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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/3307/2021

DCSO/95/2022 du 17.03.2022 ( PLAINT ) , REJETE

Normes : lp.284.letA
Résumé : Poursuite dirigée contre le trustee mais portant sur le patrimoine du trust.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3307/2021-CS DCSO/95/22

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 17 MARS 2022

 

Plainte 17 LP (A/3307/2021-CS) formée en date du 23 septembre 2021 par A______, élisant domicile en l'étude de Me Daniel Kinzer, avocat.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du à :

-       A______

c/o Me KINZER Daniel

CMS von Erlach Partners SA

Rue Bovy-Lysberg 2

Case postale

1211 Genève 3.

- B______

c/o Me HASSBERGER Marc

Chabrier Avocats SA

Rue du Rhône 40

Case postale 1363

1211 Genève 1.

- Office cantonal des poursuites.

 

 


EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : A______) est depuis le
9 mai 2016 trustee du C______ (ci-après : le Trust), constitué le
8 août 2010 selon le droit des Iles Bahamas, dont les bénéficiaires sont les
trois enfants du couple alors constitué par A______ et son épouse B______ (ci-après : B______).

Le 5 juillet 2016, A______, en sa qualité de trustee, a ouvert au nom du Trust, auprès de la société de gestion de fortune genevoise D______ SA (ci-après : D______), un compte n° 1______ destiné à recevoir tout ou partie du patrimoine constitué en trust (ci-après : les actifs du Trust). Il dispose seul d'un pouvoir de signature individuel sur ce compte.

b. Par jugement du 22 mars 2018, le Tribunal des affaires familiales de E______ (Israël) a ratifié la convention de divorce passée le même jour entre A______ et B______, lui conférant ainsi les effets d'un jugement selon la loi israélienne. Selon l'art. 16 de cette convention, les avoirs crédités sur le compte ouvert auprès de D______ devaient être partagés en deux parts égales, l'une revenant en pleine propriété à l'époux et la seconde en pleine propriété à l'épouse. Ces derniers s'engageaient à coopérer dans le cadre de l'exécution de cette disposition.

Dans un second jugement prononcé le 24 mai 2018 – reconnu et déclaré exécutoire en Suisse par jugement du Tribunal de première instance du
15 août 2018 – le Tribunal des affaires familiales du district de E______ a précisé que la moitié des actifs déposés sur le compte n° 1______ auprès de D______, augmentée d'un montant de 500'000 US$, devait être virée sur un compte séparé ouvert au nom de B______, le solde devant être versé sur un compte séparé au nom de A______.

c. Le 15 juillet 2021, B______ a déposé à l'encontre de A______, "en tant que Trustee et représentant de C______", une requête de séquestre par laquelle elle a sollicité le séquestre, à hauteur des montants de 14'923'457 fr. 40 plus intérêts au taux de 5% l'an à compter du 24 mai 2018 et de 457'150 fr. plus intérêts au taux de 5% l'an à compter du 24 mai 2018, de tous avoirs déposés auprès de D______ "au nom de ou en lien avec C______". Il résulte de cette requête que, du point de vue de B______, les décisions israéliennes des 22 mars et 24 mai 2018 lui conféraient une prétention directement exécutoires sur les actifs du Trust déposés auprès de D______, prétention qu'elle pouvait faire valoir à l'encontre de A______ en sa qualité de trustee.

d. Par ordonnance du 15 juillet 2021, le Tribunal a fait droit à cette requête de séquestre en tant qu'elle portait sur les actifs du Trust déposés au nom de ce dernier auprès de D______.

Le séquestre a été exécuté le jour même par l'Office cantonal des poursuites.

Le procès-verbal de séquestre a été établi le 12 août 2021 et communiqué par pli du 8 septembre 2021 au conseil de A______, qui l'a reçu le 13 septembre 2021.

e. Le 23 septembre 2021, A______ a déposé auprès du Tribunal une opposition – au sens de l'art. 278 LP – au séquestre ordonné le 15 juillet 2021, concluant à sa révocation. La procédure (cause C/3______/2021) est toujours en cours.

B. a. Par acte adressé le 23 septembre 2021 à la Chambre de surveillance, A______ a formé une plainte au sens de l'art. 17 LP contre le procès-verbal de séquestre du 12 août 2021, concluant à la constatation de sa nullité, subsidiairement à son annulation, ainsi qu'à ce qu'il soit dit que le séquestre n'avait pas porté. A l'appui de ces conclusions, il a fait valoir que l'art. 11 let. a de la Convention de la Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance, ratifiée par la Suisse le 26 avril 2007 et entrée en vigueur pour la Suisse le 1er juillet 2007 (RS 0.221.371; ci-après CLAH-Trust), prohibait la saisie de biens détenus en trust par un trustee.

b. Dans ses observations du 20 octobre 2021, l'Office a conclu au rejet de la plainte au motif que l'art. 92 LP ne prévoyait pas l'insaisissabilité de biens détenus en trust.

c. Par détermination du 20 octobre 2021, B______ a elle aussi conclu au rejet de la plainte, expliquant que la poursuite litigieuse n'était pas dirigée contre A______ à titre personnel mais qu'elle visait le patrimoine du Trust, qui pouvait avoir un passif et des créanciers. Dans la mesure toutefois où le Trust ne bénéficiait d'aucune personnalité juridique, la poursuite, visant à obtenir le désintéressement du poursuivant par la réalisation forcée de biens détenus en trust, devait être formellement dirigée contre le trustee, soit en l'espèce A______.

d. Par réplique du 1er novembre 2021, A______, tout en prenant acte des explications de la poursuivante, a persisté dans ses conclusions et produit un avis de droit confirmant, pour l'essentiel, que les biens détenus en trust ne pouvaient être réalisés dans une procédure d'exécution portant sur des dettes personnelles du trustee.

e. Par duplique du 12 novembre 2021, B______ a elle aussi persisté dans ses conclusions.

f. La cause a été gardée à juger le 1er décembre 2021.

 

 

 

 

 

EN DROIT

1. Déposée en temps utile (art. 17 al. 2 LP) et dans les formes prévues par la loi
(art. 9 al. 1 et 2 LALP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicables par renvoi de l'art. 9 al. 4 LALP), auprès de l'autorité compétente pour en connaître (art. 6 al. 1 et 3 LALP; art. 17 al. 1 LP), à l'encontre d'une mesure de l'Office pouvant être attaquée par cette voie (art. 17 al. 1 LP) et par une partie lésée dans ses intérêts (ATF
138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3), la plainte est recevable.

2. 2.1 La reconnaissance en Suisse de l'existence et des effets d'un trust est régie par la CLAH-Trust, dont l'art. 2, applicable par renvoi de l'art. 149a LDIP, définit le trust comme "les relations juridiques créées par une personne, le constituant – par acte entre vifs ou à cause de mort – lorsque des biens ont été placés sous le contrôle d'un trustee dans l'intérêt d'un bénéficiaire ou dans un but déterminé" (al. 1) avec les caractéristiques suivantes : "les biens du trust constituent une masse distincte et ne font pas partie du patrimoine du trustee" (al. 2 let. a), "le titre relatif aux biens du trust est établi au nom du trustee ou d'une autre personne pour le compte du trustee" (al. 2 let. b) et "le trustee est investi du pouvoir ou chargé de l'obligation, dont il doit rendre compte, d'administrer, de gérer ou de disposer des biens selon les termes du trust et les règles particulières imposées au trustee par la loi" (al. 2 let. c).

Selon l'art. 6 CLAH-Trust, auquel renvoie l'art. 149c LDIP, le trust est régi par la loi choisie par le constituant (settlor) et doit en principe être reconnu en Suisse s'il a été créé conformément à cette loi (art. 11 al. 1 CLAH-Trust). Cette reconnaissance implique celle de la distinction entre le patrimoine du trust et celui du trustee lui-même (art. 11 al. 2 CLAH-Trust), ce dernier devant toutefois pouvoir agir comme demandeur ou défendeur dans les affaires relatives au patrimoine du trust. Dans la mesure où la loi applicable au trust le prévoit (ce qui, selon l'avis de droit produit par le plaignant, est le cas du droit bahaméen), la reconnaissance implique également que les créanciers personnels du trustee ne puissent se satisfaire sur les biens du trust (art. 11 al. 3 let. a CLAH-Trust).

Du fait qu'il ne dispose pas de la personnalité juridique, un trust ne peut être titulaire de droits ou d'obligations. Le patrimoine constitué en trust ("trust fund") appartient ainsi formellement au trustee (parmi d'autres : Bopp, BSK SchKG II, N 2 ad art. 284a LP), par lequel, ou contre lequel, doivent être exercés les droits et obligations formant ce patrimoine. Conformément à l'art. 11 al. 2 et 3 CLAH-Trust, le patrimoine du trust, bien qu'appartenant formellement au trustee, doit être distingué de celui appartenant en propre à ce dernier et, en cas de procédure d'exécution forcée engagée contre lui, ne peut en principe ni être saisi ni tomber dans sa masse en faillite.

Il est toutefois possible que le patrimoine du trust réponde en tant que tel de prétentions relatives au trust mais dirigées formellement contre le trustee, pris en cette qualité. C'est la loi applicable au trust qui détermine à cet égard dans quels cas et à quelles conditions le trustee peut engager directement le patrimoine du trust et les créanciers (formellement du trustee) demander des mesures d'exécution forcée sur les biens constitués en trust (Message du Conseil fédéral concernant l'approbation et l'exécution de la Convention de La Haye relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance [ci-après : Message], in FF 2006
p. 561 ss., 609; Bopp, op. cit., N 7 ad art. 284a LP; Grisel, Le trust en Suisse, 2020, pp. 185 §B.1 et 187/188 § C.1).

Lorsque le titulaire d'une prétention dirigée formellement contre le trustee mais relative au patrimoine constitué en trust considère que ledit patrimoine répond de cette prétention, il doit, selon l'art. 284a al. 1 LP, engager une poursuite contre le trustee "en qualité de représentant du trust". En pratique, la réquisition de poursuite devra indiquer que le trustee est poursuivi en qualité de représentant d'un trust et, sous la rubrique relative à la cause de l'obligation, mentionner que ladite cause est une dette se rapportant au trust (Message, p. 609; Grisel, op. cit. p. 188; Bopp, op. cit. N 10 ad art. 284a LP et références citées).

2.2 Est litigieuse en l'espèce la question de savoir si les avoirs déposés auprès de D______ – dont il est admis qu'ils constituent tout ou partie du patrimoine d'un trust dont le plaignant est trustee – pouvaient ou non être séquestrés.

Il résulte à cet égard du dossier, en particulier de la requête de séquestre formée le 15 juillet 2021 par l'intimée, que celle-ci estime disposer d'une prétention pouvant être exercée directement sur le patrimoine du trust, raison pour laquelle elle a dirigé sa requête contre le plaignant "en tant que Trustee et représentant" dudit Trust, reprenant ainsi la formulation de l'art. 284a al. 1 LP. Les objets à séquestrer, tels qu'énumérés dans la requête de séquestre et repris dans l'ordonnance de séquestre, ont été d'emblée désignés comme détenus en trust par le plaignant et l'intimée a exposé en quoi la prétention invoquée se rapporte – à son sens – au patrimoine du Trust. On se trouve bien ainsi dans le cas de figure prévu par l'art. 284a al. 1 LP, soit celui dans lequel le poursuivant fait valoir dans une poursuite dirigée contre le trustee une prétention dont répond le patrimoine du Trust. Or, dans la mesure où une poursuite engagée conformément à l'art. 284a al. 1 LP est susceptible d'aboutir à une faillite du trustee limitée au patrimoine du trust (art. 284a al. 3 LP), on ne voit pas ce qui ferait obstacle à des mesures conservatoires – telles le séquestre – frappant tout ou partie de ce même patrimoine.

Pour prétendre à l'insaisissabilité des avoirs qu'il détient en trust, le plaignant se réfère à des dispositions légales suisses, bahaméennes et internationales traitant de procédures relatives à des dettes personnelles du trustee, et donc dénuées de pertinence lorsque, comme dans le cas d'espèce, il est soutenu que le patrimoine du Trust répond directement d'une prétention.

Comme celles de l'existence et du montant de la prétention invoquée en poursuite, la question de savoir si le patrimoine du trust en répond effectivement relève pour sa part du droit matériel et donc de la compétence du juge civil, et non de celle des autorités de poursuite.

C'est ainsi à juste titre que l'Office a exécuté l'ordonnance de séquestre du
15 juillet 2021, quand bien même les actifs à séquestrer sont détenus en trust par le poursuivi. La plainte doit dès lors être rejetée.

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 23 septembre 2021 par A______ contre le procès-verbal de séquestre n° 2______ du 12 août 2021.

Au fond :

La rejette.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Monsieur Luca MINOTTI et
Monsieur Mathieu HOWALD; Madame Christel HENZELIN, greffière.

 

Le président :

Patrick CHENAUX

 

La greffière :

Christel HENZELIN

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.