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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1280/2022

JTAPI/465/2022 du 09.05.2022 ( MC ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS);INTERDICTION DE PÉNÉTRER DANS UNE ZONE
Normes : LEI.74
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1280/2022 MC

JTAPI/465/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 9 mai 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


EN FAIT

1.            Monsieur A______, né le 14 décembre 1986, est ressortissant du Sénégal.

À teneur de l’extrait de son casier judiciaire (état au 13 avril 2022), il était inconnu de la justice pénale suisse avant les faits qui suivent.

2.            Le 12 avril 2022, il a été interpellé par la police genevoise, dans le quartier des Pâquis, en flagrant délit de vente d’une boulette de cocaïne. L’intéressé était alors en possession d’un téléphone non signalé volé, des sommes de CHF 638.25 et EUR 25.00, de matériel de conditionnement, de son passeport sénégalais et d’un titre de séjour portugais.

Lors de son audition par la police le jour même, il a reconnu avoir vendu ladite boulette de cocaïne de 0.8 gramme à un individu (en l’occurrence un policier en civil) contre la somme de CHF 100.-. Il était démuni de moyens de subsistance et séjournait à B______, en France voisine. Cela faisait deux jours qu’il s’adonnait au trafic de drogue en Suisse. Il avait procédé à la vente de deux boulettes de cocaïne pendant ce laps de temps. Il n’avait aucune attache sur le territoire helvétique ; sa famille vivait au Sénégal et en France, à C______.

3.            Prévenu d’infractions à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et à l’art. 19 de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup ; RS 812.121), M. A______ a été mis à disposition du Ministère public sur ordre du commissaire de police.

4.            Le 13 avril 2022, il a fait l'objet d'une décision de renvoi, exécutoire nonobstant recours, prononcée par l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM). Cette décision, notifiée le même jour à l'intéressé, lui impartissait un délai de 24 heures pour quitter le territoire suisse. Une carte d'annonce de sortie lui a été remise.

5.            Par ordonnance pénale du 13 avril 2022, le Ministère public l'a déclaré coupable d'infractions à l'art. 19 al. 1 let. c et d LStup et à l'art. 115 al. 1 let. a LEI  et l'a condamné, à une peine privative de liberté de quarante-cinq jours, avec sursis pendant trois ans.

6.            Le 13 avril 2022 également, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M.  A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès à l'ensemble du territoire genevois) pour une durée de quinze mois en application de l'art. 74 LEI.

7.            Le 25 avril 2022, sous la plume de son conseil, M. A______ a formé opposition contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal).

8.            Lors de l'audience du 6 mai 2022 devant le tribunal, M. A______ a persisté dans son opposition en ce qui concernait l'étendue du périmètre et la durée de la mesure. Il souhaitait pouvoir venir à Genève pour y chercher du travail et trouvait que quinze mois c'était beaucoup. Il cherchait un travail de manœuvre ou de serveur. Il a confirmé être au bénéfice d'un titre de séjour au Portugal et d'un passeport valable délivré par les autorités du Sénégal. Il logeait à B______ dans un centre pour migrants. Sa femme et ses enfants habitaient à C______.

Il a précisé avoir fait opposition à l'ordonnance pénale du 13 avril 2022.

9.            L'avocate de M. A______ a exposé que son client avait déjà participé à une audience devant le Ministère public suite à laquelle le procureur avait annoncé son intention de classer l'infraction à la LEI, celle concernant l'art. 19 LStup n'étant pas contestée.

Pour le surplus, elle a conclu à la diminution de la durée de la mesure prononcée et de son étendue, faisant valoir une violation du principe de proportionnalité.

10.        La représentante des commissaires de police a persisté dans la mesure prononcée tant concernant sa durée que son étendue.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner sur opposition la légalité et l’adéquation de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prononcée par le commissaire de police à l'encontre d'un ressortissant étranger (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. a de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             L'opposition ayant été formée dans le délai de dix jours courant dès la notification de la mesure querellée, elle est recevable sous l'angle de l'art. 8 al. 1 LaLEtr.

3.             Statuant ce jour, le tribunal respecte en outre le délai de vingt jours que lui impose l'art. 9 al. 1 let. b LaLEtr.

4.             À teneur de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée lorsqu'il n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et qu'il trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants, en particulier à éloigner les personnes qui sont en contact répété avec le milieu de la drogue des lieux où se pratique le commerce de stupéfiants (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_793/2018 du 13 mars 2019consid. 3.1 ; 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.1).

Le prononcé d'une telle mesure est aussi possible, selon l'art. 74 al. 1 let. b LEI, lorsque l'étranger est frappé d'une décision de renvoi ou d'expulsion entrée en force et que des éléments concrets font redouter qu'il ne quittera pas la Suisse dans le délai prescrit ou qu'il n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour quitter le territoire. Elle peut encore se justifier, selon l'art. 74 al. 1 let. c LEI, lorsque l'exécution du renvoi ou de l'expulsion a été reportée (art. 69 al. 3 LEI).

5.             Les mesures prévues par l'art. 74 al. 1 LEI visent à prévenir les atteintes à la sécurité et à l'ordre publics, plutôt qu'à sanctionner un comportement déterminé (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 2a).

Les étrangers dépourvus d'une autorisation de séjour n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement. S'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle, le seuil pour ordonner de telles mesures n'a pas été placé très haut. Pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics, il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police. En particulier, des indices concrets de délits commis dans le milieu de la drogue suffisent, de même que la violation grossière des règles classiques de la cohabitation sociale (arrêts du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 2.1 ; 2C_1142/2014 du 29 juin 2015 consid. 3.1 ; 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 et la référence citée ; ATA/233/2018 du 13 mars 2018 consid. 4b ; ATA/1041/2017 du 30 juin 2017 ; ATA/199/2017 du 16 février 2017 ; ATA/885/2016 du 20 octobre 2016 ; Gregor CHATTON/Laurent MERZ, in Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE [éd.], Code annoté de droit des migrations, vol. II : LEtr, 2017, n. 18 ss ad art. 74 p. 734 s.). Dans ce contexte, la notion de « trouble » ou de « menace » est interprétée de façon large ; elle vise à empêcher que la présence de l'étranger en Suisse puisse déboucher sur la commission d'infractions pénales ou tout autre comportement « rétif ou asocial », qui, tout en ne tombant pas nécessairement sous le coup du droit pénal, perturbe ou enfreint grossièrement les règles tacites de la cohabitation sociale. De simples vétilles ne sauraient toutefois suffire, au regard du principe de la proportionnalité, pour prononcer une telle mesure (cf. Ibidem, ad art. 74 p. 733 et les arrêts cités).

Si la mesure d'interdiction de pénétrer dans un périmètre déterminé vise en particulier à combattre le trafic de stupéfiants et à éloigner les personnes qui sont en contact répété avec le milieu de la drogue des lieux où se pratique le commerce de stupéfiants, d'autres comportements permettent aussi de retenir un trouble ou une menace à la sécurité et l'ordre publics. On peut songer à la commission de vols et d'autres larcins (réitérés), même de peu d'importance du point de vue du droit pénal, à la mendicité organisée ou aux « jeux » de bonneteau sur la voie publique, qu'ils soient ou non pénalisés, à des contacts que l'étranger entretiendrait avec des groupes d'extrémistes politiques, religieux ou autres, à la violation grave et répétitive de prescriptions et d'injonctions découlant du droit des étrangers, notamment le fait d'avoir passé outre à une assignation antérieure ou de tenter de saboter activement les efforts entrepris par les autorités en vue d'organiser le renvoi de l'étranger (cf. Gregor CHATTON/Laurent MERZ, op. cit., n. 20 ad art. 74 p. 735 et les arrêts cités ; cf. aussi art. 6 al. 3 LaLEtr, qui prévoit que l'étranger peut être contraint à ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou à ne pas pénétrer dans une région déterminée notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles et dommages à la propriété).

Selon la doctrine, le motif à l'origine de la mesure doit néanmoins rester en lien avec le droit des étrangers et ne saurait poursuivre des objectifs exclusivement policiers, sécuritaires ou pénaux (cf. Gregor CHATTON/Laurent MERZ, op. cit., n. 15 ad art. 74 p. 732 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral retient cependant que la mesure peut avoir pour objectif principal d'empêcher l'étranger de commettre de (nouvelles) infractions (cf. ATF 142 II 1 consid. 4.4).

6.             D'après la jurisprudence, une condamnation pénale définitive sanctionnant les faits qui suscitent le prononcé d'une mesure fondée sur l'art. 74 al. 1 let. a LEI n'est pas indispensable ; par exemple, le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie une mesure prise en application de cette disposition (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.3 ; 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1 ; 2A.347/2003 du 24 novembre 2003 consid. 2.2 ; ATA/124/2015 du 30 janvier 2015 ; ATA/73/2014 du 10 février 2014). Un tel soupçon - indépendamment du fait que la condamnation pénale y relative soit contestée et, donc, non définitive - peut découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à la propre consommation (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.3 ; 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3.1 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1). De plus, même si la simple présence en des lieux où se pratique le commerce de la drogue ne suffit pas à fonder un soupçon de menace à l'ordre et à la sécurité publics, tel est le cas lorsque la personne concernée est en contacts répétés avec le milieu de la drogue (arrêt du Tribunal fédéral 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1 ; ATA/199/2017 du 16 février 2017). Le Tribunal fédéral a du reste confirmé une telle mesure visant un ressortissant étranger qui avait essentiellement été condamné pour de simples contraventions à la LStup (cf. arrêt 6B_808/2011 du 24 mai 2012 consid. 1.3 ; cf. aussi ATA/629/2016 du 21 juillet 2016 ; ATA/124/2015 du 30 janvier 2015 ; ATA/45/2014 du 27 janvier 2014).

7.             En l'occurrence, M. A______ ne conteste pas la mesure d'éloignement dans son principe et le tribunal se contentera dès lors, pour sa part, de constater que cette décision, quant à sa légalité, respecte en effet les conditions prévues par la loi.

8.             Les mesures d'assignation à un lieu de séjour et l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée doivent respecter le principe de la proportionnalité énoncé à l'art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 ; cf. aussi art. 96 LEI ; ATF 142 II 1 consid. 2.3 et les références ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_123/2021 du 5 mars 2021 consid. 3.1).

Ce principe exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, il interdit toute limitation des droits individuels allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 142 I 76 consid. 3.5.1 ; 142 I 49 consid. 9.1 ; 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 132 I 49 consid. 7.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_793/2018 du 13 mars 2019 consid. 3.3 ; 2C_206/2017 du 23 février 2018 consid. 8.3).

Appliqué à la problématique de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prévue à l'art. 74 LEI, le principe de la proportionnalité implique de prendre en compte en particulier la délimitation géographique d'une telle mesure, ainsi que sa durée (ATF 142 II 1 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_793/2018 du 13 mars 2019 consid. 3.3 ; 2C_796/2018 du 4 février 2019 consid. 4.2 et 2C_494/2018 du 10 janvier 2019 consid. 3.3). Selon la jurisprudence, l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée, à l'instar de l'assignation à un lieu de résidence, ne peut pas être ordonnée pour une durée indéterminée et le périmètre d'interdiction doit être fixé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles (arrêts du Tribunal fédéral 2C_793/2018 du 13 mars 2019 consid. 3.3 ; 2C_494/2018 du 10 janvier 2019 consid. 3.3 ; 2C_431/2017 du 5 mars 2018 consid. 2.2 ; 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.1 ; 2C_1142/2014 du 29 juin 2015 consid. 4.1 ; 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1 et les références citées).

Le périmètre interdit peut cependant, en fonction des circonstances, inclure l'ensemble du territoire d'une ville (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.3 et 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.2 pour la ville de Genève ; 2A.647/2006 du 12 février 2007 consid. 3.3 pour les villes d'Olten et de Soleure et 2A.347/2003 du 24 novembre 2003 consid. 4.2 pour la ville de Berne), et d'un canton (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_231/2007 du 13 novembre 2007 ; 2A.253/2006 du 12 mai 2006), même si la doctrine relève que le prononcé d’une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (cf. not. ATA/806/2019 du 18 avril 2019 consid. 4c ; ATA/126/2019 du 6 février 2019 consid. 4a). La portée de l’art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à l'art. 74 al. 1 LEI et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive (ATA/806/2019 du 18 avril 2019 consid. 4c ; ATA/126/2019 du 6 février 2019 consid. 4a ; ATA/609/2018 du 14 juin 2018 consid. 4b ; ATA/1041/2017 du 30 juin 2017 consid. 4).

Il convient de vérifier, dans chaque cas d'espèce, que l'objectif visé par l'autorité justifie véritablement l'interdiction de périmètre en cause, c'est-à-dire qu'il existe un rapport raisonnable entre cet objectif et les moyens mis en œuvre pour l'atteindre (ATF 142 II 1 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_793/2018 du 13 mars 2019 consid. 3.3 ; 2C_494/2018 du 10 janvier 2019 consid. 3.3). Tous les éléments peuvent être pertinents pour apprécier la proportionnalité de la mesure. Ainsi, notamment, le type d’infractions reprochées à l’intéressé et, par voie de conséquence, les substances sur lesquelles elles portent sont un élément d’appréciation (cf. ATA/233/2018 du 13 mars 2018 consid. 7).

Le cas échéant, sur la base d'une requête motivée, l'autorité compétente doit accorder des exceptions, afin de permettre à l'intéressé d'accéder aux autorités, à son avocat, au médecin ou à ses proches, pour autant qu'il s'agisse de garantir des besoins essentiels qui ne peuvent être assurés, matériellement et d'un point de vue conforme aux droits fondamentaux, dans le périmètre assigné (ATF 142 II 1 consid. 2.3 ; cf. aussi arrêts du Tribunal fédéral 2C_494/2018 du 10 janvier 2019 consid. 3.3 ; 2C_830/2015 du 1er avril 2016 consid. 5.2 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3). Le juge du contrôle de la mesure pourra au besoin ordonner à l’autorité administrative cantonale d’adapter le périmètre interdit ou assigné afin de permettre à l’étranger d’accomplir des actes indispensables, notamment de bénéficier des soins médicaux requis auprès de son médecin traitant (cf. Gregor CHATTON/Laurent MERZ, op. cit., n. 42 ad art. 74 p. 745 et les arrêts cités).

Si l'objectif poursuivi par la mesure n'est pas de garantir la sécurité et l'ordre publics (art. 74 al. 1 let. a LEI), mais de faire respecter une mesure d'éloignement (art. 74 al. 1 let. b LEI), cette dernière n'est adaptée que si le départ est possible. Si le retour dans le pays d'origine est objectivement impossible, ce qui ne sera pas le cas si la personne concernée a la possibilité de s'y rendre sur une base volontaire, la mesure n'est pas apte à atteindre son objectif et est donc inadmissible (ATF 144 II 16 consid. 2.3 et 4.8 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_934/2017 du 23 mars 2018 consid. 5.3 ; 2C_431/2018 du 5 mars 2018 consid. 2.3 et 4.3.1).

Enfin, comme évoqué plus haut, de telles mesures ne peuvent pas être ordonnées pour une durée indéterminée. Le fait que l’art. 74 al. 1 LEI ne prévoit pas de durée maximale ou minimale laisse une certaine latitude sur ce point à l’autorité compétente, dite durée devant être fixée en tenant compte des circonstances de chaque cas d’espèce et en procédant à une balance entre les intérêts en jeu, publics et privés (cf. ATA/609/2018 du 14 juin 2018 consid. 4c ; ATA/468/2018 du 14 mai 2018 consid. 4c ; ATA/1041/2017 du 30 juin 2017 consid. 9 ; ATA/802/2015 du 7 août 2015 consid. 7). Selon la jurisprudence, des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.2 ; cf. aussi not. ATA/129/2020 du 7 février 2020 consid. 5b et 7a) ; vers le haut, des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2 ; ATA/1758/2019 du 4 décembre 2019 ; ATA/1347/2018 du 13 décembre 2018 ; ATA/790/2018 du 27 juillet 2018 ; ATA/124/2015 du 30 janvier 2015 ; ATA/711/2014 du 4 septembre 2014 ; ATA/45/2014 du 27 janvier 2014 ; ATA/746/2013 du 7 novembre 2013), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

9.             Le Tribunal fédéral a assez récemment rappelé que le but d'une interdiction de périmètre fondée sur l'art. 74 al. 1 let. a LEI étant la lutte contre le trafic de stupéfiants, il est souvent possible d'identifier une « zone à risque », de laquelle la personne concernée doit être éloignée afin d'éviter une récidive (arrêt 2C_793/2018 du 13 mars 2019 consid. 3.5.3). Compte tenu du fait que le comportement de M. A______ sur la base duquel la décision querellée a été prise a exclusivement trait au trafic de stupéfiants et qu'il a été adopté au centre-ville de Genève, une interdiction de pénétrer à l'intérieur de celui-ci, lieu notoire dudit trafic, selon la jurisprudence (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_793/2018 du 13 mars 2019 consid. 3.5.3 ; 2C_796/2018 du 4 février 2019 consid. 4.3.1. et 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.2), pourrait éventuellement s'avérer suffisante, au vu de ce but, pour se prémunir du risque envisagé par le commissaire de police (dans ce sens, cf. not. ATA/199/2017 du 16 févier 2017 ; JTAPI/668/2019 du 18 juillet 2019 ; JTAPI/1381/2016 et JTAPI/1380/2016 du 26 décembre 2016).

Néanmoins, il ne saurait être contesté que le trafic de stupéfiants se déroule également dans divers autres lieux du canton, par exemple le quartier D______, la commune de E______ ou celle de F______ (cf. à cet égard not. JTAPI/394/2018 du 26 avril 2018 ; JTAPI/284/2018 du 28 mars 2018 ; JTAPI/251/2018 du 20 mars 2018 ; JTAPI/1277/2017 du 1er décembre 2017 ; ATA/1028/2017 du 28 juin 2017). Par ailleurs, dans le cas d'espèce, M. A______ remet en cause l'étendue du périmètre lui étant interdit sans démontrer en quoi cet aspect entraverait sa liberté de mouvement dans une mesure incompatible avec le principe de la proportionnalité, alors qu'il ressort du dossier, en particulier de ses propres déclarations, qu'il n'a aucune attache en Suisse, en particulier à Genève, où il ne bénéficie pas d'un lieu de séjour et qu'il n'est pas autorisé à travailler sur le territoire suisse. Pour le surplus, il ne prétend pas que la mesure litigieuse l'empêcherait d'accomplir des actes urgents ou le priverait de contacts sociaux, ses connaissance semblant plutôt se trouver à C______. Au demeurant, l'accès au canton de Genève lui est défendu dans la mesure déjà où il n'est légalement pas fondé à poursuivre son séjour en Suisse, il a d'ailleurs fait l'objet d'une décision de renvoi exécutoire, de sorte qu'une réduction du périmètre interdit au centre-ville de Genève n'aurait pas de réelle portée. Son intérêt à pouvoir rester à Genève n'apparaît donc pas prépondérant dans la pesée des intérêts (dans ce sens, cf. not. ATA/468/2018 du 14 mai 2018 consid. 5 ; ATA/1028/2017 du 28 juin 2017 consid. 11).

Le dossier ne laisse donc pas apparaître l'existence de raisons suffisantes pour réduire la délimitation du périmètre interdit décidée par le commissaire de police, admise par la jurisprudence, laquelle, dans ces circonstances, ne heurte pas le principe de la proportionnalité, étant aussi rappelé que lorsque le législateur a voulu conférer à l'autorité de décision un pouvoir d'appréciation dans l'application d'une norme, le juge qui, outrepassant son pouvoir d'examen, corrige l'application pourtant défendable de cette norme à laquelle ladite autorité a procédé, viole le principe de l'interdiction de l'arbitraire (cf. ATF 140 I 201 consid. 6.1 et les références citées). Dès lors, le tribunal, qui doit faire preuve de retenue et respecter la latitude de jugement conférée à cette dernière, ne saurait en corriger le résultat en fonction de sa propre conception, sauf à statuer en opportunité, ce que la loi lui interdit de faire (art. 61 al. 2 LPA).

En revanche, la durée de la mesure, d'emblée fixée à quinze mois, n'apparaît pas se justifier sous l'angle de la proportionnalité. En effet, il s'agit de la première mesure d'interdiction de périmètre prononcée à l'encontre de M. A______ et celui-ci a été condamné à une seule reprise pour infraction à la LStup, en lien avec des faits ayant trait à la vente, certes de cocaïne, mais portant sur de très faibles quantités. Ceux-ci - sans les minimiser - n'apparaissent pas graves à un tel point que seule une interdiction de périmètre d'une durée de quinze mois serait apte à atteindre le but escompté. Il semble donc particulièrement rigoureux d'appliquer d'emblée une durée de quinze mois à l'interdiction en cause, le principe de proportionnalité supposant en effet que l'on raisonne en termes d'adéquation entre les motifs de la décision et les conséquences qu'elle entraîne. Une mesure moins longue, d'une durée de six mois, serait tout aussi propre à dissuader M. A______ de continuer ses activités coupables (dans ce sens, cf. not. arrêt du Tribunal fédéral 2C_796/2018 du 4 février 2019 consid. 4.3.1 ; ATA/129/2020 du 7 février 2020 ; ATA/764/2018 du 20 juillet 2018 ; ATA/742/2018 du 13 juillet 2018 ; ATA/641/2018 du 20 juin 2018 ; ATA/233/2018 du 13 mars 2018 ; ATA/1041/2017 du 30 juin 2017). Une durée inférieure, en particulier trois mois, serait en revanche très difficilement efficace (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.2 ; ATA/790/2018 du 27 juillet 2018 consid. 6b).

Partant, la durée de la mesure litigieuse sera réduite à six mois.

10.         Compte tenu de ce qui précède, l'« opposition » de M. A______, sera partiellement admise et la décision entreprise réformée dans la mesure énoncée ci-dessus.

11.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocate et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

12.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 10 al. 1 LaLEtr).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 25 avril 2022 par Monsieur A______ contre la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 13 avril 2022 pour une durée de quinze mois ;

2.             l'admet partiellement  ;

3.             confirme la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 13 avril 2022 à l'encontre de Monsieur A______ mais réduit sa durée à six mois ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu’un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocate, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière