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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/1622/2022

ACST/9/2022 du 24.06.2022 ( ABST ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1622/2022-ABST ACST/9/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Décision du 24 juin 2022

sur effet suspensif

dans la cause

 

Monsieur A______
et
B______ SA
et
C______
représentés par Me François Bellanger, avocat

contre

CONSEIL D’ÉTAT

 


Attendu, en fait, que :

1) Monsieur A______ est domicilié à D______ dans une maison individuelle chauffée au mazout. Il est également administrateur président, avec signature individuelle, de la société B______ SA (ci-après : B______), qui a son siège à E______ est active dans le domaine des combustibles.

C______ (ci-après : C______), qui fait partie de l’association faîtière nationale C______ Suisse, est une association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) de niveau régional qui regroupe les négociants en combustibles, dont B______, des cantons de Vaud, de Genève, de Neuchâtel, de Fribourg, du Valais et du Jura. Elle a pour but statutaire notamment la défense collective des intérêts généraux et professionnels communs des négociants et marchands en produits pétroliers des cantons romands, mais également l’accompagnement, auprès des acteurs de la branche du mazout, de la mise en œuvre du modèle de prescriptions énergétiques des cantons (ci-après : MoPEC). Son président est M. A______.

2) Le 7 mai 2008, le Conseil d’État a déposé auprès du secrétariat du Grand Conseil un projet de loi (ci-après : PL) 10'258 modifiant la loi sur l’énergie du 18 septembre 1986 (LEn - L 2 30), dont le but était, selon l’exposé des motifs, de faire face à l’accélération du réchauffement climatique et à la raréfaction des énergies fossiles en adoptant notamment des dispositions sur les installations, comme celles produisant de la chaleur de grande puissance. Celles-ci devaient être soumises à autorisation, de manière à privilégier des solutions basées sur les énergies renouvelables, et le recours aux chaudières à gaz ou au mazout ne devait être autorisé qu’en dernier ressort. Les climatisations de confort constituaient également des installations soumises à autorisation, qui était ainsi requise pour des installations alimentées tant aux combustibles fossiles qu’aux énergies renouvelables, dès lors que le fait d’utiliser ces dernières ne justifiait pas un manque d’efficacité énergétique dans leur usage. Les installations de petite puissance étaient dispensées d’autorisation, le seuil devant être fixé par voie réglementaire.

3) Le PL 10'258 a été renvoyé sans débat à la commission du logement, pour préavis à la commission de l’énergie, qui a rendu son rapport le 22 septembre 2009.

4) À l’issue de la séance du 9 octobre 2009, le Grand Conseil a adopté la loi 10'258, dont les art. 21 et 22B ont la teneur suivante :

Art. 21 Installation productrice de chaleur

1 Afin d'éviter le gaspillage d'énergie lors de la production de chaleur, l'autorité compétente encourage les systèmes chaleur-force, lorsque les conditions techniques et économiques sont réunies.

2 La mise en place, le renouvellement ou la transformation d’une installation productrice de chaleur, d’une puissance supérieure à un seuil fixé par le règlement et alimentée en combustibles fossiles ou d’origine renouvelable telle qu’une chaudière est soumise à autorisation de l’autorité compétente.

3 L’autorisation relative aux installations alimentées en combustibles fossiles n’est accordée que si la preuve est apportée par le requérant que :

a) la demande d’énergie ne peut pas être raisonnablement couverte au moyen d’énergies renouvelables ou de rejets de chaleur ;

b) l’installation intègre la meilleure technologie disponible et présente un haut degré d’efficacité exergétique, et

c) l’installation répond aux prescriptions fixées par le règlement dans les domaines régis par l’article 14, alinéa 1, lettre e, de la présente loi.

4 L’autorisation relative aux installations alimentées en combustibles d’origine renouvelable n’est accordée que si la preuve est apportée par le requérant que :

a) la demande d’énergie ne peut pas être raisonnablement couverte au moyen de rejets de chaleur ;

b) l’installation intègre la meilleure technologie disponible et présente un haut degré d’efficacité exergétique, et

c) l’installation répond aux prescriptions fixées par le règlement dans les domaines régis par l’article 14, alinéa 1, lettre e, de la présente loi.

5 Le règlement peut prévoir des cas de dispense d’autorisation pour les installations alimentées en combustibles d’origine renouvelable.

6 Lorsqu’une autorisation n’est pas requise, le propriétaire de l’installation remet à l’autorité compétente avant le début des travaux une déclaration attestant sa conformité aux prescriptions fixées par le règlement dans les domaines régis par l’article 14, alinéa 1, de la présente loi.

 

Art. 22B Climatisation

Autorisation

1 Le montage, la modification ou le renouvellement d’installations de climatisation de confort sont soumis à autorisation de l’autorité compétente.

5) En octobre 2019, le Grand Conseil a adopté la motion M 2'520 « Une réponse politique à l’appel des jeunes pour sauver le climat ! » et invité le Conseil d’État à déclarer l’urgence climatique et à compléter le plan climat cantonal (ci-après : PCC) notamment en fixant la réduction de 60 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et la neutralité carbone d’ici 2050 et en développant des indicateurs concrets permettant de mesurer les progrès réalisés et un calendrier de mise en œuvre.

6) Le 4 décembre 2019, le Conseil d’État a fait droit à cette invite et déclaré l’urgence climatique.

7) Le 2 décembre 2020, le Conseil d’État a adopté le plan directeur de l’énergie (ci-après : PDE) visant à permettre l’accélération de la transition énergétique du canton et prévoyant de diviser par 3,5 la consommation d’énergie et de multiplier par trois la part des énergies renouvelables. Pour ce faire, les orientations prioritaires à atteindre d’ici 2030 au niveau cantonal étaient la sortie du chauffage fossile, la rénovation massive du parc bâti, le développement de réseaux thermiques et la valorisation du potentiel du territoire en matière d’énergies renouvelables.

8) Le 14 avril 2021, le Conseil d’État a adopté le PCC 2030 visant plusieurs axes stratégiques, dont le réduction d’environ 55 % en dix ans de la consommation d’énergie primaire fossile par habitant, le développement de solutions de substitution basées sur les énergies renouvelables et la stabilisation de la consommation d’électricité. Dans ce contexte, les limitations à l’installation des chauffages fossiles en vigueur pour les bâtiments neufs devaient être étendues aux bâtiments existants. Parallèlement, des investissements importants seraient consentis en faveur du développement de solutions d’approvisionnement alternatives, basées sur les énergies renouvelables locales. Étant donnée la volonté de reporter les consommations thermiques fossiles vers des consommations électriques, via notamment le développement des pompes à chaleur et la mobilité électrique, il convenait d’augmenter les productions électriques renouvelables locales afin de limiter le recours à une électricité importée fortement carbonée.

9) En mars 2022, l’office cantonal de l’énergie (ci-après : OCEN) a établi un rapport de synthèse et de commentaires à la suite de la consultation de différentes entités publiques et privées au sujet de la modification projetée du règlement d’application de la loi sur l’énergie du 31 août 1988 (REn - L 2 30.01). Il indiquait en particulier que certaines notions, comme « tout autre composant annexe », seraient clarifiées dans les documents d’accompagnement du REn, à savoir l’aide à l’application ou encore les formulaires. Par ailleurs, en tous les cas, le principe de proportionnalité resterait applicable. La fixation d’un seuil de base, arrêté à 5 kW, était en outre essentielle dans l’atteinte des objectifs énergétiques afin de permettre le contrôle des installations posées et de soumettre celles de petite puissance à l’alimentation prioritaire et dans toute la mesure du possible en énergies renouvelables. Le dispositif devait également être considéré dans son ensemble, puisqu’il n’interdisait pas la pose de « chaudières fossiles » mais la soumettait au respect de certaines conditions relevant de l’efficacité exergétique.

10) Le 13 avril 2022, le Conseil d’État a adopté le règlement modifiant le REn, dont la teneur est la suivante :

« Art. 1 Modifications

Le règlement d’application de la loi sur l’énergie, du 31 août 1988 (REn – L 2 30.01), est modifié comme suit :

 

( )

 

Section 3A Installations productrices de chaleur

du chapitre IV (nouvelle)

 

Art. 13M Principe (nouveau)

Lors de la mise en place, du remplacement ou de la transformation d’une installation productrice de chaleur, celle-ci doit être alimentée prioritairement et dans toute la mesure du possible par des énergies renouvelables ou des rejets de chaleur.

Pour le chauffage et la production d’eau chaude sanitaire d’un bâtiment, l’énergie issue d’une pompe à chaleur est assimilée à une énergie renouvelable.

Le changement du brûleur ou de tout autre composant annexe d’une installation productrice de chaleur datant de 20 ans ou plus équivaut à une transformation d’une installation au sens de l’article 21, alinéa 2, de la loi.

Les pompes à chaleur réversibles utilisées pour la production de froid de confort sont soumises au régime de l’autorisation énergétique de climatisation de confort au sens de l’article 13H.

Par système de chaleur force ou cogénération au sens de l’article 21, alinéa 1, de la loi, on entend un système ou une installation produisant simultanément de la chaleur et de l’électricité, qui est en règle générale pilotée par les besoins de chaleur.

Les prescriptions énergétiques visées à l’article 12I du présent règlement sont réservées.

 

Art. 13N Installations productrices de chaleur alimentées en combustibles fossiles ou en bivalence (nouveau)

La mise en place, le remplacement ou la transformation d’une installation productrice de chaleur alimentée en combustibles fossiles est soumis à autorisation énergétique au sens de l’article 13D dès une puissance thermique nominale globale de 5 kW.

Par couverture raisonnable de la demande d’énergie au moyen d’énergies renouvelables ou de rejets de chaleur au sens de l’article 21, alinéa 3, lettre a, de la loi, on entend la présence d’une ressource d’énergie renouvelable ou de rejets de chaleur disponibles en quantité suffisante pour être exploitée à des coûts non disproportionnés.

Par meilleure technologie disponible au sens de l’article 21, alinéa 3, lettre b, de la loi, on entend celle qui permet le plus de limiter les émissions de polluants pour un même degré d’efficacité exergétique.

Par installation présentant un haut degré d’efficacité exergétique au sens de l’article 21, alinéa 3, lettre b, de la loi, on entend :

a) une installation productrice de chaleur à condensation alimentant en basse température un bâtiment présentant une efficacité énergétique globale de classe D selon le certificat énergétique cantonal des bâtiments ; ou

b) une installation productrice de chaleur à condensation alimentant en basse température un bâtiment dont le volume chauffé répond au minimum aux exigences de la recommandation SIA 380/1, édition 1988, et qui intègre une production d’énergie renouvelable couvrant 30 % des besoins globaux de chaleur.

Lorsqu’une installation productrice de chaleur alimentée en combustibles fossiles est soumise à autorisation, la personne requérante remet au département un justificatif selon lequel l’installation s’intègre dans une vision globale du ou des bâtiments qu’elle alimente et tient compte de l’évolution de l’ensemble des besoins thermiques de l’environnement bâti de manière à limiter au maximum les besoins en énergie, notamment en évitant la multiplication des installations.

Sont réservées les dispositions d’autres règlements, notamment du règlement sur la protection de l’air, du 22 février 2012, et du règlement d’application de la loi sur le ramonage et les contrôles spécifiques des émanations de fumée, du 24 mars 1982.

 

( )

 

Art. 30, al. 4 à 6 (nouveaux)

Modifications du 13 avril 2022

4 Les dispositions de la modification du 13 avril 2022 s’appliquent aux requêtes en autorisation de construire et en autorisation énergétique déposées à partir du 1er septembre 2022.

5 L’article 12A de la modification du 13 avril 2022 ne s’applique pas aux concepts énergétiques territoriaux en cours d’établissement lors de son entrée en vigueur.

6 Les articles 14 et 14A de la modification du 13 avril 2022 s’appliquent à partir du 1er septembre 2022.

 

( )

 

Art. 3 Entrée en vigueur

Le présent règlement entre en vigueur le lendemain de sa publication dans la Feuille d’avis officielle. »

11) Le règlement modifiant le REn a été publié dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 19 avril 2022.

12) Par acte du 19 mai 2022, M. A______, B______ et C______ ont interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre ce règlement, concluant préalablement à l’octroi de l’effet suspensif au recours et principalement à l’annulation des art. 13M et 13N REn, tels que modifiés par l’art. 1 souligné du règlement modifiant le REn, et à l’octroi d’une indemnité de procédure.

Les dispositions litigieuses représentaient un danger concret pour leurs intérêts économiques et la survie de la branche pétrolière, en lien avec les installations productrices de chaleur alimentées en combustibles fossiles et les restrictions apportées à leur mise en place, remplacement ou transformation, seule l’octroi de l’effet suspensif étant en mesure de sauvegarder leurs intérêts dans l’attente du jugement au fond. Il n’existait du reste aucune urgence dictant une entrée en vigueur immédiate des dispositions en cause, ce d’autant moins que les chances de succès du recours étaient manifestes et qu’il n’était pas dans l’intérêt du Conseil d’État d’appliquer des normes contraires au droit.

Les art. 13M et 13N violaient le principe de la légalité, dans la mesure où ils étaient contraires aux art. 12 al. 3 et 21 LEn et revenaient à interdire l’usage et la modification d’installations productrices de chaleur alimentées en combustibles fossiles, alors que la LEn ne prévoyait que la limitation de leur utilisation.

En soumettant à autorisation le changement de brûleur ou tout composant annexe équivalant à une telle transformation, l’art. 13M al. 3 REn, outre le fait qu’il contenait des notions juridiques indéterminées, étendait sans droit la portée de l’art. 21 al. 2 LEn, qui ne visait pas le simple changement de composants annexes. L’art. 13M al. 4 REn outrepassait également l’art. 21 LEn, qui ne contenait aucune délégation en faveur du Conseil d’État lui permettant de définir que d’autres installations pouvaient être assimilées à des installations de climatisation de confort, lesquelles étaient soumises à autorisation énergétique, contrairement aux pompes à chaleur qui ne l’étaient pas nécessairement. Le Conseil d’État ne disposait d’aucune clause de délégation lui permettant d’adopter l’art. 13N al. 1 REn assujettissant les installations en bivalence au régime de l’art. 21 al. 3 LEn, disposition qu’il n’avait du reste pas défini comme il le devait, substituant, à l’art. 13N al. 2 REn, les termes « raisonnablement couverte » par des notions juridiques encore plus indéterminées, comme « disponibles en quantité suffisante » et « coûts non disproportionnés ».

Les dispositions contestées étaient contraires au principe de la proportionnalité. L’art. 13N al. 1 REn ne constituait pas une simple incitation, mais revenait à une quasi-interdiction des installations productrices de chaleur utilisant les énergies fossiles, puisque la plupart de celles-ci ne remplissaient pas les conditions de l’art. 21 al. 2 ss LEn et ne pourraient être remplacées par des installations de même type, au préjudice des propriétaires et des entreprises de chauffage. Dans les faits, les petites installations pouvaient aussi avoir une puissance supérieure à 5 kW, l’art. 21 LEn ne permettant pas au Conseil d’État de prévoir un seuil aussi bas et les mesures contre le réchauffement climatique ne justifiant pas une atteinte aux intérêts des propriétaires. À cela s’ajoutait que le PDE ne faisait pas état d’une suppression totale des énergies fossiles, mais parlait d’un délai à 2050, contrairement aux dispositions litigieuses qui imposaient leur suppression totale et abrupte. De plus, les dispositions en cause étaient susceptibles d’engendrer une surcharge de l’administration.

13) Le 3 juin 2022, le Conseil d’État a conclu au rejet de la demande d’effet suspensif au recours.

Les recourants se limitaient à alléguer l’existence d’un danger concret, sans pour autant démontrer subir un dommage ni indiquer pourquoi il ne pourrait être réparé en cas d’admission du recours.

L’intérêt public à exercer un contrôle accru des installations productrices de chaleur alimentées en combustibles fossiles était manifestement prépondérant par rapport à l’intérêt privé, non démontré, des recourants. En particulier, les modifications litigieuses répondaient à l’urgence climatique décrétée en 2019 et mettaient en œuvre la politique du canton exposée dans le PDE et le PCC. Les articles contestés s’inscrivaient dans le cadre de la LEn qui devait néanmoins être renforcée au niveau réglementaire, notamment en lien avec le seuil fixé à l’art. 13N al. 1 REn, puisque conformément au PCC, le secteur du bâtiment devait réduire ses émissions annuelles et que les dispositions litigieuses permettaient un effacement de 144'000 t de CO2, soit 30 % de l’objectif de baisse d’émissions encore à réaliser. Or, chaque année passée à ne pas appliquer de telles mesures diminuait l’abattement de CO2 de 3,8 % du quota restant à réaliser concernant le secteur du bâtiment pour atteindre les objectifs climatiques. Ainsi, un décalage dans le temps des outils réglementaires prévus mettrait en péril ces objectifs, étant précisé que la modification du REn était le fruit d’un important travail de concertation entre les divers acteurs concernés.

À cela s’ajoutait que les recourants pouvaient faire examiner leurs griefs dans le cadre des décisions administratives qui leur seraient notifiées, les dispositions en cause pouvant alors faire l’objet d’un contrôle concret par le juge administratif, étant rappelé que le respect du principe de proportionnalité constituait le cœur de toute action étatique et que l’autorité compétente ne pouvait imposer une quelconque mesure si elle présentait une disproportion économique ou une infaisabilité technique.

Les chances de succès du recours n’étaient pas manifestes. Les dispositions contestées se basaient sur l’art. 21 LEn, qui permettait l’adoption de normes d’exécution et la fixation du seuil de puissance à partir duquel les installations productrices de chaleur alimentées en combustibles fossiles étaient soumises à autorisation énergétique. Par ailleurs, l’art. 22B LEn soumettait à autorisation le montage, la modification ou le renouvellement des climatisations de confort, dont les modalités étaient précisées à l’art. 13H REn. L’art. 13M al. 4 REn se limitait ainsi à renvoyer au dispositif relatif à l’autorisation de climatisation dans le cas où une pompe à chaleur était utilisée en mode de production de froid. L’art. 13N al. 1 REn concernait les installations productrices de chaleur alimentées en combustibles fossiles utilisées en bivalence avec une autre installation productrice de chaleur et l’art. 13N al. 2 REn avait été repris de l’ancien art. 13l al. 3 aREn.

Les dispositions entreprises ne contrevenaient pas non plus au principe de la proportionnalité. Le seuil de 5 kW devait en particulier être analysé à l’aune du contexte actuel et des connaissances scientifiques en matières de protection climatique, le but de l’autorisation énergétique étant de permettre un contrôle a priori de la conformité des installations productrices de chaleur aux objectifs d’utilisation rationnelle et économe de l’énergie, de l’exploitation prioritaire des énergies renouvelables et indigènes, aux prescriptions énergétiques des art. 14 al. 1 LEn et 12l REn, ainsi qu’à l’ordre de priorité énergétique de l’art. 21 al. 3 et 4 LEn. Ainsi, le fait de soumettre les propriétaires de bâtiments souhaitant installer, remplacer ou transformer une installation à combustibles fossiles à un régime d’autorisation énergétique était une mesure administrative apte et nécessaire pour atteindre les objectifs énergétiques visés, au demeurant raisonnable au vu des intérêts publics en jeu.

L’on ne voyait pas non plus en quoi les recourants seraient particulièrement touchés par une éventuelle saturation des services de l’administration. Même à admettre cette hypothèse, ils disposeraient alors d’outils procéduraux permettant de protéger leurs droits.

14) Sur quoi, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

 

Considérant, en droit, que :

1) L’examen de la recevabilité du recours est reporté à l’arrêt au fond, étant précisé qu’il n’apparaît pas prima facie que les conditions de recevabilité ne seraient pas remplies.

2) Les mesures provisionnelles, y compris celles sur effet suspensif, sont prises par le président ou le vice-président ou, en cas d’urgence, par un autre juge de la chambre constitutionnelle (art. 21 al. 2 et 76 LPA).

3) a. Selon l’art. 66 LPA, en cas de recours contre une loi constitutionnelle, une loi ou un règlement du Conseil d’État, le recours n’a pas d’effet suspensif (al. 2) ; toutefois, lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, restituer l’effet suspensif (al. 3). D’après l’exposé des motifs du projet de loi portant sur la mise en œuvre de la chambre constitutionnelle, en matière de recours abstrait, l’absence d’effet suspensif automatique se justifie afin d’éviter que le dépôt d’un recours bloque le processus législatif ou réglementaire, la chambre constitutionnelle conservant toute latitude pour restituer, totalement ou partiellement, l’effet suspensif lorsque les conditions légales de cette restitution sont données (PL 11311, p. 15).

b. Lorsque l’effet suspensif a été retiré ou n’est pas prévu par la loi, l’autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d’un large pouvoir d’appréciation, qui varie selon la nature de l’affaire. La restitution de l’effet suspensif est subordonnée à l’existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_246/2020 du 18 mai 2020 consid. 5.1). Pour effectuer la pesée des intérêts en présence (arrêt du Tribunal fédéral 8C_239/2014 du 14 mai 2014 consid. 4.1), l’autorité de recours n’est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 145 I 73 consid. 7.2.3.2 ; 117 V 185 consid. 2b).

L’octroi de mesures provisionnelles – au nombre desquelles figure l’effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – présuppose l’urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l’intéressé la menace d’un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405). Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif, ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ACST/4/2022 du 15 mars 2022 consid. 3b).

En matière de contrôle abstrait des normes, l’octroi de l’effet suspensif suppose en outre généralement que les chances de succès du recours apparaissent manifestes (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 835 ss ; Claude-Emmanuel DUBEY, La procédure de recours devant le Tribunal fédéral, in François BELLANGER/Thierry TANQUEREL [éd.], Le contentieux administratif, 2013, 137-178, p. 167).

4) En l’espèce, le recours est dirigé contre les art. 13M et 13N REn, à savoir des dispositions d’un règlement du Conseil d’État, acte visé à l’art. 57 let. d LPA, et à l’encontre duquel le recours n’a pas d’effet suspensif (art. 66 al. 2 LPA). Il convient donc d’examiner s’il y a lieu de l’octroyer, ce qui, en matière de contrôle abstrait des normes, suppose généralement que les chances de succès du recours soient manifestes.

Les art. 13M et 13N REn s’inscrivent dans le cadre de l’urgence climatique déclarée en 2019 et visant à une réduction de 60 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et à la neutralité carbone d’ici 2050. Dans le contexte de l’effet suspensif, la chambre de céans a déjà jugé que l’intérêt public à la protection de l’environnement et du climat qui commandait la mise en place d’une transition énergétique pour lutter contre le réchauffement climatique était prépondérant par rapport à un intérêt privé essentiellement financier (ACST/28/2019 et ACST/29/2019 du 30 septembre 2019 consid. 3d). Tel est le cas des recourants, lesquels se prévalent d’un intérêt économique et de la survie de la branche pétrolière, sans pour autant démontrer en quoi l’entrée en vigueur des dispositions querellées leur occasionnerait concrètement de tels dommages.

Sur la base d’un examen prima facie, il ne paraît pas manifeste que les dispositions entreprises sortiraient du cadre légal ou qu’elles seraient disproportionnées.

En effet, à première vue, il ne paraît pas évident que les dispositions en cause ne se fonderaient pas sur la LEn, qu’elles semblent concrétiser sans l’outrepasser, en particulier s’agissant du seuil de puissance à partir duquel les installations productrices de chaleur alimentées en combustibles fossiles sont soumises à autorisation (art. 21 al. 2 LEn ; art. 13N al. 1 REn) ou du changement de brûleur ou de tout autre composant annexe d’une installation productrice de chaleur datant de vingt ans ou plus (art. 21 al. 2 ; art. 13N al. 3). Il n’en va a priori pas non plus autrement de la soumission au régime de l’autorisation des pompes à chaleur réversibles utilisées pour la production de froid de confort (art. 22B al. 1 LEn ; art. 13M al. 4 REn), étant précisé que les termes « disponibles en quantité suffisante » et « coûts non disproportionnés » figurant à l’art. 13N REn, outre le fait qu’ils ont été repris tels quels de l’ancienne teneur de l’art. 13I al. 3 aREn, seraient voués à être précisés par des aides à l’exécution et des formulaires. Dans ce cadre, les recourants ne paraissent pas dénués de tout moyen de faire examiner les griefs qu’ils soulèvent, puisqu’un contrôle concret serait possible lors de l’application des dispositions qu’ils contestent.

À cela s’ajoute que, toujours à première vue, les art. 13M et 13N REn n’apparaissent pas manifestement disproportionnés, étant précisé que l’autorité intimée a fait part de sa volonté d’analyser chaque cas avec diligence, dans le respect du principe de la proportionnalité. En particulier, la fixation d’un seuil de base, arrêté à 5 kW, ne paraît pas disproportionnée pour atteindre l’objectif visé pour inciter les propriétaires à opter pour des technologies à haut degré d’efficacité exergétique. Le dispositif mis en place n’interdit au demeurant pas la pose de chaudières à énergies fossiles, mais la soumet au respect d’un certain nombre de conditions.

Par conséquent, les chances de succès du recours n’apparaissent pas, prima facie, à ce point manifestes qu’il se justifierait de déroger à la primauté donnée par le législateur à l’absence d’effet suspensif dans le cadre du contrôle abstrait des normes, ce qui conduit au rejet de la demande d’octroi de l’effet suspensif au recours.

5) Le sort des frais sera, quant à lui, réservé jusqu’à droit jugé au fond.

 

 

LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

 

refuse d’octroyer l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me François Bellanger, avocat des recourants, ainsi qu’au Conseil d’État.


Le président :

 

Jean-Marc Verniory

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :