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Décisions | Chambre de surveillance

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C/16597/2007

DAS/154/2022 du 14.07.2022 sur DTAE/4324/2022 ( PAE ) , ADMIS

Normes : CC.426; CP.59
En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/16597/2007-CS DAS/154/2022

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance

DU JEUDI 14 JUILLET 2022

Recours (C/16597/2007-CS) formé en date du 7 juillet 2022 par Monsieur A______, actuellement hospitalisé à B______, Unité C______, ______ (Genève), comparant d'abord en personne, puis par Me Miguel OURAL, avocat, en l'Etude duquel il élit domicile.

* * * * *

Décision communiquée par plis recommandés du greffier
du 15 juillet 2022 à :

- Monsieur A______
c/o Me Miguel OURAL, avocat
Route de Chêne 30, case postale 615, 1211 Genève 6.

- Madame D______
Monsieur E
______
SERVICE DE PROTECTION DE L'ADULTE
Case postale 5011, 1211 Genève 11.

- TRIBUNAL DE PROTECTION DE L'ADULTE
ET DE L'ENFANT
.

- SERVICE DE L'APPLICATION DES PEINES
ET MESURES (SAPEM)
Route des Acacias 82, case postale 1629, 1211 Genève 26.

Pour information :

- Direction de B______ (C______)
______, ______.


EN FAIT

A. a) Par ordonnance de non-lieu du 26 mai 2009, la Chambre d'accusation a ordonné le placement en milieu fermé de A______, né le ______ 1978. Ce placement, instauré en application de l'art. 59 al. 2 CP, est toujours actuellement en vigueur.

Selon l'expertise du 6 mars 2009 rendue dans le cadre de la procédure pénale ordonnant que A______ soit soumis à un traitement institutionnel en milieu fermé, figurant à la présente procédure, le précité souffre d'un grave trouble mental sous forme d'un trouble délirant persistant de type paranoïaque d'une sévérité élevée. Le thème délirant est centré sur des idées de persécution, A______ étant notamment convaincu d'être suivi en permanence par des agents au service des Etats suisse et argentin, d'être victime d'un complot et d'être menacé de mort.

A______ est par ailleurs sous curatelle de portée générale du Service de protection de l'adulte (SPAd).

b) Par décision du 14 juin 2022, A______ a été placé à des fins d’assistance à l'Unité C______ de l'Etablissement B______, par le Dr F______, médecin spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. Cette décision, qui se réfère à la mesure prise selon l'art. 59 CP tout en mentionnant l'art. 426 CC, indique qu'après une période de relative stabilité clinique, A______ présente à nouveau une décompensation de son trouble mental.

Cette décision indique qu'elle est sujette à recours auprès du Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après: Tribunal de protection).

c) Par acte du 21 juin 2022, A______ a formé recours contre cette décision médicale auprès du Tribunal de protection.

c.a) Le 22 juin 2022, le Président de la 3ème Chambre du Tribunal de protection a invité le Dr. G______, chef de Clinique à C______, à saisir le Service d'application des peines et mesures, lequel était compétent en la matière en raison du lien entre la mesure prise en application de l'art. 59 CP à l'encontre de A______ et le trouble ayant nécessité l'instauration de la mesure contestée.

c.b) Le Président du Tribunal de protection a répété ce point de vue à la Dresse H______ par courriel du 24 juin 2022.

c.c) Par courriel du 24 juin 2022, le Prof. I______ a répondu au courriel du Président du Tribunal de protection, qui lui avait été transmis, que l'admission de A______ n'était pas en lien avec la mesure pénale, mais avec une décompensation aigüe d'un tout autre type. Il pouvait le confirmer ayant vu la personne concernée.

Il a rappelé la tenue d'une réunion en 2020 à laquelle avait notamment participé le Procureur général, auquel il a jugé utile d'adresser une copie de son courriel, et la Présidente de l'époque du Tribunal de protection lors de laquelle, à la suite d'une décision de la Chambre pénale de recours, il avait été décidé que le Tribunal de protection interviendrait "dans ces cas de figure sans aucune distinction par rapport à la présence de la mesure pénale". Il demandait dès lors au Tribunal de protection de reconsidérer sa décision.

c.d) Il est relevé à cet égard que par arrêt ACPR/693/2020 du 29 septembre 2020 – auquel le Prof. I______ fait vraisemblablement référence –, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice a indiqué qu'à l'avenir le Service de l'application des peines et mesures (SAPEM) n'aurait plus à entrer en matière sur des recours analogues à celui dont il était saisi, mais le transmettrait sans autre et d'office à l'autorité dont la compétence résultait de la loi elle-même, à savoir le Tribunal de protection (consid. 3). Dans cette affaire, A______ avait été placé en chambre sécurisée, à la clinique "suite à un état d'agitation avec insultes (panneau très démonstratif sur la poitrine : «lâches, tortionnaires et fils de... ») et casse d'objets (cuvette des toilettes de l'unité J______) sans élément de décompensation franc". L'état de tension était survenu dans le cadre de plusieurs vécus de frustration dans la journée et avait nécessité la présence de trois policiers et deux agents de sécurité. A______ ne s'était pas montré agressif physiquement mais s'était accroché à son lit "en étant très floride en insultes". Le Tribunal de protection aurait donc été compétent, mais la Chambre pénale de recours a indiqué entrer en matière pour éviter de créer un déni de justice.

d) Le 29 juin 2022, les Docteures K______ et L______, respectivement, médecin psychiatre et médecin interne à l'Unité de psychiatrie légale, auprès du Centre universitaire romand de médecine légale (CURML), commises aux fonctions d’expertes à la suite de la décision du 14 juin 2022, ont rendu un rapport d’expertise à teneur duquel A______ souffre de troubles psychiques, notamment d'un trouble délirant persistant et d'une personnalité paranoïaque avec traits dyssociaux dont il résultait un besoin d'assistance qui ne pouvait pas être administré d'une autre manière que par une hospitalisation non volontaire dans la mesure où il pouvait se mettre en danger en cas de décompensation psychotique floride. Il ressort notamment de cette expertise que lors de leur entretien avec l'intéressé, celui-ci a considéré que les motivations de son placement étaient inventées et qu'il aurait été drogué à son insu par quelqu'un qui aurait envie de le mettre en danger. Les experts ont retrouvé chez A______ des traits de personnalité paranoïaque francs, l'expertisé mentionnant à plusieurs reprises un complot de la justice et du système de santé contre lui et se victimisant. Les experts ont relevé des traits caractéristiques de la personnalité paranoïaque, notamment la méfiance à l'égard des autres dont les intentions sont interprétées comme malveillantes dans divers contextes. En l'absence d'assistance, le trouble, probablement d'allure chronique, ne pourrait que s'aggraver. De ce fait, un traitement de type antipsychotique atypique en milieu hospitalier était indiqué afin d'éviter une aggravation des symptômes déjà présents et dont le but principal serait d'éviter une nouvelle décompensation comportementale persécutoire et la récidive de passages à l'acte hétéroagressifs, menaces et violences.

e) Lors de l’audience du 30 juin 2022 devant le Tribunal de protection, le Dr G______ a relevé que A______ présentait une humeur déprimée avec des moments de crise de persécution rendant son hospitalisation nécessaire. Il y avait un grand danger qu'il mette à exécution ses idées suicidaires. Il y avait une exacerbation des troubles existants et la rechute était liée à l'avancée de cette mesure. La mesure de placement était toujours d'actualité. Il refusait toute prise médicamenteuse car il estimait ne pas en avoir besoin et qu'il s'agissait de poison.

A______ a exposé qu'il était privé de sommeil depuis 7 jours car lorsque le soleil n'entrait pas dans sa cellule, il y avait des lumières braquées sur lui dans celle-ci. Il refusait les somnifères car il n'en avait pas besoin.

La cause a été gardée à délibérer à l'issue de l'audience.

B. Par ordonnance du 30 juin 2022, le Tribunal de protection a rejeté le recours.

Il a d'abord considéré qu'il était compétent au motif que la cause du placement à des fins d'assistance n'était pas identique à celle ayant justifié la mesure pénale. Il a ensuite relevé que l'état clinique de A______ n'était pas stabilisé et qu'une sortie immédiate provoquerait la résurgence des symptômes ayant conduit à son placement et de la mise en danger qui leur est liée, compte tenu de son anosognosie et de son inconscience de la nécessité d’un traitement. De ce fait, l'assistance ou le traitement nécessaires ne pouvaient être fournis d'une autre manière que par un placement à des fins d’assistance.

C. a) Par courrier expédié à la Chambre de surveillance de la Cour de justice le 7 juillet 2022, A______ a formé recours contre cette décision.

b) Lors de l'audience devant la Cour du 13 juillet 2022, A______ a refusé de se présenter. Il était cependant représenté par son avocat, qui a déposé un bordereau de pièces comprenant la copie de diverses décisions judiciaires ainsi qu'un échange de courriels figurant à la procédure (cf. supra let. c.a à c.c). Il a conclu à l'annulation de la décision attaquée et de celle de placement à des fins d'assistance au motif que les autorités civiles n'étaient pas compétentes pour prendre la mesure contestée, mais les autorités pénales. Il n'avait en revanche pas de remarque particulière à formuler sur le fond de la cause.

Le représentant du Service de protection de l'adulte (SPAd) a déclaré qu'il n'avait pas eu de contact avec A______ à la suite de son recours, mais qu'au vu du dossier, il estimait que la mesure contestée était, sur le fond, justifiée.

A______ n'étant pas présent à l'audience, il n'a pas pu délier le Dr. G______ de son secret médical, de sorte que ce dernier n'a pas pu être interrogé.

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

EN DROIT

1. 1.1 Les décisions de l'autorité de protection de l'adulte peuvent faire l'objet d'un recours devant le juge compétent (art. 450 al. 1 CC). Dans le domaine du placement à des fins d'assistance, le délai de recours est de dix jours à compter de la notification de la décision entreprise (art. 450b al. 2 CC). Il n'a pas besoin d'être motivé (art. 450c al. 1 CC).

1.2 En l'espèce, le recours a été déposé par la personne concernée par la mesure, dans le délai légal et par-devant l'autorité compétente (art. 72 al. 1 LaCC). Il est donc recevable.

2. Le recourant conteste la compétence des autorités civiles pour prononcer la mesure litigieuse, laquelle ne pourrait être prise que par les autorités pénales.

2.1
2.1.1 Selon l'art. 59 al. 1 CP, le juge peut ordonner un traitement institutionnel lorsque l'auteur d'un crime ou d'un délit l'a commis en relation avec le grave trouble mental dont il souffre et qu'il est à prévoir que cette mesure le détournera de nouvelles infractions en relation avec ce trouble.

Le traitement institutionnel des troubles mentaux, prévu par l'art. 59 CP, ne se limite pas au seul internement mais comprend également le traitement médical ou les soins spéciaux, voire aussi la médication forcée, si celle-ci se révèle nécessaire et qu'elle respecte la déontologie médicale (ATF 130 IV 49 consid. 3.3;
127 IV 154 consid. 3d).

Les autorités d'exécution des peines sont compétentes pour ordonner les traitements pour peu que le but de la mesure et le type de traitement corresponde à ce qui avait été envisagé par le juge pénal au stade du prononcé de la mesure (ATF 130 IV 49 consid. 3; arrêts du Tribunal fédéral 6B_821/2018 du 26 octobre 2018 consid. 2.1 et 6C_1091/2019 du 16 octobre 2019 consid. 4.2).

Selon l'art. 10 du règlement sur l’exécution des peines et mesures du 19 mars 2014 (REPM - E 4 55.05), le Service de l’application des peines et mesures met en œuvre l’exécution des condamnations pénales (al. 1); il est le garant des objectifs assignés à l’exécution des peines et des mesures (al. 2).

2.1.2 Le Tribunal fédéral a jugé que si, au moment où la mesure était ordonnée, une médication forcée paraissait déjà indispensable pour traiter le délinquant, le juge pénal le mentionnait expressément dans les considérants du jugement. La nécessité d'avoir recours à une médication forcée pouvait toutefois n'apparaître que pendant l'exécution de la mesure. Dans cette éventualité, c'étaient alors les autorités d'exécution qui étaient compétentes pour ordonner une médication forcée, pour autant toutefois que celle-ci corresponde au but de la mesure et qu'elle s'inscrive dans le cadre du traitement déterminé par le jugement pénal (ATF 130 IV 49 consid. 3.3).

L'art. 59 CP constitue ainsi une base légale suffisante pour ordonner le traitement de force du délinquant, les mesures qu'elle prévoit ou permet ne pouvant ainsi être remplacées par une intervention de l'autorité civile fondée sur les art. 426 ss CC (arrêt du Tribunal fédéral 5A_96/2015 du 26 février 2015 consid. 4.1).

2.2 En l'espèce, à l'appui de sa décision du 14 juin 2022, le Dr F______ a expliqué qu'après une période de stabilité le recourant présentait à nouveau une décompensation de son trouble mental, ce dont il doit être déduit que le placement est rendu nécessaire par le trouble qui avait motivé l'application de l'art. 59 CP, lequel avait été stabilisé un temps mais avait resurgi. De plus, le médecin entendu devant le Tribunal de protection a déclaré qu'il y avait une exacerbation des troubles existants et que la rechute était liée à l'avancée de la mesure. Ces explications, et le terme de rechute notamment, permettent également de retenir que le trouble actuel n'est pas nouveau et qu'il est en lien avec le trouble qui a motivé la mesure pénale. Il ressort par ailleurs de l'expertise du 29 juin 2022 qu'une assistance est nécessaire afin d'éviter une aggravation des symptômes déjà présents et que son but serait d'éviter une nouvelle décompensation comportementale persécutoire. Ce trouble persécutoire transparaît également dans les déclarations du recourant qui a indiqué lors de l'audience devant le Tribunal de protection que lorsque le soleil ne pénétrait pas dans sa cellule, des projecteurs étaient braqués sur lui. De ce point de vue également, le trouble pour lequel le recourant nécessite actuellement des soins à teneur de l'expertise est le même que celui qui existait au moment du prononcé de la mesure selon l'art. 59 CP, au vu de l'expertise rendue en 2009. Il ressort en effet déjà de cette dernière que le recourant souffrait d'un trouble mental sous forme d'un trouble délirant persistant de type paranoïaque d'une sévérité élevée. La description dans les deux expertises des troubles dont souffre le recourant est particulièrement proche.

Il doit donc être considéré que la mesure contestée a été prise en raison du même trouble que celui qui a donné lieu à la mesure pénale fondée sur l'art. 59 CP et qu'elle vise le même but puisque dans les deux cas ces mesures sont nécessitées par le trouble délirant persistant du recourant et sa personnalité paranoïaque.

Les explications du Prof. I______, qui s'est limité à affirmer que l'admission du recourant n'était pas en lien avec la mesure pénale, mais avec une décompensation aigüe d'un tout autre type, n'est quant à elle aucunement étayée et ne permet pas de tirer une quelconque conclusion à cet égard. Elles ne sont en outre pas corroborées par l'expertise du 29 juin 2022. Au surplus, les discussions auxquelles il se réfère ne sauraient lier la Chambre de surveillance, qui n'y a pas participé.

Enfin, la présente cause diffère de celle qui a donné lieu à l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du 29 septembre 2020 dont il ressort que la mesure contestée avait été prise à la suite d'un état d'agitation du recourant avec insultes et casse d'objets sans élément de décompensation franc en raison de frustrations ressenties durant la journée. Les raisons qui ont motivé la mesure contestée étaient donc un événement particulier, ponctuel, sans lien avec le trouble délirant persistant et la personnalité paranoïaque du recourant. L'indication selon laquelle le SAPEM n'aurait plus à entrer en matière sur des "recours analogues" n'est dès lors pas déterminante en l'espèce.

En définitive, la mesure contestée s'inscrit dans le prolongement de la mesure pénale prononcée. Le Tribunal de protection n'était donc pas compétent pour connaître du recours dirigé contre la décision du 14 juin 2022, contrairement à ce qu'il a indiqué dans la décision attaquée. La décision attaquée sera dès lors annulée.

Dans la mesure où l'erreur commise par le recourant dans la saisine du Tribunal de protection est due à une indication erronée des voies de recours dans la décision initiale prise par le médecin chargé de prodiguer le traitement sans consentement, les règles sur la protection de la bonne foi doivent trouver application ce d'autant que le recourant a recouru en personne.

La cause sera dès lors transmise aux autorités pénales d'exécution (cf. décisions de la Chambre de surveillance DAS/34/2020 du 27 février 2020; DAS/55/2015 du 13 avril 2015 [rendue à la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral 5A_96/2015 précité]).

3. La procédure est gratuite (art. 22 al. 4 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :


A la forme :

Déclare recevable le recours formé le 7 juillet 2022 par A______ contre l'ordonnance DTAE/4324/2022 rendue le 30 juin 2022 par le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant dans la cause C/16597/2007.

Au fond :

Annule cette ordonnance.

Constate que le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant n'était pas compétent pour connaître du recours dirigé contre la décision de placement à des fins d'assistance du 14 juin 2022.

Transmet le recours aux autorités pénales d'exécution comme objet de leur compétence.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président ad intérim; Madame Paola CAMPOMAGNANI et Monsieur Patrick CHENAUX, juges; Madame Carmen FRAGA, greffière.

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral - 1000 Lausanne 14.