aux employeurs et des coûts additionnels à leur charge. Bien que l’expert auditionné eût estimé que le projet était globalement conforme au droit supérieur, une incertitude demeurait à ce sujet, étant donné que le droit fédéral semblait préciser qu’il appartenait au contribuable de joindre à sa déclaration les attestations nécessaires.

6. Le 13 mai 2016, le Grand Conseil a voté le renvoi du PL 11803 en commission par quatre-vingt-neuf voix contre trois.

7. Le 5 septembre 2016, la commission a déposé son deuxième rapport concernant le PL 11803, qui comportait un rapport de majorité, invitant les députés à adopter le projet, et deux rapports de minorité, dont l’un proposait le refus de l’entrée en matière et l’autre le refus du projet.

8. Lors de sa séance du 4 novembre 2016, le Grand Conseil a adopté la loi 11803 en trois débats et dans son ensemble par cinquante-sept voix contre trente-deux, sans modification par rapport au projet initial. La teneur de cette loi est la suivante :

« Art. 1 Modifications

La loi de procédure fiscale, du 4 octobre 2001, est modifiée comme suit :

Art. 34, al. 1, lettre e (nouvelle), al. 2 (nouvelle teneur) et al. 4 (abrogé)

1 Pour chaque période fiscale, une attestation doit être remise au département par :

e)

les employeurs, sur leurs prestations aux travailleurs au moyen de copies des certificats de salaire.

2 Un double de l’attestation doit être adressé au contribuable pour les lettres a à d de l’alinéa 1.

Art. 2 Entrée en vigueur

La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2017. »

9. La loi 11803 a été publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 11 novembre 2016.

10. Par arrêté du 11 janvier 2017, publié dans la FAO du 13 janvier 2017, le Conseil d’État a promulgué la loi 11803 pour être exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de sa publication, avec effet au 1er janvier 2017, le délai référendaire n’ayant pas été utilisé.

11. a. Par acte expédié le 13 février 2017, M. A______ et B______ (ci-après : les recourants) ont recouru auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre cet arrêté, concluant préalablement à l’octroi de l’effet suspensif au recours et, principalement, à son annulation ainsi qu’à celle de l’art. 34 al. 1 let. e et 2 LPFisc introduit par la loi 11803 et à l’octroi d’une indemnité de procédure.

En tant que contribuable genevois, M. A______, dont l’employeur était soumis à l’obligation prévue par la novelle, était directement touché par celle-ci. Il en allait de même de B______, qui employait des contribuables genevois et devait transmettre spontanément à l’AFC-GE les certificats de salaire de ses employés soumis à l’impôt sur le revenu et la fortune à Genève.

L’effet suspensif devait être accordé, dans la mesure où la loi 11803 était applicable dès l’année 2017 et que tous les employeurs ayant des salariés soumis à l’impôt à Genève devaient s’y conformer.

Sur le fond, la disposition litigieuse n’était pas conforme au droit supérieur, en particulier à la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14), dont le système faisait supporter au contribuable la tâche de renseigner l’autorité fiscale sur tous ses revenus et sa fortune, cette dernière ne pouvant s’adresser aux tiers qu’à titre subsidiaire. Elle renversait ainsi complètement les principes édictés aux art. 42 et 43 LHID en chargeant l’employeur de collaborer, de manière à rendre inapplicables ces dispositions. La loi entreprise était également contraire à l’art. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) puisqu’elle tendait à imposer au canton dans lequel travaillait un contribuable genevois des obligations fiscales, en violation de sa souveraineté.

b. Les recourants ont notamment annexé à leurs écritures un décompte de cotisation de la caisse interprofessionnelle de l’assurance-vieillesse et survivants (ci-après : AVS), de la Fédération des Entreprises romandes du 12 décembre 2016 adressé à « MM. D______ et E______, B______», pour le personnel salarié.

12. Le 2 mars 2017, le Grand Conseil a conclu au rejet de la demande d’octroi de l’effet suspensif au recours.

13. Le 24 mars 2017, le président de la chambre constitutionnelle a refusé d’octroyer l’effet suspensif au recours et réservé le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond.

La réelle mise en œuvre de la disposition litigieuse ne commencerait qu’au début de l’année civile 2018, au cours de laquelle seraient rentrées puis traitées les déclarations relatives à l’exercice fiscal 2017. Il n’y avait ainsi en l’état aucune urgence qui justifiait d’accorder l’effet suspensif au recours, la chambre de céans étant à même de rendre son arrêt avant la fin de l’année. De plus, l’octroi de l’effet suspensif bloquerait l’avancée des travaux de mise en œuvre de la nouvelle loi, ce qui constituait également un intérêt public s’opposant à un tel octroi dans l’intervalle.

14. Le 29 mars 2017, le Grand Conseil a répondu sur le fond du recours, concluant, « avec suite de frais et dépens », à son rejet.

La disposition querellée était conforme au droit supérieur, dans le cadre duquel elle s’inscrivait, plusieurs cantons prévoyant en outre une réglementation similaire, ce que l’expert entendu en commission avait confirmé. Conformément à la doctrine, les cantons étaient en droit de procéder à des adaptations de la procédure de taxation fixée par la LHID. En particulier, la loi entreprise n’apportait pas de changement d’importance systémique par rapport à la procédure de taxation mixte prévue par la LHID et respectait le principe de proportionnalité au regard du but qu’elle poursuivait, soit de corriger les erreurs des contribuables. La collaboration du tiers ne reposait au demeurant pas sur un rapport de droit public entre le contribuable et la collectivité mais découlait d’une relation juridique étrangère, les cantons étant en droit de concrétiser la LHID sur ce point, ce que le législateur fédéral avait d’ailleurs fait en matière d’impôt fédéral direct (ci-après : IFD).

