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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/260/2017

ACST/10/2017 du 30.06.2017 ( ABST ) , REJETE

Recours TF déposé le 13.09.2017, rendu le 13.05.2019, REJETE, 2C_773/2017
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/260/2017-ABST ACST/10/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 30 juin 2017

 

dans la cause

 

A______ Sàrl
représentée par Me Thierry Ador, avocat

contre

GRAND CONSEIL

 

 


EN FAIT

1) A______ Sàrl (ci-après : A______), ayant son siège à B______, Genève, est une société qui a notamment comme but la location de taxis et des permis permettant d'exercer le métier de chauffeur de taxi avec un usage accru du domaine public.

2) Le 26 août 2015, le Conseil d'État a déposé au Grand Conseil un projet de loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (LTVTC ; PL 11709), ainsi qu'un projet de loi modifiant la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (LTVTC-1 ; PL 11710).

3) Le 13 octobre 2016, le Grand Conseil a adopté les deux projets de loi.

4) Le 21 octobre 2016, les deux lois ont été publiées dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO), le délai référendaire expirant le 30 novembre 2016.

5) Aucun référendum n'a été lancé dans ledit délai.

6) Par arrêté du 7 décembre 2016, publié dans la FAO du 9 décembre 2016, le Conseil d'État a promulgué les lois 11709 et 11710.

7) La LTVTC (11709) contient notamment la disposition transitoire suivante :

Art. 46 Permis de service public

(…)

2 Tout titulaire de la carte professionnelle de chauffeur de taxi qui exploite un taxi de service privé en qualité d'indépendant ou travaille comme employé ou fermier d'un titulaire d'une autorisation d'exploiter un taxi ou une entreprise de taxis de service public au sens de la loi sur les taxis et limousines, du 21 janvier 2005, délivrée avant le 1er juin 2015, qui, lors de l'entrée en vigueur de la présente loi, exerce de manière effective sa profession peut demander une autorisation d'usage accru du domaine public au sens de l'article 10, dans un délai de 6 mois après son entrée en vigueur.

8) La date d'entrée en vigueur des deux lois a été fixée, par arrêté du Conseil d'État du 7 décembre 2016 publiée le surlendemain dans la FAO, au 1er juillet 2017.

9) A______ est actuellement dans un rapport de bail à ferme avec huit chauffeurs de taxi, est titulaire de cinq permis de taxi de service public, et détient cinq véhicules de taxi.

10) Par acte posté le 20 janvier 2017, A______ a interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre l'art 46 al. 2 LTVTC, concluant principalement à sa nullité, et préalablement à l'octroi de l'effet suspensif au recours.

L'art. 46 al. 2 LTVTC, plus particulièrement en lien avec l'octroi d'autorisation d'usage accru du domaine public aux employés ou fermiers, violait l'interdiction de l'arbitraire en créant, sans motif objectif, une situation de contradiction flagrante avec le principe fondamental énoncé à l'art 10 LTVTC, soit une « utilisation optimale du domaine public ».

Cet amendement se traduisait par la délivrance potentielle de 400 nouvelles autorisations d'usage accru du domaine public, lesquelles devaient être ajoutées aux 875 autorisations actuellement octroyées aux détenteurs des permis de service public, nombre maximal fixé le 29 août 2014 par le département de la sécurité et de l'économie (ci-après : DSE), et de 240 autorisations à remettre aux titulaires des permis de service privé, déjà présents sur la voie publique.

La disposition litigieuse portait également atteinte à ses droits acquis et violait les règles de la bonne foi. La délivrance de permis de service public emportait des assurances de la part des autorités, plus précisément la possibilité d'utiliser lesdits permis de manière effective, notamment en concluant des baux à ferme avec des chauffeurs de taxi, ainsi que la possibilité de pouvoir faire un usage accru du domaine public, soit notamment des stations de taxis et des voies réservées aux transports en commun, de manière compatible avec l'impératif d'une utilisation optimale du domaine public, laquelle supposait une limitation du nombre des permis octroyés. Elle ne pourrait vraisemblablement plus les utiliser de manière effective, le scenario plus probable étant que ses fermiers, ou une partie importante d'entre eux, renonceraient à leur contrat de bail pour exercer le métier de manière indépendante par le biais de la possibilité offerte par le nouvel art. 46 al. 2 LTVTC.

Cet article violait enfin la garantie de la liberté économique en créant une seule catégorie de taxis, ainsi qu'un numerus clausus, ce qui était interdit d'après la jurisprudence constante du Tribunal fédéral.

11) Le 16 mars 2017, le Grand Conseil a conclu au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité.

La solution retenue dans la disposition transitoire présentait un équilibre entre les contraintes liées à l'utilisation optimale du domaine public et à l'égalité de traitement entre les titulaires de cartes professionnelles délivrées sous l'empire de la loi sur les taxis et limousines (transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles) du 21 janvier 2005 (LTaxis - H 1 30).

Les arguments de A______, notamment le fait que ses chauffeurs fermiers mettraient fin à leurs baux pour exercer comme indépendants, étaient purement hypothétiques.

Les permis de service public devaient être assimilés à des autorisations, lesquelles ne conféraient pas de droits acquis. L'administration n'avait d'ailleurs jamais donné à la recourante une quelconque assurance, ni rendu une décision selon laquelle sa situation ne se trouverait jamais modifiée. La recourante ne pouvait d'ailleurs pas ignorer que la LTaxis était l'objet, depuis plusieurs années, de travaux en vue d'être modifiée.

La LTVTC prévoyait enfin deux catégories de chauffeurs professionnels, l'une englobant les taxis au sens strict, l'autre permettant à ceux qui n'avaient pas obtenu une autorisation d'usage accru du domaine public, quelle qu'en soit la raison, d'exercer une activité similaire à celle de taxi, avec comme seule différence, par rapport au système actuel, une absence d'utilisation de l'enseigne « taxi ». L'existence de deux catégories était réalisée et la liberté économique n'était pas violée.

12) Le 17 mai 2017, A______ a persisté dans ses conclusions.

Le Grand Conseil créait deux catégories de transporteurs, les enseignes taxi et les voitures de transport avec chauffeur (ci-après VTC), ces dernières n’étant pas soumises au contingentement et bénéficiant d'un encadrement réduit au strict minimum, ce qui contrevenait au principe de l'égalité de traitement.

L'avant-projet de règlement d'exécution de la loi sur les taxis et les VTC envisageait un nombre maximal de 1'400 autorisations d'usage accru du domaine public, ce qui était contraire à l'objectif d'optimisation de l'utilisation du domaine public, pourtant clef de voûte de la LTVTC et seul principe apte à sauvegarder à la fois les principes de la liberté économique et de l'égalité de traitement.

Le permis de service public ne pouvait pas être qualifié d'autorisation. Il s'agissait d'un titre conférant des droits inhérents à l'exercice d'une activité professionnelle, ce qui supposait un minimum de stabilité des cadres législatif et réglementaire qui était assuré par l'application des principes de la bonne foi et de la confiance légitime, se concrétisant par l'existence de droits acquis au bénéfice du titulaire du titre professionnel.

13) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

14) Par arrêté du 21 juin 2017, publié dans la FAO du 27 juin 2017, le Conseil d'État a adopté le règlement d'exécution de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (RTVTC).

EN DROIT

1) La chambre constitutionnelle est l’autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art.124 let. a de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst-GE - A 2 00). Selon la législation d’application de cette disposition, il s’agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d’État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

En l’espèce, le recours est formellement dirigé contre une loi du Grand Conseil, à savoir la LTVTC, adoptée par le Grand Conseil le 13 octobre 2016, et promulguée par arrêté du Conseil d'État du 7 décembre 2016 et en particulier son art. 46 al. 2 (ACST/6/2016 du 19 mai 2016 consid. 2 ; ACST/19/2015 du 15 octobre 2015 consid. 1a ; ACST/13/2015 du 30 juillet 2015 consid. 2b). La chambre de céans est dès lors compétente pour connaître du présent recours.

2) Interjeté dans le délai légal à compter de la publication de l'acte susmentionné dans la FAO du 9 décembre 2016, et dans les formes prévues par la loi, le recours est recevable sous cet angle (art. 62 al. 1 let. d et 3, 63 al. 1 let. c et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

3) a. A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d’État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA). Il ressort de l’exposé des motifs relatif à la loi 11311 modifiant la LOJ que l’art. 60 al. 1 let. b LPA dans sa teneur actuelle, adoptée le 11 avril 2014 et entrée en vigueur le 14 juin 2014, formule de la même manière la qualité pour recourir contre un acte normatif et en matière de recours ordinaire. Cette disposition ouvre ainsi largement la qualité pour recourir, tout en évitant l’action populaire, dès lors que le recourant doit démontrer qu’il est susceptible de tomber sous le coup de la loi constitutionnelle, de la loi ou du règlement attaqué (ACST/7/2016 du 19 mai 2016 consid. 4a ; ACST/19/2015 précité consid. 1b ; ACST/13/2015 précité consid. 3a ; ACST/12/2015 précité consid. 2a ; ACST/7/2015 précité consid. 2a ; ACST/1/2015 précité consid. 3a ; ACST/2/2014 précité consid. 2a ; Michel HOTTELIER/Thierry TANQUEREL, La Constitution genevoise du 14 octobre 2012, SJ 2014 II 341-385, p. 380).

b. L’art. 111 al. 1 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) précise que la qualité de partie à la procédure devant toute autorité cantonale précédente doit être reconnue à quiconque a qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral. En d’autres termes, le droit cantonal ne peut pas définir la qualité de partie devant l’autorité qui précède immédiatement le Tribunal fédéral de manière plus restrictive que ne le fait l’art. 89 LTF (ATF 139 II 233 consid. 5.2.1 ; 138 II 162 consid. 2.1.1 ; 136 II 281 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_90/2016 du 2 août 2016 consid. 3.1 ; 2C_68/2015 du 13 janvier 2016 consid. 4.2 ; 2C_885/2014 du 28 avril 2015 consid. 5.1).

Aux termes de l’art. 89 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a), est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c). L’art. 89 al. 1 LTF détermine la qualité pour recourir de manière générale, la subordonnant à trois conditions, qui, pour autant qu’elles soient cumulativement remplies (ATF 137 II 40 consid. 2.2), permettent aux personnes physiques et morales de droit privé, voire exceptionnellement aux personnes morales et collectivités de droit public, de recourir (Bernard CORBOZ et al. [éd.], Commentaire de la LTF, 2ème édition, 2014, n. 11 ad art. 89 LTF).

Lorsque le recours est dirigé contre un acte normatif, la qualité pour recourir est conçue de manière plus souple et il n’est pas exigé que le recourant soit particulièrement atteint par l’acte entrepris (Marcel Alexander NIGGLI/ Peter UEBERSAX/Hans WIPRÄCHTIGER [éd.], Bundesgerichtsgesetz, 2ème édition, 2011, n. 13 ad art. 89 LTF). Ainsi, toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés par l’acte attaqué ou pourront l’être un jour a qualité pour recourir ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu’il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 141 I 78 consid. 3.1 ; 141 I 36 consid. 1.2.3 ; 138 I 435 consid. 1.6 ; 135 II 243 consid. 1.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_779/2015 du 8 août 2016 consid. 4.4.2.3 ; 2C_862/2015 du 7 juin 2016 consid. 1.2 ; 8C_91/2015 du 16 décembre 2015 consid. 6.1 ; 1C_223/2014 du 15 janvier 2015 consid. 2.3).

La qualité pour recourir suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l’annulation de l’acte entrepris, cet intérêt devant exister tant au moment du dépôt du recours qu’au moment où l’arrêt est rendu (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; 137 I 296 consid. 4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1006/2014 du 24 août 2015 consid. 1.3 ; 1C_469/2014 du 24 avril 2015 consid. 1.1).

En l'espèce, la recourante, société ayant pour but, entre autres, la location de taxis et des permis permettant d'exercer le métier avec un usage accru du domaine public, elle est sans conteste susceptible de se voir appliquer la loi contestée.

Il en résulte que le recours est recevable.

4) Saisie d’un recours, la chambre constitutionnelle contrôle librement le respect des normes cantonales attaquées au droit supérieur (art. 124 let. a Cst-GE ; art. 61 al. 1 LPA) ; elle est liée par les conclusions des parties, mais non par les motifs qu’elles invoquent (art. 69 al. 1 LPA), dans la mesure de la recevabilité du recours ou des griefs invoqués. Toutefois, en cas de recours contre une loi constitutionnelle, une loi ou un règlement du Conseil d’État, l’acte de recours doit contenir un exposé détaillé des griefs du recourant (art. 65 al. 3 LPA). Selon l’exposé des motifs relatif à la loi 11311 modifiant la LOJ, en matière de recours portant sur un contrôle abstrait, il est nécessaire de se montrer plus exigeant que dans le cadre d’un recours ordinaire, le recourant ne pouvant se contenter de réclamer l’annulation d’une loi ou d’un règlement au motif que son contenu lui déplaît, mais, au contraire, doit être acheminé à présenter un exposé détaillé de ses griefs (ACST/7/2016 précité consid. 5 ; ACST/13/2015 précité consid. 4a ; ACST/12/2015 précité consid 4b ; ACST/7/2015 précité consid 3a ; ACST/1/2015 précité consid 4b ; ACST/2/2014 précité consid 5a).

5) À l’instar du Tribunal fédéral, la chambre constitutionnelle, lorsqu’elle se prononce dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes, s’impose une certaine retenue et n’annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée (ATF 140 I 2 consid. 4 ; 137 I 131 consid. 2 ; 135 II 243 consid. 2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_862/2015 précité consid. 3 ; 1C_223/2014 précité consid. 4 ; 2C_668/2013 du 19 juin 2014 consid. 2.2 ; ACST/7/2016 précité consid. 8 ; ACST/19/2015 précité consid. 3 ; ACST/12/2015 précité consid. 5 ; ACST/7/2015 précité consid 3b ; ACST/1/2015 précité consid 5 ; ACST/2/2014 précité consid 5b). Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d’une application conforme – ou non – au droit supérieur. Les explications de l’autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d’appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l’éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 140 I 2 consid. 4 ; 134 I 293 consid. 2 ; 130 I 82 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_862/2015 précité consid. 3 ; 1C_223/2014 précité consid. 4).

6) La recourante invoque une violation de l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst. et 17 Cst-GE), limitant son grief à l'inclusion des fermiers et employés, pouvant désormais se voir octroyer un permis d'usage accru du domaine public dans le cadre de l'art. 46 al. 2 LTVTC.

7) L’interdiction de l’arbitraire dans la loi, résultant de l’art. 9 Cst., s’oppose à ce qu’une norme ne repose pas sur des motifs sérieux, soit dépourvue de sens et de but, ou viole gravement un principe juridique incontesté (ATF 141 I 235 consid. 7.1 ; 136 I 241 consid. 3.1 ; 133 I 259 consid. 3b ; ACST/13/2015 du 30 juillet 2015 consid. 6e ; ACST/1/2015 du 23 janvier 2015 consid. 9a in fine).

8) a. En l'espèce, la LTVTC prévoit que tout titulaire de la carte professionnelle de chauffeur de taxi qui exploite un taxi de service privé en qualité d'indépendant ou travaille comme employé ou fermier d'un titulaire d'une autorisation d'exploiter un taxi ou une entreprise de taxis de service public au sens de la LTaxis, délivrée avant le 1er juin 2015, qui lors de l'entrée en vigueur de la présente loi, exerce de manière effective sa profession, peut demander une autorisation d'usage accru du domaine public (art. 46 al. 2 LTVTC). Il s'agit ici d'une faculté et non d'une obligation. La LTVTC abolit la distinction entre taxis de service public et taxis de service privé qui existe actuellement dans la LTaxis en introduisant une autre catégorie de chauffeurs, les VTC, offrant une complémentarité en matière de service public, ne bénéficiant pas de l'usage accru du domaine public ni du droit à l'enseigne « taxi » (art. 4 let. b LTVTC).

b. Même s'il n'est pas contesté que la disposition litigieuse accroîtra l'utilisation accrue du domaine public par le biais des nouvelles autorisations qui seront délivrées, cela n'en empêchera pour autant pas une utilisation optimale, les chauffeurs de taxi pouvant mettre en place des mesures organisationnelles internes pour y faire face.

c. De même, au sens de l'art. 42 LTVTC, le Conseil d'État s'est vu confier le mandat d'analyser les effets de la nouvelle loi après deux ans d'application, ce qui lui permettra, cas échéant, d'apporter les ajustements nécessaires, en disposant de la compétence de limiter le nombre d'autorisations maximales octroyées suite à un examen périodique de la situation (art. 10 al. 2 et 3 LTVTC).

d. La chambre constitutionnelle, comme déjà mentionné, ne contrôle pas l'opportunité ou le caractère judicieux des normes qui sont déférées devant elles, mais seulement leur conformité au droit supérieur. Cela étant, les motifs avancés par le Grand Conseil – quand bien même ils sont considérés comme contestables par la recourante – ne peuvent être qualifiés de subjectifs ou de peu sérieux, la réglementation en cause n'étant pas dépourvue de sens ni de but.

Il en découle que le grief de la violation de l'interdiction de l'arbitraire doit être écarté.

9) La recourante invoque ensuite la violation de droits acquis et des règles de la bonne foi (art. 9 Cst. et 17 Cst-GE), en estimant que la délivrance par l'autorité des permis de service public emporte des assurances de sa part, impliquant l'utilisation effective desdits permis et la possibilité de conclure des baux à ferme. Elle estime que ses chauffeurs fermiers mettront probablement fin à leurs baux pour exercer la profession comme indépendants, ce qui pourrait causer la faillite de sa société.

10) a. Pour des motifs de sécurité et de prévisibilité du droit, immanents aux principes de la légalité, de la bonne foi et de l’interdiction de l’arbitraire, il ne peut en principe être adopté de normes, ni en être proposé par voie d’initiative législative, qui déploieraient des effets juridiques à des faits entièrement révolus avant leur mise en vigueur. Une telle rétroactivité, appelée proprement dite, n’est admise qu’exceptionnellement, à savoir seulement si, cumulativement, elle se justifie en considération d’un intérêt public suffisamment important pour l’emporter sur les intérêts opposés et sur le principe même de la sécurité du droit sous-tendant l’interdiction de principe de la rétroactivité, si elle est prévue par une loi, est raisonnablement limitée dans le temps, n’engendre pas d’inégalités choquantes, et ne porte pas atteinte à des droits acquis (ATF 125 I 182 consid. 2b/cc ; 122 V 405 consid. 3b/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_273/2014 du 23 juillet 2014 consid. 4.1 ; ACST/1/2015 du 23 janvier 2015 consid. 7c ; Pascal MAHON, op. cit., vol. I, n. 167 p. 281 s. ; Pierre MOOR/ Alexandre FLÜCKIGER/ Vincent MARTENET, op. cit., vol. I, p. 198 ss ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 417 ss). Il n’y a pas rétroactivité proprement dite lorsque le législateur entend régler, de façon nouvelle pour l’avenir, un état de fait qui a pris naissance dans le passé et perdure au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit ; ce dernier attache des conséquences juridiques à des faits ayant pu se produire antérieurement, mais uniquement pour la période future et en tant que leur survenance passée a créé une situation qui continue à déployer ses effets. La rétroactivité improprement dite, n’ayant en réalité que l’apparence d’une rétroactivité, est admissible, sous réserve de respecter les droits acquis des individus ; en effet, sauf situation particulière, nul n’a droit au maintien d’un régime juridique (ATF 140 V 154 consid. 6.3.2 ; 138 I 189 consid. 3.4 ; 122 II 113 consid. 3b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_273/2014 du 23 juillet 2014 consid. 4.1 ; Pierre MOOR/ Alexandre FLÜCKIGER/ Vincent MARTENET, op. cit., vol. I, p. 190 ss ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 418 s.).

b. Des droits acquis, qui sont réservés dans les deux situations de rétroactivité évoquées, sont des droits que l’administré a envers l’État en vertu d’une garantie particulière que celui-ci lui a donnée, le prémunissant contre une atteinte future. Une telle garantie peut être conférée par la loi, lorsque celle-ci qualifie comme tels des droits qu’elle institue, garantit expressément leur pérennité, donne l’assurance qu’elle ne sera pas modifiée ou qu’une modification ultérieure ne les affectera pas (ATF 134 I 123 consid. 7.1 ; ACST/13/2015 du 30 juillet 2015 consid. 6 ; Pascal MAHON, op. cit., vol. I, n. 167 p. 280 s. ; Pierre MOOR/ Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 3ème éd., 2011, p. 19 ss ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 756 ss). Elle peut aussi résulter d’assurances données par une autorité ; elle se trouve protégée aux conditions d’application du droit constitutionnel de toute personne d'être traitée par les organes de l’État conformément aux règles de la bonne foi (art. 9 Cst.). L'administration est en effet liée par des renseignements inexacts (et a fortiori des assurances erronées) qu'elle a donnés, cumulativement si elle était compétente (à tout le moins apparemment) pour ce faire, si les renseignements en question étaient inexacts, ont été fournis sans réserve, en termes clairs et catégoriques, en rapport avec une situation concrète déterminée, si l'inexactitude ne tient pas à un changement subséquent de la loi, si l'administré n'a pas été en mesure, en faisant preuve d'un minimum d'attention, de reconnaître l'erreur, et s'il a pris, en se fiant à ces renseignements, des dispositions irréversibles (Pierre MOOR/ Alexandre FLÜCKIGER/ Vincent MARTENET, op. cit., vol. I, p. 917 ss).

c. Compte tenu de la rigueur des conséquences que peut avoir la modification d’un régime juridique, le législateur peut être tenu, en vertu des principes de la proportionnalité et de la confiance, d’adopter des règles transitoires aux fins de permettre aux personnes concernées de s’adapter à la nouvelle situation légale, autrement dit de faciliter le passage d’un régime juridique à l’autre (ATF 134 I 23 ; 130 I 26 consid. 8.1 ; 123 II 385 consid. 9 ; 122 V 405 consid. 3b/bb ; ACST/13/2015 précité consid. 7 et jurisprudence citée ; Pascal MAHON, op. cit., vol. I, n. 167 p. 279 s. ; Pierre MOOR/ Alexandre FLÜCKIGER/ Vincent MARTENET, op. cit., vol. I, p. 193).

11) Le principe de la bonne foi (art. 9 Cst.) procure un droit à la protection de la confiance légitime du citoyen résultant des assurances reçues des autorités ou de tout autre comportement fondant des attentes déterminées de sa part, dans la mesure où ce comportement se réfère à un cas concret, qui touche le citoyen concerné (ATF 130 I 26 consid. 8.1 ; 129 I 161 consid. 4.1 et 4.2 ; 126 II 377 consid. 3a ; ATF 122 II 113 consid. 3b.cc = JdT 1998 I 570). Cette protection disparaît en règle générale en cas de modifications de la législation, étant donné que, selon le principe démocratique, l'ordre juridique peut en principe être modifié en tout temps. Le principe de la confiance ne peut s'opposer à une modification du droit que lorsque cette modification contrevient à l'interdiction de la rétroactivité ou porte atteinte à des droits acquis (ATF 130 I 26 consid. 8.1 ; 128 II 112 consid. 10b.aa ; 122 II 113 c. 3b.cc = JdT 1998 I 570). En outre, selon la jurisprudence, il se peut aussi que, pour des motifs liés au respect des principes de l'égalité, de la proportionnalité, de la prohibition de l'arbitraire, ainsi que de la protection de la confiance, il s'impose, sur le plan constitutionnel, de créer le cas échéant une réglementation transitoire appropriée (ACST/17/2015 du 2 septembre 2015 consid. 23d ; ACST/13/2015 du 30 juillet 2015 consid. 7). Celle-ci doit ainsi empêcher que des investissements réalisés de bonne foi se révèlent vains (ATF 130 I 26 consid. 8.1 ; 125 II 152 consid. 5 ; 123 II 433 consid. 9 ; 118 Ib 241 consid. 6c et 9b = JdT 1994 I 397) ; elle doit permettre aux administrés de s'adapter à la nouvelle réglementation et non pas de profiter le plus longtemps possible de l'ancien régime plus favorable (ATF 134 I 23 consid. 7.6.1 ; 123 II 385 consid. 9).

En l'espèce, la recourante ne se voit pas empêchée par l'art. 46 al. 2 LTVTC de mettre à disposition, par le biais de baux à ferme, ses véhicules, lesquels pourront également continuer à faire un usage accru du domaine public.

Il ne peut en l'état être tenu pour certain que les fermiers de la recourante voudront exercer la profession en qualité d'indépendants et mettre ainsi fin à leurs baux. Comme énoncé à juste titre par l'intimé, il ne s'agit que d'une hypothèse, le statut d'indépendant impliquant des contraintes notamment financières, telles que l'achat d'un véhicule, ou encore son équipement et entretien, le paiement de tous les frais y relatifs ainsi que ceux en lien avec une utilisation d'usage accru du domaine public.

De surcroît, il n'existe aucun droit acquis en lien avec les autorisations d'usage accru du domaine public ou en relation au nombre maximal de ces dernières pouvant être délivrées.

Ces griefs seront, par conséquent, également écartés.

12) La recourante invoque ensuite une violation de la liberté économique (art. 27 al. 1 et 94 al. 1 Cst. et art. 35 Cst-GE) en se référant à l'ancienne jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 79 I 334) qui interdisait de créer une seule catégorie de taxis et de soumettre ainsi la profession à un numerus clausus, déterminé par des besoins d'intérêt public.

a. Aux termes de l'art. 27 Cst. (et 35 Cst-GE), la liberté économique est garantie (al. 1). Elle comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (al. 2). La liberté économique protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (ATF 137 I 167 consid. 3.1 ; 135 I 130 consid. 4.2 ; 128 I 19 consid. 4c/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_441/2015 du 16 janvier 2016 consid. 7.1). Elle peut être invoquée tant par les personnes physiques que par les personnes morales (ATF 135 I 130 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_301/2015 du 3 novembre 2015 consid. 4.1).

b. Des restrictions cantonales à la liberté économique sont admissibles, mais elles doivent reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public prépondérant et respecter le principe de proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.).

c. Sous l'angle de l'intérêt public, sont autorisées les mesures de police, les mesures de politique sociale ainsi que les mesures dictées par la réalisation d'autres intérêts publics (ATF 125 I 322 consid. 3a ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_138/2015 du 6 août 2015 consid. 4.1 ; 2C_793/2014 du 24 avril 2015 consid. 4.1). Sont en revanche prohibées les mesures de politique économique ou de protection d'une profession qui entravent la libre concurrence en vue de favoriser certaines branches professionnelles ou certaines formes d'exploitation (ATF 140 I 218 consid. 6.2 ; 130 I 26 consid. 4.5 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_32/2015 du 28 mai 2015 consid. 5.1 ; 2C_819/2014 du 3 avril 2015 consid. 5.1).

d. Pour être conforme au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.), une restriction d'un droit fondamental doit être apte à atteindre le but visé
(sous-principe d'adéquation), lequel ne peut pas être obtenu par une mesure moins incisive (sous-principe de nécessité) ; il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (sous-principe de proportionnalité au sens étroit ; ATF 137 I 167 consid. 3.6).

13) En l'espèce, la nouvelle loi prévoit deux catégories de chauffeurs professionnels, les taxis proprement dits et les VTC, lesquels ne disposent pas d'une autorisation d'usage accru du domaine public. Ces derniers correspondent dans une certaine mesure aux taxis privés de la LTaxis, avec comme principale différence l'impossibilité de porter l'enseigne « taxi » (art. 4 let. a et b LTVTC). En conséquence, même si la LTVTC prévoit une seule catégorie de taxis soumise à un numerus clausus, elle établit deux catégories de transporteurs.

La jurisprudence du Tribunal fédéral à laquelle se réfère la recourante, remontant par ailleurs aux années 1950, prévoit que le mot « taxi » exprime la nature des services offerts et représente un moyen de publicité indispensable. Notre haute Cour avait jugé contraire à la liberté du commerce d'interdire aux voitures de transport professionnel de personnes d'employer la désignation « taxi ». Elle avait également déclaré que si l'État « soumettait la profession des chauffeurs de taxi dans son ensemble à un numerus clausus déterminé par les besoins du public », il prendrait une mesure de politique économique contraire à la liberté économique.

Ce concept de « taxi » doit aujourd'hui être relativisé et apprécié à l'aune de la situation actuelle. En effet, l'évolution des techniques de communication, telles que des plateformes de mises en relation ou les systèmes de co-voiturage, ne permettent plus de faire de l'enseigne « taxi » la référence pour le transport de personnes. La création de la catégorie « VTC » permet de conserver un équilibre répondant à l'intérêt public à limiter le nombre de taxis et à la protection de la liberté économique de tous les acteurs susceptibles d'exercer dans cette branche. En effet, les personnes voulant exercer la profession de chauffeur de « taxi » au sens de la jurisprudence invoquée par la recourante, pourront toujours le faire d'après la nouvelle législation, mais sous la dénomination de VTC. D'ailleurs, même en présence d'un numerus clausus, il existera toujours la faculté de déposer une requête afin d'obtenir une autorisation d'usage accru du domaine public (art. 11 LTVTC), par laquelle le requérant se pourrait voir placer dans une liste d'attente.

Par conséquent, ce grief sera également écarté.

14) Vu le prononcé du présent arrêt, les conclusions en effet suspensif prises par les parties deviennent sans objet.

15) Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

16) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 janvier 2017 par A______ Sàrl contre l'article 46 al. 2 LTVTC (11709) du 13 octobre 2013, publié dans la FAO du 21 octobre 2016 et promulgué par arrêté du Conseil d'État du 7 décembre 2016 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de A______ Sàrl ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Thierry Ador, avocat de la recourante, au Grand Conseil, ainsi qu'au Conseil d'État, pour information.

Siégeants : M. Verniory, président, MM. Dumartheray, Pagan, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Martin, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

 

G. Corti

 

le président siégeant :

 

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :