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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/1780/2021

DCSO/482/2022 du 24.11.2022 ( PLAINT ) , ADMIS

Descripteurs : Collocation; créances contestées; procédures judiciaires à l'étranger
Normes : lp.244; lp.245; oaof.59.al3; oaof.63; lp.210
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1780/2021-CS DCSO/482/22

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 24 NOVEMBRE 2022

 

Plainte 17 LP (A/1780/2021-CS) formée en date du 21 mai 2021 par A______, élisant domicile en l'étude de Me Jean-Jacques Martin, avocat.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du ______ à :

-       A______

c/o Me MARTIN Jean-Jacques

Martin Davidoff Fivaz Hay

Rue du Mont-Blanc 16

1201 Genève.

- Office cantonal des faillites.

 

 


EN FAIT

A. a. La faillite personnelle de A______ (n° 1______), architecte, a été ouverte par jugement prononcé le 5 février 2010 par le Tribunal de première instance de Genève.

b. Le 2 septembre 2010, la SCI B______ (ci-après: la SCI) a produit dans cette faillite à l'encontre de A______ une créance totale de 7'808'506 fr., soit la contre-valeur de 5'983'300 €, avec intérêts à 5 % dès le 22 février 2006, fondée sur des contrats conclus entre les précités en avril 2004 en vue de la rénovation, notamment par A______, du complexe immobilier du Domaine de D______ à C______ (France).

Cette production était décomposée comme suit :

- 3'341'453 € au titre de montants réclamés en justice à la SCI par certains sous-traitants;

- 1'111'524 € à titre de créances cédées à la SCI par certains sous-traitants;

- 1'000'000 € à titre de montants réclamés par la SCI à A______;

- 222'000 € correspondant à des pénalités contractuelles de retard dues par A______ à la SCI;

- 308'323 € au titre de TVA payée par la SCI suite à un redressement.

c. Le 9 février 2011, l'Office cantonal des faillites (ci-après : l'Office) a fait publier l'état de collocation de la faillite de A______.

La créance globale de la SCI y était admise en troisième classe sous le titre "créance résultant de contrats en relation avec le Domaine de D______ à C______" et avec la mention suivante : "Votre créance est admise en 3ème classe pour mémoire. La collocation de production créance est réservée en raison de procédures pendantes diligentées contre le failli à savoir : 1) demande de paiement pendante devant le Tribunal de grande instance de E______ [France], avec demande reconventionnelle. L'administration de la faillite décide de poursuivre ce procès. Les créanciers sont invités à faire connaître leur avis dans le délai de 10 jours dès la présente publication étant entendu que ceux qui ne répondront pas ou ne déclareront pas par écrit s'abstenir seront considérés comme approuvant la proposition de l'administration de la faillite".

d. A la suite d'une plainte de la SCI contre l'état de collocation, la Chambre de surveillance a constaté, aux termes de sa décision DCSO/274/2011 du 25 août 2011, que les créances en 1'111'524 € et 1'000'000 € pouvaient être mentionnées pour mémoire à l'état de collocation, conformément à l'art. 63 al. 3 OAOF, dès lors qu'il s'agissait de prétentions qui faisaient l'objet de procédures judiciaires déjà pendantes devant les autorités compétentes françaises lors de l'ouverture de la faillite.

Tel n'était pas le cas des trois autres productions, en 3'341'453 € 308'323 €, 222'000 €, à l'égard desquelles l'Office n'était pas en mesure de prendre une position claire.

Aussi, en application des art. 247 LP et 59 al. 3 OAOF, l'Office était invité à établir un nouvel état de collocation rectifié, lequel devait inscrire en 3ème classe ces prétentions de la créancière, avec l'indication que la décision définitive à leur sujet resterait suspendue jusqu'à droit jugé.

e. Le ______ 2021, l'Office a déposé une nouvelle version de l'état de collocation de la faillite de A______ et publié cette information dans la Feuille d'avis officielle du ______ 2021.

Les cinq productions de la SCI B______ (n° ______ à ______) ont été admises en troisième classe, à concurrence de leur contrevaleur en francs suisses, avec la précision suivante pour chacune d'entre elles : "Cette créance est colloquée jusqu'à la réalisation de la condition suspensive (jugement exécutoire et entré en force des tribunaux français reconnaissant l'existence de la créance). Aucun dividende ne sera distribué et aucun acte de défaut de biens ne sera délivré à SCI B______ avant la réalisation de la condition (art. 210 et 264 al. 3 LP)."

B. a. Par acte posté le 21 mai 2021, A______ a porté plainte contre l'état de collocation déposé le ______ 2021. C'était à tort que les productions de la SCI B______ avaient été admises, alors qu'aucun jugement exécutoire des tribunaux français ne figurait dans les dossiers de l'Office. Il convenait de prendre contact avec le conseil en France de la masse en faillite pour connaître l'avancement de ces procédures.

En l'état, les productions de la SCI B______ devaient être écartées.

b. Dans son rapport, l'Office a indiqué qu'il avait décidé, dans le respect de la précédente décision de l'autorité de surveillance, de trouver une solution permettant de mener à terme la liquidation de la faillite. Compte tenu des actifs inventoriés, seuls les créanciers de première classe seraient partiellement désintéressés, de sorte que la collocation en 3ème classe, sous condition, des productions de la SCI B______ ne lésait pas les intérêts du failli, puisque tant que la condition suspensive ne serait pas réalisée, aucun acte de défaut de bien ne serait délivré à la SCI B______. Les intérêts des créanciers n'étaient pas non plus lésés, aucun dividende n'étant distribué à la créancière considérée pour la même raison.

c. A l'audience du 7 décembre 2021, l'Office a précisé que le conseil de la masse en faillite en France avait affirmé que les procédures judiciaires en France avaient été radiées, à la suite du décès du co-défendeur de A______, la SCI n'ayant pas régularisé sa situation procédurale à l'égard des héritiers. Pour l'Office il n'était toutefois pas clair si cette radiation concernant la procédure principale opposant la SCI à A______.

Le conseil de A______ a indiqué de son côté que la portée des décisions françaises sur les prétentions de la SCI n'était pas claire. Pour A______, il était important que des actes de défaut de biens ne soient pas délivrés à la SCI, alors que les prétentions contestées de celle-ci pouvaient être aussi bien prescrites qu'éteintes.

A l'issue de l'audience, les parties ont été invitées à renseigner la Chambre de céans sur la situation procédurale concernant les productions de la SCI.

d. Dans le délai prolongé au 31 mars 2022, l'Office a indiqué que les avis des avocats français représentant la masse en faillite, d'une part, et la SCI, d'autre part, concernant l'état des procédures divergeaient. Pour le conseil de la masse en faillite, les procédures avaient été radiées et la garantie décennale était selon lui expirée. Pour le conseil de la SCI, les prétentions de cette dernière n'étaient pas prescrites.

Pour l'Office, l'admission des prétentions de la SCI sous l'angle de la vraisemblance ne portait pas préjudice au failli. En effet, il n'y avait pas de dividende prévisible pour les créanciers de troisième classe et l'acte de défaut de biens délivré à la SCI préciserait que le failli ne reconnaissait pas la créance, de sorte qu'il ne valait pas reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 LP.

L'Office a produit un courriel du conseil français de la masse en faillite du
21 février 2022, à teneur duquel "toutes les prescriptions" étaient acquises dans ce dossier d'autant que les procédures avaient été radiées, ce qui privait les instances de leurs effets interruptifs, si la remise au rôle n'avait pas été dans les deux ans, ce qui était le cas en l'espèce.

e. Aux termes de sa détermination du 25 avril 2022, A______ a observé que les productions de la SCI devaient être tout simplement écartées.

f. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de la LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre des mesures prises par l'office qui ne peuvent être attaquées par la voie judiciaire (art. 17 al. 1 LP).

A qualité pour former une plainte toute personne lésée ou exposée à l'être dans ses intérêts juridiquement protégés, ou tout au moins touchée dans ses intérêts de fait, par une décision ou une mesure de l'office (ATF 138 III 628 consid. 4; 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3).

La plainte doit être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP). Elle peut également être déposée en tout temps en cas de nullité de l'acte contesté (art. 22 al. 1 LP).

1.2.1 En l'occurrence, la plainte est dirigée contre l'état de collocation publié une nouvelle fois le ______ 2021, au motif qu'il comporte des mentions à l'égard de cinq productions qui seraient en contradiction avec une précédente décision de la Chambre de surveillance à ce sujet.

La voie de la plainte est ouverte pour contester l'état de collocation lorsque celui-ci est imprécis, inintelligible, entaché de vices de forme ou encore lorsque certaines prescriptions de procédure en relation avec le droit matériel n'ont pas été observées (arrêt du Tribunal fédéral 5A_329/2012 du 5 septembre 2012 consid. 4.4.1). La question de savoir si et dans quelle mesure la créance litigieuse doit effectivement participer à la liquidation de la faillite doit en revanche faire l'objet de l'action en contestation de l'état de collocation de l'art. 250 LP (ATF
119 III 84 consid. 2).

Dans la mesure où la contestation concerne le respect par l'Office des règles sur la collocation, au sens des articles 56 et 63 OAOF, la plainte est recevable.

1.2.2 Le plaignant a par ailleurs agi en temps utile, soit dans le délai de dix jours après la publication en date du ______ 2021. Pour le surplus, la plainte a été déposée dans les formes prévues par la loi par une personne lésée dans ses intérêts juridiquement protégés.

Elle est donc recevable.

2. 2.1.1 L'administration de la faillite examine chaque production et fait les vérifications nécessaires; elle consulte le failli (art. 244 LP). Elle statue ensuite sur l'admission au passif; elle n'est pas liée par les déclarations du failli (art. 245 LP). Bien que l'administration ait l'obligation de vérifier précisément chaque créance produite, l'examen doit rester sommaire. Elle ne vérifie pas l'existence de la production, mais admet au passif la prétention dont l'existence lui paraît vraisemblable (arrêt du Tribunal fédéral 5A_329/2012 du 5 septembre 2012 consid. 4.4.3). Dans les 60 jours qui suivent l'expiration du délai pour les productions, elle dresse l'état de collocation conformément aux dispositions des art. 219 et 220 LP (art. 247 al. 1 LP). L'état de collocation est déposé à l'office.

2.1.2 En principe, l'administration de la faillite doit statuer sur chaque production. Par exception à ce principe, l'art. 59 al. 3 OAOF prévoit que si l'administration ne peut prendre de décision sur l'admission ou le rejet d'une production, elle doit ou suspendre le dépôt de l'état de collocation ou le compléter ultérieurement et le déposer à nouveau en faisant les publications nécessaires. Dans la première hypothèse, le dépôt de l'état de collocation est suspendu dans son entier. Dans la seconde, il est complété ultérieurement quant aux seules productions en cause (ATF 92 III 27 consid. 1; Jaques, in Commentaire romand, Poursuite et faillite, 2005, n° 37 ad art. 245 LP).

2.1.3 S’agissant des créances faisant l’objet d’un procès au moment de l’ouverture de la faillite, l’art. 63 al. 1 OAOF prévoit que l’administration de la faillite n’a pas à statuer sur l’admission au passif de ce type de prétentions, mais doit les mentionner pour mémoire dans l’état de collocation. Elle doit toutefois vérifier si la prétention produite est identique à la prétention déduite en justice quant à la cause et au montant. Le cas échéant, elle exige du créancier qu’il présente les moyens de preuve nécessaires (art. 59 al. 1 OAOF), la violation de cette disposition pouvant faire l’objet d’une plainte dans le délai de l’art 17 al. 2 LP. Si le procès n’est continué ni par la masse ni par les créanciers autorisés à le faire (art. 260 LP), la prétention produite est considérée comme reconnue et est inscrite de façon définitive à l’état de collocation (art. 63 al. 2 OAOF). Si le procès est continué la créance sera, selon le jugement rendu, ou radiée ou colloquée définitivement. Dans un cas comme dans l’autre (art. 63 al. 2 et 3 OAOF), les créanciers n’ont plus le droit d’attaquer l’admission de la créance au passif et l’état de collocation ne fait pas l’objet d’une nouvelle publication (Pierre-Robert Gilliéron, Commentaire, ad art. 244, n° 14).

2.1.4 De manière générale, un état de collocation passé en force ne peut plus être modifié, sauf s'il se révèle qu'une créance a été admise ou écartée manifestement à tort - en raison d'une inadvertance de l'administration de la faillite -, si un rapport de droit s'est modifié depuis la collocation ou encore lorsque des faits nouveaux justifient une révision. Mais, dans tous les cas, on ne peut revenir sur la collocation que pour des motifs qui se sont réalisés ou ont été connus après qu'elle est entrée en force. Il n'est pas question de soumettre à une nouvelle appréciation juridique, en particulier lors de la distribution des deniers, des faits connus au moment de la collocation et d'en tirer argument pour modifier la décision (ATF 139 III 384 consid. 2.2.1).

2.2 Aux termes de sa précédente décision du 25 août 2011, entrée en force, la Chambre de céans a retenu que les cinq productions de la SCI devaient être colloquées différemment. Deux d'entre elles pouvaient être mentionnées pour mémoire à l'état de collocation, conformément à l'art. 63 al. 3 OAOF, dès lors qu'il s'agissait de prétentions qui faisaient l'objet de procédures judiciaires déjà pendantes devant les autorités compétentes françaises lors de l'ouverture de la faillite, procédures que la masse en faillite avait poursuivies.

S'agissant des trois autres productions, l'Office était invité, en application des art. 247 LP et 59 al. 3 OAOF, à les inscrire en 3ème classe, avec l'indication que la décision définitive à leur sujet resterait suspendue jusqu'à droit jugé.

Dix ans après cette décision, l'Office a établi une nouvelle version de l'état de collocation, dans lequel les cinq prétentions de la SCI sont traitées comme des créances subordonnées à des conditions au sens de l'art. 210 LP. Or, il est constant que les prétentions de la SCI ne sont pas des créances conditionnelles mais bien des créances contestées dont l'admission dépend en particulier de l'issue de procédures en France. C'est donc à tort que l'Office a fait application de l'art. 210 LP pour colloquer ces créances, étant rappelé qu'une production ne peut être admise ou écartée sous condition (art. 59 al. 2 OAOF).

L'Office n'allègue du reste pas que des éléments nouveaux seraient survenus depuis le prononcé de la décision de la Chambre de surveillance de 25 août 2011, qui justifiaient une modification du traitement de ces productions.

Les incertitudes qui entourent l'état des procédures judiciaires françaises et qui retardent effectivement la clôture de la faillite doivent être dissipées, étant précisé que selon le conseil français de la masse en faillite, ces procédures seraient depuis lors radiées. L'Office est ainsi invité à solliciter de l'avocat français de la masse en faillite des précisions sur la radiation de ces procédures et leurs conséquences sur les prétentions. Ces démarches ne sont pas susceptibles de faire obstacle à une éventuelle distribution provisoire en faveur des créanciers de première classe, qui peut intervenir aussi en cas de liquidation sommaire de la faillite.

Bien fondée, la plainte sera admise et l'Office invité à inscrire les prétentions de la SCI conformément aux instructions données par la Chambre de surveillance dans sa décision du 25 août 2011.

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP; 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :


A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 21 mai 2021 par A______ à l'encontre de l'état de collocation établi le ______ 2021 par l'Office cantonal des faillites et publié dans la Feuille d'avis officielle du ______ 2021.

Au fond :

L'admet dans le sens des considérants.

Invite l'Office cantonal des faillites à établir un nouvel état de collocation rectifié conformément au dispositif de la décision DCSO/274/2011 du 25 août 2011.

Siégeant :

Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, présidente; Madame Natalie OPPATJA et Monsieur Anthony HUGUENIN, juges assesseurs; Madame Christel HENZELIN, greffière.

La présidente :

Verena PEDRAZZINI RIZZI

 

La greffière :

Christel HENZELIN

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.