15. Le 9 juin 2017, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 14 juillet 2017 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

16. Le 19 juin 2017, le Grand Conseil a fait savoir au juge délégué qu’il ne souhaitait pas formuler de requêtes ou d’observations complémentaires.

17. Le 14 juillet 2017, les recourants en ont fait de même, persistant dans leur recours.

18. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. a. La chambre constitutionnelle est l’autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 – Cst-GE - A 2 00). Selon la législation d’application de cette disposition, il s’agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d’État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

b. En l’espèce, le recours est formellement dirigé contre une loi cantonale, à savoir la loi 11803 qui emporte une modification de l’art. 34 LPFisc, en l’absence de cas d’application (ACST/13/2017 du 3 août 2017 consid. 2a ; ACST/9/2017, ACST/10/2017 et ACST/11/2017 du 30 juin 2017 consid. 1 ; ACST/7/2016 du 19 mai 2016 consid. 2a et les références citées).

Interjeté dans le délai légal à compter de la promulgation de l’acte susmentionné, qui a eu lieu par arrêté du Conseil d’État du 11 janvier 2017, publié dans la FAO du 13 janvier 2017 (art. 62 al. 1 let. d et 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10), le recours respecte en outre les conditions de forme et de contenu prévues par les art. 64 al. 1 et 65 LPA.

2. a. A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d’État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA). Il ressort de l’exposé des motifs relatif à la loi 11311 précitée que l’art. 60 al. 1 let. b LPA dans sa teneur actuelle, adoptée le 11 avril 2014 et entrée en vigueur le 14 juin 2014, formule de la même manière la qualité pour recourir contre un acte normatif et en matière de recours ordinaire. Cette disposition ouvre ainsi largement la qualité pour recourir, tout en évitant l’action populaire, dès lors que le recourant doit démontrer qu’il est susceptible de tomber sous le coup de la loi constitutionnelle, de la loi ou du règlement attaqué (ACST/12/2017 du 6 juillet 2017 consid. 1d ; ACST/9/2017, ACST/10/2017 et ACST/11/2017 précités consid. 3a ; ACST/7/2016 précité consid. 4a ; Michel HOTTELIER/Thierry TANQUEREL, La Constitution genevoise du 14 octobre 2012, SJ 2014 II 341-385, p. 380).

b. L’art. 111 al. 1 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) précise que la qualité de partie à la procédure devant toute autorité cantonale précédente doit être reconnue à quiconque a qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral. En d’autres termes, le droit cantonal ne peut pas définir la qualité de partie devant l’autorité qui précède immédiatement le Tribunal fédéral de manière plus restrictive que ne le fait l’art. 89 LTF (ATF 139 II 233 consid. 5.2.1 ; 138 II 162 consid. 2.1.1 ; 136 II 281 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_90/2016 du 2 août 2016 consid. 3.1 ; 2C_68/2015 du 13 janvier 2016 consid. 4.2 ; 2C_885/2014 du 28 avril 2015 consid. 5.1).

Aux termes de l’art. 89 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a), est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c). L’art. 89 al. 1 LTF détermine la qualité pour recourir de manière générale, la subordonnant à trois conditions, qui, pour autant qu’elles soient cumulativement remplies (ATF 137 II 40 consid. 2.2), permettent aux personnes physiques et morales de droit privé, voire exceptionnellement aux personnes morales et collectivités de droit public, de recourir (Bernard CORBOZ et al. [éd.], Commentaire de la LTF, 2ème édition, 2014, n. 11 ad art. 89 LTF).

Lorsque le recours est dirigé contre un acte normatif, la qualité pour recourir est conçue de manière plus souple et il n’est pas exigé que le recourant soit particulièrement atteint par l’acte entrepris (Marcel Alexander NIGGLI/Peter UEBERSAX/Hans WIPRÄCHTIGER [éd.], Bundesgerichtsgesetz, 2ème édition, 2011, n. 13 ad art. 89 LTF). Ainsi, toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés par l’acte attaqué ou pourront l’être un jour a qualité pour recourir ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu’il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 141 I 78 consid. 3.1 ; 141 I 36 consid. 1.2.3 ; 138 I 435 consid. 1.6 ; 135 II 243 consid. 1.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_380/2016 du 1er septembre 2017 consid. 1.3 ; 2C_774/2014 du 21 juillet 2017 consid. 2.2 ; 2C_589/2016 du 8 mars 2017 consid. 1.3 ; 8C_779/2015 du 8 août 2016 consid. 4.4.2.3).

c. La qualité pour recourir suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l’annulation de l’acte entrepris, cet intérêt devant exister tant au moment du dépôt du recours qu’au moment où l’arrêt est rendu (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; 137 I 296 consid. 4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1006/2014 du 24 août 2015 consid. 1.3 non publié in ATF 141 I 172 ; 1C_469/2014 du 24 avril 2015 consid. 1.1).

d. En l’espèce, en tant que contribuable domicilié dans le canton de Genève et y exerçant une activité lucrative dépendante, M. A______ est susceptible de se voir appliquer la loi litigieuse en tant que son certificat de salaire sera directement transmis par son employeur à l’AFC-GE. Il n’est pas non plus exclu que celui-ci exerce un jour une activité indépendante et doive, dans ce cadre, transmettre à l’AFC-GE les certificats de salaire de ses éventuels employés. Ces éléments suffisent à admettre sa qualité pour recourir à l’encontre de la loi 11803. Celle de B______, entité non inscrite au RC et n’apparaissant pas avoir la personnalité juridique, peut dès lors souffrir de rester indécise.

