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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/4116/2019

JTAPI/385/2021 du 16.04.2021 ( LCI ) , REJETE

REJETE par ATA/879/2021

Descripteurs : PROTECTION DES MONUMENTS;PROCÉDURE DE CLASSEMENT;PERMIS DE CONSTRUIRE;PERMIS DE DÉMOLIR
Normes : LFAIE; LPMNS.13; LPMNS.63; LGZD.3.al5
Parties : ASSOCIATION ACTION PATRIMOINE VIVANT / DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC, KEAT SA
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4116/2019 LCI

JTAPI/385/2021

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 16 avril 2021

 

dans la cause

 

ASSOCIATION ACTION PATRIMOINE VIVANT, représentée par Me Florian BAIER, avocat, avec élection de domicile

 

contre

KEAT SA, représentée par Me François BELLANGER, avocat, avec élection de domicile

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE

 


EN FAIT

1.             La société KEAT SA, inscrite au registre du commerce du canton de Genève le 8 décembre 1997 et dont le but est la gestion de biens ou de patrimoines de même que le financement d'opérations dans les domaines immobiliers et mobilier, est propriétaire de la parcelle n° 491, feuille 15 de la commune de Chêne-Bougeries, située en 5ème zone de développement 3, au chemin de la Chevillarde 11.

2.             Sur cette parcelle sont érigés les bâtiments suivants :

- une maison de maître (B27), dite maison Rosemont ;

- deux dépendances-écuries (B28 et B29) ;

- une dépendance (B30) ;

- un petit chalet non cadastré.

3.             Cette parcelle est située dans le périmètre du plan localisé de quartier (ci-après : PLQ) n° 29'978 adopté par le Conseil d'État le 28 février 2018, lequel prévoit la démolition des bâtiments existants et la construction de quatre immeubles de logements (R + 8, R + 9, R + 6 et R + 4) et d'un bâtiment destiné à des équipements de quartier et du commerce.

Il comporte une section « Éléments patrimoniaux » qui prévoit, outre la démolition des bâtiments existants, les éléments à conserver, à déplacer ou à reconstituer.

Ce PLQ est entré en force le 13 mars 2019, après qu'un recours eut été retiré.

4.             Préalablement à l'adoption de ce PLQ, le 14 mars 2014, une demande d'inscription à l'inventaire des immeubles dignes d'être protégés des bâtiments B27, B28, B29 et B30, du chalet non cadastré, des bassins, des murs de clôture et de la parcelle n° 491 avait été déposée par Patrimoine Suisse, Genève (ci-après : PSGe).

5.             Par arrêté du 28 février 2018, le conseiller d'État chargé du département de l'aménagement, du logement et de l'énergie, devenu le 1er juin 2018 le département du territoire (ci-après : le département) a rejeté cette demande, considérant notamment que « l'intérêt public attaché à la pérennité du bâtiment litigieux, de ses dépendances et aménagements et de la parcelle qui les supporte, doit s'effacer, dans le cas particulier, devant l'intérêt général attaché à la construction de logements répondant à diverses catégories de la population et consacré dans le PLQ n° 29'978-511, au demeurant, adopté ce jour ».

Cet arrêté, qui n'a pas été contesté, est entré en force.

6.             Le 16 juillet 2018, KEAT SA a déposé auprès du département une demande d'autorisation de construire portant sur quatre immeubles de logements conformément au PLQ précité, un parking souterrain, un espace de quartier, des aménagement extérieurs et l'abattage d'arbres (DD 111'744). Cette requête visait la construction de deux-cent-huit logements.

7.             Dans le cadre de l'instruction de cette demande les préavis des instances suivantes ont été recueillis :

- le 25 juillet 2018, la direction de l'information du territoire (ci-après : DIT) a délivré un préavis favorable sous conditions ;

- le 7 août 2018, l'office cantonal de l'énergie (ci-après : OCEN) et la commission d'architecture (ci-après : CA) se sont prononcés favorablement sous conditions ;

- le 14 août 2018, la direction générale des transports (ci-après : DGT) s'est prononcée favorablement ;

- les 20 et 21 août 2018, la direction générale de l'agriculture de la nature (ci-après : DGAN) a délivré deux préavis favorables sous conditions, notamment de mandater un arboriste-conseil pour le suivi des travaux à proximité des arbres conservés et pour la mise en place des mesures nécessaires à leur préservation ;

- le 3 septembre 2018, la direction générale de l'environnement (ci-après : SABRA) a délivré un préavis favorable sous conditions ;

- le 4 septembre 2018, la direction générale de l'eau (ci-après : DGEau) a délivré un préavis favorable sous conditions ;

- le 5 septembre 2018, la direction de la planification directrice cantonale et régionale (ci-après : SPI) a émis un préavis favorable avec dérogations et sous conditions. En particulier, « le projet comport[ait] notamment des dérogations sur les points suivants : légère adaptation d'implantation des constructions projetées, en lien avec les mesures de préservation de la végétation existante ; diminution de quatre places de stationnement ». De même, « la clé de répartition des droits à bâtir différ[ait] légèrement de celle fixée par le tableau de répartition du PLQ. Toutefois, ces chiffres respect[aient] la totalité maximum admise par le PLQ, ainsi que l'indice d'utilisation » ;

- le 12 septembre 2018, la commune de Chêne-Bougeries (ci-après : la commune) s'est prononcée favorablement ;

- le 19 septembre 2018, la police du feu s'est prononcée favorablement sous conditions ;

- le 14 mars 2019, l'office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF) a délivré un préavis favorable avec dérogations et sous conditions ;

- le 21 mars 2019, le GESDEC s'est déclaré favorable au projet sous conditions.

8.             Parallèlement, KEAT SA a déposé une demande d'autorisation de démolir les bâtiments existants, enregistrée sous M 8'200. La lettre accompagnant cette requête mentionnait notamment que « soucieux de garder une trace des témoignages du passé, les éléments de ferronnerie composant la galerie de la maison que sont les colonnettes et les gardes corps en fonte ouvragés, seront récupérés et restaurés, puis viendront habiller le nouveau pavillon abritant l'espace de quartier ».

9.             Dans le cadre de l'instruction de cette requête, les préavis suivants ont notamment été recueillis :

- le 24 juillet 2018, la DIT a délivré un préavis favorable sous conditions ;

- le 21 août 2018, la DGAN a émis un préavis favorable sous conditions ;

- le 30 août 2018, le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) a prononcé un préavis favorable sous conditions que lui soit fourni un reportage photographique professionnel et que l'autorisation de démolir soit subordonnée à l'acceptation de l'autorisation des travaux de remplacement (DD 111'744) par l'autorité compétente ;

- le 12 septembre 2018, la commune s'est également prononcée favorablement.

10.         Le 2 novembre 2018, l'association Action Patrimoine Vivant (ci-après : APV) a adressé au Conseil d'État une requête visant au classement des bâtiments B27, B28, B29 et B30 précités et de leurs abords.

11.         Dans le cadre de l'instruction de la cette demande, après avoir délivré un préavis favorable le 5 mars 2019, la commission des monuments de la nature et des sites (ci-après : CMNS), dans sa composition plénière, a finalement préavisé défavorablement la demande de classement le 29 mai 2019, indiquant notamment que la pesée des intérêts avait déjà été faite dans le cadre de la procédure de mise à l'inventaire.

12.         Le 2 septembre 2019, la commune a également préavisé défavorablement la demande de classement.

13.         Par arrêté du 18 septembre 2019, le Conseil d'État a rejeté la demande de classement. À cette occasion, il a notamment relevé que les décisions de rejet d'inscription à l'inventaire et d'adoption du PLQ n° 29'978 étaient entrées en force, que la question de l'intérêt patrimonial des bâtiments en question avait déjà fait l'objet d'un examen complet, et que la situation actuelle ne présentait pas d'éléments nouveaux propres à provoquer un examen sous un nouvel angle et justifier une mesure de protection.

14.         Par acte du 21 octobre 2019, APV a formé un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre cet arrêté. Ce recours a été enregistré sous le numéro de procédure A/3895/2019.

15.         Le 10 octobre 2019, le département a délivré les autorisations de construire DD 111'744 et de démolir M 8'200, lesquelles reprenaient les conditions prévues notamment dans les préavis de l'OCLPF, de la DIT, de la DGAN, de la CA, de la SPI, du SMS et de la commune précités.

Ces deux décisions ont été publiées le même jour dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO).

16.         Par acte du 6 novembre 2019, déposé au greffe du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), APV (ci-après : la recourante) a recouru contre les autorisations de construire et de démolir précitées, concluant à leur annulation, sous suite de frais et dépens ; subsidiairement à l'annulation de l'autorisation de démolir en ce qu'elle concernait la maison de maître B27 et l'autorisation de construire en ce qu'elle concernait toute construction à l'emplacement de ladite maison de maître. Préalablement, elle a sollicité la restitution de l'effet suspensif au recours, cela fait, la suspension de la présente procédure jusqu'à droit jugé dans la procédure de classement A/3895/2019, puis, à défaut de suspension, à ce qu'un délai lui soit octroyé pour compléter son recours sur le fond, le droit de compléter ou de modifier ses conclusions une fois la procédure A/3895/2019 terminée devant en outre lui être réservé.

APV, qui avait la qualité pour recourir au sens de l'art. 145 al. 3 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), contestait ces deux autorisations, au motif que la procédure visant le classement des bâtiments dits « de la Chevillarde » situés sur la parcelle n° 491 dont notamment la maison de maître B27, d'une valeur historique exceptionnelle, était actuellement pendante auprès de la chambre administrative. Comme l'issue de cette procédure était décisive pour le sort du présent recours, la suspension de la procédure devant le tribunal devait être prononcée.

Il était en outre fondamental d'accorder l'effet suspensif au recours faute de quoi les bâtiments concernés seraient perdus, et la procédure de classement n'aurait plus sens ni objet.

17.         Considérant que le recours déposé ne respectait pas l'ensemble des exigences prévues par l'art. 65 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA- E 5 10), le tribunal a imparti un délai au 26 novembre 2019 à la recourante pour le compléter à défaut de quoi, il pourrait être déclaré irrecevable.

18.         Le 21 novembre 2019, le département a transmis son dossier au tribunal ainsi que ses observations. Il s'en rapportait à l'appréciation du tribunal quant à la suspension de la procédure. En revanche, il s'opposait à la restitution de l'effet suspensif.

19.         Par courrier du même jour, KEAT SA (ci-après : l'intimée) a notamment indiqué au tribunal qu'elle s'engageait à ne pas débuter les travaux de démolition ou de construction avant droit jugé sur la demande de restitution d'effet suspensif.

20.         Le 25 novembre 2019, la recourante a complété son recours et produit de nouvelles pièces, persistant dans ses conclusions avec l'ajout d'une conclusion plus subsidiaire, soit l'annulation des autorisations de construire et de démolir et le renvoi de la cause au département pour réévaluer le dossier en tenant compte du fait qu'un recours avait été déposé contre le refus de classement (A/3895/2019).

Active depuis vingt-quatre ans dans tout le canton de Genève et se vouant à la défense du patrimoine tant en ville de Genève que dans les différentes communes du canton, sa qualité pour recourir devait être reconnue.

Elle recourait contre les autorisations de construire et de démolir dans l'unique but de préserver ses droits dans la procédure de classement en cours auprès de la chambre administrative. En effet, si les autorisations précitées venaient à se concrétiser, le recours contre le refus de classement deviendrait sans objet alors que la maison de maître au moins était reconnue comme ayant une valeur exceptionnelle.

La demande de classement datait du 2 novembre 2018 alors que les demandes d'autorisation de construire et de démolir avaient été déposées le 16 juillet 2018. Les autorisations querellées avaient été publiées dans la FAO le 10 octobre 2019, soit après l'arrêté du 18 septembre 2019 refusant le classement, mais avant le dépôt du recours contre le refus de classement le 21 octobre 2019.

Le département avait violé l'art. 13 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05) en délivrant les autorisations de construire et de démolir sans tenir compte de la procédure de classement en cours.

La décision du département la privait d'une voie de recours effective à laquelle elle avait droit au sens de l'art. 63 LPMNS.

Pour le surplus, les autorisations accordées n'étaient pas conformes au PLQ n° 29'978, les dérogations accordées n'étant pas justifiées au regard de l'art. 3 al. 4 et 5 de la loi sur l'extension des voies de communication et l'aménagement des quartiers ou localités du 9 mars 1929 (LExt - L 1 40). N'ayant pas encore pu consulter le dossier, elle sollicitait un délai supplémentaire pour compléter son argumentation.

21.         En date du 3 décembre 2019, la recourante a remis au tribunal le texte d'une interview du conseiller d'État en charge du département parue le 29 novembre 2019 dans la Tribune de Genève, duquel il ressortait qu'il avait demandé à ses services de réexaminer tous les anciens PLQ à l'aune de la qualité des espaces publics, de la place de la nature et du patrimoine. Il mentionnait en particulier le dossier de la Chevillarde visé par la présente procédure ainsi que celle, de classement, pendante auprès de la chambre administrative.

22.         Le 6 décembre 2019, l'intimée a transmis ses observations, concluant au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif et de suspension de la procédure. À titre subsidiaire, si le tribunal devait considérer que l'effet suspensif devait être restitué, ce dernier ne devrait concerner que la démolition de la maison de maître.

23.         Le 13 décembre 2019, la recourante a répliqué sur les questions de l'effet suspensif et de la suspension de la procédure, persistant dans ses conclusions.

24.         Le 23 décembre 2019, l'intimée et le département ont dupliqué sur ces mêmes questions, persistant également dans leurs conclusions respectives.

25.         Dans ses observations sur le fond du 6 janvier 2020, l'intimée a notamment conclu au rejet du recours, sous suite de frais et dépens.

La recourante poursuivait le but de bloquer une démolition, en tentant de remettre en cause une démolition entérinée par un PLQ en force. Le tribunal devait ainsi prendre en compte un arrêt de la chambre administrative (ATA/843/2019 du 30 avril 2019) pour rejeter les griefs soulevés par la recourante qui tentait de contester un PLQ en force par des moyens détournés.

L'art. 13 al. 1 LPMS n'avait pas été violé, le département étant compétent pour autoriser des changements sur l'immeuble au sens de cette disposition. Au demeurant, la loi n'imposait pas que la décision de classement soit en force pour qu'une telle autorisation soit octroyée.

Le département n'avait pas non plus violé son pouvoir d'appréciation en accordant les autorisations querellées, dès lors que tous les services compétents en matière de protection du patrimoine s'étaient déclarés en faveur de la démolition des bâtiments existants, tant dans la procédure d'autorisation de démolition que dans la procédure de classement, lesquels avaient effectué une pesée des intérêts complète, étant rappelé qu'une telle pesée des intérêts avait d'ores et déjà été effectuée lors de l'élaboration du PLQ n° 29'978.

Enfin, la recourante n'alléguait ni de démontrait une quelconque non-conformité des autorisations attaquées avec le PLQ, se bornant à persister à exiger le maintien d'un bâtiment dont le sort avait expressément été réglé par ledit PLQ.

26.         Par décision du 8 janvier 2020 (DITAI/14/2020), le tribunal a rejeté la demande de restitution de l'effet suspensif au recours contre l'autorisation de construire DD 111'744, constaté que le recours contre l'autorisation de démolir M 8'200 avait effet suspensif de plein droit et prononcé la suspension de la procédure jusqu'à droit connu suite au recours déposé par la recourante auprès de la chambre administrative en la cause A/3895/2019.

27.         Le 13 janvier 2020, le département s'est déterminé sur le fond.

L'art. 13 LPMNS, qui avait pour but que des propriétaires ne transforment des immeubles visés par une procédure de classement par des interventions habituellement non soumises à une procédure d'autorisation de construire (cf. ATA/276/2008 du 27 mai 2008), ne constituait pas un obstacle à la délivrance des autorisations litigieuses. Le fait que la procédure de classement fût encore pendante n'y changeait rien. Les décisions litigieuses n'étaient d'ailleurs pas de nature à mettre en péril les objectifs poursuivis par la procédure de classement, dès lors que tant la démolition des bâtiments existants que la construction des futurs immeubles avaient été examinées, prévues et arrêtées par un PLQ en force. Cela signifiait que l'intérêt patrimonial des bâtiments à démolir avait déjà été examiné par les instances compétentes et tranché par le Conseil d'État. Cet intérêt avait également été examiné dans le cadre de la demande d'inscription à l'inventaire. Aussi, à défaut d'intérêt patrimonial qui exigerait une préservation, confirmé de surcroît à deux reprises par deux procédures différentes en force et définitives, les décisions litigieuses ne sauraient léser un tel intérêt ; la procédure de classement ouverte par la recourante revêtait ainsi un caractère dilatoire.

La recourante se prévalait à tort d'une violation de l'art. 63 LPMNS, dès lors qu'elle avait pu exercer son droit de recours aussi bien contre l'arrêté refusant le classement que contre les décisions litigieuses. Elle n'avait de surcroît pas fait usage de ce droit contre le PLQ. Le fait qu'un recours devienne sans objet n'y changeait rien puisqu'il s'agissait là de son issue potentielle, consécutive à celle d'une autre procédure où elle avait exercé son droit, à l'égard de laquelle l'art. 63 LPMNS ne donnait aucune garantie.

La recourante n'expliquait enfin pas en quoi les décisions litigieuses seraient contraires à l'art. 3 al. 4 et 5 LGZD, étant rappelé que si l'autorisation de construire contestée s'écartait effectivement du PLQ pour ce qui était de l'implantation, de la clé de répartition des droits à bâtir et du nombre de places de parc, force était de constater que ces écarts avaient été considérés comme minimes par l'instance spécialisée. Cette dernière avait d'ailleurs expressément précisé que l'implantation différait légèrement et ce dans l'intérêt public de préserver la végétation. Le même qualificatif avait été utilisé pour l'écart lié à la clé de répartition des droits à bâtir. Quant aux places de parc, la diminution de leur nombre entrait dans la limite fixée par l'art. 3 al. 5 LGZD.

28.         Par arrêt du 22 septembre 2020 rendu dans la cause A/3895/2019 (ATA/932/2020), la chambre administrative a rejeté le recours formé par APV contre l'arrêté du 18 septembre 2019 refusant la demande de classement.

Le Conseil d'État, qui était entré en matière sur la demande de classement alors qu'il aurait pu la déclarer irrecevable en application de l'art. 10 al. 3 LPMNS, ne s'était pas écarté des préavis de la commune et de la plénière de la CMNS et s'était référé pour le surplus au PLQ approuvé le 28 février 2018 et au rejet le même jour de la demande de mise à l'inventaire, pour lesquels une pesée d'intérêts avait été effectuée entre construction de logements et préservation du patrimoine, à une époque où la valeur des bâtiments était connue et documentée. Ce raisonnement ne prêtait pas le flanc à la critique et le choix du Conseil d'État d'accorder un poids supérieur à l'intérêt à la construction de logements au moment de l'adoption du PLQ relevait de sa marge d'appréciation. Par ailleurs, d'autres mesures de protection que l'inscription avaient été examinées et écartées. Ce choix pouvait être contesté à l'époque de l'adoption du PLQ, ce qui ne l'avait été que temporairement, et c'était conformément à la jurisprudence de la chambre administrative que le Conseil d'État s'était référé dans la décision attaquée au PLQ aujourd'hui entré en force pour rejeter la demande de classement. Au surplus, aucun élément nouveau décisif pour la pesée d'intérêts ne s'était produit ou n'avait été découvert depuis l'adoption du PLQ.

29.         En date du 7 octobre 2020, la recourante a fait part au tribunal d'une question soulevée dans le cadre de la procédure A/3895/2019 liée à l'application de la loi fédérale sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger du 16 décembre 1983 (LFAIE - RS 211.412.41) en lien avec l'acquisition de la parcelle n° 491 par l'intimée. Cette dernière ayant refusé de lui communiquer le nom de son ayant-droit économique, elle s'était adressée au département de la sécurité, de l'emploi et de la santé (ci-après : DSES) en vue de vérifier si les conditions découlant de la LFAIE avaient correctement été remplies. Les questions préliminaires de savoir si une autorisation au sens de la LFAIE devait être délivrée à l'intimée et si elle l'avait effectivement été étaient en effet décisives pour l'issue du litige, dès lors qu'elle pourrait remettre en cause la validité des autorisations querellées.

Elle déposait en conséquence les conclusions suivantes : préalablement, à ce que le tribunal invite l'intimée à se déterminer à ce sujet, en particulier qu'elle indique si son administrateur était devenu actionnaire majoritaire de KEAT SA entre la date de la constitution de la société et la date à laquelle les autorisations litigieuses avaient été requises ou, à défaut, le nom de l'ayant-droit économique, et à la production de l'autorisation au sens de la LFAIE cas échéant ; principalement, à la constatation de la nullité des demandes d'autorisation de démolir et de construire et, en conséquence, à la constatation de la nullité des autorisations en découlant ; subsidiairement, à l'annulation de l'autorisation de démolir en ce qu'elle concernait la maison de maître B27 et l'autorisation de construire en ce qu'elle concernait toute construction à l'emplacement de ladite maison de maître ; le tout sous suite de frais et dépens.

30.         Par courrier du 9 octobre 2020 au tribunal, l'intimée a requis la reprise de l'instruction de la procédure suite à l'arrêt rendu par la chambre administrative dans la cause A/3895/2019.

31.         Par courrier du 28 octobre 2020, la recourante a informé le tribunal qu'elle n'avait pas formé recours au Tribunal fédéral contre l'arrêt de la chambre administrative du 22 septembre 2020 et a requis la reprise de l'instruction de la cause.

32.         Le 6 novembre 2020, suite à l'entrée en force de l'arrêt ATA/932/2020, le tribunal a informé les parties de la reprise de l'instruction de la procédure.

33.         Le 19 novembre 2020, invitée par le tribunal à se déterminer, l'intimée a relevé que les allégations de la recourante quant à une prétendue violation de la LFAIE étaient infondées, abusives et dilatoires. Elles intervenaient à un stade très avancé de la procédure, alors que toutes les informations existaient bien avant la délivrance des autorisations querellées. Consciente qu'elle n'avait aucun argument pour s'opposer valablement à ces autorisations, la recourante tentait de créer artificiellement un motif juridique qui pourrait justifier son action.

Elle a confirmé que l'ensemble des règles de la LFAIE avaient intégralement été respectées et a produit à cet effet une attestation notariale du 16 novembre 2020 par laquelle le notaire déclarait « solennellement connaître l'identité des actionnaires de la société immobilière KEAT SA et détenir des preuves documentaires confirmant qu'elle n'est pas assujettie aux restrictions découlant des loi et ordonnance sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger (LFAIE et OAIE) ». Il attestait également avoir instrumenté tant la promesse de vente et d'achat avec droit d'emption de la parcelle n° 491 le 28 août 2012, que l'acte de vente de cette parcelle le 30 juin 2014, et que dans le cadre de ces actes, il avait établi pour le registre foncier une certification de non-assujettissement de l'acquéreur à la LFAIE (« Annexe 17 »), attestant que toutes les informations requises par la loi avaient été communiquées au registre foncier.

Contrairement aux allégués de la recourante, une autorisation de la LFAIE n'était pas requise et n'avait donc pas à être demandée, la fourniture de l'attestation notariale prévue par la LFAIE au registre foncier permettant d'établir le caractère « suisse » de la transaction et le non-assujettissement à la loi.

34.         Le 23 novembre 2020, sur demande de détermination du tribunal, le département a indiqué que les problématiques liées à l'application de la LFAIE soulevées par la recourante ne relevaient pas de sa compétence.

35.         Le 3 décembre 2020, la recourante a produit une écriture spontanée et déposé des pièces complémentaires, tout en persistant dans ses conclusions.

Le DSES avait ouvert une procédure en lien avec la question de l'identité de l'ayant droit économique de KEAT SA et de l'existence ou non d'une autorisation fondée sur la LFAIE. Sa démarche n'avait rien de dilatoire, puisque la partie adverse refusait de dévoiler le nom de l'ayant-droit économique de la société, ce qui pouvait éventuellement être légitime à son égard, mais non à l'égard des autorités administratives et judiciaires, ce d'autant moins que l'intimée avait actuellement l'obligation de transformer toutes ses actions ou porteur en actions nominatives.

36.         Le 10 décembre 2020, l'intimée a répondu, contestant l'existence d'une procédure pendante devant le DSES.

37.         Par courrier du 14 décembre 2020, le tribunal a informé les parties que plus aucune écriture complémentaire spontanée ne serait acceptée.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l'espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b).

En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce. Il n'en résulte toutefois pas que l'autorité est libre d'agir comme bon lui semble, puisqu'elle ne peut pas faire abstraction des principes constitutionnels régissant le droit administratif, notamment la légalité, la bonne foi, l'égalité de traitement, la proportionnalité et l'interdiction de l'arbitraire (ATA/366/2013 du 11 juin 2013 consid. 3a et la référence citée).

4.             Saisi d'un recours, le tribunal applique le droit d'office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n'est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. not. ATA/285/2013 du 7 mai 2013 ; ATA/402/2012 du 26 juin 2012).

5.             La recourante soulève préalablement une problématique liée à l'application de la LFAIE.

6.             La LFAIE limite l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger dans le but de prévenir l'emprise étrangère sur le sol suisse (art. 1 LFAIE).

7.             L'art. 15 al. 1 LFAIE institue trois « autorités » : les « autorités de première instance » chargées de statuer sur l'assujettissement au régime de l'autorisation, sur l'octroi de l'autorisation ainsi que sur la révocation d'une autorisation ou d'une charge (let. a), une « autorité » habilitée à recourir, à requérir la révocation d'une autorisation ou l'ouverture d'une procédure pénale et à agir en cessation de l'état illicite (let. b), et l' « autorité de recours » (let. c).

8.             Selon l'art. 20 al. 1 LFAIE, les décisions des autorités de première instance, du conservateur du registre foncier, du préposé au registre du commerce ou de l'autorité chargée des enchères sont sujettes à recours devant l'autorité cantonale de recours.

9.             À Genève, l'autorité de première instance est le DSES (art. 8 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger du 20 juin 1986 (LaLFAIE - E 1 43), la chambre administrative étant l'autorité de recours (art. 10 LaLFAIE).

10.         Il résulte des dispositions précitées que le tribunal de céans n'est pas compétent pour connaître des questions relatives à une éventuelle violation de la LFAIE,

Il ne sera dès lors pas entré en matière sur ce grief, qui sera déclaré irrecevable, étant relevé que la recourante indique avoir d'ores et déjà saisi le DSES, autorité compétente en la matière, de cette problématique.

11.         La recourante se plaint d'une violation de l'art. 13 LPMNS, en ce sens que le département ne pouvait délivrer les autorisations querellées tant que le refus de classement n'était pas définitif. Elle soutient également que, dès lors que la procédure de classement a été déférée à la chambre administrative, la compétence pour prendre une décision au sens de cette disposition relevait des prérogatives de celle-ci.

12.         À teneur de l'art. 13 LPMNS, à compter du dépôt de la demande de classement et jusqu'à l'issue définitive de la procédure liée à celle-ci, y compris en cas de recours, mais au maximum pendant un délai de trois ans, le propriétaire ne peut apporter aucun changement à l'état primitif ou à la destination de l'immeuble sans l'autorisation de l'autorité compétente.

Cette règle a pour but d'éviter que des propriétaires ne transforment des immeubles visés par une procédure de classement par des interventions habituellement non soumises à une procédure d'autorisation de construire (ATA/276/2008 du 27 mai 2008). Elle étend la portée de l'art. 1 LCI, sans porter atteinte au droit du département de délivrer, après examen de la demande et vérification que les travaux envisagés ne mettent pas en péril les objectifs poursuivis par la demande de classement pendante, une autorisation de construire.

13.         En l'espèce, force est de constater, à l'instar des parties intimées, que cette disposition ne constitue pas, contrairement à ce que soutient la recourante, un obstacle à la délivrance des autorisations litigieuses, le propriétaire pouvant apporter tout changement autorisé à un immeuble visé par une procédure de classement. Le fait que la procédure de classement était encore pendante au moment de la délivrance desdites autorisations n'y change rien, la loi n'imposant pas que la décision de classement soit en force pour que de telles autorisations soient octroyées.

Au surplus, les autorisations querellées ne sont pas de nature à mettre en péril les objectifs poursuivis par la procédure de classement, dès lors que l'intérêt patrimonial des bâtiments à démolir a déjà été examiné à plusieurs reprises par les autorités compétentes dans le cadre de procédures aujourd'hui en force et définitives.

Cet argument frôle d'ailleurs la témérité, dans la mesure où la demande de classement, qui porte sur un immeuble dont la démolition a fait l'objet d'un préavis favorable de la CMNS et est prévue dans un PLQ en force depuis moins de cinq ans, aurait dû être déclarée d'emblée irrecevable par le Conseil d'État, conformément à l'art. 10 al. 3 LPMNS.

Enfin, et contrairement à ce que soutient la recourante, il n'appartient pas la chambre administrative de délivrer une autorisation au sens de l'art. 13 al. 1 LPMNS, cette compétence étant du seul ressort du département.

Manifestement mal fondé, ce grief doit donc être écarté.

14.         La recourante estime que le département aurait abusé de son pouvoir d'appréciation en délivrant les autorisations litigieuses, car ce faisant et en autorisant la démolition des bâtiments concernés, il la priverait des voies de droit que lui accorde l'art. 63 LPMNS en vidant de son objet le recours contre le refus de classement.

Cet argument tombe à faux, dès lors que la recourante a pu exercer son droit non seulement contre l'arrêté du 18 septembre 2019 refusant le classement, mais également contre les autorisations litigieuses.

C'est donc à tort qu'elle se plaint d'une violation de la disposition précitée.

15.         La recourante se prévaut encore d'une non-conformité des autorisations accordées au PLQ n° 29'978. Toutefois, bien qu'assisté par un conseil expérimenté, elle ne motive nullement ce grief, se contentant d'affirmer ne pas avoir encore pu consulter le dossier.

À cet égard, le tribunal entend rappeler que non seulement les dossiers d'autorisations peuvent librement être consultés auprès du département pendant le délai de recours, mais qu'en plus, la recourante a déjà bénéficié d'un délai supplémentaire pour compléter ses écritures. Au demeurant, elle n'indique pas pour quelle raison elle aurait été empêchée de consulter les autorisations délivrées.

Peu convaincante, l'explication de la recourante dessert en outre la pertinence de son grief, puisque, comme le souligne à juste titre le département, à défaut d'avoir consulté le dossier, on voit mal comment elle aurait pu évaluer les dérogations au PLQ et leur importance.

Aussi, faute de motivation, ce grief doit être déclaré irrecevable.

À titre superfétatoire, le tribunal rappellera que, dans le cadre de l'instruction des autorisations querellées, tous les préavis recueillis se sont avérés favorables. En particulier, dans son préavis du 5 septembre 2018, la SPI a préavisé favorablement le projet, considérant que les écarts au PLQ (légère adaptation de l'implantation, diminution de quatre places de stationnement, clé de répartition différant légèrement) constituaient des modifications mineures au sens de l'art. 3 al. 5 LGZD.

En l'absence de tout élément particulier commandant de s'écarter de l'avis de l'instance spécialisée, et compte tenu de la retenue qu'il se doit d'observer, le tribunal ne peut que constater que rien ne permet de retenir que le département aurait mésusé de son pouvoir d'appréciation en accordant les autorisations sollicitées.

16.         Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

17.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante qui succombe, est condamnée au paiement d'un émolument s'élevant à CHF 1'200.- ; il est partiellement couvert par l'avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

18.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de la recourante, sera allouée à l'intimée (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 6 novembre 2019 par l'ASSOCIATION ACTION PATRIMOINE VIVANT contre les décisions du département du territoire du 10 octobre 2019 (DD 111'744 et M 8'200) ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1'200.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais ;

4.             condamne l'ASSOCIATION ACTION PATRIMOINE VIVANT à verser à KEAT SA une indemnité de procédure de CHF 1'500.- ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIEST, présidente, Aurèle MULLER et Saskia RICHARDET VOLPI, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier