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C/15442/2021

ACJC/996/2022 du 20.07.2022 sur OSQ/11/2022 ( SQP ) , CONFIRME

Normes : LP.278.ch4
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15442/2021 ACJC/996/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du MERCREDI 20 JUILLET 2022

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, Portugal, recourant contre un jugement rendu par la 16ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 7 mars 2022, comparant par Me François MICHELI, avocat, Kellerhals Carrard Genève SNC, rue François-Bellot 6, 1206 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______, Portugal, intimé, comparant par Me Eric ALVES DE SOUZA, avocat, Forty-Four Avocats, boulevard des Tranchées 44, 1206 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement du 7 mars 2022, le Tribunal de première instance a déclaré recevable l’opposition formée le 7 septembre 2021 par B______ contre l’ordonnance de séquestre rendue le 12 août 2021 dans la cause n° C/15442/2021 (ch. 1 du dispositif), l'a admise (ch. 2), a révoqué en conséquence l'ordonnance de séquestre rendue le 12 août 2021 (ch. 3) et a statué sur les frais de l'ordonnance de séquestre dont il a fait masse (ch. 4), mettant les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr. et compensés avec les avances fournies, à la charge de A______ (ch. 5, 6 et 7), qui a été condamné à verser à ce titre 2'000 fr. à B______ (ch. 8) ainsi que 30'000 fr. à titre de dépens (ch. 9) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 10).

B. a. Par acte déposé au greffe de la Cour le 18 mars 2022, A______ a formé recours contre ce jugement. Il a conclu, avec suite de frais, à son annulation et au rejet de l'opposition à séquestre formée le 7 septembre 2021 par B______ contre l'ordonnance de séquestre rendue le 12 août 2021.

b. B______ a conclu, avec suite de frais, au déboutement de A______ de toutes ses conclusions et à la confirmation du jugement du 7 mars 2022, subsidiairement, si le séquestre devait être maintenu, à ce que A______ soit condamné à fournir des sûretés à concurrence de 2'194'987 fr.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions. B______ a déposé des pièces nouvelles.

d. Par courrier du 13 mai 2022, A______ a considéré que ces pièces étaient irrecevables.

e. Le 19 mai 2022, les parties ont été informées par la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. A______ est un homme d'affaires portugais domicilié au Portugal.

Il est le père de B______ et de C______, tous deux de nationalité portugaise et domiciliés au Portugal.

Durant de nombreuses années, B______ et C______ ont collaboré avec leur père dans l'entreprise familiale, constituée de plusieurs sociétés formant le D______.

b. Le ______ 2000, E______, épouse de A______ et mère de B______ et C______, est décédée, laissant ceux-ci pour seuls héritiers.

c. A teneur de l'inventaire des biens de la succession, entraient dans la masse successorale, notamment, des actions et parts sociales des sociétés F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______, M______ et N______.

d. Dès les années 2001-2002, A______ a fait l'objet d'enquêtes des autorités fiscales portugaises, lesquelles ont débouché sur diverses poursuites dirigées à son encontre ainsi qu'à celui de ses sociétés.

e.a A______ allègue, ce qui est contesté, que dans ce cadre, afin de protéger son patrimoine personnel, il a mandaté ses deux fils pour détenir à titre fiduciaire les actions de diverses sociétés de son groupe et les avait nommés administrateurs de ces dernières, tout en en conservant le contrôle de fait.

e.b Le 5 février 2014, B______ et C______, agissant en qualité d'administrateurs et/ou actionnaires uniques des sociétés F______, G______, O______ et P______, ont donné des procurations générales à A______, lui octroyant notamment des pouvoirs pour acheter ou vendre tous biens meubles ou immeubles, céder et/ou renoncer à tous contrats, racheter ou céder les participations sociales de toutes sociétés commerciales ou civiles à responsabilité limitée ou anonyme, réaliser et liquider tous investissements, recevoir tous fonds ou paiements, ouvrir, effectuer tous mouvements et clôturer tous comptes, etc.

e.c A la même date, B______ et C______ ont chacun donné à leur père une procuration générale à titre personnel.

e.d Ces procurations ont été révoquées par B______ et C______ le 28 juin 2018, pour des motifs sur lesquels les parties divergent.

f.a Q______ HOLDING LLC (ci-après "Q______") est une société dont le siège est au R______ (USA), constituée le ______ 2005. Son associée fondatrice était une société néo-zélandaise, S______ LIMITED, et son gérant initial T______ (BVI) LIMITED, sise aux Îles Vierges Britanniques.

Selon un jugement rendu par la Cour d'appel de AA______ [Portugal]le 20 février 2020, A______ était à l'initiative de la constitution de Q______.

f.b Q______ était titulaire de comptes bancaires à la banque U______ SA au Cap-Vert, sur lesquels elle détenait des avoirs totalisant environ 68 millions EUR.

f.c Le 6 avril 2011, Q______ a octroyé à B______ et C______ une procuration afin d'ouvrir et gérer un compte à son nom auprès de la V______ SA (ci-après "V______").

f.d Le 11 avril 2011, B______ et C______, agissant pour le compte de Q______, ont ouvert le compte n° 1_____ auprès de la V______. Les documents d'ouverture de compte indiquent que B______ et C______ étaient les ayants-droit économiques des avoirs. Ces derniers étaient par ailleurs seuls titulaires du pouvoir de signature sur le compte.

f.e Entre le 18 avril 2011 et le 22 juillet 2011, Q______ a fait transférer de son compte auprès de U______ SA sur son compte auprès de la V______ divers montants pour un total d'environ 69 millions EUR.

f.f Les avoirs ont par la suite été transférés en faveur d'autres sociétés et le compte auprès de la V______ a été clôturé le 2 août 2011 sur instructions de B______ et C______.

f.g Le 12 septembre 2011, le représentant de Q______ au R______ a démissionné, entraînant la mise en statut de forfeited de la société.

f.h Q______ a été "réactivée" en juillet 2020, A______ figurant dans les registres comme en étant le seul associé et gérant. Le changement de titulaire des parts sociales de Q______, daté du 1er septembre 2020, procède d'une résolution de A______, agissant en sa qualité de gérant de la société, selon laquelle, sur demande de S______ LIMITED, il était décidé d'annuler le certificat d'actions au nom de la précitée et d'en émettre un nouveau au nom de A______. Par une seconde résolution, datée du même jour, ce dernier, agissant en qualité d'associé unique de Q______, s'est désigné comme gérant unique et a révoqué le mandat de T______ (BVI) LIMITED en cette qualité.

g. Le 12 juin 2013, B______ et C______ ont ouvert un compte joint en leurs noms auprès de la V______, portant le numéro 2_____. Lors de l'ouverture de ce compte, ils ont indiqué être les uniques ayants-droit économiques des avoirs.

h. Le 30 décembre 2013, ils ont chacun souscrit des polices d'assurance "W______Asset Portfolio" auprès de W______ SA, portant les numéros respectifs 3_____ et 4_____, dont ils ont toujours été titulaires et bénéficiaires.

La prime unique de chaque police a été acquittée par prélèvement sur les actifs du compte n° 2_____ de B______ et C______ auprès de la V______.

i. De nombreuses procédures ont opposé les parties, respectivement certaines sociétés du D______ par-devant les juridictions portugaises, portant, en substance, sur des mesures et saisies provisionnelles.

j. Le 23 octobre 2020, X______, épouse de A______, et Y______ ont donné à A______ des procurations en lien avec la gestion des actions de certaines sociétés du groupe qu'il leur avait remis pour détention.

k.a Par requête en séquestre déposée le 11 août 2021 au greffe du Tribunal de première instance, A______ a conclu à ce que le Tribunal, sous suite de frais et dépens, ordonne le séquestre à concurrence de 43'899'743 fr. 79 (contrevaleur au 11 août 2021 de 40'716'903,45 EUR), de tous les avoirs, soit en espèces, soit sous forme de papiers-valeurs, titres, créances, intérêts, métaux précieux, droits, garanties, prétentions ou toutes autres valeurs en compte, dépôt ou coffre-fort, que B______ et/ou C______ détiennent ou dont ils sont ayants-droit économiques (i) auprès de V______ (SUISSE) SA, notamment le (sous-)compte n° 2_____ et le (sous-)compte n° 6______, et (ii) à l'encontre de W______SA, et qui sont déposés auprès de V______ (SUISSE) SA, notamment les droits, créances, prétentions et valeurs découlant des contrats "W______Asset Portfolio" n° 3_____ et n° 4_____.

A______ a fondé son séquestre sur l'article 271 al. 1 ch. 2 et 4 LP.

A l'appui de sa requête, il a fait valoir qu'en raison des procédures fiscales dirigées contre lui, il avait mandaté ses fils pour détenir les actions de diverses sociétés de son groupe à titre fiduciaire. Il ressortait d'une décision rendue le 2 juillet 2020 dans une affaire portant sur un séquestre conservatoire initiée par B______ et C______ contre les sociétés Z______ et F______ que le Tribunal d'appel de AA______ [Portugal] avait notamment tenu pour avérés les motifs qui avaient conduit A______ à transférer ses actions dans ces sociétés à ses deux fils, et retenu qu'il s'agissait d'un simulacre de transfert de participations et d'administration, A______ étant demeuré à la tête de ces entreprises.

Il avait créé Q______ en 2005 et avait fait ouvrir des comptes bancaires au nom de cette dernière à U______, sur lesquels les profits dégagés par diverses opérations réalisées par lui avaient été transférés. Il avait toujours été l'unique ayant-droit économique de Q______ et des avoirs détenus par celle-ci. Il avait lui-même donné instruction à S______ LIMITED de donner à ses fils une procuration les autorisant à ouvrir le compte de Q______ auprès de la V______.

C'était à nouveau sur ses instructions que les avoirs de Q______ avaient été investis en 2013 dans le produit W______ Asset Portfolio, dont ses fils étaient souscripteurs, mais dont il était le bénéficiaire.

Nonobstant le libellé du (sous-)compte n° 2_____ auprès de la V______ aux noms de B______ et C______, les avoirs y déposés ne leur appartenaient pas, ainsi que l'avait retenu le Tribunal d'appel de AA______ [Portugal] dans sa décision du 2 juillet 2020.

Il entendait ainsi actionner ses fils en exécution du contrat de fiducie, à savoir en restitution des avoirs transférés sur le compte de Q______ auprès de la V______ et investis par les cités dans les contrats W______ Asset Portfolio. Ces avoirs provenaient intégralement et exclusivement des actifs qu'avait détenus Q______ auprès de la même banque, lesquels, à leur tour, provenaient de ses sociétés.

Plusieurs procédures avaient été initiées par ses fils au Portugal, visant à l'empêcher de recouvrer le contrôle des diverses sociétés portugaises du D______, puis pour tenter de séquestrer les avoirs desdites sociétés. Or, ils avaient succombé dans toutes ces procédures.

Sa requête en séquestre s'inscrivait dans le contexte de la récupération des actifs qu'il avait confiés à ses fils à l'époque où il faisait l'objet de procédures fiscales. Les avoirs litigieux étaient investis dans les polices "W______ Asset Portfolio" et déposés sur les comptes ouverts au nom de ses fils auprès de V______.

k.b Par ordonnances de séquestre rendues le 12 août 2021 dans la présente cause et dans la cause C/5_____/2021, dirigée contre C______, le Tribunal de première instance a ordonné le séquestre requis, fondé sur l'article 271 al. 1 ch. 4 LP, à l'exclusion des biens dont B______ et/ou C______ sont ayants-droit économiques.

Le Tribunal a en outre condamné B______ aux frais judiciaires de la présente cause, arrêtés à 2'000 fr., ainsi qu'à des dépens à hauteur de 25'000 fr.

k.c. Par acte expédié le 7 septembre 2021, complété et motivé le 1er novembre 2021, B______ a formé opposition contre l'ordonnance de séquestre du 12 août 2021.

A titre principal, il a conclu à l'annulation du séquestre. Subsidiairement, il a conclu à ce que A______ soit astreint à fournir des sûretés à concurrence de 2'194'987 fr. 18.

Sur le fond, il a fait valoir l'absence de for de poursuite pour le séquestre de ses droits à l'encontre de W______. Il a par ailleurs contesté l'existence de la créance. Il a notamment fait valoir que le transfert par A______ de la propriété des actions et parts sociales de diverses sociétés familiales en faveur de ses fils avait été opéré à des fins de planification successorale. Aucun contrat de fiducie n'avait été conclu entre les parties, ni par écrit, ni oralement. Il n'avait jamais été question d'une quelconque obligation à sa charge ou à celle de son frère de restituer ces actions et parts sociales à leur père. En 2018, ce dernier avait abusé des procurations émises en sa faveur en transférant certaines actions et parts sociales à X______ et Y______. C'est à la suite de ces actes que lui et son frère avaient révoqué les procurations en faveur de leur père.

Concernant Q______, elle avait été créée en 2005 par lui et son frère. Son actionnaire direct avait été S______ LIMITED et lui et son frère étaient ses ayants-droit économiques, ainsi que l'attestaient les documents d'ouverture du compte de la société auprès de la V______. Les fonds versés sur le compte de Q______ auprès de U______ SA l'avaient été par C______. Leur père n'avait joué aucun rôle dans l'émission de la procuration par Q______ leur ayant permis d'ouvrir le compte auprès de la V______.

A la suite de la clôture du compte de Q______ auprès de la V______ le 26 juillet 2011, cette dernière n'avait plus détenu d'avoirs et lui et son frère avaient entrepris des démarches afin qu'elle soit liquidée. Plus aucune activité ni inscription n'était intervenue depuis septembre 2011, jusqu'au 22 juillet 2020, date à laquelle leur père l'avait réactivée pour les besoins de la cause.

Le compte-joint n° 2_____ auprès de la V______ avait été ouvert par lui et son frère le 12 juin 2013, soit deux ans après la clôture du compte de Q______ et ils y avaient déposé des sommes leur appartenant.

Même à suivre le raisonnement de A______, ce dernier ne disposerait que d'une prétention basée sur une obligation de faire consistant à modifier les termes de la police W______ en le désignant comme bénéficiaire, ou à racheter tout ou partie du contrat, ou encore à le résilier. Or, une telle obligation ne constituait pas une créance monétaire exigible.

B______ a enfin contesté la réalisation du cas de séquestre, en raison du défaut de tout lien avec la Suisse.

k.d Par réplique déposée au greffe du Tribunal le 22 novembre 2021, A______ a conclu au rejet de l'opposition à séquestre.

Il a cité des extraits des considérants de diverses décisions portugaises, selon lesquelles les actifs détenus par Q______ étaient le résultat de son propre travail, de sorte qu'il en était l'ayant-droit économique, et que c'était lui qui avait constitué cette société en 2005. Selon un jugement rendu par la Cour d'appel de AA______ [Portugal] le 2 juillet 2020, "[ ] malgré le fait que les requérants soient les titulaires officiels de ce compte [n° 2_____] la preuve a été apportée qu'ils ne sont pas les propriétaires des montants qui y sont déposés [ ]".

k.e Par duplique du 8 décembre 2021, B______ a persisté dans ses conclusions principales et subsidiaires.

Il a fait valoir que les seules pièces produites par A______ à l'appui de son argumentation étaient des extraits des considérants – et non des dispositifs – de décisions portugaises. Or, aucune de ces décisions ne concernait Q______ ou le compte joint n° 2_____ auprès de la V______. Par ailleurs, les considérants de ces jugements étaient sans rapport avec les pièces auxquelles ils se référaient.

Aucun contrat de fiducie n'était rendu vraisemblable, le séquestrant n'ayant produit aucune pièce s'y référant ne serait-ce qu'indirectement. Celui-ci n'avait pas non plus rendu vraisemblable qu'il avait un rapport avec Q______ et qu'il eût pu donner des instructions en lien avec les actifs détenus par cette dernière. Il n'avait pas davantage rendu vraisemblable que les actifs ayant servi à souscrire aux assurances-vie auraient un quelconque lien avec Q______ ou avec lui-même.

k.f Le Tribunal a gardé la cause à juger quinze jours après la communication de la duplique.

k.g Dans son ordonnance du 7 mars 2022, le Tribunal a considéré qu'il n'était pas compétent pour prononcer un séquestre visant ses créances à l'encontre de W______SA dans la mesure où la créance de l'opposant et de son frère à l'encontre de cette dernière ne saurait selon toute vraisemblance être "exécutée" qu'au Portugal (domicile de l'opposant) ou au Luxembourg (siège de W______SA), à l'exclusion de la Suisse. L'opposition à séquestre devait donc être admise en tant qu'elle visait les avoirs que B______ détenait à l'encontre de W______SA, et qui étaient déposés auprès de V______ (SUISSE) SA.

En outre, A______ invoquait que les sommes que l'opposant et son frère se seraient appropriées étaient détenues par Q______ et qu'il en serait l'ayant-droit économique. Ainsi, la créance dont il se prévalait était en réalité celle de Q______, de sorte qu'il n'était pas vraisemblable qu'il soit fondé à la faire valoir à titre personnel. En outre, la prétention au fond invoquée ne consistait pas en le paiement d'une somme d'argent mais en la restitution des titres qu'il alléguait avoir transféré à titre fiduciaire à ses fils.

Aucune pièce propre à rendre vraisemblable l'existence du contrat de fiducie qu'il alléguait avoir conclu avec ses fils n'avait été produite. En lien avec Q______, A______ n'en avait été ni actionnaire, ni administrateur jusqu'en juillet 2020. Le Tribunal ne pouvait, sans procéder à des enquêtes dépassant le cadre de l'examen qu'il lui appartenait de conduire dans le cadre de la procédure de séquestre, retenir pour fausses les informations mentionnées sur le formulaire A, selon lesquelles l'opposant et son frère étaient les ayants-droit économiques des avoirs en compte.

A______ ne rendait pas non plus vraisemblable que les avoirs de Q______ avaient été investis dans le W______ Asset Portfolio sur ses instructions. Au contraire, cette allégation était contredite par les pièces produites, selon lesquelles le compte de Q______ auprès de la V______ avait été clôturé en 2011, soit deux ans avant la signature des polices auprès de W______SA. En outre, les fonds ayant servi au paiement des primes provenaient du compte 2_____ ouvert le 12 juin 2013 au nom de l'opposant et de son frère auprès de la V______. Rien n'indiquait qu'il abritait des avoirs appartenant à Q______ et le formulaire A lié à ce compte indiquait que l'opposant et son frère étaient les ayants-droit économiques des avoirs déposés.

Enfin, les jugements portugais invoqués avaient été rendus dans le cadre de procédures dont aucune n'avait pour objet la titularité des actions et/ou des avoirs de Q______ ou les faits pertinents pour la résolution du présent litige. Le Tribunal n'était ainsi pas lié par les considérants de ces décisions, lesquels étaient extraits de manière isolée par A______ afin de soutenir ses arguments, sans que le Tribunal ne puisse distinguer les éléments probatoires ayant conduit ces instances à retenir comme établi tel ou tel fait.

EN DROIT

1. 1.1 Le jugement entrepris étant une décision sur opposition à séquestre, seule la voie du recours est ouverte (art. 278 al. 3 LP; art. 309 let. b ch. 6 et 319 let. a CPC).

Le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 278 al. 1 LP et 321 al. 2 CPC).

Déposé selon la forme et dans le délai requis par la loi (art. 130, 131 et 142 al. 1 CPC), le recours est en l'espèce recevable.

1.2 L'intimé a produit des pièces nouvelles avec sa duplique, soit un échange de courriels des 6 et 21 avril 2022.

1.2.1 Par exception au principe général de l'art. 326 al. 1 CPC, l'art. 278 al. 3 LP prévoit que, dans le cadre d'un recours contre une décision rendue sur opposition à séquestre, les parties peuvent alléguer des faits nouveaux et produire, à l'appui de ces faits, des moyens de preuve nouveaux (art. 326 al. 2 CPC).

Cette disposition vise tant les faits et moyens de preuves survenus après les dernières plaidoiries dans la procédure d'opposition au séquestre (vrais nova) que ceux qui existaient déjà avant lesdites plaidoiries (pseudo nova; ATF 145 III 324 consid. 6.6 et 6.6.4).

L'invocation devant l'autorité de recours de pseudo nova n'est toutefois admissible que pour autant que les conditions de l'art. 317 al. 1 CPC, applicables par analogie, soient réalisées (ATF 145 III 324 consid. 6.6.2). Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte que s'ils sont invoqués ou produits sans retard et s'ils ne pouvaient être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise.

1.2.2 En l'espèce, l'intimé justifie la production de l'échange de courriels d'avril 2022 par le fait qu'il lui a fallu du temps pour retrouver les coordonnées de la personne légitimée à le renseigner. Cela étant, outre le fait que son courriel est envoyé à une adresse générale de U______ et non à un destinataire particulier, l'intimé n'explique pas pour quel motif du temps lui a été nécessaire et il ne peut donc être retenu qu'il a fait preuve de la diligence requise. Les pièces nouvelles produites sont dès lors irrecevables; elles ne sont, en tout état de cause, pas déterminantes pour l'issue du litige.

1.3 La procédure d'opposition au séquestre (art. 278 LP) est une procédure sommaire au sens propre, à savoir que les faits doivent être rendus simplement vraisemblables, que le juge examine sommairement le bien-fondé juridique de la prétention et qu'il rend une décision provisoire, ne réglant donc pas définitivement la situation juridique des parties et ne revêtant l'autorité de la chose jugée (ATF 138 III 232 consid. 4.1.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_317/2009 du 20 août 2009 consid. 3.2; 5A_364/2008 du 12 août 2008 consid. 5.2).

2. Le recourant conteste que le Tribunal soit incompétent pour prononcer le séquestre visant les créances à l'encontre de W______SA. Il soutient, se fondant sur une "convention" du 20 octobre 2016 (pce 29 recourant), qu'il a été démontré que les polices émises par cette dernière seraient déposées dans les livres de la V______ (SUISSE) SA, ce qui fonderait la compétence des tribunaux genevois en application de la loi fédérale sur les titres intermédiés.

Il ne ressort toutefois pas de ce document, qui indique constituer une letter of intent, que les polices seraient déposées et inscrites en les livres de la banque, ledit document se limitant à mentionner les polices dans le cadre du renouvellement d'un prêt.

La prémisse du motif invoqué, à savoir le dépôt des polices auprès de la V______, n'ayant pas été rendue vraisemblable, il ne saurait être considéré, sur cette base, que les tribunaux genevois sont compétents pour prononcer le séquestre.

Le recours n'est dès lors pas fondé à cet égard et il sera rejeté.

3. Le recourant conteste ne pas avoir rendu vraisemblable qu'il détenait une créance à l'encontre de l'intimé et de son frère. Il se fonde essentiellement sur différents passages de décisions rendues par les tribunaux portugais

3.1
3.1.1
Selon l'art. 272 LP, le séquestre est autorisé par le juge du for de la poursuite ou par le juge du lieu où se trouvent les biens, à condition que le créancier rende vraisemblable que sa créance existe (ch.1), qu’on est en présence d’un cas de séquestre (ch. 2) et qu’il existe des biens appartenant au débiteur (ch. 3).

Comme cas de séquestre, l'art. 271 al. 1 ch. 4 LP prévoit notamment que le créancier de la dette échue et non garantie par gage peut requérir le séquestre des biens du débiteur lorsque le débiteur n’habite pas en Suisse et qu’il n’y a pas d’autre cas de séquestre, pour autant que la créance ait un lien suffisant avec la Suisse ou qu’elle se fonde sur une reconnaissance de dette au sens de l’art. 82 al. 1 LP.

3.1.2 Le créancier séquestrant doit alléguer les faits et produire un titre (art. 254 al. 1 CPC) qui permette au juge du séquestre d'acquérir, au degré de la simple vraisemblance, la conviction que la prétention existe pour le montant énoncé et qu'elle est exigible (ATF 138 III 636 consid. 4.3.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_560/2015 du 13 octobre 2015 consid. 3 et 5A_877/2011 du 5 mars 2012 consid. 2.1). S'agissant de l'application du droit, le juge procède à un examen sommaire du bien-fondé juridique, c'est-à-dire un examen qui n'est ni définitif, ni complet, au terme duquel il rend une décision provisoire (ATF 138 III 232 consid. 4.1.1; arrêt 5A_925/2012 du 5 avril 2013 consid. 9.2 et les références, publié in SJ 2013 I p. 463).

3.1.3 Un jugement non susceptible de reconnaissance peut constituer un titre apte à établir la vraisemblance de la créance (arrêts du Tribunal fédéral 5A_501/2010 du 20 janvier 2011 consid. 2.3.2, obs. Mabillard, in: RSPC 2011 p. 343; 5A_303/2011 du 27 septembre 2011 consid. 3.3). Il s'agit d'un titre (art. 254 al. 1 CPC; ATF 138 III 636 consid. 4.3.2) qu'il appartient au juge du séquestre d'apprécier; la vraisemblance de la créance ne se déduit pas de l'existence même du jugement étranger, mais, selon le Tribunal fédéral, il n'y a rien d'insoutenable à affirmer qu'une décision judiciaire passée en force jouit d'une force probante accrue par rapport à des pièces émanant des parties (arrêt du Tribunal fédéral 5A_832/2015 du 19 février 2016, consid. 4.1.2).

3.2 En l'espèce, le recourant indique fonder le séquestre qu'il a requis sur un contrat de fiducie qu'il aurait conclu avec ses fils, dont il demande l'exécution, à savoir la restitution des avoirs transférés sur le compte de Q______ auprès de V______ et investis dans les contrats "W______ Asset Portfolio". Il expose encore devant la Cour que sa prétention consiste en l'exécution du contrat de fiducie, lequel prévoit notamment qu'à son échéance les biens remis à titre fiduciaire doivent être restitués au fiduciant.

Le recourant n'a toutefois produit aucun titre à cet égard permettant de rendre vraisemblable le contenu dudit contrat, ni même son existence. Le seul document octroyant des pouvoirs à l'intimé et à son frère en relation avec Q______ est la procuration concédée à ces derniers par celle-ci, et non par le recourant. Seule Q______ pourrait donc, le cas échéant, faire valoir une prétention en lien avec cette procuration.

Le recourant n'indique par ailleurs pas sur quelle base il réclame la restitution des avoirs et notamment, si celle-ci se fonde sur la résiliation du contrat, quand cette résiliation aurait eu lieu. Ce faisant, le recourant ne rend pas vraisemblable que la créance qu'il invoque serait exigible. Le recourant n'indique par ailleurs pas à quel droit le contrat de fiducie qu'il invoque serait soumis, ce qui empêche de déterminer quels seraient ses droits en matière de restitution.

L'intimé a pour sa part produit un titre dont il ressort qu'il est l'ayant-droit économique des avoirs détenus sur le compte 2_____, sur lequel a notamment été prélevé le montant ayant servi au paiement des primes des polices d'assurance. L'exactitude de ce titre doit être considérée, dans le cadre de la présente procédure, comme suffisamment vraisemblable en l'absence d'élément permettant de mettre en doute son contenu, étant rappelé qu'un formulaire A dont le contenu est inexact quant à la personne de l'ayant-droit économique, constitue un faux dans les titres au sens de l'art. 251 CP (cf. arrêts du Tribunal fédéral 6B_383/2019 du 8 novembre 2019 consid. 8.3.3.2 non publié aux ATF 145 IV 470; 6B_891/2018 du 31 octobre 2018 consid. 3.3.1), ce qui n'a pas été invoqué dans le cadre d'une procédure pénale.

Aucun élément ne permet par ailleurs de rendre vraisemblable que ce sont les fonds qui se trouvaient jusqu'en 2011 sur le compte de Q______ qui ont été versés en 2013 sur le compte 2_____ ouvert par l'intimé et son frère. En effet, les fonds déposés sur le compte dont Q______ était titulaire, portant le numéro 1_____, ont été transférés en faveur d'autres sociétés et le compte de cette société auprès de la V______ a été clôturé le 2 août 2011. Ce n'est que près de deux ans après, le 12 juin 2013, que l'intimé et son frère ont ouvert un compte joint en leurs noms auprès de la V______, portant le numéro 2_____, qui a notamment servi pour payer la prime d'assurance. Dans ces circonstances, il n'est pas vraisemblable que les polices d'assurance ont été financées au moyen des avoirs détenus "sur le compte de Q______ auprès de V______ à Genève", comme le soutient le recourant, puisque celui-ci était fermé à l'époque de ce paiement et qu'un lien entre les avoirs figurant sur le compte de cette dernière et ceux figurant sur le compte 2_____ n'a pas été rendu vraisemblable.

Dès lors, le fait que les avoirs de Q______ seraient le résultat du travail du recourant, comme celui-ci s'en prévaut à plusieurs reprises, n'est pas déterminant. Il en va de même du calcul effectué par le recourant afin de rendre vraisemblable que lesdits avoirs ne pouvaient avoir été accumulés par l'intimé et son frère au motif qu'il leur aurait fallu 142 ans, compte tenu de leurs revenus bruts annuels de 476'758, 96 EUR, pour accumuler la somme de 68'000'000 EUR. En tout état de cause, les faits invoqués par l'appelant à cet égard n'ont pas été allégués dans le cadre de la procédure de première instance et n'ont pas été constatés par le Tribunal dans son jugement, de sorte qu'ils sont irrecevables.

Ensuite, seule Q______ pourrait se prévaloir, le cas échéant, d'une créance en restitution des fonds qui se trouvaient sur son compte, comme l'a relevé le Tribunal. Le recourant le conteste en soutenant que la créance qu'il invoque est celle de Q______ au motif que le mandat de fiducie portait sur la "détention de Q______ dans sa globalité" et que "Q______ elle-même faisait partie du mandat, tout comme ses avoirs". Cela étant, en l'absence d'explication permettant de comprendre ce que cette expression signifie véritablement, la créance que le recourant entendrait alors faire valoir ne serait pas une dette d'argent et elle ne pourrait dès lors faire l'objet d'un séquestre. Il ressort en outre des faits retenus par le Tribunal que l'intimé et son frère se sont uniquement vus confier par Q______ une procuration afin d'ouvrir et gérer un compte bancaire au nom de cette dernière. L'étendue du mandat était dès lors limitée et ne s'étendait pas à Q______ "dans sa globalité".

Le recourant se prévaut enfin du fait que les tribunaux portugais ont rendu dix jugements dans des causes l'opposant à l'intimé et à son frère et qu'il aurait à chaque fois obtenu gain de cause. Ces décisions ne portent toutefois pas directement sur les actifs de Q______, ni sur la police W______, mais concernent d'autres sociétés du groupe constitué par le recourant. Elles ne sont donc pas pertinentes dans le cadre du présent litige. En outre, à la lumière des explications fournies par le recourant, il convient de distinguer le cas de Q______ de celui des autres sociétés du D______. En effet, concernant ces dernières, il doit être compris des allégations du recourant qu'il a mandaté ses fils pour détenir à titre fiduciaire leurs actions à la suite du contrôle fiscal dont il faisait l'objet à partir de 2001. Pour Q______ en revanche, seule une procuration a été octroyée en 2011, soit bien plus tard, à l'intimé et à son frère, et ce afin uniquement d'ouvrir et gérer un compte bancaire au nom de la société auprès de V______, sans qu'ils en deviennent actionnaires. Les situations diffèrent donc largement, de sorte que les constations relatives aux unes ne s'appliquent pas nécessairement à l'autre.

L'arrêt de la Cour d'appel de AA______ [Portugal] du 2 juillet 2020 indique certes que la "preuve a été apportée" que les fonds déposés sur les compte 2_____ constitueraient la fortune personnelle du recourant (p. 127). Cela étant, il ne ressort pas du passage de cet arrêt comment les tribunaux portugais sont parvenus à cette conclusion, ledit passage se limitant à l'affirmer. La référence à divers passages de ses écritures par le recourant ou aux pages 79 et suivantes de l'arrêt du 2 juillet 2020 n'est quant à elle pas suffisante, la constatation précitée se heurtant au contenu des documents d'ouverture du compte produits par l'intimé. Ainsi, sauf à considérer que la Cour de céans serait liée par les constatations de fait des décisions invoquées qui sont pourtant contredites par d'autres éléments figurant à la procédure, ce qui ne saurait être le cas, ces décisions ne permettent pas à elles seules et en l'absence d'éléments permettant d'asseoir ces constatations, de considérer que les fonds déposés sur les comptes 2_____, voire 6______, sont la propriété du recourant et qu'il dispose personnellement d'une créance en remboursement de ceux-ci.

En définitive, au vu de l'ensemble des éléments précités, c'est sans violer le droit que le Tribunal a révoqué le séquestre. Le recours n'est pas fondé, de sorte qu'il sera rejeté.

4. Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr. (art. 48 et 61 OELP), seront mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Le recourant sera également condamné aux dépens de recours de l'intimé, arrêtés à 10'000 fr. (art. 21 LaCC, art. 85, 89 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 18 mars 2022 par A______ contre le jugement OSQ/11/2022 rendu le 7 mars 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/15442/2021-16 SQP.

Au fond :

Rejette ce recours.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judicaires à 3'000 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à payer à B______ la somme de 10'000 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEINSINGER-MARIETHOZ, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Marie-Pierre GROSJEAN

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.