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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/848/2004

ACOM/92/2004 du 23.09.2004 ( CRIP ) , REJETE

Descripteurs : FONCTIONNAIRE; ENSEIGNANT; FIDELITE; DROIT D'ETRE ENTENDU; DEVOIR PROFESSIONNEL; MESURE DISCIPLINAIRE; TRAITEMENT
Normes : LIP.130
Résumé : Recours rejeté d'un enseignant contre la décision du Conseiller d'Etat chargé du DIP de réduire son traitement bien que celui-ci ait déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement et d'un blâme. Compte tenu des graves manquements à ses devoirs de services, la sanction est considérée comme clémente (comportement inadéquat envers des élèves).
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/848/2004-CRIP ACOM/92/2004

DÉCISION

DE

LA COMMISSION DE RECOURS DU PERSONNEL

ENSEIGNANT DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE

du 23 septembre 2004

 

dans la cause

 

Monsieur R__________
représenté par Me Henri Nanchen, avocat

contre

DEPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE


1. M. R________, né le 15 janvier 1950, est entré dans l’enseignement secondaire de Genève en tant que suppléant en 1976 et a tout d’abord travaillé au Cycle d’orientation (ci-après : C.O.) des G__________, puis, dès 1978, au C.O. de C____. En 1979, il a obtenu un diplôme de biologie et, en 1981, un certificat d’aptitude à l’enseignement secondaire. Dès 1986, il bénéficie de la garantie d’emploi pour un poste complet. Il enseigne à des élèves de 12 à 15 ans.

2. Le 4 mars 2003, quatre filles de la classe 703 A ont été entendues par M. d___ T__________ et Mme C__________, médiateurs.

Elles ont déclaré que M. R________ avait souvent tenu des paroles obscènes en classe. Ainsi, chaque fois qu’un élève disait « putain », M. R________ répondait qu’il n’y avait pas de putain, mais qu’on baisait à l’œil. Il faisait également de nombreuses plaisanteries à caractère sexuel. Il effectuait des gestes choquants, tels que des bras d’honneur, il avait joué avec une balle en plastique posée sur son sexe. Selon une des filles, son professeur la caressait et la chatouillait. Les élèves ont manifesté un sentiment de dégoût et de gêne vis-à-vis de M. R________. L’une d’elles l’a décrit comme un pervers. Elles se sentaient choquées et désiraient qu’il cesse de se comporter de cette manière.

3. Le même jour, X_________, élève de la classe 703 A, a été auditionnée par une inspectrice, Mme A_________ et par une psychologue, Mme N__________ au sujet de M. R________.

Selon X__________, celui-ci encourageait les filles à porter des « tops », afin qu’il puisse voir leur poitrine. Lorsque quelqu’un disait « putain », M. R________ rétorquait « ici, il n’y a pas de putains, on baise à l’œil ». A l’occasion d’un cours sur le déplacement, où le thème du saut était abordé, il avait déclaré « la femme ne saute pas, c’est elle qui se fait sauter ». M. R________ lui avait demandé de lui montrer son Tampax, un jour qu’elle voulait se rendre aux toilettes et une autre fois, si elle voulait y aller afin de « baiser avec [son] petit copain K_____ ». Lors d’un cours d’informatique, il lui avait touché la poitrine. M. R________ avait dit à une copine d’X_____ « j’aime bien tes fesses », sans la toucher toutefois, ni avoir des gestes déplacés. Il avait demandé aux élèves d’apporter des photos, durant l’étude des parties du corps et avait déclaré « les garçons est-ce que vous pouvez apporter une femme blonde avec des jolis seins, si possible à poil, si vous voulez, je vous amène en salle d’informatique, vous allez sur un site porno et vous prenez une image ». Tous les élèves présents pourraient témoigner des commentaires de M. R________. Une fille avait entendu la remarque à propos du Tampax et trois élèves, celle à propos de K_____.

4. Le 10 mars 2003, Mme B___________ et M. J__________, maîtres dans la classe 703 A, ont établi un rapport concernant M. R________ à l’attention de la direction du C.O. de C____. Selon ce rapport, des élèves se seraient plaints de leur professeur. En particulier, plusieurs filles avaient fait part de propos et de gestes sexistes et déplacés.

5. Le 10 mars 2003, M. R________ a été entendu par la brigade des mœurs de la police judiciaire, en qualité d’auteur présumé d’actes d’ordre sexuel avec des enfants commis sur une de ses élèves, X________. La mère de celle-ci avait déposé une plainte pénale contre M. R________.

Celui-ci avait eu un problème avec X______, lui ayant attribué la note zéro à un travail de biologie effectué en classe, qu’elle n’avait pas fait. Elle avait mal réagi et l’aurait traité – sans qu’il en soit sûr – de « trou du cul ». Il n’avait jamais prononcé devant ses élèves des paroles telles que « ici il n’y a pas de putain, on baise à l’œil », ni dit à X_______ « tu veux aller aux toilettes pour baiser avec ton petit copain K_____ » ; il contestait lui avoir demandé de lui montrer son tampon hygiénique, afin qu’elle lui prouve qu’elle avait bien ses règles. Il n’avait jamais en aucun cas touché sa poitrine. X_______ était d’un caractère nerveux et n’arrivait pas à rester en place. Il ne s’était jamais retrouvé seul avec elle, ce qui excluait qu’il ait pu se livrer à des attouchements ou lui faire des remarques sans que quelqu’un ne s’en soit rendu compte. Il n’avait fait aucune remarque à propos de photos.

