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Décisions | Chambre civile

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C/11683/2013

ACJC/231/2015 du 17.02.2015 sur OTPI/1197/2014 ( SCC ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : SUSPENSION DE LA PROCÉDURE; DOMMAGE IRRÉPARABLE
Normes : CPC.126; CPC.319.b.2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/11683/2013 ACJC/231/2015

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du MARDI 17 FEVRIER 2015

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ Espagne, recourante contre une ordonnance rendue par la 8ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 15 septembre 2014, comparant par Me Philippe Cottier, avocat, 100, rue du Rhône, 1204 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile aux fins des présentes,

et

Madame B______, domiciliée ______ Genève,

Monsieur C______, domicilié ______ Genève,

intimés, comparant tous deux par Me Olivier Wehrli, avocat, 8-10, rue de Hesse, case postale 5715, 1211 Genève 11, en l'étude duquel ils font élection de domicile,

Monsieur D______ et Monsieur E______, composant l'HOIRIE DE FEU F______, représentée par son exécuteur testamentaire, Monsieur G______, ______ Espagne, autre intimée, comparant en personne.


EN FAIT

A. a. Les époux F______ et H______ ont eu trois enfants, à savoir A______, D______ et E______.

Durant le mariage, F______ a entretenu une relation extra-conjugale avec B______, qui a donné naissance, le ______ 1967, à C______.

b. G______, frère de F______, a, à la demande de ce dernier, reconnu C______ comme étant son fils.

c. G______ est décédé en 1999 et H______ en 2009.

d. Le 7 janvier 2011, F______ a épousé B______.

e. Le 7 octobre 2011, B______ et C______ ont déposé auprès du Tribunal de première instance une demande en contestation de paternité, concluant à ce qu'il soit constaté que le lien de filiation entre feu G______ et C______ était rompus.

Ils ont exposé que le père biologique d'C______ était F______, ce qui était attesté par une expertise ADN effectuée le 23 février 1999. Leur action était par ailleurs intentée en temps utile car il existait de justes motifs de restitution du délai pour agir en contestation de la reconnaissance de paternité. En effet, pour des raisons religieuses, F______ ne pouvait envisager ni de divorcer de sa première épouse ni de reconnaître son fils biologique. Ce n'était qu'après le décès de sa première épouse et à la suite de son mariage avec B______ que des démarches en ce sens avaient pu être effectuées. Celles-ci avaient toutefois été retardées car F______ avait rencontré des problèmes de santé.

f. Le même jour, B______ et C______ ont également déposé une demande en reconnaissance de paternité à l'encontre de F______, concluant à ce qu'il soit constaté que ce dernier était le père d'C______.

g. Par jugement JTPI/1______ du 6 janvier 2012, le Tribunal de première instance a dit que feu G______ n'était pas le père d'C______.

Il a par ailleurs, par jugement JTPI/2______ du même jour, dit que F______ était le père d'C______.

Ces deux jugements n'ont pas fait l'objet d'un appel.

h. F______ est décédé le 7 juin 2012 à Genève.

B. a. Le 28 mai 2013, A______, soit la fille de feu F______, a déposé auprès du Tribunal de première instance une demande en révision du jugement JTPI/1______, à l'encontre d'C______, d'B______ et de l'hoirie de feu F______. Elle a conclu principalement à l'annulation de ce jugement et au prononcé de l'irrecevabilité, subsidiairement du rejet, de l’action en contestation de paternité déposée par C______ et B______.

b. Le 9 janvier 2014, elle s'est prévalue d'un fait nouveau, alléguant avoir découvert que la signature apposée sur une procuration – assortie d'une clause d'arbitrage - donnée le 13 décembre 2011 par feu F______ à son conseil de l'époque pour le représenter dans le cadre de l'action en reconnaissance de paternité ne correspondait pas à celle de son père. Une procédure pénale (P/1______) avait été ouverte contre le notaire genevois ayant légalisé ladite signature.

c. Par courrier du 13 août 2014, A______ a précisé que, dans le cadre de cette procédure pénale, l'audition d'un expert privé avait également mis en cause l'authenticité de la signature de feu son père sur l'acte de mariage civil du 7 janvier 2011. Il appartenait désormais au Ministère public d'ordonner des expertises graphologiques. A______ demandait ainsi la suspension de la cause jusqu'à droit jugé dans la procédure pénale.

d. C______ et B______ se sont opposés à la requête de suspension, dès lors qu'ils n'étaient pas parties à la procédure pénale et que celle-ci ne présentait aucun lien de connexité avec la cause civile, objet de la demande en révision.

e. Par courrier du 17 septembre 2014, reçu par le Tribunal le lendemain, A______ a répliqué, précisant que le Ministère public entendrait le notaire mis en cause le 21 octobre 2014 et que la procédure pénale pourrait permettre d'établir l'absence de volonté de F______ de devenir le père légal d'C______.

f. Par ordonnance datée du 15 septembre 2014, notifiée le 19 septembre suivant, le Tribunal de première instance a rejeté la requête en suspension de la procédure formée par A______, condamné cette dernière à payer à l'Etat de Genève les frais, arrêtés à 800 fr., mis à sa charge, et à verser à C______ et à B______ des dépens en 600 fr.

Le premier juge a considéré qu'il n'y avait pas de lien de connexité entre le fait de constater par jugement que G______ n'était pas le père d'C______ et la falsification alléguée de la signature de feu F______ sur le pouvoir – assorti d'une clause d'arbitrage – donné le 13 décembre 2011 à Me H______ et/ou l'acte de mariage du 7 janvier 2011.

C. a. Par acte expédié au greffe de la Cour de justice le 29 septembre 2014, A______ recourt contre cette décision, concluant à son annulation, à la suspension de la procédure et à la condamnation de ses parties adverses au paiement des dépens, comprenant une équitable indemnité de procédure. Subsidiairement, elle demande le renvoi de la cause à l'autorité inférieure pour instruction sur la question de la suspension. Elle n'a dirigé son recours qu'à l'encontre d'C______ et d'B______.

A______ fait valoir des faits et preuves nouveaux en vue de démontrer "les démarches machiavéliques" d'C______ et d'B______. Elle se prévaut, en outre, d'une violation de son droit d'être entendue, le Tribunal ayant rendu sa décision sans lui laisser suffisamment de temps pour répliquer, d'une mauvaise application de l'art. 126 al. 1 CPC – suspension de la procédure - et d'une violation de l'interdiction d'arbitraire. Les procédures en cause étaient connexes, dès lors qu'elles pourraient aboutir à des solutions manifestement inconciliables. C______ pourrait ainsi soit n'avoir aucun père soit en avoir simultanément deux.

b. Par courrier du 7 novembre 2014, A______ a informé la Cour de ce que la procédure pénale P/1______ suivait son cours, le Ministère public ayant notamment décidé de la mise en œuvre d'une expertise graphologique.

c. Par arrêt du 28 novembre 2014, la Cour de céans a rejeté la requête tendant à la suspension de l'effet exécutoire attaché à l'ordonnance du 15 septembre 2014, formée par A______.

d. C______ et B______ concluent à l'irrecevabilité du recours, faute de préjudice difficilement réparable, subsidiairement à son rejet, avec suite de frais et de dépens.

EN DROIT

1. 1.1 La décision ordonnant la suspension de la cause est une mesure d'instruction qui peut, conformément à l'art. 126 al. 2 CPC, faire l'objet du recours de l'art. 319 let. b ch. 1 CPC (Gschwend/Bornatico, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, Spühler/Tenchio/Infanger [éd.], 2ème éd., 2013, n° 17a ad art. 126 CPC).

La décision de refus de suspension ne peut, en revanche, faire l'objet que du recours de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC, le recourant devant démontrer le préjudice difficilement réparable résultant du refus de suspendre (Haldy, in Code de procédure civile commenté, Bohnet/Haldy/Jeandin/Schweizer/Tappy [éd.], 2011, n° 9 ad art. 126 CPC; Staehelin, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], Sutter-Somm/Hasenböhler/Leuenberger [éd.],
2ème éd., 2013, n° 8 ad art. 126 CPC; Gschwend/Bornatico, loc. cit.; Colombini, Condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise relative à l'appel et au recours en matière civile, in JdT 2013 III p. 131 ss, 157).

Le recours, écrit et motivé, doit être introduit dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 321 al. 2 CPC).

1.2 En l'espèce, l'ordonnance dont est recours refuse la suspension. Seul le recours de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC est ouvert.

Le recours a été introduit dans les délai et forme prescrits par la loi. Il est donc recevable sous cet angle.

1.3 Les allégations de faits et les preuves nouvelles invoquées par la recourante pour la première fois devant la Cour – ayant essentiellement trait aux prétendues démarches malveillantes des intimés et à l'évolution du volet pénal - sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC).

2. Reste à déterminer si l'ordonnance querellée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable à la recourante (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

2.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (cf. ATF 137 III 380 consid. 2, SJ 2012 I 73; 138 III 378 consid. 6.3; ACJC/327/2012 du 9 mars 2012 consid. 2.4; Freiburghaus/Afheldt, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], Sutter-Somm/Hasenböhler/Leuenberger [éd.],
2ème éd., 2013, n° 13 ad art. 319 CPC). La notion de préjudice difficilement réparable vise un inconvénient de nature juridique ou des désavantages de fait. Est ainsi considérée comme "préjudice difficilement réparable", toute incidence dommageable (y compris financière ou temporelle), pourvu qu'elle soit difficilement réparable. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette condition (Jeandin, in Code de procédure civile commenté, Bohnet/Haldy/Jeandin/Schweizer/Tappy [éd.], 2011, n° 22 ad art. 319 CPC; Colombini, op. cit., in JdT 2013 III p. 155).

Une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (ACJC/111/2012 du 26 janvier 2012 consid. 2; Spühler, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivil-prozessordnung, 2ème éd., 2013, n° 7 ad art. 319 CPC; Hoffmann-Nowotny, in ZPO-Rechtsmittel, Berufung und Beschwerde, Kunz/Hoffmann-Nowotny/
Stauber [éd], 2013, n° 25 ad art. 319 CPC).

2.2 Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie : ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale sur le fond (cf. ACJC/327/2012 précité et les réf. citées; Oberhammer, in Kurzkommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung ZPO, 2010, n° 13 ad art. 319 CPC; Blickenstorfer, in Schweizerische Zivilprozessordnung [ZPO], Brunner/ Gasser/Schwander [éd.], 2011, n° 40 ad art. 319 CPC).

2.3 En l'espèce, la recourante ne discute pas la condition du préjudice difficilement réparable. Elle se limite à faire valoir que les conditions d'une suspension sont remplies. Or, contrairement à ce qu'elle semble soutenir, les procédures en cause ne sauraient conduire à des décisions contradictoires, dès lors notamment qu'elles ne concernent pas les mêmes parties. Par ailleurs, la recourante dispose, à l'encontre du jugement qui sera rendu sur le fond, d'une voie de recours (cf. art. 332 CPC), dans le cadre de laquelle elle pourra, le cas échéant, contester le refus de suspendre la procédure, respectivement faire valoir la violation de son droit d'être entendue. Ses droits ne sont ainsi, à ce stade, pas menacés de conséquences dommageables.

Il s'ensuit que le refus de suspendre la procédure civile n'est pas de nature à causer à la recourante un préjudice difficilement réparable.

Partant, le recours est irrecevable, la condition de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC n'étant pas remplie.

3. Dans la mesure où le recours est en tout état de cause irrecevable, comme cela vient d'être exposé ci-dessus, les questions de la qualité pour agir de la recourante et de son intérêt à recourir (cf. art. 59 al. 2 let. a CPC) peuvent restées indécises. Il en va de même de la question de savoir si le recours aurait dû être dirigé contre l'ensemble des parties à la présente procédure.

4. La recourante, qui succombe, sera condamnée aux frais judiciaires du recours, arrêtés à 1'440 fr., y compris l'émolument relatif à la décision sur requête de suspension de l'effet exécutoire de l'ordonnance (art. 104 al. 1, 105 et 106 al. 1 CPC; art. 13 et 41 du Règlement fixant le tarif des greffes en matière civile [RTFMC; E 1 05.10]). Ils sont couverts par l'avance de même montant opérée par la recourante, qui reste acquise à l'Etat (art. 111 CPC).

La recourante sera en outre condamnée aux dépens d'C______ et d'B______, arrêtés à 1'000 fr., débours et TVA compris (art. 95 al. 3 let. c CPC; art. 86 RTFMC).

5. S'agissant d'une décision incidente, la voie du recours en matière civile est ouverte devant le Tribunal fédéral selon les modalités de l'art. 93 al. 1 LTF, les motifs de recours étant limités selon l'art. 98 LTF (ATF 135 II 30 consid. 1.3.4; 134 III 426 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_942/2012 du 21 décembre 2012).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Déclare irrecevable le recours interjeté par A______ contre l'ordonnance OTPI/1197/2014 rendue le 15 septembre 2014 par le Tribunal de première instance dans la cause C/11683/2013-8.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 1'440 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont compensés avec l'avance, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser 1'000 fr. à C______ et B______, pris solidairement, à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Florence KRAUSKOPF, présidente; Madame Sylvie DROIN et Madame
Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Nathalie DESCHAMPS, greffière.

 

La présidente :

Florence KRAUSKOPF

 

La greffière :

Nathalie DESCHAMPS

















Indication des voies de recours
:

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.