Il en résulte que le recours est recevable.

3. Saisie d’un recours, la chambre constitutionnelle contrôle librement le respect des normes cantonales attaquées au droit supérieur (art. 124 let. a Cst-GE ; art. 61 al. 1 LPA). Toutefois, en cas de recours contre une loi constitutionnelle, une loi ou un règlement du Conseil d’État, l’acte de recours doit contenir un exposé détaillé des griefs du recourant (art. 65 al. 3 LPA). Selon l’exposé des motifs relatif à la loi 11311 modifiant la LOJ, en matière de recours en contrôle abstrait des normes, il est nécessaire de se montrer plus exigeant que dans le cadre d’un recours ordinaire, le recourant ne pouvant se contenter de réclamer l’annulation d’une loi ou d’un règlement au motif que son contenu lui déplaît. Il doit, au contraire, être acheminé à présenter un exposé détaillé de ses griefs (ACST/9/2017, ACST/10/2017 et ACST/11/2017 précités consid. 4 ; ACST/13/2016 du 10 novembre 2016 consid. 2a ; ACST/1/2015 du 23 janvier 2015 consid. 4b ; ACST/2/2014 du 17 novembre 2014 consid. 5a ; MGC [En ligne] Annexes : objets nouveaux de la session II des 28 et 29 novembre 2013, p. 15). La chambre constitutionnelle n’en a pas moins la compétence d’appliquer le droit d’office, sans être liée par les motifs invoqués par les parties (art. 69 al. 1, 2ème phr., LPA), à la condition toutefois que le recours, voire le grief invoqué, soit recevable.

4. a. Lorsqu’elle se prononce dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes, la chambre constitutionnelle, à l’instar du Tribunal fédéral, s’impose une certaine retenue et n’annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée (ATF 143 I 137 consid. 2.2 ; 140 I 2 consid. 4 ; 137 I 131 consid. 2 ; 135 II 243 consid. 2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_380/2016 précité consid. 2 ; 2C_774/2014 précité consid. 3.2 : 2C_501/2015 du 17 mars 2017 consid. 3 ; 2C_589/2016 précité consid. 2 ; ACST/12/2017 précité consid. 2 ; ACST/13/2016 précité consid. 4a ; ACST/7/2016 précité consid. 8). Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d’une application conforme – ou non – au droit supérieur. Les explications de l’autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d’appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l’éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 143 I 137 consid. 2.2 ; 140 I 2 consid. 4 ; 134 I 293 consid. 2 ; 130 I 82 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_380/2016 précité consid. 2 ; 2C_501/2015 précité consid. 3 ; 2C_589/2016 précité consid. 2).

b. La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair ou si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles le juge doit rechercher la véritable portée de la norme au regard notamment de la volonté du législateur telle qu’elle ressort, entre autres, des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 141 III 53 consid. 5.4.1). Lorsqu’il est appelé à interpréter une loi, le juge adopte une position pragmatique en suivant ces différentes méthodes d’interprétation, sans les soumettre à un ordre de priorité et ne s’écarte de la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 142 II 80 consid. 4.1 ; 140 II 202 consid. 5.1 ; 139 IV 270 consid. 2.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_774/2014 précité consid. 3.3 ; 2C_893/2015 du 16 février 2017 consid. 8.5 ; 2C_839/2015 du 26 mai 2016 consid. 3.4.1).

5. a. L’art. 3 Cst. régit le système de répartition des compétences entre la Confédération et les cantons. Selon cette disposition, les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n’est pas limitée par la Cst. et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération. L’art. 42 al. 1 Cst. confirme ce principe en précisant que la Confédération accomplit les tâches que lui attribue la Cst. Dès lors, la Confédération ne peut intervenir que dans les domaines pour lesquels la Cst. la déclare compétente et lui attribue la compétence d’agir (principe de l’habilitation ponctuelle). À cet égard, l’art. 3 Cst. a valeur de clause subsidiaire générale au profit des cantons. Toutes les compétences qui ne sont pas attribuées à la Confédération ressortissent aux cantons (répartition intégrale des compétences). On ne pourrait ainsi admettre une lacune pour une tâche non citée dans la Cst. – au motif par exemple de son caractère de plus en plus supracantonal – et décréter cette tâche, pour cette raison, du ressort de la Confédération. De la même manière, des conventions passées entre la Confédération et les cantons et fixant des règles de droit ne sauraient modifier la répartition constitutionnelle des compétences (ATF 140 I 218 consid. 5.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_518/2013 du 1er octobre 2014 consid. 3.1 non publié in ATF 140 I 381).

b. Selon l’art. 49 al. 1 Cst., le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire. Il en découle qu’en matière de droit public, dans les domaines dans lesquels le législateur fédéral a légiféré mais pas de façon exhaustive, les cantons ont la compétence d’édicter des dispositions dont les buts et les moyens convergent avec ceux que prévoit le droit fédéral. Le principe de la primauté du droit fédéral fait en revanche obstacle à l’adoption ou à l’application de règles cantonales qui éludent les prescriptions du droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l’esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu’elles mettent en œuvre, ou encore qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon complète. L’exhaustivité de la législation fédérale constitue donc le critère principal pour déterminer l’existence d’un conflit avec une règle cantonale (ATF 143 I 109 consid. 4.2.2 ; 140 V 574 consid. 5.1 ; 140 I 277 consid. 4.1 ; 140 I 218 consid. 5.1 ; 138 I 435 consid. 3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_28/2015 du 19 juin 2015 consid. 4 non publié in ATF 141 I 235 ; 1C_518/2013 précité consid. 3.1 non publié in ATF 140 I 381).

6. a. L’art. 129 Cst. consacre le principe de l’harmonisation fiscale. Aux termes de cette disposition, la Confédération fixe les principes de l’harmonisation des impôts directs de la Confédération, des cantons et des communes (al. 1). Cette harmonisation s’étend à l’assujettissement, à l’objet et à la période de calcul de l’impôt, à la procédure et au droit pénal en matière fiscale (al. 2).

b. Le constituant a prévu une harmonisation tant sur le plan horizontal (entre les cantons eux-mêmes, d’une part, et, dans le canton, entre les communes elles-mêmes, d’autre part) que sur le plan vertical (entre la Confédération et les cantons, respectivement entre les cantons et les communes). Le législateur fédéral, qui a pour mandat constitutionnel de mettre en œuvre l’harmonisation fiscale, doit ainsi veiller à ce que la réglementation concernant l’IFD et les lois fiscales cantonales concordent entre elles. Il doit user de sa compétence législative dans le domaine de l’IFD de telle manière que son propre régime fiscal soit en accord avec les règles contenues dans la LHID. Au regard du but d’harmonisation verticale, la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) constitue ainsi un élément d’interprétation de poids (ATF 130 II 65 consid. 5.2 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.170/2003 du 13 février 2004 consid. 6). Lorsque la disposition de droit fiscal fédéral est semblable à celle du droit harmonisé, il y a lieu, en vue d’une harmonisation verticale, d’interpréter cette dernière de la même manière que celle relative à l’IFD, dont elle reprend la teneur (ATF 140 II 141 consid. 8 ; 130 II 65 consid. 5.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_290/2015 du 24 avril 2015 consid. 5.1 ; 2C_1066/2013 du 27 mai 2014 consid. 3.2).

c. L’harmonisation fiscale vise à un ajustement réciproque des impôts directs de la Confédération et des cantons, une plus grande transparence du système fiscal suisse et une simplification de la taxation, en particulier dans l’intérêt des contribuables, tout en ménageant le plus possible l’autonomie – en particulier financière – des cantons. Elle ne doit pas conduire à une uniformisation des systèmes fiscaux mais à leur coordination sur la base du principe de subsidiarité (art. 46 al. 2 Cst.). Toutefois, dans les domaines où il n’existe pas ou plus de besoin de régime cantonal différent, il se justifie d’admettre une harmonisation plus poussée sur la base du droit fédéral, même si cela ne ressort pas clairement de la lettre de la loi. En effet, le champ d’autonomie cantonale doit avoir une fonction claire et déterminée et n’est pas un but en soi. Au demeurant, la cohérence du système juridique suisse exige, en matière d’impôts, également celle des normes fiscales, fédérales et cantonales, ainsi que celle de leur interprétation, l’harmonisation fiscale ayant pour but de mettre sur pied un système fiscal cohérent de manière à permettre une vue d’ensemble de la législation fiscale, ce qui requiert des cantons qu’ils se conforment aux règles et à l’esprit de l’harmonisation. Le principe de cohérence vise également à interpréter le droit de l’IFD et le droit cantonal qui règle la même matière de manière à réaliser une « harmonisation de la jurisprudence », ce que le législateur fédéral a réalisé en prévoyant que les décisions cantonales de dernière instance peuvent faire l’objet d’un recours au Tribunal fédéral lorsqu’elles portent sur une matière qui fait l’objet de l’harmonisation (ATF 130 II 65 consid. 5.2 et les références citées ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_620/2012 du 14 février 2013 consid. 3.3 ; 2C_442/2010 du 24 novembre 2010 consid. 2.2 ; 2C_545/2009 du 27 avril 2010 consid. 5.3 ; 2A.100/2005 du 20 septembre 2005 consid. 2.2 ; 2P.170/2003 précité consid. 6 ; Bernhard WALDMANN/Eva Maria BELSER/ Astrid EPINEY [éd.], Bundesverfassung – Basler Kommentar, 2015, n. 12 s. ad art. 129 Cst.).

7. a. La LHID est une loi-cadre et il appartient au législateur cantonal de légiférer pour fixer des normes fiscales qui, elles, seront directement applicables. Elle comporte néanmoins une densité normative variable selon les domaines, allant de simples principes accordant aux cantons une certaine liberté d’action jusqu’à des règles détaillées et exhaustives ne leur laissant aucune marge d’appréciation. L’étendue de l’autonomie dont le législateur cantonal dispose dans le cadre de la LHID, singulièrement pour réglementer un domaine fiscal particulier, se détermine sur la base des méthodes et critères d’interprétation généralement applicables (ATF 128 II 56 consid. 3b ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.170/2003 précité consid. 6 ; Bernhard WALDMANN/Eva Maria BELSER/Astrid EPINEY [éd.], Bundesverfassung – Basler Kommentar, 2015, ad art. 129 Cst., p. 2079 s n. 12 s).

b. La LHID désigne les impôts directs que les cantons doivent prélever et fixe les principes selon lesquels la législation cantonale les établit (art. 1 al. 1 LHID). Lorsqu’aucune réglementation particulière n’est prévue, les impôts cantonaux et communaux (ci-après : ICC) sont établis en vertu du droit cantonal. Restent en particulier de la compétence des cantons la fixation des barèmes, celle des taux et celle des montants exonérés d’impôt (art. 1 al. 3 LHID).

c. Le premier chapitre du titre 5 de la LHID, consacré à la procédure, traite des principes généraux et de la procédure de taxation. L’art. 42 LHID, qui règlemente les obligations du contribuable, prévoit en particulier que le contribuable doit faire tout ce qui est nécessaire pour assurer une taxation complète et exacte (al. 1). Sur demande de l’autorité de taxation, il doit notamment fournir des renseignements oraux ou écrits, présenter ses livres comptables, les pièces justificatives et autres attestations ainsi que les pièces concernant ses relations d’affaires (al. 2). L’art. 42 al. 3 LHID énumère, quant à lui, les documents que les indépendants et les personnes morales doivent joindre à leur déclaration d’impôt.

Une disposition du droit cantonal qui limite le devoir de produire et de renseigner aux documents et pièces qui sont nécessaires à la taxation est en contradiction avec l’art. 42 al. 2 LHID, de même qu’avec l’art. 126 al. 2 LIFD dont la teneur est identique, et qui autorise les autorités fiscales à exiger du contribuable tous les renseignements et les documents présentant de l’importance pour sa taxation (ATF 133 II 114 consid. 3.1 et 3.5).

d. Les art. 43 à 45 LHID traitent respectivement des attestations, des renseignements et des informations de tiers.

Selon l’art. 43 LHID, les tiers qui ont ou ont eu des relations contractuelles avec le contribuable doivent lui remettre les attestations portant sur l’ensemble de leurs relations contractuelles et sur leurs prétentions et prestations réciproques (al. 1). Lorsque, malgré sommation, le contribuable ne produit pas les attestations requises, l’autorité fiscale peut l’exiger directement du tiers, le secret professionnel protégé étant légalement réservé (al. 2).

Aux termes de l’art. 44 LHID, les associés, les copropriétaires et les propriétaires communs doivent donner à la demande des autorités fiscales des renseignements sur leurs rapports de droit avec le contribuable.

L’art. 45 LHID, quant à lui, prévoit que, pour chaque période fiscale, une attestation doit être remise aux autorités fiscales par les personnes morales sur les prestations versées aux membres de l’administration et d’autres organes ; les fondations, en outre, sur les prestations fournies à leurs bénéficiaires (let. a) ; les institutions de la prévoyance professionnelle et de la prévoyance individuelle liée, sur les prestations fournies à leurs preneurs de prévoyance ou bénéficiaires (let. b) ; les sociétés simples et les sociétés de personnes, sur tous les éléments qui revêtent de l’importance pour la taxation de leurs associés, notamment sur les parts de ces derniers au revenu et à la fortune de la société (let. c) ; les placements collectifs qui possèdent des immeubles en propriété directe, sur les éléments déterminants pour l’imposition de ces immeubles (let. d) ; les employeurs, sur les avantages appréciables en argent dérivant de participations de collaborateur proprement dites ainsi que sur l’attribution et l’exercice d’options de collaborateur (let. e).

L’obligation des tiers de fournir des renseignements est une obligation de première importance, de même que celle échéant au contribuable lui-même (Message concernant les lois fédérales sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes ainsi que sur l’impôt fédéral du 25 mai 1983, FF 1983 III 1, p. 72). L’obligation du contribuable de collaborer à la taxation est matérialisée par les obligations de renseigner l’autorité et de lui remettre les pièces nécessaires, ce qui découle du principe voulant que le contribuable apporte la preuve de l’exactitude des indications portées dans sa déclaration (Message, op. cit., FF 1983 III 1, p. 139). L’obligation faite aux tiers de fournir des attestations signifie que ces documents ne doivent être transmis à l’autorité fiscale que subsidiairement, dans la mesure où les tiers ne sont tenus, en premier lieu, de ne les délivrer qu’au contribuable. Ce n’est qu’après avoir vainement sommé ce dernier que l’autorité fiscale peut exiger le document en question directement du tiers (Message, op. cit., FF 1983 III 1, p. 140).

Si les cantons ne sont pas habilités à prévoir des devoirs de collaboration des tiers allant au-delà de ceux énumérés aux art. 43 à 45 LHID, ils peuvent néanmoins concrétiser les obligations prévues par ces dispositions ainsi que leur manière de collaborer (Martin ZWEIFEL/Silvia HUNZIKER, ad art. 45 LHID, in : Martin ZWEIFEL/Michael BEUSCH [éd.], Bundesgesetz über die Harmonisierung der direkten Steuern der Kantone und Gemeinden, 3ème éd., 2017, p. 1322 n. 2).

8. a. Au titre de l’IFD, la Confédération perçoit un impôt sur le revenu des personnes physiques, un impôt sur le bénéfice des personnes morales et un impôt à la source sur le revenu de certaines personnes physiques et morales (art. 1 LIFD).

b. Le titre 3 de la cinquième partie de la LIFD traite de la procédure de taxation ordinaire, les art. 124 à 126 LIFD étant consacrés à la collaboration du contribuable. Selon l’art. 125 LIFD, les personnes physiques doivent notamment joindre à leur déclaration les certificats de salaire concernant tous les revenus provenant d’une activité lucrative dépendante (al. 1 let. a). Le contribuable doit faire tout ce qui est nécessaire pour assurer une taxation complète et exacte et, sur demande de l’autorité, fournir des renseignements oraux ou écrits, présenter ses livres comptables, les pièces justificatives et autres attestations ainsi que les pièces concernant ses relations d’affaires (art. 126 al. 1 et 2 LIFD).

c. Les art. 127, 128 et 129 LIFD ont, quant à eux, respectivement trait aux attestations, renseignements et informations de tiers.

L’art. 127 LIFD prévoit en particulier que l’employeur doit donner au contribuable des attestations écrites sur ses prestations au travailleur (al. 1 let. a). Lorsque, malgré sommation, le contribuable ne produit pas les attestations requises, l’autorité fiscale peut les exiger directement du tiers, le secret professionnel protégé légalement étant réservé (art. 127 al. 2 LIFD).

Selon l’art. 128 LIFD, les associés, les copropriétaires et les propriétaires communs doivent donner à la demande des autorités fiscales des renseignements sur leurs rapports de droit avec le contribuable, notamment sur sa part, ses droits et ses revenus.

L’art. 129 LIFD prévoit que pour chaque période fiscale, doivent produire une attestation à l’autorité de taxation (al. 1) : les personnes morales, sur les prestations versées aux membres de l’administration ou d’autres organes ; les fondations, en outre, sur les prestations fournies à leurs bénéficiaires (let. a) ; les institutions de la prévoyance professionnelle et de la prévoyance individuelle liée, sur les prestations fournies à leurs preneurs de prévoyance ou bénéficiaires (let. b) ; les sociétés simples et les sociétés de personnes, sur tous les éléments qui revêtent de l'importance pour la taxation de leurs associés, notamment sur les parts de ces derniers au revenu et à la fortune de la société (let. c) ; les employeurs qui accordent des participations de collaborateur à leurs employés, sur toutes les données nécessaires à la taxation (let. d). Un double de l'attestation doit être adressé au contribuable (al. 2).

d. Le système mis en place par l’art. 127 LIFD, qui est l’équivalant de l’art. 43 LHID dont les principes sont énoncés de manière générale, implique que les tiers n’ont aucune obligation générale de collaborer avec les autorités (arrêt du Tribunal fédéral 2P.23/2007 du 27 novembre 2007 consid. 4 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF) A-3294/2014 du 8 décembre 2014 consid. 2.4.4.1 ; Message, op. cit., FF 1983 III 1, p. 220). Ce n’est que si le contribuable ne réagit pas, malgré une sommation, que l’autorité de taxation peut ensuite s’adresser au tiers. La sommation est ainsi une condition à l’existence du devoir du tiers et, si elle n’a pas été émise, le devoir de fournir une attestation du tiers n’existe pas (arrêt du Tribunal fédéral 2P.23/2007 précité consid. 3.2 ; arrêt du TAF A-3294/2014 précité consid. 2.4.4.1 ; Isabelle ALTHAUS-HOURIET, ad art. 127 LIFD, in : Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], Impôt fédéral direct - commentaire romand, 2ème éd., 2017, p. 1684 n. 17 et p. 1691 n. 46).

Les art. 128 et 129 LIFD se distinguent de l’art. 127 LIFD en tant qu’ils impartissent à des tiers une obligation de fournir des renseignements et des informations directement à l’autorité fiscale (Isabelle ALTHAUS-HOURIET, op. cit., ad art. 128 LIFD, p. 1692 n. 2 ; Denis BERDOZ/Marc BUGNON, La procédure mixte en matière d’impôts directs, in : OREF [éd.], Les procédures en droit fiscal, 3ème édition, 2015, p. 714 s). L’obligation du tiers de fournir des informations découle uniquement des dispositions de la loi, qui contient une énumération exhaustive de ceux astreints à informer l’autorité, tout comme du type et du contenu des documents qu’ils doivent produire (Isabelle ALTHAUS-HOURIET, op. cit., ad art. 129 LIFD, p. 1695 n. 3 ; Denis BERDOZ/ Marc BUGNON, op. cit., p. 715 ; Peter LOCHER, Kommentar zum Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, 2015, ad art. 129 LIFD, p. 518 n. 1).

9. a. À Genève, les personnes physiques doivent joindre à leur déclaration notamment les certificats de salaire concernant tous les revenus provenant d’une activité lucrative dépendante (art. 29 al. 1 let. a LPFisc).

Les art. 32, 33 et 34 LPFisc traitent respectivement des attestations, des renseignements et des informations de tiers. Doit ainsi fournir au contribuable des attestations écrites notamment l’employeur sur ses prestations au travailleur (art. 32 al. 1 let. a LPFisc). Lorsque, malgré sommation, le contribuable ne produit pas les attestations requises, le département peut les exiger directement du tiers, le secret professionnel légalement protégé étant réservé (art. 32 al. 2 LPFisc). Selon l’art. 33 LPFisc, les associés, les copropriétaires et les propriétaires communs doivent donner gratuitement à la demande du département des renseignements sur leurs rapports de droit avec le contribuable, notamment sur sa part, ses droits et ses revenus. L’art. 34 al. 1 let. e LPFisc, objet du présent recours, prévoit, quant à lui, qu’une attestation doit être remise au département par les employeurs, sur leurs prestations aux travailleurs au moyen de copies des certificats de salaire pour chaque période fiscale.

b. D’autres cantons connaissent le même type de réglementation, en particulier ceux de Bâle-Ville, Berne, Fribourg, Jura, Lucerne, Neuchâtel, Soleure, Valais et Vaud. Ceux-ci prévoient d’une part que l’employeur doit remettre au contribuable des attestations écrites sur ses prestations au travailleur et que, en cas d’inexécution, après sommation, l’autorité fiscale peut les exiger directement du tiers ; d’autre part, au titre de l’information de tiers, pour chaque période fiscale, les employeurs doivent produire à l’autorité fiscale notamment une copie des certificats de salaire (art. 152 al. 1 let. a et 157 al. 1 let. e du Gesetz über die direkten Steuern du canton de Bâle-Ville du 12 avril 2000 - 640.100 ; art. 171 al. 1 let. a et 172 al. 1 let. d de la loi sur les impôts du canton de Berne du 21 mai 2000 - LI/BE - 661.11 ; art. 158 al. 1 let. a et 162 al. 1 let. d de la loi sur les impôts cantonaux directs du canton de Fribourg du 6 juin 2000 - LICD/FR - 631.1 ; art. 145 al. 1 let. a de la loi d’impôt du canton du Jura du 26 mai 1988 - 641.11 ; art. 146 al. 1 let. a et 150 al. 5 du Steuergesetz du canton de Lucerne du 22 novembre 1999 - StG/LU - 620 ; art. 191 al. 1 let. a et 195 al. 1 let. d de la loi sur les contributions directes du canton de Neuchâtel du 21 mars 2000 - LCdir/NE - 631.0 ; art. 141 al. 1 let. a et 145 al. 1 let. e du Gesetz über die Staats- und Gemeindesteuern du canton de Soleure du 1er décembre 1985 - 614.11 ; art. 177 al. 1 let. a et 2 et 179 al. 1 let. d de la loi sur les impôts directs cantonaux du canton de Vaud du 4 juillet 2000 - LI/VD - 642.11. Voir également les art. 133 al. 1 let. a et 135 al. 3 de la loi fiscale du canton du Valais du 10 mars 1976 – 642.1).

c. Quelques auteurs se sont prononcés sur l’admissibilité de telles pratiques, sans toutefois procéder à un examen approfondi de leur conformité à la LHID. Ils considèrent ainsi que cette loi n’exclut pas que les cantons adoptent des dispositions plus étendues que l’art. 45 LHID, comme l’obligation des employeurs d’adresser à l’administration fiscale directement et spontanément un double du certificat de salaire remis à leurs employés (Denis BERDOZ/Marc BUGNON, op. cit., p. 699), tant que le principe de proportionnalité est respecté et que les droits des contribuables ou des tiers ne sont pas entravés (Martin ZWEIFEL/ Silvia HUNZIKER, op. cit., ad art. 43 LHID, p. 1313 n. 2a, ad art. 45 LHID, p. 1323 n. 2b). Pour ce faire, une modification de la législation cantonale est suffisante (Martin ZWEIFEL, Neue Wege zur Optimierung des Veranlagungssystems der direkten Steuern? in : Laurence Andrée UTTINGER/ Daniel RENTZSCH/Conradin LUZI [éd.], Dogmatik und Praxis im Steuerrecht, Festschrift für Markus Reich, 2014, p. 333-351, p. 344). Une telle mesure déploiera également ses effets pour la taxation de l’IFD (Isabelle ALTHAUS-HOURIET, op. cit., p. 1684 n. 14) et permet de lutter efficacement contre l’évasion fiscale (Martin ZWEIFEL, op. cit., p. 343).

10. a. En l’espèce, il convient de déterminer si le législateur cantonal était en droit, au regard du droit fédéral harmonisé, d’étendre le devoir d’information des tiers en obligeant les employeurs à remettre spontanément, pour chaque période fiscale, une attestation sur leurs prestations aux travailleurs au moyen de copies des certificats de salaire.

b. La loi entreprise modifie une disposition de la LPFisc, à savoir l’art. 34 al. 1 let. e LPFisc, ainsi que l’art. 34 al. 2 LPFisc s’agissant du double de l’attestation devant être transmis au contribuable.

Elle laisse toutefois inchangés les autres articles de la loi, qui prévoit toujours qu’il appartient au contribuable de joindre à sa déclaration notamment les certificats de salaire concernant tous les revenus provenant d’une activité lucrative dépendante (art. 29 al. 1 let. a LPFisc), documents que l’employeur doit établir (art. 32 al. 1 let. a LPFisc). Ce n’est que lorsque le contribuable ne s’exécute pas que, après sommation, l’autorité fiscale peut s’adresser directement à l’employeur pour requérir la production de ce document (art. 32 al. 2 LPFisc). Ces dispositions ont la même teneur que celles applicables en matière d’IFD (art. 125 al. 1 let. a et 127 al. 1 let. a et 2 LIFD).

c. Une telle réglementation correspond à celle prévue par la LHID, laquelle est toutefois moins détaillée. En effet, contrairement aux indépendants et aux personnes morales, l’art. 42 al. 1 et 2 LHID ne précise pas quels documents les personnes physiques exerçant une activité dépendante doivent joindre à leur déclaration mais se limite à indiquer qu’elles doivent faire tout ce qui est nécessaire pour assurer une taxation complète et exacte et que, sur demande de l’autorité, elles fournissent des renseignements oraux ou écrits, présentent leurs livres comptables, les pièces justificatives et autres attestations ainsi que les pièces concernant leurs relations d’affaires. Pour ces contribuables, le droit harmonisé n’oblige ainsi pas les cantons, ni d’ailleurs la Confédération, à prévoir une liste des documents à transmettre d’emblée à l’autorité fiscale, étant précisé que les cantons ne sauraient prévoir des dispositions plus restrictives en limitant les documents à ceux nécessaires pour établir la taxation, comme l’a relevé le Tribunal fédéral.

Le système mis en place par la LHID veut qu’il appartient en premier lieu au contribuable de fournir à l’administration ces documents et que ce n’est que lorsque celui-ci ne les produit pas, après sommation, que l’autorité peut les exiger directement des tiers avec qui l’intéressé a ou a eu des relations contractuelles (art. 43 al. 1 et 2 LHID). Ce système a été repris par différents cantons, dont celui de Genève comme précédemment mentionné, ainsi que par la Confédération s’agissant de l’IFD (art. 127 LIFD), dont les réglementations précisent toutefois la nature des attestations à fournir par le tiers au contribuable, en particulier l’employeur qui doit lui remettre un certificat de salaire (art. 32 al. 1 let. a LPFisc ; art. 127 al. 1 let. a LIFD). En matière de remise des attestations de tiers, le devoir de collaborer de ceux-ci n’est que subsidiaire et indirect et ne peut intervenir qu’après sommation du contribuable, si celui-ci ne s’est pas exécuté, comme l’a précisé la jurisprudence et la doctrine.

Contrairement aux autres dispositions susmentionnées, l’art. 45 LHID circonscrit les informations que les tiers doivent spontanément transmettre à l’autorité fiscale en énumérant tant leurs auteurs que leur contenu. S’agissant de l’employeur, il ne doit ainsi transmettre à l’administration fiscale que les attestations sur les avantages appréciables en argent dérivant de participations de collaborateur proprement dite ainsi que sur l’attribution et l’exercice d’options de collaborateur, l’art. 45 LHID ne contenant aucune mention d’un certificat de salaire ou d’un autre document du même type contenant des informations similaires. Quant à l’art. 129 LIFD, dont la liste est exhaustive, il est calqué sur cette disposition, dès lors qu’il contient la même énumération des tiers et des documents qu’ils doivent transmettre spontanément à l’autorité, sans mentionner le certificat de salaire, qui est au demeurant déjà prévu aux art. 125 al. 1 let. a et 127 al. 1 let. a LIFD pour l’IFD.

d. Conformément au principe de l’harmonisation verticale, qui implique une cohérence des normes fiscales susmentionnées, la disposition litigieuse ne s’inscrit pas dans le cadre de celles-ci, lesquelles ne prévoient, tant s’agissant de la LHID que de la LIFD, aucune obligation à la charge de l’employeur de transmettre directement à l’autorité fiscale le certificat de salaire du contribuable au titre d’informations de tiers. Dans ce contexte, la LIFD, en particulier son art. 129 dont l’énumération est exhaustive, constitue un élément d’interprétation de poids, étant donné l’obligation du législateur fédéral d’user de sa compétence législative dans le domaine de l’IFD de manière à ce que son régime fiscal concorde avec les règles contenues dans la LHID.

À cela s’ajoute que, contrairement à d’autres dispositions, comme les art. 42 et 44 LHID, l’art. 45 LHID contient une réglementation détaillée des informations de tiers, de sorte qu’il est difficilement envisageable pour les cantons d’élargir cette liste, sous peine d’opérer un renversement du système institué par l’art. 43 LHID, ainsi que son pendant à l’art. 127 LIFD, selon lequel l’obligation de collaborer appartient principalement au contribuable, les tiers n’intervenant que de manière subsidiaire.

Même si la loi entreprise n’entraîne aucune modification des obligations du contribuable, qui devra continuer à joindre à sa déclaration son certificat de salaire, celles-ci seront néanmoins supplantées par les informations de tiers, comme le révèle l’exposé des motifs relatif au PL 11803. Outre le manque de cohérence de la novelle avec l’art. 32 al. 2 LPFisc, qui réglemente déjà l’obligation subsidiaire du tiers de transmettre le certificat de salaire du contribuable à l’autorité après sommation, cette situation n’est pas non plus sans poser problème au regard de l’IFD. Dès lors que les cantons sont chargés de leur perception pour le compte de la Confédération (art. 2 LIFD), le système mis en place par les art. 127 ss LIFD risque ainsi d’être laissé lettre morte. Pour ces motifs également, la disposition litigieuse ne s’inscrit pas dans le système d’harmonisation voulu par le législateur fédéral.

Il ne saurait ainsi y avoir encore une place pour une réglementation supplémentaire des cantons outrepassant celle de l’art. 45 LHID. Dans ce contexte, le fait qu’une dizaine de cantons, principalement romands, connaissaient une réglementation similaire ne saurait présager de leur conformité au droit supérieur, étant précisé qu'une proportion plus importante de cantons, soit seize d'entre eux, n'a pas opté pour ce système. Il en va de même de la doctrine, qui se montre favorable à ces réglementations moins pour leur conformité au droit fédéral que pour des raisons de commodité administrative, ou pour les probables augmentations des recettes fiscales qu’elles sont susceptibles d’engendrer, argument qui ressort d’ailleurs de l’exposé des motifs relatif au PL 11803.

Dès lors que la loi litigieuse ne permet aucune interprétation conforme au droit supérieur, elle sera annulée, les autres griefs soulevés par les recourants devenant sans objet.

11. Il s’ensuit que le recours sera admis et la loi 11803 annulée.

12. Vu l’issue du recours, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l’État de Genève, sera allouée aux recourants, qui y ont conclu et sont représentés par un avocat (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 février 2017 par Monsieur A______ et B______ contre l’arrêté du Conseil d’État du 11 janvier 2017 promulguant la loi 11803 ;

au fond :

l’admet ;

annule la loi 11803 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à Monsieur A______ et à B______, pris conjointement et solidairement, à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Malek Adjadj, avocat des recourants, au Grand Conseil, ainsi qu’au Conseil d’État pour information.

Siégeants : M. Verniory, président, Mmes Cramer, Montani et Junod, M. Martin, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

La greffière-juriste :

 

 

C. Gutzwiller

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :