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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2818/2006

ACOM/119/2006 du 07.12.2006 ( CRPP ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

A/2818/2006-CRPP ACOM/119/2006

DÉCISION

DE

LA COMMISSION DE RECOURS DES

FONCTIONNAIRES DE POLICE ET DE LA PRISON

du 7 décembre 2006

 

dans la cause

 

M. S______
représenté par Me Didier Bottge, avocat

 

contre

 

MONSIEUR LE PRÉSIDENT DU DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS

 

et

 

MADAME LA CHEFFE DE LA POLICE



1. Le 13 août 2004, M. S______, appointé de gendarmerie a participé avec d’autres collègues à l’enterrement de la vie de garçon de M. T______, gendarme.

Le jour en question, les intéressés ont déguisé M. T______ en lui faisant revêtir une perruque afro, un pull sans manche jaune et un short vert puis en lui teignant le visage en foncé et les lèvres en rose. M. T______ était sensé représenter le dénommé "Chico", personnage de publicité supposé brésilien. M. T______ ainsi déguisé a été conduit dans les postes de police P______ et de C______.

2. Arrivés devant le poste de C______, un des amis de M. T______ a appelé un collègue en service qui patrouillait en voiture avec un autre gendarme. Ceux-ci ont alors simulé l’arrestation du dénommé "Chico" en lui passant les menottes, en l’attachant à une corde reliée à une voiture de police et en le faisant courir jusqu’au poste de C______.

De nombreux badauds ont assisté à la scène et la presse s’est fait l’écho de celle-ci, qui a été dénoncée comme étant une bavure policière à caractère raciste.

3. Le 1er mars 2005, M. S______ notamment a fait l’objet d’un blâme pour avoir violé l’ordre de service 1A 1c intitulé "Comportement des policiers" et pour avoir, dans les circonstances décrites ci-dessus, nuit à l’image de la police.

4. M. S______ a recouru contre cette décision auprès du président du département des institutions (ci-après  : le département) le 1er avril 2005.

5. Par décision du 30 juin 2006, le président du département a admis partiellement le recours, annulé le blâme et prononcé en lieu et place un avertissement. Cette décision faisait notamment référence aux pièces du dossier.

6. Par acte posté le 2 août 2006, M. S______ a recouru contre cette décision, reçue le 3 juillet 2006, auprès de la commission de recours des fonctionnaires de police et de la prison (ci-après  : CRPP ou la commission) en concluant à son annulation et au classement de la procédure, sans suite.

7. Le 15 septembre 2006, le président du département a conclu au rejet du recours. La sanction prononcée était la plus légère possible et elle était fondée, l’ordre de service précité ayant été violé.

8. La commission a tenu une audience de comparution personnelle des parties le 18 octobre 2006. A cette occasion, elle a appris que les collègues du recourant avaient été auditionnés par la gendarmerie mais que les dépositions enregistrées à cette occasion ne figuraient pas dans le dossier du département alors que le conseil du recourant les avait reçues. Ces dépositions n’ont pas pu être produites par le département lors de l’audience.

9. La commission a invité le président du département à lui indiquer si au moment où il avait lui-même statué le 30 juin 2006, il était en possession de ces éléments.

10. Le 17 novembre 2006, le président du département a précisé qu’il n’avait alors pas eu connaissance desdites déclarations qu’il produisait, et qui avaient pourtant été communiquées à son prédécesseur.

Les dépositions de MM. S______, Q______, T______, L______, N______, B______, R______, G______ et F______, toutes enregistrées le 13 août 2004, n’avaient pas été produites dans le cadre de la procédure administrative, à l’exception de celle du gendarme M______.

Après avoir lu ces dépositions, le président du département a indiqué que même s’il avait eu connaissance de celles-ci avant de statuer le 30 juin 2006, il n’aurait pas pris une décision différente. Il persistait en conséquence intégralement dans la décision querellée.

Il résulte de ces déclarations que M. M______ a appelé son collègue M. N______, alors en patrouille avec M. L______, pour savoir s'ils pouvaient organiser un contrôle du collègue T______, déguisé en "Chico" et se trouvant sur la rotonde de C______.

Etait joint un rapport du commandant de la gendarmerie du 18 avril 2006 à l'intention du Chef de la police, requérant une suspension et une enquête administrative à l'encontre de l'appointé S______, en raison de faits survenus le 14 avril 2006  : l'intéressé, alors en congé, circulait en moto. Il avait eu un différend avec un automobiliste qui avait déposé plainte contre lui pour lésions corporelles et le recourant avait fait l'objet d'un mandat d'amener d'un commissaire de police avant d'être relaxé par le juge d'instruction le lendemain. Ce rapport énumérait en outre les antécédents du recourant qui avait fait l'objet depuis 2001 de cinq plaintes et doléances - en sus des faits du 13 août 2004 et de ceux du 14 avril 2006 - ainsi que d'un avertissement prononcé en 2004.

Les annexes mentionnées dans ce rapport n'étaient pas jointes.

11. Lors de l’audience de comparution personnelle, il est apparu que M. S______ faisait en outre l’objet d’une procédure pénale (P/6012/06).

12. Interpellé à ce sujet, M. le Procureur général a répondu le 6 novembre 2006 qu’il avait prononcé le 30 octobre 2006 une ordonnance de condamnation à l’encontre de l’intéressé en le déclarant coupable de lésions corporelles simples pour les faits précités survenus le 14 avril 2006.

Cette ordonnance de condamnation n’était toutefois pas définitive.

13. Le 20 novembre 2006, la présidente de la commission a écrit à M. T______ afin de lui demander l’identité de son témoin de mariage.

14. Par téléphone, M. T______ a indiqué le 27 novembre 2006 que son témoin de mariage s’appelait M. U______.

15. Le 6 décembre 2006, le recourant a précisé à la requête de la commission qu’il avait fait opposition à cette ordonnance de condamnation.

16. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 40 al. 1 et 5 de la loi sur la police du 26 octobre 1957 - LPol - F 1 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le 1er janvier 2005, de nouvelles dispositions de la LPol sont entrées en vigueur. Or, les faits reprochés au recourant se sont déroulés en août 2004 et la sanction a été prononcée respectivement le 1er mars 2005 et le 30 juin 2006.

Se pose donc la question du droit transitoire.

D'une manière générale, s'appliquent aux faits dont les conséquences juridiques sont en cause les normes en vigueur au moment où ces faits se produisent (P. MOOR, Droit administratif, 2ème éd. Berne 1994, vol. 1, ch. 2.5.2.3, p. 170). En matière de sanction disciplinaire, le principe de la lex mitior prévaut lorsqu'il appert que le nouveau droit est plus favorable au recourant (P. MOOR, op. cit. p. 171 ; ATA 546/2006 du 10 octobre 2006 ; ACOM/95/2006 du 31 octobre 2006).

3. Selon l'article 36 LPol, les peines disciplinaires sont, dans l'ordre de gravité :

a) l'avertissement ;

b) le blâme ;

c) les services hors tours ;

d) la suspension pour une durée déterminée sans traitement ;

e) la dégradation ;

f) la révocation.

Ces sanctions sont identiques à celles prévues par l'ancien droit, seule la rétrogradation au rôle matricule ayant été supprimée.

Au vu des considérations qui précèdent, il sera donc fait application de l'ancien droit.

4. Quant aux règles procédurales, elles sont d'application directe (ATA/865/2005 du 20 décembre 2005) mais elles ne sont pas différentes dans la nouvelle loi.

Le chef de la police est compétent pour prononcer le blâme (art. 36 al. 2 LPol). Il doit entendre l'agent avant de se prononcer et l'inviter à se déterminer sur les faits qui lui sont reprochés. Le fonctionnaire peut se faire assister d'un représentant de son association professionnelle (art. 37 al. 1 LPol).

Cette décision est susceptible de recours auprès du président du département (art. 40 al. 1 LPol).

5. Il résulte de la décision du 1er mars 2005 prise par le chef de la police à l'encontre de M. S______ que celui-ci a fait l'objet d'un blâme et que selon les pièces mentionnées en annexe - mais qui ne sont pas produites non plus dans le cadre de cette procédure-ci - l'intéressé aurait été entendu le 23 décembre 2004 sans qu'il soit possible de savoir s’il l’a été par le chef de la police, comme le requièrent les articles 37 alinéa 1 et 36 alinéa 2 LPol.

Le recours de M. S______ auprès du président du département expédié le 1er avril 2005 n'est pas davantage produit mais la réponse du chef de la police du 24 avril 2006 ne fait nulle mention d'une audition préalable de l'intéressé.

6. Le président du département étant autorité de recours de première instance, il lui appartient de produire en mains de la commission un dossier complet.

En l'espèce, au vu des pièces produites, il semble que le droit d'être entendu de M. S______ n'a pas été respecté par le chef de la police et cette éventuelle violation ne peut pas être réparée par la commission de céans.

De plus, le président du département n'a pas statué en toute connaissance de cause puisqu'il n'avait pas en sa possession toutes les déclarations enregistrées en août 2004 et que celles-ci ne permettent d'ailleurs pas de savoir qui a pris l'initiative de menotter "Chico", de l'attacher à une corde reliée à une voiture de police et de le faire courir ainsi jusqu'au poste de C______. Le rôle exact de M. S______ doit donc être établi.

Enfin, le dossier transmis à la commission par le département n'est pas complet, les pièces mentionnées dans la décision de blâme n'étant pas jointes.

Il en résulte que la décision prise par le président du département le 30 juin 2006 ne peut qu'être annulée et la cause lui être renvoyée pour complément d'instruction et nouvelle décision. Vu l’issue du litige, la commission renoncera en l’état à procéder à l’audition du témoin de mariage de M. T______.

7. Cette solution s'impose d'autant plus dans le cas du recourant que celui-ci a fait en outre l'objet d'une ordonnance de condamnation pour des faits survenus le 14 avril 2006. Le Tribunal de Police étant saisi et cette condamnation n'étant ainsi pas définitive, il appartiendra à l'autorité intimée de prononcer ultérieurement une peine d'ensemble. En effet, l’autorité qui prend une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction doit faire application des règles contenues à l’article 68 CPS lorsque par un ou plusieurs actes, le même administré encourt plusieurs sanctions (ATF 122 II 182-184 ; 121 II 25 et 120 lb 57-58 ; RDAF 1997 pp. 100-103 ; ATA/281/2006 du 23 mai 2006 ; ATA/245/1999 du 27 avril 1999 ; ATA/171/1998 du 24 mars 2998). Lorsqu’une personne est sanctionnée pour des faits commis avant d’avoir été condamnée pour une autre infraction, l’autorité - respectivement le juge - doit fixer la sanction de manière à ce que le contrevenant ne soit pas puni plus sévèrement que si un seul jugement avait été prononcé (art. 68 ch. 2 CPS).

8. En conséquence, le recours sera admis au sens des considérants.

Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument. Le recours étant admis pour d'autres motifs que ceux allégués par le recourant, il ne lui sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 LPA).

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 août 2006 par M. S______ contre la décision du président du département des institutions du 30 juin 2006 ;

 

au fond :

l'admet au sens des considérants ;

annule la décision prise le 30 juin 2006 par le président du département des institutions ;

lui renvoie la cause pour complément d'instruction et nouvelle décision ;

dit qu’il ne sera pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité ;

communique la présente décision à Me Didier Bottge, avocat du recourant, à Monsieur le président du département des institutions ainsi qu’à Madame la Cheffe de la police.

Siégeants : E. Hurni présidente, MM. Perren et Châtelain, membres

Au nom de la commission de recours des fonctionnaires de police et de la prison :

la greffière :

 

 

C. Barnaoui-Blatter

 

la présidente :

 

 

E. Hurni

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :