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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/8294/2016

ACJC/1170/2018 du 03.09.2018 sur JTBL/593/2017 ( OBL ) , CONFIRME

Normes : CO.67; CO.270
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/8294/2016 ACJC/1170/2018

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

du LUNDI 3 SEPTEMBRE 2018

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 20 juin 2017, représentée par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6,

et

Monsieur B______ et Monsieur C______, domiciliés ______, intimés, comparant par Me Dominique BURGER, avocate, avenue Léon-Gaud 5, 1206 Genève, en l'étude de laquelle ils font élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/593/2017 du 20 juin 2017, expédié pour notification aux parties le 21 juin 2017, le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal) a débouté A______ de toutes ses conclusions (ch. 1), a débouté les parties de toutes autres conclusions et dit que la procédure était gratuite (ch. 2 et 3).

En substance, le Tribunal a considéré que l’action en enrichissement illégitime était prescrite, celle-ci ayant été introduite plus de 10 ans après la conclusion du bail, et que par conséquent A______ ne pouvait plus faire valoir d’intérêt à la fixation judiciaire du loyer initial.

B. a. Par acte expédié le 21 août 2017 au greffe de la Cour de justice, A______ (ci-après : la locataire ou l’appelante) forme appel contre ce jugement. Elle conclut principalement à son annulation et à ce que le Tribunal dise que l’action en fixation judiciaire de loyer et la demande en restitution du trop-perçu de loyer ne sont pas prescrites, fixe le loyer initial à 1'700 fr. et condamne B______ et C______ (ci-après : les bailleurs ou les intimés) à lui verser la part de loyer ainsi versée en trop depuis le début du contrat de bail. Subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause au Tribunal afin qu’il rende un jugement concernant la fixation judiciaire de loyer et la demande en restitution de la part du loyer versée en trop.

b. Dans leur réponse du 25 septembre 2017, les intimés concluent à la confirmation du jugement attaqué.

c. L’appelante ayant renoncé à son droit de répliquer, les parties ont été avisées le 19 octobre 2017 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les éléments suivants résultent de la procédure :

a. A______, locataire, et B______ et C______, bailleurs, sont liés par un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement de 4 pièces situé au 3ème étage de l'immeuble et d’un box, sis au ______, à Genève.

Le bail a été signé le 12 avril 2005 avec effet au 15 avril 2005 pour une durée initiale d'une année, avec renouvellement tacite d'année en année.

Le loyer de l'appartement et du box, charges comprises, a été fixé à 4'000 fr. par mois.

Aucun avis de fixation du loyer initial n'a été remis à la locataire.

b. Par courrier du 11 avril 2016, la locataire, sous la plume de l'ASLOCA, a informé les bailleurs qu'elle avait constaté l'absence d'avis de fixation du loyer initial, de sorte que le loyer initial était nul. Elle considérait que le loyer de l'appartement, box compris, devait être fixé à 1’700 fr. par mois dès le début du bail. Un montant de 303'600 fr. devait en conséquence lui être restitué pour la période du 15 avril 2005 au 15 avril 2016.

c. Par courrier du 19 avril 2016, les bailleurs ont répondu qu'aucune suite ne serait donnée aux exigences de la locataire dans la mesure où celles-ci étaient totalement infondées, tant dans leur principe que dans leur quotité.

d. Le 22 avril 2016, la locataire a agi en fixation judiciaire du loyer et en restitution du trop-perçu.

e. Non conciliée lors de l'audience du 22 septembre 2016, l'affaire a été portée devant le Tribunal le 19 octobre 2016.

A______ a conclu à ce que le loyer initial de l'appartement, box compris, soit fixé à 1’700 fr. par mois, à la restitution de la part de loyer versée en trop depuis le 15 avril 2005 et à la réduction de la garantie bancaire à 3'400 fr. avec libération du solde en sa faveur.

f. Par mémoire réponse du 1er décembre 2016, les bailleurs ont conclu au rejet de la demande. Ils ont invoqué la prescription de la demande en répétition de l'indu, privant également la locataire de l'intérêt à agir en fixation judiciaire du loyer. Subsidiairement, ils ont estimé que la fixation judiciaire du loyer devrait aboutir à la confirmation du loyer initial tel que fixé dans le contrat de bail.

g. Lors de l'audience du 6 mars 2016, la locataire a sollicité un calcul de rendement ainsi que l'audition de témoins au sujet de l'insonorisation de l'immeuble.

Les bailleurs ont persisté à invoquer la prescription, et, à défaut d'admission de cette exception, ont sollicité un transport sur place.

h. Par ordonnance du 9 mars 2017, le Tribunal a clôturé la phase d'administration des preuves, estimant que l'affaire était en état d'être jugée et ne nécessitait pas de plus amples mesures d'instruction, et a fixé aux parties un délai au 30 mars 2017 pour déposer leurs plaidoiries écrites.

i. Par courrier du 30 mars 2017, les bailleurs ont persisté dans leurs conclusions.

j. Par écritures du 4 avril 2017, la locataire a persisté dans ses conclusions. Elle a contesté la prescription de l'action en fixation judiciaire du loyer, faisant valoir que le vice de forme résultant de l'absence d'avis de fixation pouvait être invoqué en tout temps. Sa demande en restitution du trop-perçu n'était prescrite que pour les loyers antérieurs à mai 2006.

k. Par courrier du 25 avril 2017, les bailleurs ont soulevé, en plus de la prescription, l'objection de l'abus de droit, les locataires ayant payé le loyer pendant onze ans sans la moindre contestation.

D. L’argumentation juridique des parties sera examinée dans la mesure utile à la solution du litige.

EN DROIT

1. 1.1. L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Lorsque le litige porte sur le montant du loyer initial, la valeur litigieuse correspond à la différence entre le montant annuel du loyer initial tel que fixé dans le contrat de bail et le montant requis par les locataires, sans les charges, multiplié par vingt (art. 92 al. 2 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_475/2012 du 6 décembre 2012 consid. 1.1).

En l'espèce, l’appelante a conclu à la fixation du loyer, dès le début du bail soit dès le 15 avril 2005, à 20’400 fr. par an, soit 1'700 fr. par mois. Dans la mesure où le loyer fixé par contrat du 12 avril 2005 s'élève à 4’000 fr. par mois (48'000 fr. par an), sans les charges, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que le voie de l'appel est ouverte.

1.2. Selon l'art. 311 al. 1 CPC, l'appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance d'appel dans les 30 jours à compter de la notification de la décision.

Interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC), l’appel est donc recevable.

1.3. La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC; Hohl, Procédure civile, tome II, 2010, n. 2314 et 2416).

2. L’appelante reproche au Tribunal d’avoir considéré que tant l’action en répétition de l’indu que l’action en fixation du loyer initial étaient prescrites, car introduites plus de dix ans après la conclusion du bail.

Selon elle, dès lors que le paiement du loyer est une prestation périodique, le dies a quo du délai de prescription absolu de 10 ans prévu par l’art. 67 CO a commencé à courir dès chaque paiement de loyer mensuel. Sur cette base, le Tribunal aurait dû admettre que l’action en enrichissement illégitime n’était pas prescrite pour les loyers payés depuis le mois de mai 2006, soit 10 ans avant le dépôt de sa demande en conciliation.

Les intimés ne contestent pas la nullité partielle du contrat de bail sous l’angle du loyer en raison de l’absence de notification d’un avis officiel de fixation du loyer initial ni le respect du délai de prescription relatif de l’art. 67 al. 1 CO. Ils suivent l’avis du Tribunal au sujet du délai de prescription absolu de cette disposition.

2.1. Lorsque le bail a été conclu sans que soit utilisée la formule officielle ou sans que la hausse de loyer n'y soit motivée, le locataire peut agir en fixation judiciaire du loyer initial et en restitution de l'éventuel trop-perçu. Il s'agit là d'un cumul d'actions (art. 90 CPC) : la première tend, après constatation, à titre préjudiciel, de la nullité du loyer convenu, à la fixation judiciaire de celui-ci et la seconde, en tant que conséquence de la première, vise à la restitution des prestations effectuées sans cause conformément aux règles de l'enrichissement illégitime (art. 62 ss CO) (ATF 140 III 583 consid 3.2.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_517/2014 du 2 février 2015 consid. 4.1.2).

Puisque le législateur n'a pas prévu de règle limitant l'invocation du vice de forme dans le temps, par exemple à la durée du bail, seules les règles de la prescription peuvent constituer une limite à l'intérêt du locataire à agir en justice. Son action pour cause d'enrichissement illégitime se prescrit par un an à compter du jour où il a eu connaissance de son droit de répétition et, dans tous les cas, par dix ans dès la naissance de ce droit, conformément à l'art. 67 al. 1 CO - l'art. 128 ch. 1 CO ne s'appliquant pas (ATF 130 III 504 consid. 6.2 et les références) -, de sorte que tant que son action n'est pas prescrite ou que le débiteur n'a pas soulevé l'exception de prescription (art. 142 CO), le locataire a également un intérêt à son action en fixation judiciaire du loyer (ATF 140 III 583 consid 3.2.3; arrêts du Tribunal fédéral 4A_254/2016 du 10 juillet 2017 consid 3.1.3.1 et 4A_517/2014 du 2 février 2015 consid. 4.1.2).

Le délai absolu de 10 ans court, selon les termes de la loi (art. 67 CO), dès la naissance du droit à répétition, par quoi il faut comprendre que le délai court dès l’exigibilité de la prétention (art. 130 CO) qui sera donnée au moment de la naissance du droit (art. 75 CO). Le moment auquel le droit prend naissance variera selon le type d’enrichissement illégitime auquel on a affaire. La naissance du droit et l’exigibilité de ce dernier interviendront au moment de l’exécution de la prestation en cas d’enrichissement illégitime pour absence de cause (CHAPPUIS, CR CO I, 2012 art. 67 CO N 5).

Pour Fetter (La contestation du loyer initial, Berne, 2005, p. 267), la naissance du droit à la restitution correspond au moment d’exigibilité de la créance. Lorsque le loyer initial est nul en raison d’un vice de forme dans la notification de la formule officielle, l’exigibilité coïncide avec le paiement du loyer, c’est-à-dire la fin de chaque mois (art. 257c CO), puisque celui-ci ne découle pas d’une cause valable.

Toutefois, la raison pour laquelle la prescription de la créance en restitution de loyer est soumise aux règles de l’enrichissement illégitime tient au fait que, bien que l’on soit en présence de prestations périodiques, la restitution de celles-ci se fait en principe en une seule fois lorsque la nullité de la cause des prestations fournies est constatée (PICHONNAZ, CR CO I, 2012, art. 128 CO N 7).

Selon Lachat (Le bail à loyer, Lausanne, 2008, p. 398), le locataire peut se plaindre en tout temps d’une informalité dans la notification de la formule officielle et exciper de compensation ou réclamer de son bailleur le trop-perçu de loyer, dans l’année qui suit le jour où il a connu son droit à la restitution, mais au plus tard 10 ans après la conclusion du bail.

Carron, dans un commentaire de l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_517/2014 cité ci-dessus (DB 27/2015 N. 16, p. 37, ch. 13) estime que tant que dure le bail, le locataire dispose toujours d’un intérêt à invoquer le vice de forme lors de la notification du loyer initial, ne serait-ce que pour la fixation des loyers futurs. Ainsi, selon lui, le locataire a toujours intérêt à agir en justice en fixation du loyer initial, même si son action en restitution du trop-perçu est déjà prescrite.

Toutefois, le Tribunal fédéral a ultérieurement confirmé sa jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 4A_254/2016 du 10 juillet 2017 consid. 3.1.3.1).

2.2. En l’espèce, au vu de ce qui précède, l’on ne saurait, ainsi que l’appelante le souhaiterait, tenir compte du fait que l’on se trouve en présence de prestations périodiques et admettre que chaque paiement d’un loyer mensuel fait partir le délai de prescription absolu de 10 ans.

Il convient de considérer la prétention en répétition de l’indu de l’appelante comme une prétention unique et non comme une succession de prétentions périodiques. Il y a ainsi lieu d’appliquer le délai de prescription absolu de 10 ans à l’ensemble de la prétention en enrichissement illégitime.

Par conséquent, l'action en restitution des parts de loyer payées en trop est prescrite. En conformité du principe posé par le Tribunal fédéral, la locataire n'a plus d'intérêt à agir en fixation du loyer initial. Pour le surplus, la Cour fait siens les développements du Tribunal.

Le jugement entrepris sera ainsi confirmé.

3. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers, étant rappelé que l'art. 116 al. 1 CPC autorise les cantons à prévoir des dispenses de frais dans d'autres litiges que ceux visés à l'art. 114 CPC (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l’appel interjeté le 21 août 2017 par A______ contre le jugement JTBL/593/2017 rendu le 20 juin 2017 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/8294/2016-6.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD et Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Laurence CRUCHON et Monsieur Mark MULLER, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

Le président :

Ivo BUETTI

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.