En 2001, il avait eu des difficultés avec une autre élève, qui s’était plainte qu’il l’avait touchée au niveau du ventre ou d’un sein, il avait contesté ces faits. Il avait également eu un problème dans la même classe. Un élève avait proposé de visionner deux films : « une journée en enfer » et « sex crimes ». M. R________ avait immédiatement écarté le second, sur le vu de son titre évocateur et avait apporté le premier au préparateur. A son insu, l’élève qui avait apporté les films s’était rendu chez le préparateur et avait fait passer « sex crimes ». Mme A__________, maîtresse de classe, avait averti la directrice, chez qui M. R________ a été convoqué ultérieurement. Il a expliqué qu’il n’avait passé qu’« une journée en enfer ».

Il n’avait eu que deux problèmes en vingt ans d’enseignement. Il n’avait jamais utilisé de termes déplacés à l’égard d’un élève. Il avait effectivement appelé certaines élèves « chouchou », « ma puce » ou « ma biche ». Il avait abordé le thème du saut, dans le cadre du cours sur le déplacement, et avait parlé de l’homme ; en revanche il n’avait jamais déclaré que la femme ne sautait pas, mais se faisait sauter.

Il avait demandé aux élèves d’apporter des photos d’hommes ou de femmes, mais en aucun cas des photos extraites d’un « Play Boy », et n’avait jamais demandé de « belles blondes à gros seins et à poil ». Il n’avait jamais touché le sein d’X_______, même par inadvertance. Les accusations dont il faisait l’objet pourraient provenir du fait qu’il avait infligé un zéro à cette élève.

6. Par décision du 12 mars 2003, le département de l’instruction publique (ci-après : le département ou le DIP) a prononcé à l’encontre de M. R________ une mesure d’éloignement de l’enseignement avec effet immédiat – avec maintien de son traitement – au sens de l’article 129A alinéa 5 de la loi sur l’instruction publique du 6 novembre 1940 (LIP – C 1 10).

Cette décision faisait suite à son audition du même jour par le DIP. Au cours de celle-ci le département lui rappelé des exemples de propos qu’on lui reprochait d’avoir tenu, ainsi que l’existence de la procédure pénale ouverte à son encontre. M. R________ a déclaré ne pas pouvoir tout nier les propos qui lui étaient attribués. Cependant, il lui était arrivé de reprendre les paroles d’élèves. Il admettait être trop démonstratif dans ses cours, notamment lorsqu’il s’agissait d’expliquer le corps humain à ses élèves. A un élève l’ayant traité de « trou du cul », il avait répondu « oui, j’ai un trou du cul et je dois aller aux toilettes ». Le DIP a annoncé à M. R________ son intention de diligenter à son encontre une enquête interne.

7. Le 17 mars 2003, le Procureur général a classé la plainte déposée par X_________ le 4 mars 2003. Les faits reprochés à M. R________ n’étaient pas constitutifs d’une infraction.

8. Le 18 mars 2003, le groupe de criminalité informatique de la police judiciaire a rendu un rapport à l’attention de la brigade des mœurs. Aux termes de ce document, aucun fichier à caractère sexuel n’avait été décelé sur les ordinateurs appartenant à M. R________.

9. Le 19 mars 2003, le Conseil d’Etat a confirmé la mesure d’éloignement prise par le département, dans l’attente du résultat de l’enquête interne. Cette décision a été déclarée exécutoire nonobstant recours.

10. Par acte du 22 avril 2003, M. R________ a déféré cette décision à la commission de recours du personnel enseignant de l’instruction publique (ci-après : la commission) – (cause n° A/657/2003-CRIP). Au préalable, il a requis la restitution de l’effet suspensif et à titre principal, a conclu à l’annulation de la décision du Conseil d’Etat.

La mesure d’éloignement se révélait disproportionnée. Etant donné que la plainte pénale avait été classée, faute de prévention suffisante, et que la saisie du matériel informatique n’avait rien révélé de suspect, la mesure d’éloignement n’avait aucun sens. Le recourant ne présentait aucun danger pour ses élèves, ce d’autant plus qu’il était établi qu’il était fort apprécié de ceux-ci. La sanction perturbait sa famille et engendrait un effet néfaste sur son psychisme.

11. Par décision présidentielle du 14 mai 2003, la commission a rejeté la requête de restitution de l’effet suspensif sollicitée par M. R________.

12. Le 27 mai 2003, la Chambre d’accusation a annulé la décision du Procureur général du 17 mars 2003. Elle lui a renvoyé la cause afin qu’il ordonne une information confiée à un juge d’instruction.

Au vu des explications fournies par X__________ concernant le fait que M. R________ aurait touché sa poitrine, la prévention d’actes d’ordre sexuel avec des enfants (art. 187 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 – CP – RS 311.0) ne pouvait être d’emblée exclue à l’encontre de celui-ci. Les actes et surtout les propos imputés à l’enseignant pouvaient tomber sous le coup des articles 187 chiffre 1 et 198 alinéa 2 CP (désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel). Comme M. R________ avait manifestement tenu les paroles reprochées en classe devant de nombreux élèves, elles avaient dû être entendus par plusieurs personnes. Il convenait donc de procéder à des investigations

13. a. En septembre 2003, Mme O_________ a rendu son rapport d’enquête interne concernant M. R________. Ledit rapport a retenu les éléments suivants :

b. M. R________ en classe employait un ton trop familier en s’adressant aux filles. Son humour douteux n’observait pas la distance langagière requise dans une relation entre un enseignant et ses élèves. Il avait à tort persisté dans ses habitudes, malgré les mises en garde qui lui avaient été adressées à réitérées reprises.

En mettant en évidence le fait que les décolletés attiraient le regard des garçons et que les filles devaient assumer leur façon de se vêtir, M. R________ mettait l’accent sur l’attraction sexuelle que pouvait provoquer ce type d’habillement. Ce discours, prononcé devant des élèves en âge d’éveil sexuel, sous-entendait un sujet dépassant la question du simple habillement correct et provoquait l’agacement et/ou les phantasmes de certains d’entre eux. M. R________ avait également fait preuve d’absence de réserve lorsqu’X_________ lui avait demandé si elle pouvait se rendre aux toilettes – même si l’on admettait que le sujet du tampon hygiénique n’avait été qu’insinué et que le mot lui-même n’avait pas été prononcé. En ayant abordé des sujets d’ordre sexuel, il avait dépassé le cadre de son cours. Même si les questions provenaient des élèves, l’enseignant demeurait entièrement responsable du contenu et du déroulement du cours.

L’enseignant devait conserver une réserve et une distance dans le domaine du contact physique avec les élèves, tout comme dans sa gestuelle. Appeler des élèves « mon chouchou », les tapoter sur la tête ou encore faire la démonstration des poils sur ses mollets relevait d’une familiarité inadéquate.

c. La véracité des plaintes d’élèves de mai 2000 demeurait sujette à caution. Tel n’était pas le cas de celles de novembre 2000, dans la mesure où elles avaient abouti à un accord de médiation, selon lequel M. R________ s’était engagé à éviter toute ambiguïté dans son attitude et à veiller au respect de la sphère privée des élèves. Les lettres d’excuses écrites par les élèves ne pouvaient être considérées comme des preuves à décharge, car elles avaient été écrites sous la pression morale, ensuite d’une lettre lue par M. R________ en classe et rédigée par sa femme. Selon les termes de cette missive, Mme R________ ne pouvait plus dormir ; si les élèves ne s’excusaient pas, son mari se réservait le droit de porter plainte contre eux.

Les filles auditionnées le 4 mars 2003 avaient confirmé leurs dires le 9 mai suivant. A la fin de l’année scolaire 2003, M. R________ avait fait pression sur un élève de la classe 703 A en le contactant par téléphone avant son audition. Il avait rappelé à cette personne que ce n’était pas lui qui avait commencé à dire « ce n’est pas les filles qui sautent, mais c’est elles qui se font sauter ». Dit élève s’était senti gêné, car il avait bel et bien entendu prononcer cette phrase pour la première fois dans la bouche de son professeur. Les exemples de langage et de gestuelle de M. R________ étaient confirmés par maintes sources. Plusieurs élèves avaient vu leur professeur faire un bras d’honneur. Un doute subsistait concernant des attouchements intimes – tels des chatouillements, certains élèves auditionnés n’ayant jamais vu M. R________ les accomplir. L’attitude de celui-ci ne semblait pas déranger les garçons et provoquait leur hilarité, tandis qu’elle choquait les filles, à tout le moins occasionnellement.

d. Etaient également en cause trois dessins. Le premier représentait une femme de trois-quarts de profil aux seins nus et portant un string et des hauts talons ; le deuxième, une femme vue de côté, habillée d’une jupe courte avec un décolleté prononcé dans le dos  et le troisième, une femme de trois-quarts de profil ne portant qu’un string. Le premier et le troisième dessins étaient utilisés pour l’établissement d’une nomenclature des parties du corps. Le deuxième faisait partie d’une épreuve et servait à localiser les différentes parties anatomique du tronc humain. M. R________ demandait fréquemment aux élèves d’apporter des photos d’hommes ou de femmes. Aux dires d’une élève, M. R________ insistait sur le fait que, pour les garçons « ce serait mieux la photo d’une belle blonde, avec de gros seins et si possible à poil ». Toutefois, ces propos n’ont pas été corroborés, une élève ayant déclaré que son professeur faisait des commentaires à propos des photos, un autre, qu’il n’en faisait pas.

Les dessins litigieux n’obéissaient pas à un regard strictement et simplement scientifique. Leur caractère suggestif pouvait provoquer un regard trouble chez des élèves âgés de 12 à 15 ans. La pratique de faire apporter des photos d’hommes et de femmes s’inscrivait dans ce contexte. Le corps féminin était présenté comme objet sexuel plutôt que comme objet d’étude scientifique.

e. Certains propos ou gestes à connotation sexuelle ont été retenus comme avérés.

– M. R________ a reconnu avoir pris l’habitude d’appeler les filles « chouchou », « ma puce » et « ma biche ».

– Lors d’un cours de biologie portant sur le déplacement, où la question du saut était abordée, M. R________ avait déclaré « la femme ne saute pas, c’est elle qui se fait sauter ».

– Les témoignages convergeaient pour dire que M. R________ décourageait le port de décolletés osés, mais plusieurs élèves de la classe 703 A corroboraient le fait qu’il sous-entendait dans son discours, au sujet des décolletés, le fait qu’il pourrait être amené à les regarder de plus près.

– Les élèves de la classe 703 A s’accordaient à dire que le manque de distance du professeur apparaissait de manière évidente, voire choquante, spécialement du point de vue des filles.

– M. R________ avait fait à l’occasion un bras d’honneur en classe.

f. M. R________ avait commis régulièrement des erreurs de calcul au moment de la remise des notes, l’ayant contraint à effectuer des corrections après la remise officielle. Il avait également pris du retard dans la remise de travaux à la direction du C.O. L’ambiance en classe était décrite, que ce soit par les élèves ou par des adultes extérieurs, soit comme plus bruyante que la moyenne, soit comme décontractée. Selon le témoignage d’adultes, les cours se déroulaient bien, étaient préparés et les élèves y manifestaient de l’intérêt. Les travaux de groupes engendraient du bruit. Il apparaissait que M. R________ éprouvait de la peine à maintenir la discipline ; les élèves se sentaient autorisés à parler en classe. Il exerçait sa profession plutôt comme un animateur que comme un enseignant. Cette confusion des rôles ne l’empêchait pas en général d’exercer ses fonctions, étant donné que ses élèves profitaient d’une ambiance détendue ; toutefois, en l’absence de repères définis, ni les élèves, ni l’enseignant ne pouvaient parvenir à gérer des incidents de crise. Une attitude rigoureuse d’enseignant comportait nécessairement les paramètres de distance, de réserve et d’autorité, que M. R________ n’observait pas systématiquement.

14. Le 20 janvier 2004, le directeur général du cycle d’orientation a infligé un blâme à M. R________ et a ordonné son transfert aux collèges du M______ et de V_____.

Il ressortait de l’enquête interne que M. R________ n’avait pas toujours su conserver vis-à-vis des élèves la distance professionnelle requise. Il avait également utilisé un langage déplacé et mis mal à l’aise des filles, ce qui avait donné lieu à des plaintes. La sanction respectait le principe de la proportionnalité.

15. Par acte du 2 février 2004, M. R________ a recouru devant le Conseiller d’Etat en charge du DIP (ci-après : le Conseiller d’Etat), en concluant à l’annulation de la décision du 20 janvier 2004.

Il exerçait sa profession avec passion et enthousiasme. Ses propos avaient, à l’occasion, provoqué une gêne auprès de filles. Il avait été confronté à un problème qui s’était terminé par une médiation et à la suite duquel il avait reçu de nombreuses lettres de soutien. Il ressortait de la décision de la Chambre d’accusation – qui avait certes cassé la décision du Procureur général – que les propos ou les gestes imputés au recourant n’étaient pas établis. Là où les éléments favorables du rapport d’enquête interne étaient portés au crédit de M. R________, ils étaient écartés ; en revanche, là où demeuraient des contradictions, celles-ci étaient atténuées.

La décision entreprise se révélait contestable, étant donné que la plainte d’X__________ était infondée. Le fait de donner de la substance à cette affaire en se fondant sur le dossier du recourant n’était pas admissible. La mesure d’éloignement constituait une sanction suffisante – si tant est qu’il se justifiât de le punir.

16. Le 12 mars 2004, le Conseiller d’Etat a confirmé la décision prise par le directeur général du cycle d’orientation et a informé le recourant qu’il lui infligerait prochainement une sanction complémentaire.

Celui-ci avait été averti à réitérées reprises qu’il devait en toutes circonstances conserver la distance nécessaire par rapport aux élèves et faire en sorte qu’aucune familiarité ne s’instaure entre ses élèves et lui. Selon l’enquête interne, il n’avait pas respecté les consignes qui lui avait été adressées. Les critiques formulées à son encontre ne provenaient pas que d’une seule élève, mais d’une pluralité d’entre elles.

17. Le 19 mars 2004, le Conseiller d’Etat a infligé à M. R________, en complément au blâme déjà infligé à son encontre, une réduction de traitement de cinq annuités à l’intérieur de sa classe de fonction. Il s’est déclaré prêt à réexaminer sa situation salariale au terme d’un délai d’épreuve de trois ans, en fonction de l’évaluation de son comportement et, cas échéant, à rétablir le traitement antérieur, en tout ou en partie.

Le Conseiller d’Etat a repris en les développant les reproches formulés contre M. R________ dans sa décision du 12 mars 2004. Les sanctions administratives se distinguaient des sanctions pénales et faisaient l’objet d’une appréciation selon des critères propres ; les critiques adressées à l’égard de l’appréciation des autorités pénales n’étaient pas pertinents.

18. Le 19 avril 2004, la commission a rayé du rôle la cause n° A/657/2003-CRIP.

M. R________ avait repris depuis le 2 février 2004 l’enseignement auprès de deux établissements voisins du C.O. de C_____. L’Etat de Genève avait estimé que la cause était devenue sans objet. M. R________, ayant été interpellé à ce propos, y avait acquiescé.

19. Par acte du 26 avril 2004, M. R________ a interjeté recours devant la commission à l’encontre de la décision du 19 mars 2004 (cause n° A/848/2004-CRIP). Préalablement, il demande l’apport du dossier scolaire d’X__________. A titre principal, il conclut à l’annulation de la décision entreprise. Subsidiairement, le recourant requiert la commission de réduire la durée de la réduction de traitement dans la classe de fonction à 18 mois.

Il ressortait de l’audition d’X__________ du 4 mars 2003 que celle-ci percevait son professeur comme un homme effrayant, violent et repoussant. Une réduction du traitement comme en l’espèce – 5 annuités – n’était possible qu’en cas de violation très grave des devoirs de service de l’enseignant. Or, les actes reprochés au recourant ne constituaient pas une infraction grave ; la sanction était par conséquent illégale. Le principe de la proportionnalité devait être respecté. M. R________ avait déjà fait l’objet d’une mesure d’éloignement d’une durée d’un an – au cours de l’enquête interne, il avait fait l’objet d’un blâme et d’une réduction de traitement. Se posait la question de la légitimité du cumul des sanctions. La sanction n’était pas limitée dans le temps, étant donné que le Conseiller d’Etat l’avait pourvu d’un délai d’épreuve de trois ans, au terme desquels la sanction pourrait être réexaminée. En infligeant de facto une sanction de durée indéterminée, le Conseiller d’Etat avait agi de manière disproportionnée et avait versé dans l’arbitraire.

20. Dans ses observations du 11 juin 2004, le département conclut au rejet du recours.

Le cumul de sanctions en droit disciplinaire était admis. Selon la systématique de la LIP, la sanction infligée contre le recourant constituait en une sanction intermédiaire – vu l’autorité l’ayant prononcée. Les sanctions les plus légères étaient infligées par le supérieur direct et les plus sévères, par le Conseil d’Etat. L’enquête interne avait mis en lumière de nombreux manquements commis par le recourant – langage ou gestes déplacés ayant choqué les élèves – d’autant moins excusables qu’ils intervenaient ensuite d’avertissements et face à des adolescents en plein développement et très influençables. Les fautes du recourant ne pouvaient être qualifiées de légères. Le Conseiller d’Etat était donc fondé à lui infliger une sanction complémentaire, sans enfreindre le principe de la proportionnalité. Les manquements reprochés à M. R________ avaient été dûment constatés. L’article 130 alinéa 1 lettre c chiffre 4 LIP ne prévoyait pas de limites quant à la durée de réduction de traitement. Un nouvel examen de la situation du recourant avait été prévu, aux fins de respecter le principe de la proportionnalité. La décision du Conseiller d’Etat ne se révélait pas arbitraire.

21. Le 20 juillet 2004, la commission a informé les parties que la cause était gardée à juger.

22. Il ressort du dossier que lors de l’audience d’instruction du 10 février 2004, M. R________ a été inculpé de désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel (art. 198 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.O).

Par ordonnance de soit communiqué du 19 mai 2004, la procédure a été communiquée au Parquet (P/4065/2003).

23. La commission s’est procuré la procédure pénale susmentionnée. Un bref délai a été accordé aux parties afin qu’elles consultent le dossier pénal, si elles le souhaitaient.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 131 alinéa 1 LIP). La procédure est régie par la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (E 5 10 – LPA), en application de l’article 131 alinéa 4 LIP.

2. Tel que garanti par l'article 29 alinéa 2 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (Cst. féd. – RS 101), le droit d’être entendu comprend le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATA/879/2003 du 2 décembre 2003, consid. 2a et les références citées). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s'il acquiert la certitude que celles-ci ne pourraient l'amener à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.200/2003 du 7 octobre 2003 consid. 3.1).

En l’espèce, le recourant sollicite l’apport du dossier scolaire d’X_________. La commission ne fera pas droit à sa demande. Ainsi qu’il sera exposé ultérieurement, les procédures pénale et disciplinaire sont indépendantes l’une de l’autre et obéissent à des principes différents, en sorte que le recourant ne saurait se plaindre, devant la commission, qu’il n’a pas eu accès au dossier scolaire d’Elodie, cependant que celle-ci a pu consulter celui du recourant, dans la procédure pénale. Dans la mesure où les critiques du recourant concernent cette procédure, elle sont dénuées de fondement. La commission estime que le témoignage d’X_______ ne présente pas l’importance que M. R________ entend lui donner. En effet, les reproches formulés à son encontre de n’émanent pas uniquement d’X______, mais de plusieurs autres élèves. La commission considère également qu’elle dispose de suffisamment d’éléments – en particulier du rapport d’enquête interne – pour fonder sa conviction et que l’apport dudit dossier scolaire ne serait pas de nature modifier sa position.

3. Le fonctionnaire, engagé et rétribué par l’Etat, n’a pas seulement avec celui-ci les rapports d’un employé avec un employeur privé, mais, participant à l’exercice du pouvoir public, il est tenu d’accomplir sa tâche de manière à contribuer au bon fonctionnement de l’administration et d’éviter ce qui pourrait nuire à la confiance que le public doit pouvoir lui accorder (G. BOINAY, Le droit disciplinaire dans la fonction publique et dans les professions libérales, particulièrement en Suisse romande in RJJ 1998, p. 11, § 16).

L’activité de l’enseignant commande à celui-ci d’adopter un comportement auquel les élèves puissent s’identifier. Dans le cas contraire, il détruirait la confiance que la collectivité – et en particulier les parents – ont placée en lui (H. PLOTKE Schweizerisches Schulrecht, Berne et Stuttgart, 1979, p. 397 ; ATF 101 Ia 172 consid. 5 p. 178 = JdT 1977 I 162). Le devoir de fidélité embrasse l’ensemble des devoirs incombant à un fonctionnaire dans l’exercice de ses activités professionnelles et extra-professionnelles (ATF 101 Ia 172 consid. 6 p. 180). Il concerne tous les fonctionnaires, mais particulièrement les enseignants, qui dispensent leur savoir à des jeunes lesquels ne peuvent – s’agissant de nombreux problèmes – se former une opinion de manière autonome, les enseignants ayant ainsi de bien meilleures possibilités de transmettre leurs opinions (PLOTKE, op. cit., p. 397-398). Les conceptions au sujet du degré de discipline et d’ordre nécessaires à l’école peuvent diverger. En tous les cas, l’enseignant doit faire en sorte qu’il existe un climat qui permette l’épanouissement des élèves (PLOTKE, op. cit., p. 438).

En l’occurrence, il résulte du rapport d’enquête interne concernant le recourant que celui-ci a tenu en classe – à de nombreuses reprises – des propos à connotation sexuelle très marquée, étant rappelé que ses élèves étaient âgés de 13 à 15 ans. Les filles de la classe en ont été choquées. Il a également mis à la disposition de ses élèves des dessins de femmes quasi-nues, sans que cela ne présente un quelconque intérêt du point de vue pédagogique ou scientifique Il tendait également à aborder trop facilement les sujets d’ordre sexuel en classe. M. R________ a également fait des gestes grossiers, tels des bras d’honneurs. Il employait un ton trop familier en s’adressant aux filles et laissait sous-entendre qu’il serait amené à regarder dans leur décolleté.

S’agissant des plaintes des élèves datant de mars 2003, le rapport a conféré une force probante certaine aux différentes dépositions des élèves, au vu du nombre de déclarations concordantes (quatre) et de la confirmation ultérieure de leurs propos ; il a également retenu que le niveau de discipline était bas dans la classe du recourant. Pour ce qui est des plaintes de novembre 2000, le rapport a également considéré que, dans la mesure où une médiation avait eu lieu en janvier 2001, par laquelle le recourant s’était engagé à éviter à l’avenir toute ambiguïté envers ses élèves, les plaintes pouvaient être considérées comme fondées. Selon le rapport, les lettres d’excuse, en revanche, ne sauraient constituer des éléments à décharge du recourant, ayant été écrites sous la menace de déposer une plainte pénale. La commission ne voit aucune raison de critiquer la manière dont l’établissement des faits importants a été réalisée dans le rapport, ni les motifs pour lesquels l’auteur du rapport a accordé foi aux différents éléments en sa possession. En effet, rien ne permet de démontrer que le témoignage du 4 mars 2003 devrait être invalidé, parce que, p. ex., leurs auteurs auraient été victimes de pressions, surtout que ces personnes ont confirmé leurs dires le 9 mai suivant. Il y a également lieu de prendre en considération la présence de pièces – les trois dessins litigieux – soit des éléments extérieurs aux déclarations des élèves. En outre, il ressort du rapport que, quoique la plupart des reproches formulés à l’encontre de M. R________ proviennent de filles, certains sont corroborés par des garçons. Au vu de ce qui précède, la commission considérera comme établis les actes reprochés au recourant.

Le comportement qui lui est reproché – qu’il s’agisse de son langage ou de sa gestuelle – ne correspond manifestement pas à ce que l’on est en droit d’attendre d’un enseignant qui se trouve en contact quotidien avec des élèves âgés de 13 à 15 ans. A cet âge-là, ceux-ci demeurent encore facilement influençables et perturbables. Le fait que le sujet de la sexualité forme une de leurs préoccupations et qu’ils posent de nombreuses questions à ce propos ne saurait constituer un prétexte pour s’écarter systématiquement du cadre du cours. En effet, l’enseignant doit en permanence conserver la maîtrise de celui-ci. En outre, en tant qu’enseignant, M. R________ doit représenter un modèle pour ses élèves, auquel ceux-ci puissent s’identifier. Or, en employant un vocabulaire sexiste (« la femme […] se fait sauter » ; « ici, il n’y a pas de putains, on baise à l’oeil »), en effectuant des gestes grossiers en classe (bras d’honneur) et en ne conservant pas la distance requise vis-à-vis des filles (en les appelant « ma puce» ou « ma biche ») et en présentant à ses élèves des dessins d’un goût douteux, le recourant a failli au devoir de dignité qu’il sied à tout enseignant. Bien qu’averti de l’inadéquation de son comportement, le recourant a persisté dans son attitude. Il a instauré un climat dévalorisant et méprisant pour les élèves de sexe féminin, ce qui a profondément choqué certaines élèves. Ceci n’est pas tolérable, d’une part étant donné que M. R________, en tant que fonctionnaire, représente l’Etat et doit donc refléter les valeurs de celui-ci – l’égalité entre les sexes constituant une des valeurs fondamentales de notre société (art. 8 al. 2 Cst. féd.) – et d’autre part, puisque le recourant s’adresse à de jeunes élèves sur lesquels il excerce encore une influence non négligeable et pour qui la question de la sexualité représente un sujet sensible. Comme certains élèves l’ont remarqué, leur professeur use du même vocabulaire qu’eux. M. R________ est perçu plus comme un éducateur que comme un enseignant. En définitive, il ne représente pas l’éthique de la profession. Le fait que de nombreux élèves – fût-ce la majorité d’entre eux – apprécient son cours ne saurait dans cette perspective constituer un élément à décharge du recourant.

Il ne fait dès lors aucun doute que le recourant s’est rendu coupable de graves manquements à ses devoirs de service. Il se justifie donc de lui infliger une sanction.

4. a. L’article 130 LIP prévoit que les membres du personnel enseignant qui enfreignent leurs devoirs de service, soit intentionnellement, soit par négligence, peuvent faire l’objet des sanctions suivantes dans l’ordre croissant de gravité :

(litt. a) prononcée par le supérieur ou la supérieure hiérarchique : (ch. 1) l’avertissement ;

(litt. b) prononcée par le directeur général ou la directrice générale : (ch. 2) le blâme ;

(litt. c) prononcée par le conseiller ou la conseillère d’Etat chargé du département : (ch. 3) la suspension d’augmentation de traitement pendant une durée déterminée ; (ch. 4) la réduction du traitement à l’intérieur de la classe de fonction ;

(litt. d) prononcée par le Conseil d’Etat : (ch.5) le transfert dans un autre emploi avec le traitement afférent à la nouvelle fonction, pour autant que le membre du personnel dispose des qualifications professionnelles et personnelles requises pour occuper le nouveau poste ; (ch. 6) le licenciement disciplinaire avec préavis de trois mois pour la fin d’un mois. Cette mesure peut être remplacée par la démission du membre du personnel si celui-ci la donne après y avoir été invité ; (ch. 7) la révocation lorsque les infractions sont particulièrement graves et incompatibles avec la mission d’enseignant ou d’enseignante.

b. Ces dispositions relèvent du droit disciplinaire. Celui-ci constitue un ensemble de sanctions dont dispose l’autorité à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes qui sont soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il en va ainsi des membres de la fonction publique, des personnes soumises à des rapports de puissance publique particuliers (soldats, détenus, étudiants) et des professions libérales (médecins, avocats) (P. MOOR, Droit administratif, Vol. II, 2ème édition, Berne, 2002, p. 24, n° 1.4.3.4.). Le droit disciplinaire de la fonction publique n’a pas seulement pour but d’assurer, sur le plan interne, la bonne exécution du travail administratif, mais encore de régler les rapports entre l’administration et le public, afin de promouvoir la confiance indispensable en une activité administrative efficace (G. BOINAY, op. cit., p. 7, § 3).

5. a. En droit disciplinaire, le principe de la légalité ne s’applique pas aussi strictement qu’en droit pénal. Certes, l’autorité ne peut infliger d’autres sanctions que celles prévues par la loi (BOINAY, op. cit. p. 18, § 33 et les références citées). Toutefois, le législateur ne peut décrire tous les manquements possibles aux devoirs de services ou aux règles d’une profession donnée. La loi peut donc se passer d’incriminations strictement définies. (ATF 108 Ia 316 consid. 2b/aa p. 319 = JdT 1984 I 183 ; V. MONTANI, C. BARDE, La jurisprudence du Tribunal administratif relative au droit disciplinaire in RDAF 1996, p. 348 et les références jurisprudentielles et doctrinales citées). S’agissant en particulier des fonctionnaires, les expressions telles que « devoirs de service », renvoyant aux règlements et ordonnances internes relatifs aux tâches des fonctionnaires, décrivent de manière suffisante les comportements réprimés (ibid.).

b. L’autorité qui inflige une sanction disciplinaire doit respecter le principe de la proportionnalité(V. MONTANI, C. BARDE, op. cit., p. 347), une telle sanction n’étant pas destinée à punir la personne en cause pour la faute commise, mais à assurer, par une mesure de coercition administrative, le bon fonctionnement du corps social auquel elle appartient ; c’est à cet objectif que doit être adaptée la sanction. (G. BOINAY, ibid.). Le choix de la nature et de la quotité de la sanction doit être approprié au genre et à la gravité de la violation des devoirs professionnels et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer les buts d'intérêt public recherchés. A cet égard, l'autorité doit tenir compte en premier lieu d'éléments objectifs, à savoir des conséquences que la faute a entraînées pour le bon fonctionnement de la profession en cause et de facteurs subjectifs, tels que la gravité de la faute, ainsi que les mobiles et les antécédents de l'intéressé (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.133/2003 du 28 juillet 2003 ; ATF 108 Ia 230 consid. 2b p. 232 ; ATF 106 Ia 100 consid. 13c p. 121 ; ATF 98 Ib 301 consid. 2b p. 306 ; ATF 97 I 831 consid. 2a p. 835 ; RDAT 2001 II 9 35 consid. 3c/bb ; SJ 1993 221 consid. 4 et les références doctrinales citées).

c. Toute sanction disciplinaire présuppose une faute de la part du fonctionnaire. Alors qu’en droit pénal les éléments constitutifs de la faute doivent être expressément indiqués dans la loi, en droit disciplinaire, les agissements pouvant constituer une faute sont d’une telle diversité qu’il est impossible que la législation en donne un état exhaustif (G. BOINAY, op. cit., p. 27, § 50 ; P. MOOR, Droit administratif, Volume III, 1992, p. 240, n° 5.3.5.1.). Tout agissement – manquement ou omission – dès lors qu’il se révèle incompatible avec le comportement que l’on est en droit d’attendre de celui qui occupe une fonction ou qui exerce une activité soumise au droit disciplinaire, peut engendrer une sanction. (ibid.). Contrairement au droit pénal, la négligence n’a pas à être prévue pour être punissable (V. MONTANI, C. BARDE, op. cit., p. 349 et les références doctrinales citées).

La gravité objective de la faute doit s’apprécier en fonction des conséquences qu’elle a eues pour le bon fonctionnement de l’institution à laquelle appartient le fautif. Subjectivement, la sanction doit être choisie en tenant compte de la personnalité du coupable, de la gravité de la faute, des mobiles, des antécédents, des responsabilités et, de la position hiérarchique des fonctionnaires, afin qu’elle soit de nature à éviter une récidive et à amener le fautif à adopter à l’avenir un comportement conforme à ses devoirs professionnels (G. BOINAY, op. cit., p. 55, § 115 et les références citées).

d. Le droit disciplinaire fait partie du droit administratifet non pas du droit pénal (Arrêt du Tribunal fédéral 2A.191/2003 du 22 janvier 2004 ; ATF 109 Ia 217 consid. 4a p. 229 ; BOINAY, op. cit., p. 10, § 11 ; V. MONTANI, C. BARDE, op. cit., p. 343 ; R. ZIMMERMANN, Les sanctions disciplinaires et administratives au regard de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 – CEDH – RS 0.101 in RDAF 1994, 347). S’agissant des fonctionnaires, la Cour européenne des droits de l’homme considère que les sanctions destinées aux fonctionaires tendent essentiellement au maintien de la discipline, de l’efficacité et de l’intégrité de l’administration, qui doit appliquer les lois avec zèle et impartialité. Elles ne participent pas de la prévention pénale et ne présentent pas en outre un degré de gravité tel qu’on devra leur reconnaître un caractère pénal ; l’article 6 CEDH ne leur est donc en principe pas applicable à ce titre (R. ZIMMERMANN, op. cit. p. 344-345). Ainsi en va-t-il pour un blâme infligé à un fonctionnaire (Arrêt du Tribunal fédéral du 15 novembre 1990 in JAB 1991 p. 429 ; Décision de la Commission européenne des droits de l’homme, X. contre Belgique, n° 8249/78, DR 20/1980, p. 20).

Si l’acte de l’agent est en même temps constitutif d’une violation d’une obligation de service et d’une infraction, il y a en principe indépendance réciproque des procédures, tout comme des jugements. Le prononcé d’une peine par le juge pénal n’exclut pas la sanction disciplinaire (ATF 97 I 831 consid. 2a p. 835 = JdT 1973 I 200). Que celui-ci acquitte ou condamne ne préjuge pas de la décision de l’administration et inversement (ATF 101 Ia 298 consid. 5 p. 306 rés. JdT 1977 I 594 ; P. MOOR, Vol. III, p. 242, n° 5.3.5.2).

6. Dans une espèce zurichoise, le Tribunal fédéral a eu à connaître du cas d’un psychologue scolaire accusé d’actes d’ordre sexuel avec des enfants et acquitté par le juge pénal, au motif notamment que les faits qui lui étaient reprochés ne présentaient pas l’intensité requise pour être constitutifs d’une infraction (ATF 101 Ia 298 rés. JdT 1977 I 594). Au cours de séances de psychologie, il avait entretenu des contacts inappropriés avec des jeunes filles. Il leur avait passé la main sur leurs robes, depuis la taille jusqu’au creux de l’aisselle, ainsi que des hanches jusque sur la poitrine ; il les avait également caressé dans le dos (ATF 101 Ia 298 consid. 5 p. 306). Nonobstant son acquittement, il avait fait l’objet d’un licenciement. Le Tribunal fédéral a jugé celui-ci admissible, considérant qu’en raison de leur but différent, les procédures pénale et disciplinaire sont en principe indépendantes l’une de l’autre et que même si elles ont à s’occuper des mêmes faits, chacune des autorités en cause a donc le droit d’ordonner librement les preuves à administrer et de les apprécier de façon indépendante. Rien ne s’oppose en principe à ce qu’une atteinte aux bonnes mœurs et à la bienséance, jugée trop peu importante pour être punie pénalement, soit sanctionnée comme violation des devoirs de fonction (ibid.)

Le recourant se plaint de ce que le Conseiller d’Etat lui a infligé une sanction trop sévère. Il admet certes avoir pu déstabiliser certaines de ses élèves, mais conteste avoir commis de graves fautes. Il fait valoir qu’il s’agit de la troisième sanction qu’il subit – après la mesure d’éloignement et le blâme. M. R________ met en doute l’admissibilité de leur cumul. Enfin, il soutient que la réduction de traitement se révèle disproportionnée. M. R________ a fait l’objet d’une mesure d’éloignement ordonnée par le département et déclarée exécutoire nonobstant recours, puis d’un blâme, prononcé par le directeur du cycle d’orientation, ainsi que d’une réduction de traitement à l’intérieur de la classe, infligée par le Conseiller d’Etat.

La mesure d’éloignement a pour base légale l’article 129A alinéa 5 LIP. Elle ne constitue pas une sanction disciplinaire, mais une mesure provisoire, prise dans l’attente des résultats de l’enquête interne (ATF 106 Ib 177 consid. 4b p. 180 ; G. BOINAY, op. cit., p. 71, § 159 et ss.). Le Tribunal administratif a admis qu’un fonctionnaire pouvait faire l’objet – pour les mêmes faits – dans un premier temps, d’une suspension d’augementation de traitement et, ultérieurement, d’un licenciement (ATA/9/2004 du 6 janvier 2004) et ce, même-ci le cumul des sanctions n’était pas expressément prévu par la loi, en l’espèce la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC – B 5 05), tout comme c’est le cas à l’article 130 LIP. Il suit de là que le prononcé du blâme par le directeur général du cycle d’orientation n’excluait pas, par principe, la réduction de traitement infligée par le Conseiller d’Etat.

Il est certes exact que la procédure pénale concernant M. R________ est toujours en cours et qu’à ce titre, il peut s’y prévaloir de la présomption d’innocence (art. 6 § 2 CEDH ; art. 32 al. 1 Cst. féd.). Toutefois, ce qui précède n’est guère décisif, dans la mesure où, d’une part les procédures pénale et disciplinaire sont indépendantes (cf. consid. 5d ci-dessus) et, d’autre part, puisque les actes reprochés au recourant sont de toute manière constitutifs de manquements à ses obligations de fonctionnaire. A la décharge de M. R________, il doit être reconnu le fait qu’en 28 ans de carrière à l’Etat de Genève (de 1976 à 2004) il n’a, à la connaissance de la commission, fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire, avant le blâme infligé par le directeur général du cycle d’orientation. Quoi qu’en dise le recourant, les actes qui lui sont reprochés sont graves et fautifs (cf. consid. 3 ci-dessus). C’est ici le lieu de rappeler que M. R________ a fait l’objet de rappels à l’ordre de la part de ses supérieurs hiérarchiques et qu’il n’en a pas tenu compte. La médiation intervenue en janvier 2001 aurait dû l’inciter à changer d’attitude à l’avenir. Or le recourant n’a manifestement pas tiré de leçon de ses erreurs.

Celui-ci aurait pourtant pu être puni bien plus sévèrement pour ses fautes. En effet, la mise dans une classe inférieure de traitement peut s’étendre à toute la durée de l’activié professionnelle (G. BOINAY, op. cit., p. 60, § 32) ; en outre, comme évoqué ci-dessus, le Tribunal fédéral a admis le licenciement d’un psychologue ayant eu des contacts inappropriés avec des jeunes filles dans l’exercice de ses fonctions. Or, la sanction dont a fait l’objet le recourant ne fait pas partie, selon la systématique de la loi, des sanctions les plus sévères, lesquelles sont prises par le Conseil d’Etat (art. 130 al. 1 litt. d LIP). Selon la doctrine, il s’agit d’une sanction modérée s’appliquant aux fautes de gravité moyenne ne révélant pas une mentalité inconciliable avec la qualité de fonctionnaire. La sanction en l’espèce est d’autant moins sévère que le Conseiller d’Etat s’est dit prêt à réexaminer la situation du recourant dans trois ans. Il appert donc que le Conseiller d’Etat a fait preuve de mansuétude à l’égard de M. R________. Pour le surplus, celui-ci ne s’est pas prévalu d’une situation financière obérée en raison de laquelle une réduction de traitement lui causerait des difficultés très importantes. Compte tenu de la clémence de l’autorité inférieure, la sanction prononcée par celle-ci ne saurait être considérée comme disproportionnée et, a fortiori, comme arbitraire.

7. Sur le vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

Un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge du recourant.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COMMISSION DE RECOURS DU PERSONNEL ENSEIGNANT DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 avril 2004 par Monsieur R________ contre la décision du Conseiller d’Etat du 19 mars 2004;

au fond :

le rejette;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 1'500.-;

communique la présente décision à Me Henri Nanchen, avocat du recourant ainsi qu'au Conseiller d'Etat.

Siégeants :

M. Schucani, président, Mmes Hurni, Brun, MM. Paychère et Ronget, membres

Au nom de la commission de recours du personnel enseignant de l’instruction publique :

la greffière :

 

 

C. Marinheiro

 

le président :

 

 

D. Schucani

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :