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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2498/2021

JTAPI/492/2022 du 12.05.2022 ( LCR ) , SANS OBJET

Descripteurs : INTÉRÊT ACTUEL;DÉPENS
Normes : LPA.60
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

pouvoir judiciaire

A/2498/2021 LCR

JTAPI/492/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 12 mai 2022

 

dans la cause

 

Madame A ______, Monsieur B ______, Monsieur C ______ et Monsieur D ______, représentés par Me Michel BOSSHARD, avocat, avec élection de domicile

 

contre

DÉPARTEMENT DES INFRASTRUCTURES-OCT, représenté par Me Tobias ZELLWEGER, avocat, avec élection de domicile

VILLE DE GENEVE, intervenante, représentée par Me Tobias ZELLWEGER, avocat, avec élection de domicile

 


EN FAIT

1.             Le 6 juin 2018, le Conseil municipal de la Ville de Genève a adopté une motion M 1'355 intitulée « Pour une rue de la Croix-Rouge sans danger », demandant au Conseil administratif d'étudier la création de pistes cyclables sur la rue de la Croix-Rouge et l'installation d'un passage piéton face au Palais Eynard.

2.             Le 29 octobre 2019, suite à un rapport rendu par le bureau E ______ le 26 novembre 2018 dans le cadre d'une étude de faisabilité commandée par le canton et la ville de Genève, l'office cantonal des transports (ci-après : OCT) a rendu un rapport explicatif au sujet de la réglementation de la circulation à la rue de la Croix-Rouge. Cette voie constituait une voie de circulation à double sens appartenant au réseau secondaire. Sur son tronçon compris entre la place de Neuve et la rue René-Louis Piachaud était aménagée une voie réservée aux bus et aux taxis dans le sens de la montée. Selon la loi pour une mobilité cohérente et équilibrée, la rue de la Croix-Rouge était située en zone 1, où la priorité en matière de gestion du trafic et d'aménagement des réseaux était donnée à la mobilité douce et aux transports publics. Par ailleurs, la motion 1'355 « pour une rue de la Croix-Rouge sans danger » avait été acceptée par le Conseil municipal avec la demande d'étudier la faisabilité d'aménagement cyclable, ce qui n'était pas possible avec le maintien et le sens de circulation. En tenant compte également de la mise en service du Léman express qui allait permettre un certain gain de capacité du réseau routier pour d'autres modes que la voiture, il était proposé de réglementer la rue de la Croix-Rouge en n'y autorisant que la circulation des bus, des cycles et les taxis pour la voie de circulation en direction de la place de Neuve, le sens de circulation inverse restant inchangé par rapport à la situation actuelle. Il convenait dès lors de réglementer le sens de circulation en direction de la place de Neuve pour la rue de la Croix-Rouge, la place des Casemates et la rue de l'Athénée sur son tronçon compris entre la rue de la Croix-Rouge et le boulevard Émile-Jacques Dalcroze, en y interdisant la circulation des voitures automobiles et des motocycles, les bus et les taxis n'étant pas soumis à cette interdiction. Au boulevard Émile-Jacques Dalcroze, et à la rue de l'Athénée, les présélections seraient modifiées pour n'autoriser que les bus, les cycles et les taxis à circuler en direction de la rue de la Croix-Rouge.

Ce rapport explicatif se terminait par une série de propositions pour la réglementation de la circulation.

3.             Par arrêté GW/2019-00832 du 31 octobre 2019, le département des infrastructures (ci-après: le département) a fixé à titre temporaire et de mesures à l'essai, pour une durée de 12 mois au maximum, les règles de circulation suivantes :

  1.  

a)      A la rue de la Croix-Rouge, la place des Casemates et la rue de l'Athénée, sur son tronçon compris entre la rue de la Croix-Rouge et le boulevard Émile-Jacques Dalcroze, pour le sens de circulation en direction de la place de Neuve, sous réserve de la lettre b), la circulation est interdite aux voitures automobiles et aux motocycles ;

b)      Les bus et les taxis ne sont pas soumis à cette interdiction ;

c)      Des signaux « Circulation interdite aux voitures automobiles et aux motocycles » (2.13 OSR), munis d'une plaque complémentaire « Bus et taxis autorisés », indiquent ces prescriptions ;

d)     Au débouché de la rue René-Louis-Piachaud sur la rue de la Croix-Rouge, un signal « Obliquer à gauche » (2.38 OSR), muni d'une plaque complémentaire « Bus, cycles et taxis exceptés », complète cette prescription ;

e)      A l'intersection du boulevard Émile-Jacques-Dalcroze avec la place des Casemates, un signal « Interdiction d'obliquer à droite » (2.42 OSR) complète ces prescriptions ;

f)       Au débouché de la rue de l'Athénée sur le boulevard Émile-Jacques-Dalcroze ; direction rue de la Croix-Rouge, un signal « Obliquer à droite » (2.37 OSR), muni d'une plaque complémentaire « Bus, cycles et taxis exceptés », complète ces prescriptions ;

  1.  

a)      A la rue Beauregard, sur son tronçon compris entre la rue Tabazan et la rue de la Croix-Rouge, sous réserve de la lettre b), la circulation est interdite aux voitures automobiles et aux motocycles ;

b)      Les bus, les taxis et le train touristique ne sont pas soumis à cette interdiction ;

c)      Un signal « Circulation interdite aux voitures automobiles et aux motocycles » (2.13 OSR), muni d'une plaque complémentaire « Bus, taxis et train touristique autorisés », indique ces prescriptions ;

d)     Un signal « Obliquer à droite » (2.37 OSR), muni d'une plaque complémentaire « Cycles et taxis exceptés », complète cette prescription au débouché de la rue Beauregard sur la rue Tabazan ;

  1.  

a)      Les arrêtés du 08.03.1973, du 06.12.1955 et du 26.06.1992, interdisant d'obliquer à gauche, le parcage et de dépassements sont abrogés ;

b)      L'arrêté du 03.12.1962 réglementant la circulation à la rue Beauregard est modifiée en conséquence.

  1. La signalisation est déposée, fournie, posée, entretenue et réparée par une entreprise dûment agréée par l'office cantonal des transports (OCT), à l'initiative et aux frais de la Ville de Genève.
  2. Le présent arrêté constitue une décision finale susceptible de faire l'objet d'un recours auprès du tribunal administratif de première instance ( ).
  3. La présente décision entre en force à l'échéance du délai de recours, les réglementations du trafic prenant effet de la pose de la signalisation.
  4. Aux termes de l'essai, la Ville de Genève doit s'adresser à une entreprise dûment agréée par l'office cantonal des transports (OCT) pour qu'il soit procédé à la dépose de la signalisation en place, à ses frais, sous réserve de l'entrée en force d'une décision pérennisant ladite signalisation. Si la Ville de Genève n'entend pas pérenniser la mesure à l'essai, la signalisation routière antérieure à l'essai fait foi et doit être remise en place.

4.             Par acte du 2 décembre 2019, Madame A ______, Monsieur B ______, Monsieur C ______ et Monsieur D ______, représentés par leur avocat, ont recouru contre l'arrêté de circulation GW/2019-00832 du 31 octobre 2019 auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), en concluant à son annulation. Ils se plaignaient en particulier de violations de la législation en matière de protection contre le bruit.

5.             Par arrêté GW/2020-00204 du 12 mai 2020, valable du 12 mai au 9 juillet 2020 au maximum, le département a adopté les mêmes mesures que dans l'arrêté GW/2019-00832 du 31 octobre 2019, celui du 12 mai 2020 ne se distinguant sur le fond de celui du 31 octobre 2019 que par l'autorisation de circuler faite également aux riverains de la rue Beauregard concernant les points 2c et 2d. Par ailleurs, son point 5 (et dernier point) déclarait que cette décision entrait en force le lendemain de sa publication dans la Feuille d'avis officielle.

6.             Le rapport explicatif concernant la « réglementation de la circulation dans le cadre du déconfinement au COVID-19 à la rue de la Croix-Rouge », rédigé par l'office cantonal des transports le 11 mai 2020, indique notamment qu'afin de « répondre aux prévisibles engorgements du trafic dû à la baisse des capacités des transports collectifs découlant de la nécessité d'éviter la transmission du COVID-19 et offrir plus d'alternatives à l'usage des transports collectifs, de sorte à éviter l'engorgement de ceux-ci et limiter ainsi la propagation du COVID-19, il est proposé de réglementer la rue de la Croix-Rouge en n'y autorisant que la circulation des bus, des cycles et des taxis, ainsi que les riverains de la rue Beauregard, pour la voie de circulation en direction de la place de Neuve ; le sens de circulation inverse restant inchangé par rapport à la situation actuelle ».

7.             Par arrêté GW/2020-00204 du 8 juillet 2020 valable du 10 juillet au 7 septembre 2020, le département a repris les mêmes mesures que dans l'arrêté GW/2020-00204 du 12 mai 2020.

8.             Il en a fait à nouveau de même dans des arrêtés GW/2020-00204 du 3 septembre 2020 puis du 14 décembre 2020, pris respectivement pour la période du 8 septembre au 31 décembre 2020 et pour la période du 1er janvier au 30 juin 2021.

9.             Les rapports explicatifs successifs accompagnant ces arrêtés ont repris les motifs développés par le rapport explicatif du 11 mai 2020 au sujet du COVID-19.

10.         Par jugement JTAPI/1______ du 8 avril 2021, le tribunal a réformé l'arrêté GW/2019-00832 du 31 octobre 2019. Sur recours du département des infrastructures et de la Ville de Genève, ce jugement a été partiellement annulé par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) par arrêt du 14 septembre 2021 (ATA/2______), lequel a à son tour été attaqué par Madame A ______, Monsieur B ______, Monsieur C ______ et Monsieur D ______ par-devant le Tribunal fédéral, cette procédure étant actuellement pendante devant cette juridiction sous numéro de procédure 3______.

11.         Par arrêté GW/2020-00204 du 18 juin 2021 valable pour la période du 1er juillet au 31 décembre 2021, le département a à nouveau pris les mêmes mesures que dans l'arrêt GW/2020-00204 du 12 mai 2020, sous réserve de très légères modifications.

12.         Par acte du 23 juillet 2021, Madame A ______, Monsieur B ______, Monsieur C ______ et Monsieur D ______ (ci-après : les consorts F ______) ont recouru contre ce dernier arrêté auprès du tribunal, concluant à son annulation sous suite de frais et dépens.

Ce recours fait l'objet de la présente procédure.

13.         Par écritures du 15 septembre 2021, le département des infrastructures, soit pour lui l'office cantonal des transports (ci-après : OCT) a répondu au recours en concluant à son rejet.

L'argumentation de l'OCT sera examinée ci-après en droit dans la mesure nécessaire.

14.         Par décision du 21 septembre 2021 (DITAI/446/2021) le tribunal a notamment prononcé l'appel en cause de la Ville de Genève dans la présente procédure.

15.         Par courrier du même jour, le tribunal a invité l'OCT à produire ses observations sur le recours. Il était par ailleurs observé que le but d'intérêt public poursuivi par l'arrêté querellé, à savoir la lutte contre la pandémie COVID-19, était exposé de manière succincte et théorique dans le rapport explicatif qui l'accompagnait. Le tribunal ne pouvant se fonder sur des assertions et opinions qui n'étaient pas corroborées par pièce, l'OCT était invité à fournir toutes les données chiffrées dont il disposait au sujet des effets concrets que les arrêtés de circulation GW/2020-00204 auraient permis d'atteindre en matière de lutte contre la pandémie, et cas échéant, au-delà des chiffres, tous les éléments démontrant leur efficacité en la matière.

16.         Par écritures du 11 octobre 2021, l'OCT et la Ville de Genève se sont déterminés à ce sujet. En substance, comme l'avait annoncé le Conseil d'État de la République et canton de Genève le 30 avril 2020 à l'issue de la première vague pandémique, le processus de déconfinement progressif allait « provoquer un regain de mobilité, qui nécessite la mise en œuvre d'un plan de mesures pour éviter une situation chaotique aux frontières et sur les voies de circulation ». En particulier, s'agissant des transports publics, il avait été demandé aux Transports publics genevois (TPG) de « mettre en place une offre maximale sur le territoire genevois à partir du 11 mai [2020] ( ) il est toutefois évident que même avec une capacité proche de la normale, les opérateurs ne pourront transporter qu'une partie de leur clientèle habituelle, en raison des règles sanitaires. En ce qui concerne les TPG, l'office cantonal des transports estime à ce stade que le nombre de personnes transportait sera au maximum de l'ordre de 40% du volume usuel. Au niveau global sur le canton, l'OCT évaluent à quelque 56'000 le nombre de déplacements pendulaires effectués pour se rendre au travail durant les heures de pointe du matin qui seront entravés par la baisse des capacités des transporteurs publics et, concernant le trafic automobile, par les restrictions du nombre de postes de douane et les contrôles systématiques tant que ceux-ci sont maintenus ». Par conséquent, « pour faire face à cette situation, l'une des priorités consiste à favoriser activement les mobilités douces, de manière à compenser en partie la capacité réduite des transports collectifs et à éviter un report massif à la voiture individuelle, que le débit aux frontières ainsi que notre réseau routier ne saurait absorber. Diverses actions vont donc être mises en œuvre au cours des prochaines semaines en faveur des piétons et des cyclistes, en collaboration avec la Ville de Genève et les autres communes urbaines qui peuvent y contribuer. Il s'agit de déployer des mesures, rapidement réversibles au besoin, visant à élargir et rendre plus performant les aménagements piétons et cyclables ».

C'était en exécution de ces lignes directrices que l'OCT avait notamment adopté jusqu'ici, dans le secteur de la rue de la Croix-Rouge, les cinq arrêtés de circulation GW/2020-00204, dont celui qui faisait l'objet du recours.

Quant au rapport explicatif du 15 juin 2021 à l'appui de l'arrêté attaqué, il indiquait comme les précédents qu'il s'agissait de répondre à l'engorgement du trafic dû à la baisse de capacité des transports collectifs découlant de la nécessité d'éviter la transmission du COVID-19, mais ajoutait que « vu l'intérêt public prépondérant en lien avec la situation pandémie incertaine quant à une éventuelle reprise à l'automne, vu les contraintes en termes de sécurité routière que représenterait un retour à la situation ex ante et tenant compte du fait que la signalisation routière et les marquages routiers sont en place depuis le 15 mai 2020, la présente mesure est exécutée nonobstant recours pour des questions de proportionnalité ».

Sur la question des effets des mesures de circulation prise dans le secteur de la rue de la Croix-Rouge, l'OCT ne disposait pas de comptage récent permettant d'observer ses effets ou ceux des arrêtés de circulation temporaires antérieurs sur le trafic individuel motorisé dans le secteur directement visé par les mesures de circulation concernée. Cela dit, les effets concrets de ces mesures s'observaient sur les relevés établis par les TPG au sujet de leur flotte empruntant la rue de la Croix-Rouge, à savoir les lignes de bus et trolleybus n° 3 et 5 circulant en direction de la place de Neuve. Ainsi que cela découlait des pièces produites à ce sujet, les pics aux heures de pointe du matin et du soir étaient passés d'environ 0.6 à 0.3 minutes à partir de l'introduction des nouvelles mesures de circulation. Il en allait de même des moyennes par quart d'heure, particulièrement aux heures de pointe du matin et du soir, le temps de parcours étant divisé par deux, c'est-à-dire passant d'environ 30 secondes à environ 15 secondes. Un autre point de comparaison intéressant concernait les écarts types, à savoir la mesure de dispersion des données, soit la valeur globale des différences observées au cours d'un certain laps de temps. En matière de transport collectif, cela signifiait que plus l'écart type était bas, plus la stabilité d'exploitation était bonne. En d'autres termes, les transports collectifs avaient ainsi une cadence régulière, se déplaçant de façon fluide au cours de la journée, étant ainsi en mesure de respecter les horaires. Les pièces produites montraient à cet égard que les écarts types avaient fortement diminué, étant divisés par un facteur de 10 ou même 11, en particulier aux heures de pointe du matin et du soir, depuis la mise en œuvre des mesures de circulation litigieuses.

En améliorant ainsi les services des TPG, une incitation forte était créée en faveur de l'utilisation des transports collectifs au détriment des transports individuels motorisés, ce qui permettait de mettre en œuvre l'un des multiples outils de lutte contre la pandémie.

Il fallait encore noter que les mesures de circulation prises par les arrêtés de circulation temporaires GW/2020-00204 n'étaient ni isolées ni uniques sur le territoire genevois. D'autres mesures du même type avaient été mises en place au boulevard des Tranchées et à la route de Florissant du 11 mai au 9 juillet 2020, au boulevard Georges-Favon du 11 mai au 9 juillet 2020, puis du 4 septembre 2020 au 31 décembre 2023, et enfin au pont de la Coulouvrenière, tout d'abord pour la durée du 13 mai au 9 septembre 2020, avec pérennisation ultérieure des mesures prises sur cet axe. Depuis la mise en œuvre de toutes ces mesures, l'OCT avait procédé à quelques investigations pour en mesurer les effets. S'agissant du secteur du boulevard Georges-Favon et du pont de la Coulouvrenière, les comptages cyclistes sur ce pont entre 2011 et 2021 montraient une augmentation très forte, ce qui était particulièrement vrai pour les comptages effectués en septembre 2021. Inversement, les comptages routiers permanents effectués entre 2010 et 2020 montraient une évolution constante à la baisse du trafic moyen en jours ouvrables, baisse qui tendait à s'accélérer depuis la mise en place des mesures de circulation à cet endroit. Enfin, les comptages de cyclistes sur l'axe allant du boulevard Georges-Favon au pont de la Coulouvrenière entre les mois de mai 2020 et le mois de septembre 2021 montraient une augmentation de 41 %.

17.         Par d'autres écritures également datées du 11 octobre 2021, l'OCT et la Ville de Genève ont souligné certains aspects de l'arrêt rendu le 14 septembre 2021 par la chambre administrative (ATA/2______ mentionné plus haut). D'une part, selon cet arrêt, les mesures litigieuses concernaient plusieurs moyens de transport devant être privilégiés sur les axes situés en entrée de ville, sans se limiter à la seule création d'une voie cyclable sur la rue de la Croix-Rouge, de sorte que l'éventuelle sous-utilisation de cette voie n'était pas déterminante. D'autre part, ces mesures dépassaient aussi le cadre local, en s'inscrivant dans le contexte de diverses mesures de même type adoptées au centre-ville, dont les effets devaient être évalués dans leur ensemble, en vue de faire évoluer la mobilité selon un certain programme.

18.         Par courrier du 11 mars 2022, le tribunal a informé les parties intimées qu'après vérification, il n'avait pas été possible de trouver dans la Feuille d'avis officielle la publication d'un nouvel arrêté de réglementation du trafic qui aurait été pris pour le même périmètre à l'échéance de l'arrêté litigieux, le 31 décembre 2021. Les parties intimées étaient donc invitées à confirmer cas échéant l'absence d'un nouvel arrêté, à en indiquer la raison et à préciser si la réglementation litigieuse était toujours en place ou si elle avait pris fin au profit de la réglementation prévalant avant l'arrêté GW/2020-00204 du 12 mai 2020 (étant relevé que l'arrêté GW/2019-00832 faisaient quant à lui l'objet d'une procédure toujours pendante), ou, dans le cas contraire, à adresser copie au tribunal du nouvel arrêté actuellement en vigueur ainsi que du rapport explicatif de l'OCT.

19.         Par courrier du 23 mars 2022, l'OCT et la Ville de Genève ont répondu qu'à l'heure actuelle, aucun nouvel arrêté de circulation suppléant l'arrêté attaqué n'avait été adopté dans le périmètre visé en l'espèce. Cela étant, l'autorité intimée avait décidé, dans l'attente de l'arrêt que le Tribunal fédéral serait appelé à rendre dans la cause 3______ portant sur l'arrêté de circulation GW/2019-00832 du 31 octobre 2019, de maintenir le statu quo. Les mesures de réglementation du trafic introduites en dernier lieu par l'arrêté attaqué étaient donc toujours en place à ce jour. Il fallait encore noter que cet arrêté était aujourd'hui exécutoire, l'octroi de l'effet suspensif n'ayant pas été sollicité par les recourants dans la cause pendante devant le Tribunal fédéral, ni ordonné d'office par ce dernier. Enfin, il était relevé que l'arrêté litigieux autorisait la circulation bidirectionnelle du transport professionnel dans la rue de la Croix-Rouge, contrairement à l'arrêté examiné dans l'ATA/2______.

20.         Par courrier du 4 avril 2022, les consorts F ______ se sont déterminés sur les informations résultant du courrier susmentionné du 23 mars 2022. Il était sidérant de constater que les autorités se croyaient tout permis et maintenaient en place, sans aucune base légale, des mesures à l'essai. Ceci privait les administrés de toute possibilité de recours, ce qui était inadmissible. Pour le surplus, ils confirmaient que les mesures prises avaient entraîné une forte augmentation du trafic et donc des nuisances sonores, mais aussi une augmentation de la pollution de l'air due aux gaz d'échappement des véhicules. Il était navrant de constater que les autorités n'avaient même pas jugé utile de procéder à des mesures scientifiques des nuisances et des reports de trafic. Ils persistaient ainsi intégralement dans leurs conclusions.

 

 

EN DROIT

1.             Le tribunal de céans est compétent pour statuer sur les recours dirigés, comme en l’espèce contre les décisions prises en matière de réglementation locale du trafic édictées pour une durée supérieure à 60 jours (art. 115, 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05; art. 6A de la loi d'application de la législation fédérale sur la circulation routière du 18 décembre 1987 - LaLCR - H 1 05; art. 62 al. 1 let. a, 64 al. 1 et 65 al. 1 et al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Ont qualité de partie les personnes dont les droits ou les obligations pourraient être touchés par la décision à prendre, ainsi que les autres personnes, organisations ou autorités qui disposent d'un moyen de droit contre cette décision (art. 7 LPA).

À teneur de l'art. 60 let. a et b LPA, les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée, sont titulaires de la qualité pour recourir (ATA/186/2019 du 26 février 2019 consid. 3 ; ATA/1159/2018 du 30 octobre 2018 consid. 4a). Il a ainsi déjà été jugé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/799/2018 du 7 août 2018 consid. consid. 2a et l'arrêt cité ; Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, p. 184 n. 698).

Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel (ATF 138 II 42 consid. 1). L'existence d'un intérêt actuel s'apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2). Si l'intérêt actuel fait défaut lors du dépôt du recours, ce dernier est déclaré irrecevable (ATF 139 I 206 consid. 1.1) ; s'il s'éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 137 I 23 consid. 1.3.1).

Il n'est exceptionnellement fait abstraction de l'exigence d'un intérêt actuel que lorsque la contestation peut se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, que sa nature ne permet pas de la trancher avant qu'elle ne perde son actualité et que, en raison de la portée de principe, il existe un intérêt public suffisamment important à la solution de la question litigieuse (ATF 142 I 143 consid. 1.3.1 et les références citées).

3.             En l'espèce, l'arrêté litigieux a cessé de déployer ses effets dès le 1er janvier 2022, de sorte que le recours est devenu sans objet dès cette date.

Si à cet arrêté en avait succédé un nouveau, comme cela a été le cas à plusieurs reprises depuis le premier arrêté provisoire du 12 mai 2020, le tribunal aurait fait application de la jurisprudence susmentionnée, permettant de trancher un litige qui a perdu son intérêt actuel lorsque la contestation peut se reproduire en tout temps. En effet, la durée de validité relativement courte des derniers arrêtés, soit six mois, rendait aléatoire la possibilité pour le tribunal de statuer à temps, en particulier dans le cas où, comme en l'espèce, le recours était interjeté après qu'un mois se soit déjà écoulé.

Cependant, l'OCT n'a pas pris de nouvel arrêté GW/2020-00204 et n'en a vraisemblablement pas l'intention, de sorte que le risque que la même contestation se reproduise apparaît extrêmement faible et ne justifie donc pas de déroger à l'exigence de l'intérêt actuel du recours. L'OCT a en effet indiqué que les mesures litigieuses étaient toujours en place, mais se fondaient désormais sur l'arrêté GW/2019-00832 du 31 octobre 2019, exécutoire nonobstant le recours pendant devant le Tribunal fédéral dans la cause 3______. Cette situation est en effet conforme au droit, contrairement à ce que soutiennent les recourants dans leurs écritures du 4 avril 2022, puisque le recours devant le Tribunal fédéral ne déploie pas d'effet suspensif, sauf dans certains domaines (hors du cadre de la cause 3______) ou si le juge instructeur décide d'octroyer l'effet suspensif (art. 103 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Dans la mesure où les recourants ne prétendent pas que l'effet suspensif aurait été restitué dans la cause 3______, l'arrêté GW/2019-00832 du 31 octobre 2019 est désormais exécutoire, bien qu'il ne soit pas définitif. En tant que cet arrêté déploie les mêmes effets que les arrêtés GW/2020-00204, les mesures mises concrètement en place par ces derniers peuvent donc subsister. Néanmoins, quand bien même il n'en découle aucune conséquence dans la présente procédure, le tribunal observera que les modifications adoptées dans le cadre de l'arrêté querellé (selon les propres explications des parties intimées), soit en particulier la possibilité pour les véhicules professionnels d'emprunter la rue de la Croix-Rouge, ne correspondent pas à des mesures prises par l'arrêté GW/2019-00832 du 31 octobre 2019. Par conséquent, en tant qu'elles seraient toujours en place actuellement, ces mesures nouvelles seraient totalement dépourvues de base légale.

4.             Compte tenu de ce qui précède, il conviendra de constater que le recours est sans objet et de rayer la cause du rôle.

5.             Les circonstances qui conduisent à cette issue justifient de renoncer au prononcé d'un émolument (art. 87 al. 1 LPA).

6.             L'avance de frais de CHF 1'000.- versée par les recourants leur sera restituée.

7.             Quant à l'indemnité de procédure à laquelle ils ont conclu, le tribunal considère que s'il avait eu à trancher le fond du litige, il aurait donné raison aux recourants.

En effet, par courrier du 21 septembre 2021, le tribunal a invité l'OCT à fournir toutes les données chiffrées dont il disposait au sujet des effets concrets que les arrêtés de circulation GW/2020-00204 auraient permis d'atteindre en matière de lutte contre la pandémie, et cas échéant, au-delà des chiffres, tous les éléments démontrant leur efficacité en la matière.

Dans leur réponse du 11 octobre 2021, les parties intimées ont fourni quelques éléments concernant en particulier, d'une part, la diminution des temps de trajet des véhicules des TPG dans le secteur en question et l'accroissement de la régularité de leur trafic et, d'autre part, l'augmentation du trafic les cyclistes sur le tronçon boulevard Georges-Favon – pont de la Coulouvrenière. Cependant, les parties intimées ont dans le même temps souligné que l'OCT, au début de la pandémie, avait évalué à quelque 56'000 le nombre de déplacements pendulaires effectués pour se rendre au travail durant les heures de pointe du matin qui seraient entravés par la baisse des capacités des transporteurs publics et, concernant le trafic automobile, par les restrictions du nombre de postes de douane et les contrôles systématiques tant que ceux-ci seraient maintenus. De même, il avait été estimé que les TPG connaîtraient une diminution de leur fréquentation de l'ordre de 40%.

Or, la présente procédure concernait un arrêté adopté le 18 juin 2021 et valable pour la période du 1er juillet au 31 décembre 2021, soit une période postérieure de plus d'une année à la première vague de COVID-19 et durant laquelle les restrictions du trafic aux frontières ne correspondaient plus du tout à celles mises en place au début de la pandémie. Pour démontrer que l'arrêté querellé justifiait toujours des mesures litigieuses sous l'angle de la lutte contre la pandémie de COVID-19, il aurait notamment fallu qu'un suivi ait été effectué, au moins dans les grandes lignes, concernant l'évolution du trafic individuel, aussi bien motorisé que non motorisé, ainsi que concernant l'évolution de la fréquentation des transports collectifs. En l'absence d'un tel suivi, il était impossible de vérifier si, durant la période du 1er juillet au 31 décembre 2021, les mesures litigieuses permettaient encore, comme elles en avaient le but, de faire face à (l'hypothétique) persistance d'une forte désaffectation des transports collectifs et/ou de prévenir un engorgement du réseau routier par un report massif sur les transports individuels motorisés. Les quelques chiffres fournis par les parties intimées dans leurs écritures du 11 octobre 2021 étaient loin de clarifier de manière globale ces différents paramètres. Par conséquent, force aurait été pour le tribunal de constater que sous l'angle du principe de proportionnalité, soit plus précisément du sous-principe d'adéquation, les mesures litigieuses ne paraissaient pas justifiées.

8.             Compte tenu de ce qui précède, il se justifie d'octroyer aux recourants, pour leurs frais d'avocat, une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, laquelle sera mise à la charge des parties intimées, pris solidairement (art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare sans objet le recours interjeté le 23 juillet 2021 par Madame A ______, Monsieur B ______, Monsieur C ______ et Monsieur D ______ l'arrêté GW/2020-00204 adopté le 18 juin 2021 par le département des infrastructures ;

2.             raye la cause du rôle ;

3.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

4.             ordonne la restitution aux recourants de leur avance de frais de CHF 1'000.- ;

5.             condamne l'État de Genève, soit pour lui le département des infrastructures, ainsi que la Ville de Genève, pris solidairement, à payer aux recourants une indemnité de procédure de CHF 1'500.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière