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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1177/2022

JTAPI/387/2022 du 14.04.2022 ( MC ) , CONFIRME

REJETE par ATA/476/2022

Descripteurs : DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION;DÉTENTION POUR INSOUMISSION
Normes : LEI.76.al1.letb.ch1; LEI.78
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1177/2022 MC

JTAPI/387/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

Du 14 avril 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Sophie BOBILLIER, avocate

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1975, est originaire de Cuba.

Il est entré en Suisse en l'an 2000, et s'est marié le 13 juin 2000 avec Madame B______, née le ______ 1975, citoyenne suisse. Le couple a eu un enfant, Mademoiselle C______, née le ______ 2003. Les époux ont divorcé le ______ 2010.

M. A______ a également eu un enfant (Mademoiselle D______, née le 10 ______) avec Madame E______, née le ______ 1974, citoyenne suisse.

2.             M. A______ a été mis au bénéfice d'une autorisation de séjour (Livret-B) accordée aux conjoints de ressortissants suisse jusqu'au 12 juin 2005, puis il s'est vu octroyer une autorisation d'établissement (Livret-C) jusqu'au 12 juin 2018.

3.             Entre 2012 et 2015, M. A______ a fait l'objet de neuf condamnations par les instances pénales suisses, principalement pour des vols (art 139 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0)).

4.             Par arrêt du 30 avril 2019, la Chambre pénale d'appel et de révision (ci-après : CPAR) l'a reconnu coupable de tentative de viol (art 190 al. 1 CP), de vol (art. 139 al. 1 CP), de dommages à la propriété (art 144 CP), de violation de domicile (art 186 CP), et de contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes. Elle l'a condamné à une peine privative de liberté de trente mois, sous déduction de 348 jours de détention préventive, et, simultanément, a ordonné son expulsion de Suisse pour une durée de cinq ans (art 66a CP).

5.             Cet arrêt est devenu définitif exécutoire.

6.             Le 26 octobre 2020, le Secrétariat d'Etat aux migrations (ci-après: SEM) a interpellé le Consulat de Cuba en Suisse pour vérifier si M. A______ avait le statut "d'émigré" et s'il pouvait retourner à Cuba avec son passeport valable.

7.             Par courriels du 10 et 16 novembre 2020, le Consulat de Cuba a expliqué au SEM que M. A______ avait vis-à-vis des autorités cubaines le statut "d'émigré" et qu'il ne pouvait retourner à Cuba que s'il déposait une demande formelle et volontaire auprès de l'ambassade de Cuba et si les autorités de migration cubaines l'autorisaient.

8.             Le 13 novembre 2020, l'OCPM a prononcé une décision de non-report d'expulsion judiciaire à l'encontre de M. A______, après que la possibilité de s'exprimer lui eut été donnée, et lui a imparti un délai de sept jours après sa libération de détention pénale pour quitter la Suisse.

9.             Le 17 novembre 2020, M. A______ a été libéré de la prison de F______.

10.         Le 28 janvier 2021, le Ministère public du canton de Genève l'a condamné à une peine privative de liberté de 180 jours, pour avoir persisté à séjourner sur le territoire suisse alors qu'il faisait l'objet d'une expulsion judiciaire pour une durée de cinq ans, entrée en force, et pour avoir détenu un parachute d'héroïne destinée à sa propre consommation personnelle, infractions à l'art. 291 al. 1 CP et à l'art. 19a de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes (loi sur les stupéfiants ; LStup ; RS 812.121). S'agissant de sa situation personnelle, le Ministère public a retenu que l'intéressé était divorcé, père de deux enfants dont il n'avait pas la charge, était sans domicile fixe, sans emploi, ni revenu, et n'avait aucune attache avec la Suisse.

11.         Le 24 mars 2021, M. A______ a été incarcéré à la prison de G______.

12.         Le 29 mars 2021, les services de police ont interpellé le SEM pour savoir s'ils pouvaient organiser un vol à destination de Cuba pour l'intéressé.

13.         Le 31 mars 2021, le SEM a répondu aux services de police dans les termes suivantes :

"La législation cubaine la plus récente réglementant la sortie et le retour à Cuba est entrée en vigueur le 14 janvier 2013. Elle offre à tous les ressortissants cubains la possibilité de sortir du pays sans restriction. Elle entraîne la suppression du visa de sortie cubain (jusqu'à présent accordée de manière restrictive) et accorde le droit de principe de se voir délivrer un passeport cubain. La durée maximale du séjour ordinaire à l'étranger des Cubains a augmenté, passant de 12 à 24 mois.

En principe la nouvelle législation offre donc la possibilité à tous les ressortissants cubains séjournant à l'étranger la possibilité de retourner à Cuba tant pour une visite qu'en vue d'un retour définitif et ce, quelle que soit la durée de leur séjour à l'étranger, leur statut légal dans le pays où ils séjournent et, en particulier, leur "statut à l'étranger" actuel au regard du droit cubain. En conséquence, il devrait désormais être aussi possible à tout ressortissant cubain ayant le statut d'"émigré" de retourner en tout temps de manière définitive à Cuba.

Nos investigations auprès de l'ambassade de Cuba à Berne ont révélé que tout ressortissant cubain séjournant à l'étranger ou ayant "émigré" peut soumettre, en personne et de son propre chef, une demande par l'entremise de la représentation diplomatique cubaine compétente sur place (ce qui est nouveau). En vertu des articles 49 et 50 de la nouvelle ordonnance, les demandes ainsi déposées sont transmises au Ministère de l'Intérieur, lequel statue dans un délai maximal de 90 jours".

14.         Le 27 mai 2021, le Tribunal de police du canton de Genève l'a condamné à une peine privative de liberté de quatre mois, pour avoir persisté à séjourner sur le territoire suisse entre le 29 janvier 2021 et le 23 mars 2021, alors qu'il faisait l'objet d'une expulsion judiciaire pour une durée de 5 ans, entrée en force, infraction à l'art. 291 al. 1 CP.

15.         Le 19 août 2021, un agent de la Brigade Migration et Retour, s'est entretenu avec M. A______ lequel a déclaré vouloir collaborer afin de rentrer dans son pays d'origine. A cette occasion, les services de police ont relancé le SEM pour savoir si l'intéressé pouvait être rapatrié en DEPU /DEPA.

16.         Le 14 septembre 2021, le SEM a répondu dans les termes suivants :

"Ainsi qu'il ressort des investigations faites en novembre 2020 par l'Ambassade de Cuba (cf. pièce jointe), la personne est considérée comme "émigrée". Bien qu'elle dispose d'un passeport valable, elle ne peut pas rentrer au pays avec ce document car elle a perdu son droit d'établissement. Il est nécessaire qu'elle adresse de son propre chef une demande formelle directement à son Ambassade pour retourner de manière définitive à Cuba" (pièce 12: Courriel du SEM à la BMR).

17.         Le 22 septembre 2021, la Brigade Migration et Retour a contacté l'ambassade de Cuba à Berne et lui a transmis la déclaration de départ de l'intéressé.

18.         Le 24 septembre 2021, l'ambassade de Cuba a informé la Brigade Migration et Retour que la Section consulaire à Berne était temporairement fermée depuis le 17 septembre 2021 et jusqu'au 26 novembre 2021.

19.         Le 12 octobre 2021, le Tribunal d'application des peines et des mesures a refusé la libération conditionnelle de M. A______. La juridiction a retenu que le pronostic se présentait sous un jour défavorable au vu des nombreux antécédents du cité, ainsi que de l'échec de sa précédente libération conditionnelle. Sa situation personnelle demeurait inchangée et on ne percevait aucun effort du cité pour modifier la situation, étant rappelé qu'il faisait l'objet d'une expulsion judiciaire de Suisse d'une durée de cinq ans. Il n'avait aucun projet concret et ne souhaitait pas bénéficier d'une libération conditionnelle en raison des conditions de réinsertion à l'extérieur qu'il estimait inexistantes.

20.         Le 29 novembre et le 14 décembre 2021, la Brigade Migration et Retour a interpellé le Consulat de Cuba pour l'informer que M. A______ désirait un entretien pour retourner dans son pays d'origine.

21.         Le 20 décembre 2021, le consulat de Cuba a expliqué qu'il était disposé à parler téléphoniquement avec M. A______ et souhaitait convenir d'un rendez-vous.

22.         Le 12 janvier 2022, depuis les locaux de la Brigade Migration et Retour au Vieil Hôtel de Police, M. A______ s'est entretenu au téléphone avec le consulat de Cuba.

23.         Le 21 janvier 2022, la Brigade Migration et Retour a demandé des précisions supplémentaires au Consulat de Cuba pour les prochaines démarches à effectuer pour permettre le rapatriement de M. A______ à Cuba.

24.         Le 25 janvier 2022, M. A______ a été libéré de la prison de la prison de G______ et remis en mains des services de police.

25.         Le même jour, le commissaire de police a prononcé à son égard un ordre de détention administrative pour une durée de 6 mois fondée sur l'art. 76 al. 1 let. a ch. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) renvoyant à l'art. 75 al. 1 let. h LEI. Au commissaire de police, il a dit qu'il était d'accord de retourner à Cuba.

26.         Entendu le 27 janvier 2022 par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), l'intéressé a déclaré qu'il n'était pas d'accord de retourner à Cuba car il y avait, entre autres, des problèmes vis-à-vis de l'armée. Le même jour, le tribunal a confirmé l'ordre de mise en détention administrative du commissaire de police mais pour une durée réduite à un mois, sur le base de l'art. 78 LEI.

27.         Par requête motivée du 14 février 2022, l'OCPM a sollicité la prolongation de la détention administrative de l'intéressé pour une durée de deux mois.

28.         Par arrêt du 17 février 2022, la chambre administrative de la Cour de justice a rejeté le recours formé par l'intéressé contre le jugement du tribunal du 27 janvier 2022.

29.         Devant le tribunal, lors de l'audience du 22 février 2022, M. A______ a indiqué être prêt à partir de Suisse à destination du Cuba et à rencontrer le consul du Cuba.

30.         Le 23 février 2022, le Tribunal a prolongé la détention administrative de l'intéressé pour une durée de deux mois conformément à l'art 78 al. 2 LEI.

31.         Le 11 mars 2022, la Brigade Migration et Retour a obtenu un rendez-vous avec le Consul de Cuba pour le 21 mars 2022.

32.         Le 14 mars 2022, M. A______ a écrit au consulat de Cuba en vue de demander un rendez-vous et discuter de son retour à Cuba.

33.         Le 21 mars 2022, la Brigade Migration et Retour a sollicité une réponse écrite de la part du consulat de Cuba suite à l'entretien avec M. A______.

34.         Le 31 mars 2022, le Consul de Cuba a informé la Brigade migration et retour que M. A______ ne remplissait pas les conditions de la législation cubaine pour retourner à Cuba.

35.         Le 7 avril 2022, le Directeur de l'OCPM a saisi le SEM et a demandé l'intervention de l'autorité fédérale auprès de l'ambassadrice de Cuba afin qu'elle facilite le renvoi de son concitoyen et sa reprise par les autorités du pays dont il avait la nationalité.

36.         Le 13 avril 2022, à 9h40, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée d'un mois, en fondant à nouveau cette décision sur fondée sur l'art. 76 al. 1 let. a ch. 1 LEI renvoyant à l'art. 75 al. 1 let. h LEI.

Cette décision retenait entre autres que les conditions de détention pour insoumission n'étaient plus remplies. En effet, l'intéressé avait déclaré qu'il était d'accord de retourner à Cuba et avait collaboré avec les autorités en sollicitant un rendez-vous auprès de son consulat pour discuter des conditions de retour dans son pays d'origine. Suite à la réponse donnée par ce consulat le 31 mars 2022, il s'avérait aujourd'hui que l'exécution du renvoi de l'intéressé dépendait principalement des discussions entre la Suisse et Cuba, le rôle du précité étant limité pour l'instant. Quant aux conditions prévues par l'art. 76 al. 1 let. a ch. 1 LEI renvoyant à l'art. 75 al. 1 let. h LEI, les était réalisées puisque M. A______ faisait l'objet d'une décision d'expulsion judiciaire de Suisse prononcée le 30 avril 2019 et qu'il avait par ailleurs été condamné à plusieurs reprises pour des vols, infraction qualifiée de crimes.

Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu'il ne s'opposait à son renvoi à Cuba.

37.         Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au Tribunal administratif de première instance (ci-après le tribunal) le même jour.

38.         Entendu ce jour par le tribunal, M. A______ a informé le tribunal du fait que ses derniers entretiens avec le représentant de Cuba en Suisse avaient amené celui-ci à lui affirmer que ses possibilités de retourner volontairement à Cuba étaient quasi inexistantes, vu les circonstances particulières de sa situation et notamment l’ancienneté de son séjour en Suisse.

Le représentant du commissaire de police a indiqué que les démarches initiées actuellement par le SEM auprès de l’ambassade cubaine visaient à vérifier les conditions précises posées par l’état cubain à un retour du précité dans son pays, indépendamment de la position prise par le consul de Cuba le 31 mars 2022. Il a informé également le tribunal que dans la mesure où l’entretien de M. A______ avec le consul de Cuba avait eu lieu hors la présence de représentants de l’autorité suisse, l’hypothèse que cet entretien ait en réalité eu une autre teneur que celle décrite par M. A______ ne pouvait être exclue. Sur question du conseil de M. A______, il a expliqué que l’entretien ne s’était pas fait à l’établissement de détention de ce dernier ou en tout cas hors les murs du consulat, simplement parce qu’il s’agissait d’une exigence posée par la représentation cubaine que cet entretien ait lieu en ses locaux. Il a précisé enfin que le SEM s’était pour l’heure contenté d’accuser réception de la demande formulée le 7 avril 2022 par l’OCPM. On ignorait dans quel délai cette demande serait traitée.

Il a demandé la confirmation de l'ordre de mise en détention administrative prise à l'encontre de M. A______ le 13 avril 2022 pour une durée d'un mois.

L'intéressé, par l'intermédiaire de son conseil, s’est opposé à sa mise en détention et conclu à sa libération immédiate.

 

EN DROIT

1.            Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner d'office la légalité et l’adéquation de la détention administrative en vue de renvoi ou d’expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d de loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

Il doit y procéder dans les nonante-six heures qui suivent l'ordre de mise en détention (art. 80 al. 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 - LEI - RS 142.20 ; anciennement dénommée loi fédérale sur les étrangers - LEtr ; 9 al. 3 LaLEtr).

2.            En l'espèce, le tribunal a été valablement saisi et respecte le délai précité en statuant ce jour, la détention administrative ayant débuté le 13 avril 2022 à 9h00.

3.            Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative de M. A______ pour une durée d'un mois.

4.            L'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI, renvoyant à l'art. 75 al. 1 lettre h LEI, permet d'ordonner la détention administrative d'un ressortissant étranger afin d'assurer l'exécution d'une décision de renvoi ou d'expulsion notifiée à celui-ci, lorsque la personne concernée a été condamnée pour crime, par quoi il faut entendre une infraction passible d’une peine privative de liberté de plus de 3 ans (art. 10 al. 2 CP ; cf. ATA/295/2011 du 12 mai 2011, consid. 4).

5.            Aux termes de l'art. 78 al. 1 LEI, si l'étranger n'a pas obtempéré à l'injonction de quitter la Suisse dans le délai prescrit et que la décision exécutoire de renvoi ou l'expulsion ne peut être exécutée en raison de son comportement, il peut être placé en détention pour insoumission afin de garantir qu'il quittera effectivement le pays, pour autant que les conditions de sa détention en vue du renvoi ou de l'expulsion ne soient pas remplies et qu'il n'existe pas d'autre mesure moins contraignante susceptible de conduire à l'objectif visé.

6.            Le but de la détention pour insoumission est de pousser un étranger tenu de quitter la Suisse à changer de comportement, lorsqu'à l'échéance du délai de départ, l'exécution de la décision de renvoi entrée en force ne peut être assurée sans la coopération de celui-ci malgré les efforts des autorités (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 ; 134 I 92 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_984/2013 du 14 novembre 2013 consid. 3.1 ; 2C_1089/2012 du 22 novembre 2012 consid. 2.2).

7.            La détention pour insoumission apparaît comme une ultima ratio, dans la mesure où il n'existe plus d'autres mesures permettant d'aboutir à ce que l'étranger présent illégalement en Suisse puisse être renvoyé dans son pays (arrêts du Tribunal fédéral 2C_984/2013 du 14 novembre 2013 consid. 3.1 ; 2C_26/2013 du 29 janvier 2013 consid. 3.1). Selon la jurisprudence, elle doit en tous les cas respecter le principe de la proportionnalité et suppose d'examiner l'ensemble des circonstances pour déterminer si elle paraît appropriée et nécessaire (ATF 135 II 105, consid. 2.2.1 ; 134 II 201, consid. 2.2.2 ; 134 I 92, consid. 2.3.2)

8.            Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le juge peut en principe confirmer une détention par substitution de motif (arrêt du Tribunal fédéral 2C_131/2011 du 25 février 2011).

9.            Toutefois, dans un arrêt 2C_538/2010 du 10 juillet 2010, le Tribunal fédéral a semblé exclure une détention par substitution de motifs, si cette substitution suppose de fonder la détention sur l'art. 78 plutôt que sur l'art. 76 LEI. Il explique à ce sujet que « les objectifs de la détention en vue du renvoi ne sont pas les mêmes que ceux de la détention pour insoumission. Alors que la première tend à permettre l'exécution du renvoi, en évitant que l'étranger disparaisse (cf. art. 76 LEtr), la seconde vise à obtenir un changement de comportement chez l'intéressé et ne se justifie que si sa détention en vue du renvoi n'est plus possible (cf. art. 78 LEtr; pour plus de détails, cf. Thomas Hugi Yar, Zwangsmassnahmen im Ausländerrecht, Ausländerrecht, Bâle 2009, § 10 p. 460 et 481). Ces deux détentions trouvent du reste une base différente dans la CEDH : la détention en vue du renvoi est assimilée à une détention régulière d'une personne contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours au sens de l'art. 5 par. 1 let. f CEDH, tandis que la détention pour insoumission est conçue comme une mesure tendant à garantir l'exécution d'une obligation prescrite par la loi selon l'art. 5 par. 1 let. b CEDH dans ce contexte (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 p. 107; 133 II 97 consid. 2.2 p. 99). En outre, la jurisprudence a souligné les particularités de la détention pour insoumission lors de l'examen du droit à l'assistance d'un avocat (ATF 134 I 92 consid. 4 p. 101 s.). Il s'agit donc de deux procédures de détention de nature différente ».

10.        La doctrine récente relativise toutefois la portée de cet arrêt en considérant que la restriction posée par le Tribunal fédéral s'applique à la situation où « les éléments nécessaires font défaut (faits pas constatés ou ne figurant pas au dossier) » Grégoire CHATTON/Laurent MERZ, Code annoté de droit des migrations, Minh SON NGUYEN/Cesla AMARELLE (édit.), ad art. 78 ch. 11 p. 834). Il est vrai que l'arrêt précité précise d'une part, de manière générale, que le juge « ne peut opérer de substitution de motifs qu'à la condition que les seuls faits constatés dans la décision entreprise appellent une autre qualification juridique» et d'autre part, de manière particulière au cas d'espèce, que «la décision entreprise n'envisage que la détention en vue du renvoi; elle ne contient dès lors pas les éléments de fait permettant de statuer sur le caractère approprié et nécessaire d'une détention pour insoumission » (arrêt 2C_538/2010 du 10 juillet 2010, consid. 4.3.1).

11.        Il est vrai que le seul fait que des différences existent entre deux types de détention ne saurait faire obstacle à une substitution de motifs, sans quoi, dans ce domaine, cette dernière n'existerait pas. Quant aux différences entre les art. 76 et 78 LEI, l'arrêt 2C_538/2010 les souligne sans pour autant expliciter ce qui par nature rendrait impossible une substitution de motif. La détention pour insoumission est une ultima ratio essentiellement en raison du fait que l'exécution du renvoi ne dépendra plus que de la bonne volonté du détenu et que la marge de manoeuvre des autorités est considérablement réduite, se limitant à peu près aux tractations qu'elles peuvent essayer de poursuivre avec les autorités étrangères en vue d'obtenir leur accord pour un retour sous la contrainte (Grégoir CHATTON/Laurent MERZ, ibid., ch. 19, p. 837). La prolongation d'une telle détention revêt quant à elle un caractère relativement automatique (ATF 134 I 92 consid. 4.1 p. 101). Les garanties procédurales sont elles aussi moins étendues que sous l'angle de l'art. 76 LEI (arrêt 2C_538/2010 précité). Cela étant, ce qui seul devrait importer, dans le cadre d'une substitution, est le fait que la légalité et la proportionnalité de la détention pour insoumission soient respectées. On ne voit pas pour quelle raison il faudrait que l'examen de ces conditions soit réalisé par le juge uniquement sur la base d'une décision prise au préalable par l'autorité administrative, et ne puisse avoir lieu d'office, pour autant, comme souligné précédemment, que le juge dispose de tous les éléments lui permettant de vérifier si les conditions de la « nouvelle » détention sont réalisées.

12.        Pour finir, il convient de relever que le tribunal de céans a appliqué par substitution de motifs l'art. 78 LEI à la place de l'art. 76 LEI, notamment dans le cadre du dossier de M. A______ (JTAPI/1______ du 27 janvier 2022 ; JTAPI/2______ du 29 mars 2018 et JTAPI/3______ du 30 juillet 2019).

13.        Dans le cas d'espèce, l'ordre de mise en détention prononcé par le commissaire de police le 13 avril 2022 fonde la détention de M. A______ sur l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI, renvoyant à l'art. 75 al. 1 lettre h LEI, plutôt que sur l'art. 78 LEI, au motif que l'intéressé aurait désormais pleinement collaboré avec les autorités et que ce ne serait qu'en raison des tergiversations de la représentation cubaine en Suisse que l'exécution de son renvoi demeurerait incertaine.

14.        Cela ne suffit cependant pas pour admettre que l'on doive repasser au régime de détention prévue par l'art. 76 LEI, car il convient de garder à l'esprit que cette dernière disposition légale n'est applicable, conformément à la jurisprudence rappelée plus haut, que lorsque le renvoi de la personne détenue peut être exécuté par la contrainte. À défaut, lorsque seule la collaboration de cette personne permet d'exécuter son renvoi, seule la détention pour insoumission au sens de l'art. 78 LEI demeure possible.

15.        En l'occurrence, le fait que pour le moment, les autorités cubaines laissent les autorités suisses dans l'incertitude sur la décision qu'elles prendront au sujet du retour de M. A______, n'empêche pas qu'un retour sous la contrainte demeure vraisemblablement absolument impossible. Nonobstant les explications données à ce sujet à l'audience de ce jour par le représentant du commissaire de police, concernant le fait que cette impossibilité n'est pas clairement démontrée dans le dossier, on ne s'explique pas différemment le fait que depuis octobre 2020, les autorités suisses ne sont pas parvenues à obtenir de la part des autorités cubaines la moindre information concernant la possibilité d'un retour sous la contrainte, ni à faire avancer la procédure d'exécution du renvoi en obtenant la collaboration des autorités cubaines sous la forme de la délivrance de documents de voyage provisoire.

16.        La situation actuelle, dans laquelle la représentation cubaine en Suisse ne montre pas un empressement particulier en vue du retour de M. A______ dans son pays, sa parente en réalité aux situations dans lesquelles des obstacles indépendants de la volonté de la personne détenue et des autorités suisses empêchent l'exécution du renvoi. Pour autant, cela ne remet pas en cause, sur le principe, la possibilité d'une détention pour insoumission.

17.        Dans le cas d'espèce, le tribunal ne saurait partager l'analyse de M. A______sur l'faite que cet obstacle imposerait d'ores et déjà la levée de sa détention administrative, car l'on ne saurait à ce stade préjugé du fait que les autorités cubaines persisteront dans leur attitude actuelle pendant une durée indéterminée. En revanche, il va de soi qu'à mesure que le temps passera, cette question devra être examinée avec plus d'attention.

18.        Au vu de ce qui précède, le tribunal confirmera l'ordre de mise en détention administrative de M. A______ pour une durée d'un mois, par substitution de motifs au sens des considérants qui précèdent.

19.        Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             confirme l’ordre de mise en détention administrative pris par le commissaire de police le 13 avril 2022 à 9h40 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée d'un mois, soit jusqu'au 12 mai 2022 ;

2.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le 14 avril 2022

 

La greffière