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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/24774/2011

ACJC/1435/2014 du 24.11.2014 sur JTBL/1354/2013 ( OBL ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 12.01.2015, rendu le 30.06.2015, CONFIRME, 4A_22/2015
Descripteurs : BAIL À LOYER; ANNULABILITÉ; RÉSILIATION; PROLONGATION DU BAIL À LOYER
Normes : CO.271.1; CO.271a.1.A; CO.272.1; CO.272b.1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/24774/2011 ACJC/1435/2014

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

du lundi 24 novembre 2014

 

Entre

1) Madame A______, domiciliée ______,

2) Madame B______, domiciliée ______,

3) Monsieur C______, domicilié ______, appelants d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 22 novembre 2013, comparant par Me Marc Mathey-Doret, avocat, boulevard des Philosophes 14, 1205 Genève, en l'étude duquel ils font élection de domicile,

et

D______, sise ______, intimée, représentée par E______, ______.

 


EN FAIT

A. a. Par jugement du 22 novembre 2013 communiqué pour notification aux parties par plis du 28 novembre 2013, le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal) a, notamment, déclaré valable le congé du 6 octobre 2011 notifié à A______, B______ et C______, pour le 31 janvier 2015, portant sur un cabinet médical d'une surface de 206 m2 situé au premier étage de l'immeuble ______ à Genève (ch. 1 du dispositif), a débouté A______, B______ et C______ de leurs conclusions en prolongation de bail (ch. 2) et a autorisé le transfert du bail en faveur de F______ et de G______, à compter de l'entrée en force du présent jugement (ch. 3).

b. Par acte déposé le 14 janvier 2014, A______, B______ et C______ (ci-après également : les locataires ou les appelants) forment appel de ce jugement, concluant principalement à l'annulation du congé du 6 octobre 2011 et subsidiairement à l'octroi d'une prolongation de bail de six ans.

c. D______ (ci-après également : l'intimée), bailleresse, a déposé un mémoire de réponse du 14 février 2014 concluant au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement attaqué.

d. Les appelants ont fait usage de leur droit de réplique en adressant à la Cour des déterminations écrites datées du 7 mars 2014 et ont persisté dans leurs conclusions.

e. L'intimée a dupliqué par courrier parvenu à la Cour le 27 mars 2014 et également persisté dans ses précédentes conclusions.

f. Les parties ont été avisées le 31 mars 2014 de ce que la cause était gardée à juger.

B. Les éléments pertinents suivants résultent de la procédure :

a. En date du 12 janvier 1996, D______, propriétaire, et H______, locataire, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un cabinet médical d'une surface de 206 m2 au 1er étage de l'immeuble sis ______ à Genève.

b. Auparavant, H______, médecin spécialisé FMH en gastroentérologie et en médecine interne, partageait déjà les locaux avec un autre médecin, titulaire du bail.

c. Le contrat a été conclu pour une durée de dix ans, du 1er février 1996 au 31 janvier 2005, renouvelable ensuite tacitement de cinq ans en cinq ans, sauf résiliation signifiée six mois avant l'échéance.

d. Le loyer annuel, réputé indexé à l'Indice suisse des prix à la consommation, a été fixé initialement à 42'000 fr., charges non comprises, et porté en dernier lieu à 41'124 fr., charges non comprises, dès le 1er avril 2011. L'acompte de chauffage et d'eau chaude a quant à lui été fixé à 2'400 fr. par an. A compter du 1er juillet 1997, un montant de 4'500 fr., déduit du loyer annuel, a été perçu à titre de frais accessoires.

e. H______ est décédé le ______ 2011 et a laissé pour seuls héritiers légaux ses deux filles, A______ et B______, et son fils, C______.

f. Par pli du 12 septembre 2011, la bailleresse a sollicité de C______ qu'il lui fasse parvenir une copie de l'acte de décès et du certificat d'héritier et qu'il lui fasse part de ses intentions quant au contrat de bail concerné.

g. A une date indéterminée, C______ a pris contact téléphoniquement avec la régie représentant le propriétaire. Il a notamment demandé si celle-ci pourrait envisager le versement d'une indemnité en cas de résiliation anticipée de sa part. Une de ses sœurs a également téléphoné à la régie, mais le contenu de sa conversation n'a pas été établi avec précision.

h. Par avis de résiliation du 6 octobre 2011, D______ a résilié le bail pour le 31 janvier 2015, au motif qu'elle souhaitait reprendre la libre disposition du cabinet médical.

i. En date du 11 octobre 2011, A______, B______ et C______, vendeurs, ont conclu un contrat avec F______ et le docteur G______, acquéreurs, portant sur la reprise du cabinet médical de feu H______, situé ______ à Genève.

j. La validité du contrat était subordonnée à la condition résolutoire (art. 6) qu'un nouveau bail à loyer soit conclu entre les acquéreurs (ou l'un d'entre eux) et la bailleresse, ou, alternativement, que l'accord de la bailleresse soit donné avec le transfert du bail existant. Si cette condition ne pouvait plus survenir en raison du refus de la bailleresse ou d'une résiliation du bail sans conclusion d'un nouveau bail, le contrat était résolu et les parties replacées dans la situation qui était la leur avant sa conclusion.

k. Le prix de reprise a été fixé à 126'000 fr.

l. Le même jour, les parties au contrat de remise du cabinet ont conclu un contrat de reprise du mobilier, pour un prix de 6'000 fr.

m. Par courrier du 13 octobre 2011, C______, agissant au nom de la succession de son père, a indiqué à la bailleresse qu'ils avaient l'intention de remettre le bail de leur père à F______, prise solidairement avec G______, et qu'un contrat de remise du cabinet avait déjà été signé dans ce sens. Il a dès lors sollicité la confirmation écrite de la bailleresse de son accord avec le transfert du bail précité. A l'appui de sa demande, il a fourni divers documents concernant G______ et F______, notamment leurs attestations de non-poursuites.

n. Par pli du 19 octobre 2011, C______ a invité la bailleresse à motiver la résiliation du bail.

o. D______ a confirmé, par courrier du 24 octobre 2011, le motif de la résiliation, à savoir qu'elle souhaitait reprendre la libre disposition du cabinet médical. Estimant que les sœurs de C______ n'avaient pas ratifié la demande de transfert de bail du 13 octobre 2011, elle a indiqué que celle-ci n'avait aucune validité. De plus, le congé du 6 octobre 2011 étant maintenu, il n'y avait plus lieu de transférer le bail. Toutefois, elle a indiqué qu'elle ne s'opposait pas à ce qu'ils sous-louent le cabinet à F______ jusqu'à l'échéance du bail, soit le 31 janvier 2015.

p. Par requête déposée le 10 novembre 2011 auprès de la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, A______, B______ et C______ ont conclu à l'annulation du congé et à ce que soit autorisé le transfert du bail à F______, prise conjointement avec G______.

q. En date du 25 novembre 2011, A______, B______ et C______ ont conclu avec F______ et G______ un avenant au contrat du 11 octobre 2011 pour tenir compte de l'incertitude quant au maintien du bail liant les vendeurs à la bailleresse et quant à la possibilité de le transférer aux acquéreurs.

r. Ils ont ainsi notamment convenu que l'acquéreur/sous-locataire réglerait directement le loyer et les charges au bailleur principal. Par ailleurs et pour le cas où le congé serait confirmé pour le 31 janvier 2015, le prix de la remise était ramené à 50'000 fr., augmenté de 10'000 fr. par année de prolongation du bail jusqu'en 2021.

s. Dans sa réponse du 25 mai 2012, la bailleresse a conclu au déboutement des locataires de toutes leurs conclusions.

t. Le Tribunal a procédé à l'audition des parties, ainsi que de plusieurs témoins.

u. C______ a notamment déclaré ce qui suit, au cours de l'audience du 8 février 2013 :

"J’ai contacté la régie E______ par téléphone pendant que nous étions en négociations avec G______ pour la reprise du cabinet. (…) Je souhaitais savoir si la propriétaire entendait elle-même récupérer les locaux moyennant versement d'une indemnité de départ. Je n'ai pas formulé à cet égard de proposition chiffrée. Je voulais savoir si, sur le principe, la bailleresse était intéressée. [Les représentants de la régie] m'ont indiqué qu'ils allaient contacter la bailleresse pour avoir sa détermination. Puisque je n'avais pas de nouvelles à ce sujet, nous avons signé la convention avec G______, ce dont nous avons informé la régie par courrier du 13 octobre 2011. Je précise que la régie avait été informée de notre intention de remettre le cabinet avant l'envoi de ce courrier et de mon téléphone, cela par A______ et par I______."

De son coté, A______ a déclaré à l'audience avoir eu un entretien téléphonique avec le représentant de la régie à fin août - début septembre 2011. Elle a indiqué :

"Je lui ai confirmé ce que I______ lui avait déjà dit, à savoir que nous souhaitions remettre le cabinet de notre père. Celui-ci avait d'ailleurs déjà effectué des démarches en ce sens de son vivant. J'ai expliqué que nous étions déjà en discussion avec des repreneurs éventuels. [Le représentant de la régie] m'a fortement déconseillé de sous-louer les locaux, car cela représentait des risques pour nous. Il m'a également informée qu'il pensait pouvoir obtenir de la bailleresse qu'elle nous libère de nos obligations de locataire de façon anticipée."

v. Entendue comme témoin à l'audience du 18 septembre 2013, I______ a confirmé avoir été l'assistante médicale de H______ jusqu'au décès de celui-ci en ______ 2011. Elle a indiqué :

"J'ai eu des contacts avec la régie au sujet de H______. (…) Nous avons discuté de la restitution des locaux. On m'a répondu qu'il fallait envoyer un courrier pour résilier le bail. J'ai également informé la régie que H______ souhaitait remettre le cabinet à un autre gastroentérologue. La régie a répondu qu'ils allaient nous aider à remettre le cabinet et qu'il fallait envoyer un courrier pour les informer de la suite."

w. Le témoin n'a pas été en mesure d'indiquer précisément la date de cet unique entretien téléphonique. D'après elle, il a pu avoir lieu avant ou après le décès de H______, étant donné que celui-ci hésitait déjà à remettre son cabinet.

x. J______, responsable gérance auprès de la régie E______, a été entendu à titre de renseignement et a affirmé avoir eu un contact téléphonique avec l'assistante de H______ avant le décès de celui-ci. D'après lui, "lors de cet entretien, celle-ci m'a informé que H______ était malade, m'a demandé les modalités de résiliation pour savoir s'il était possible de résilier de manière anticipée. (…) Elle m'a parlé de médecins qu'elle cherchait, vers qui aiguiller les clients, mais pour moi ce n'était pas sous-entendu que c'était pour reprendre les locaux. Je lui ai répondu que le bail était jusqu'au 31 janvier 2015, qu'il y avait un préavis de six mois normalement mais qu'au vu de la durée du bail, je pensais qu'il n'y aurait pas de problème que la bailleresse accepte une résiliation anticipée vu la maladie de H______. Après le décès, à savoir au mois de septembre 2011, l'assistante de H______ a appelé la régie. (…) Il y a eu un courrier suite à ce téléphone pour présenter les condoléances et pour savoir qui étaient les héritiers et leurs intentions. J'ai également eu un contact avec C______ environ trois semaines après le courrier susvisé. Il m'a posé la question s'agissant d'une éventuelle résiliation anticipée et de savoir si une éventuelle indemnisation était possible si les locaux étaient restitués avant le 31 janvier 2015. Le but de cette indemnité était notamment de payer le salaire de l'assistante médicale qui était employée jusqu'à la fin de l'année. (…) C______ ne m'a pas parlé, lors de cet entretien, d'une éventuelle reprise de bail. Nous avons pu vérifier que les héritiers n'étaient pas médecins et n'avaient aucune intention de continuer le bail, raison pour laquelle dans les 3-4 jours qui ont suivi cet entretien, nous avons notifié la résiliation du bail pour le 31 janvier 2015, étant précisé que ces 3-4 jours sont le temps nécessaire au niveau administratif pour donner les instructions à la gérante administrative et que celles-ci soient exécutées. J'ai pris connaissance du transfert de bail peu avant l'audience à la Commission de conciliation."

Au cours de la même audience, K______, gérante administrative à la régie E______, a indiqué avoir eu un premier contact téléphonique avec l'assistante de H______ avant le décès de celui-ci, afin de l'informer de sa maladie. Le témoin a indiqué :

"Elle souhaitait également avoir des informations quant au bail, notamment s'agissant de son échéance. Elle m'a également contactée après le décès de H______ pour m'informer de son décès. A ce moment-là je lui ai demandé si elle avait connaissance des héritiers et de leurs intentions mais elle n'a pas pu me répondre. Je confirme avoir eu début octobre un entretien téléphonique avec C______, qui me demandait si la bailleresse serait d'accord d'entrer en matière sur une éventuelle indemnité pour résiliation anticipée. Il m'a également demandé comment cela se passerait par rapport à une éventuelle sous-location. Cela n'étant pas de mon ressort, j'ai transmis la requête à J______ et à ma mandante. J'ai été informée seulement après la résiliation d'un transfert de bail qui se serait fait."

y. Par jugement du 22 novembre 2013, le Tribunal a considéré, en bref, que les locataires n'avaient pas démontré que la résiliation litigieuse était la conséquence de leur demande de transfert de bail. Ils n'avaient pas non plus apporté la preuve d'une résiliation contraire à la bonne foi. Aucune prolongation n'a été accordée, compte tenu notamment du fait que les locataires, n'étant pas médecins, n'étaient pas en mesure de poursuivre l'exploitation du cabinet.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné; il faut prendre en considération, s'il y a lieu, la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l’art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1).

1.2 En l'espèce, compte tenu d'un loyer annuel charges comprises de 43'529 fr., la valeur minimale de 10'000 fr. est atteinte. La voie de l'appel est donc ouverte.

1.3 Selon l'art. 311 CPC, l'appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance d'appel dans les trente jours à compter de la notification de la décision. Ce délai ne court pas du 18 décembre au 2 janvier inclus (art. 145 al. 1 let. c CPC).

En l'occurrence, le jugement frappé d'appel a été communiqué aux parties par plis du 28 novembre 2013, reçu le 29 par les appelants; compte tenu de la suspension du délai pendant la période des fêtes de fin d'année, le délai d'appel de trente jours prenait fin le 14 janvier 2014, date à laquelle l'acte d'appel a été remis par les appelants au greffe de la Cour de céans. L'appel a ainsi été déposé en temps utile. Il répond par ailleurs aux exigences de forme requises par la loi, de sorte qu'il est recevable.

2. 2.1 Les appelants se plaignent d'une mauvaise application de l'art. 271 al. 1 CO. Ils considèrent que le congé litigieux contrevient aux règles de la bonne foi dans la mesure où les motifs invoqués par l'intimée auraient, selon eux, fluctués. Le motif invoqué, à savoir le souhait de reprendre la libre disposition des locaux, n'imposait pas une résiliation plus de trois ans avant la plus proche échéance contractuelle. Les difficultés liées à la gestion de cabinets médicaux, soulevées par la représentante de l'intimée, ne seraient pas démontrées et seraient postérieures à la date de la résiliation. Le véritable motif de la résiliation, selon les appelants, consisterait à relouer à un loyer nettement plus élevé, ce qu'un représentant de l'intimée aurait oralement confirmé au cours d'une conversation téléphonique. Enfin, le moment choisi pour la résiliation, soit en plein deuil des appelants et durant le processus de remise des locaux professionnels, consacrerait en lui-même une attitude déloyale. Les circonstances dans lesquelles le congé a été donné démontreraient que son véritable but était d'empêcher les appelants d'exercer leur droit au transfert du bail, le fait que la demande de transfert ait été adressée par écrit à la bailleresse postérieurement à la résiliation n'étant pas pertinent, puisque les représentants de l'intimée avaient préalablement déjà été mis au courant des intentions des appelants à ce sujet.

2.2 Selon l'art. 271 al. 1 CO, le congé est annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi. C'est au destinataire du congé qu'il incombe de démontrer que celui-ci contrevient aux règles de la bonne foi (ATF 120 II 105 consid. 3c). Toutefois, l'auteur du congé - généralement le bailleur - doit contribuer loyalement à la manifestation de la vérité, en donnant les raisons de la résiliation (ATF 120 II 105 consid. 3c) et en les rendant au moins vraisemblables (arrêt du Tribunal fédéral 4A 131/2008 du 25 juin 2008 consid. 4.1).

Le congé motivé par le souhait du propriétaire de récupérer les locaux pour les attribuer à un locataire de son choix à la suite du décès du titulaire du bail n'est pas contraire à la bonne foi, lorsque la résiliation est donnée pour l'échéance la plus proche et dans le respect des délais contractuels, sauf circonstances d'abus qu'il revient au locataire de démontrer. Le bailleur n'a pas davantage besoin de se prévaloir d'un besoin particulier de disposer de la chose louée. Il peut n'avoir pour objectif que de relouer la chose, au même loyer ou à un loyer supérieur mais non abusif. L'examen du besoin concret du bailleur n'intervient qu'au moment d'accorder une prolongation de bail (ACJC/448/2005 du 11 avril 2005).

A teneur de l'art. 271a al. 1 let. a CO, le congé est annulable lorsqu'il est donné par le bailleur parce que le locataire fait valoir de bonne foi des prétentions découlant du bail.

L'application de cette disposition suppose la réunion des trois conditions cumulatives suivantes : une prétention en relation avec le bail, que le locataire fait valoir de bonne foi et qui provoque la résiliation du bail par le bailleur (BOHNET/ MONTINI, Droit du bail à loyer, Commentaire pratique, Bâle 2010, n. 3 ad art. 271a CO).

Le locataire doit avoir fait valoir son droit, c'est-à-dire avoir porté à la connaissance du bailleur ses griefs. Ainsi, le locataire qui s'apprête à faire valoir ses droits et qui reçoit son congé n'est pas protégé. Il l'est en revanche si le bailleur a pu avoir connaissance, par l'intermédiaire d'un tiers, avec un minimum de précision, des griefs qu'entendait faire valoir le locataire. De simples intentions ne suffisent pas (BOHNET/MONTINI, op. cit., n. 7 ad art. 271a CO).

C'est au locataire qu'il appartient d'établir le lien de causalité entre sa prétention et la résiliation. Cette preuve peut résulter d'une grande vraisemblance et d'indices suffisants. L'écoulement du temps entre la prétention et la résiliation constitue un indice important. Plus l'intervalle entre les deux événements est long, plus l'éventuel lien de causalité devient ténu et plus les indices à fournir devront être convaincants pour que le congé soit invalidé (BOHNET/MONTINI, op. cit., n. 12 ss ad art. 271a CO).

2.3 Le courrier de résiliation du 6 octobre 2011 indique comme motifs que la propriétaire souhaite reprendre la libre disposition du cabinet médical litigieux. Ce motif a été confirmé par courrier du 24 octobre 2011, les appelants ayant demandé une motivation écrite du congé.

En tant que tel, et comme l'ont rappelé les premiers juges, un congé donné pour l'échéance la plus proche et dans le respect des délais contractuels, motivé par le souhait du propriétaire de récupérer les locaux pour les attribuer à un locataire de son choix n'est pas abusif.

C'est en vain que les appelants soutiennent que la résiliation serait fondée sur d'autres motifs, tels que la volonté de l'intimée de relouer à un loyer supérieur abusif. Cette affirmation ne repose sur aucune pièce produite, ni sur aucun témoignage. Les appelants font manifestement fausse route lorsqu'ils allèguent que le Tribunal aurait retenu que le motif du congé résidait dans les difficultés liées à la gestion des cabinets médicaux. Au contraire, les juges ont clairement admis que la bailleresse n'avait pas exprimé d'autre motivation que de reprendre la libre disposition des locaux.

Pour le surplus, il appartenait aux appelants d'apporter la preuve de l'existence d'un éventuel autre motif, constitutif d'abus de droit. A ce sujet, les locataires affirment également que le véritable but de la bailleresse aurait été de s'opposer au transfert de bail.

A l'examen des témoignages verbalisés par le Tribunal, il n'apparaît pas que, à la date de la résiliation litigieuse, la bailleresse ou ses représentants aient été avisés de la décision des appelants de transférer le bail. Ainsi, l'assistante médicale du locataire décédé a indiqué avoir eu des contacts téléphoniques avec la régie après le décès, ceci dans la perspective de la restitution des locaux. Il lui avait été répondu qu'il fallait envoyer un courrier pour résilier le bail. S'agissant d'une éventuelle remise du cabinet médical à un autre médecin, le témoin a affirmé avoir eu un "unique entretien téléphonique" à ce sujet, sans pouvoir préciser s'il avait eu lieu avant ou après le décès. Selon le témoin, la régie avait indiqué que la bailleresse allait "aider à remettre le cabinet et qu'il fallait envoyer un courrier pour les informer de la suite" (PV du 18 septembre 2013, p. 2, 5ème et 6ème paragraphes), sans toutefois que d'autres précisions aient été apportées au sujet du transfert de bail décidé par les appelants.

Quant aux déclarations des employés de la régie représentant la bailleresse, elles évoquent des contacts téléphoniques avec l'assistante médicale du locataire décédé, mais portant selon eux sur les possibilités de résiliation anticipée du bail. Les intéressés ont allégué ne pas avoir eu connaissance du transfert de bail avant l'envoi de la résiliation litigieuse. Un entretien téléphonique avait bien eu lieu avec un des appelants, à savoir C______, mais elle avait eu pour objet une éventuelle indemnité que la bailleresse pourrait être d’accord de verser en cas de résiliation anticipée par les appelants.

Entendus en première instance, ceux-ci n'ont d'ailleurs pas été beaucoup plus précis sur le moment où ils ont informé les représentants de l'intimée de leur volonté de transférer le bail. C______ a confirmé avoir appelé la régie pour savoir si la propriétaire serait disposée à verser une indemnité en cas de résiliation anticipée. Selon lui, ce serait par sa sœur et par l’assistante médicale du locataire décédé que la bailleresse aurait été informée de la reprise du bail par d'autres médecins (PV du 8 février 2013, p. 2 et 3), ce que les intéressés n'ont toutefois pas confirmé, en tout cas pas clairement.

L'appelante A______ a ainsi allégué avoir informé la régie "fin août début septembre 2011" du souhait des appelants de remettre le cabinet de H______ mais elle a également admis que les discussions avec le gérant avaient porté sur la possibilité d'une sous-location des locaux ou d'une restitution anticipée de ceux-ci (PV du 8 février 2013, p. 3, 2ème paragraphe).

A l'examen des déclarations des témoins, ainsi que de celles des parties, il n'apparaît en définitive pas que les appelants ont, avant l'envoi de la résiliation du 6 octobre 2011, expressément sollicité la bailleresse afin qu'elle consente à un transfert de bail. A tout le moins, les intéressés ne sont pas parvenus à démontrer que tel aurait été le cas, durant une période antérieure à la date du congé.

Comme l'ont retenu les premiers juges, il apparaît plutôt qu'ils ont interrogé cette dernière sur les différentes possibilités s'offrant à eux, sans indiquer clairement qu'elle aurait été leur décision.

Il en découle que c'est à juste titre que le Tribunal a considéré que l'on ne se trouvait pas dans la situation où le véritable motif du congé aurait consisté à empêcher les locataires de faire valoir, de bonne foi, des prétentions découlant du bail. En effet, les appelants n'ont sollicité un transfert de bail que par courrier recommandé du 13 octobre 2011, soit postérieurement à l'envoi du congé.

Pour le surplus, les autres motifs invoqués par les appelants ne conduisent pas à qualifier d'abusif le congé litigieux. En particulier, une résiliation notifiée plusieurs années avant l'échéance la plus proche ne saurait être considérée comme constitutive d'abus de droit, pour ce seul motif. Il en est de même du congé adressé aux héritiers d'un locataire défunt, ceci quelques semaines après la date du décès.

La validité du congé du 6 octobre 2011 devra dès lors être confirmée.

3. 3.1 Les appelants se plaignent ensuite d'une mauvaise application des art. 272 et 272b CO. Ils considèrent que le Tribunal aurait dû tenir compte du montant de la remise du cabinet médical, qui dépend de la durée de prolongation du bail. Les juges auraient également dû prendre en considération la longue relation de bail qui s'est étendue durant presque trente ans, ainsi que les investissements effectués dans les locaux par le locataire décédé. Ils soulignent que l'intérêt de l'intimée à récupérer les locaux à brève échéance serait ténu.

3.2 Aux termes des art. 272 al. 1 et 272b al. 1 CO, le locataire peut demander la prolongation d'un bail de locaux commerciaux pour une durée de six ans au maximum, lorsque la fin du contrat aurait pour lui des conséquences pénibles et que les intérêts du bailleur ne les justifient pas. Dans cette limite de temps, le juge peut accorder une ou deux prolongations.

Le juge apprécie librement, selon les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC), s'il y a lieu de prolonger le bail et, dans l'affirmative, pour quelle durée. Il doit procéder à la pesée des intérêts en présence et tenir compte du but d'une prolongation, qui est de donner du temps au locataire pour trouver des locaux de remplacement. Il lui incombe de prendre en considération tous les éléments du cas particulier, tels que la durée du bail, la situation personnelle et financière de chaque partie, leur comportement, de même que la situation sur le marché (ATF 136 III 190 consid. 6). Il peut tenir compte du délai qui s'est écoulé entre le moment de la résiliation et celui où elle devait prendre effet, ainsi que du fait que le locataire n'a pas entrepris de démarches sérieuses pour trouver une solution de remplacement (ATF 125 III 226 consid. 4c). Il se demandera s'il est particulièrement difficile pour le locataire de trouver des locaux de remplacement, et tiendra compte du besoin plus ou moins urgent pour le bailleur de voir partir le locataire (ATF 136 III 190 consid. 6).

Pour déterminer, dans les limites légales, la durée de la prolongation du bail, le juge doit procéder à une pesée des intérêts en présence, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes (cf. art. 272 al. 2 CO; arrêt du Tribunal fédéral 4A_57/2012 du 29 juin 2012 consid. 2.3 publié in SJ 2012 I p. 473). Il doit garder à l'esprit le but d'une prolongation, consistant à donner du temps au locataire pour trouver des locaux de remplacement; il prendra en considération les éléments du cas particulier, tels que la durée du bail, la situation personnelle et financière de chaque partie, leur comportement, de même que la situation sur le marché locatif local (ATF 136 III 190 consid. 6). Il peut tenir compte du délai qui s'est écoulé entre le moment de la résiliation et celui où elle devait prendre effet, ainsi que du fait que le locataire n'a pas entrepris de démarches sérieuses pour trouver une solution de remplacement (ATF 125 III 226 consid. 4c; arrêt du Tribunal fédéral 4C.425/2004 du 9 mars 2005 consid. 3.4 publié in SJ 2005 I p. 397). Il se demandera aussi s'il est particulièrement difficile de trouver des locaux de remplacement, notamment en raison de la nature particulière de l'activité du locataire (arrêt 4A_57/2012 déjà cité consid. 2.3). Il mettra en balance le besoin plus ou moins urgent pour le bailleur de voir partir le locataire (ATF 136 III 190 consid. 6).

3.3 Dans leur jugement, les premiers juges ont relevé que les appelants ne pouvaient faire valoir aucun besoin propre à la prolongation du bail, dès lors qu'ils n'utilisent pas eux-mêmes les locaux en cause. N'étant pas médecins, ils ne sont quoi qu'il en soit pas en mesure de poursuivre l'activité prévue par le bail. Les juges ont également tenu compte, à juste titre, de la durée séparant la notification du congé de l'échéance contractuelle, soit plus de trois ans. Le fait que les appelants ont obtenu une indemnisation pour la remise du cabinet médical a également été relevé, de même que le caractère plus avantageux du prix de cette remise en cas de prolongation du bail.

L'ensemble des éléments pertinents lors de l'application des articles 272 et 272b CO a dès lors été pris en considération par le Tribunal.

Pour le surplus, il ne faut pas perdre de vue que le but d'une prolongation de bail consiste, en priorité, à donner du temps au locataire pour trouver des locaux de remplacement. Dans le cas d'héritiers qui ne sont pas en mesure de poursuivre eux-mêmes l'exploitation des locaux et qui ne cherchent pas de locaux de remplacement, leur intérêt à une prolongation est réduit. Les conséquences, avant tout financières, d'une résiliation et de l'obligation de restituer les locaux, passent dès lors nettement au second plan.

En l'occurrence, l'intimée ne conteste pas que les relations contractuelles avec le locataire défunt se sont étendues sur plusieurs dizaines d'années et que celui-ci a réalisé, à ses frais et à intervalle régulier, certains investissements dans les locaux. L'ampleur de ces dépenses n'a toutefois pas pu être établie avec précision, s'agissant en particulier des travaux portant sur les locaux eux-mêmes. Il est vrai que l'intérêt des appelants à tenter d’obtenir une compensation sur les investissements effectués par leur père ne peut pas être purement et simplement écarté. Il convient toutefois d'observer que la résiliation litigieuse a été donnée plusieurs années à l'avance et que ce délai a permis aux héritiers du locataire initial de convenir, avec les repreneurs, du versement en leur faveur d'un prix de reprise du matériel médical et du bail.

Dans ce contexte, et au vu de l'ensemble des éléments en présence, l'appréciation des premiers juges ne constitue pas une violation des art. 272 et 272b CO. Le jugement attaqué peut dès lors également être confirmé sur ce point.

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 14 janvier 2014 par A______, B______ et C______ contre le jugement JTBL/1354/2013 rendu le 22 novembre 2013 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/24774/2011-6-OSB.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Madame Fabienne GEISINGER-MARIÉTHOZ, juges; Monsieur Alain MAUNOIR et Monsieur Pierre DAUDIN, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

 


Indication des voies de recours
:

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.