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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/1131/2022

ACST/8/2022 du 10.05.2022 ( DIV ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1131/2022-DIV ACST/8/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 10 mai 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Stéphane Grodecki, avocat

contre

CONSEIL D’ÉTAT

 


EN FAIT

1) Le 12 novembre 2021, le Grand Conseil a adopté la loi 12'974 modifiant la loi sur l’instruction publique du 17 septembre 2015 (LIP - C 1 10) relative à la réforme du cycle d’orientation, publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le 19 novembre 2021.

2) Par arrêté du 2 février 2022, publié dans la FAO du 4 février 2022, le Conseil d’État a constaté l’aboutissement du référendum lancé contre la loi 12'974, le nombre de signatures exigées ayant été atteint.

3) La votation cantonale sur la loi 12'974 a été fixée par le Conseil d’État au dimanche 15 mai 2022.

4) Le 24 mars 2022, un député du parti Libéral-Radical genevois (ci-après : PLR-GE) a déposé une question écrite urgente n° 1'716 à l’attention du Conseil d’État intitulée : « CO22 – Peut-on informer politiquement sans donner aux opposants le droit de répondre ? ». Il en ressortait que l’ensemble du personnel, enseignant, administratif et technique, des cycles d’orientation était convoqué à des séances d’information au sujet de la réforme, pendant lesquelles les élèves étaient libérés, les écoles primaires étant également sollicitées, alors même que le référendum contre la loi 12'974 avait abouti et que la date de la votation à ce sujet avait été fixée.

5) Lors de son point presse du 30 mars 2022, le Conseil d’État a notamment présenté la nouvelle organisation du cycle d’orientation au moyen d’un document « Power point », mis en ligne sur le site internet de l’État de Genève, qui indiquait en particulier que la formation des enseignants était en cours, des demi-journées d’études devant avoir lieu durant les mois d’avril et mai 2022, de même que d’autres types de formations en 2022 et 2023.

6) Le 31 mars 2022 est paru dans la Tribune de Genève (ci-après : TdG) un article intitulé « B______ croit à une sélection des élèves moins précoce. Chiffres à l’appui, la conseillère d’État présente ses arguments en faveur d’une réforme du cycle d’orientation actuel », dans lequel il était notamment indiqué que le département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : le département) n’avait pas attendu l’issue du scrutin pour entamer les formations des enseignants au nouveau système, ce qui avait valu quelques critiques à l’adresse de sa présidente, laquelle avait déclaré qu’il n’était pas possible d’attendre l’année 2022-2023 pour préparer une telle réorganisation du cycle d’orientation.

7) Le 7 avril 2022 est paru dans la TdG un article intitulé « Le PLR s’indigne de la "campagne" du DIP sur la réforme du Cycle », selon lequel, depuis quelques semaines, le personnel des cycles d’orientation genevois était convié à des séances d’information sur la réforme envisagée. Un tel procédé ne convenait pas au PLR-GE, qui relevait, dans un communiqué, que ces séances, tenues pendant les heures de travail et pendant lesquelles les élèves étaient libérés, s’apparentaient à une « campagne, en mobilisant des employés publics, en utilisant les locaux publics, et en supprimant des heures de cours » et présentaient « de manière unilatérale un projet contesté démocratiquement ». Le département avait refusé la demande de reportage de la journaliste, étant donné que les séances n’étaient ouvertes ni au public ni à la presse, au motif qu’il s’agissait d’un moment de travail et d’échange où chacun devait pouvoir s’exprimer librement. Interrogé, le département précisait en outre que de telles séances techniques d’information étaient habituelles, dès lors qu’elles étaient organisées pour expliquer le contenu exact de la réforme au personnel enseignant et le tenir au courant des travaux en cours. Il n’avait pas été possible d’attendre l’issue du scrutin en raison de contrainte de temps liée à la fin prochaine de l’année scolaire.

8) Par acte du 8 avril 2022, Monsieur A______, ressortissant suisse domicilié à Genève où il exerce ses droits politiques, a saisi la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) d’un « recours contre les séances d’information relatives à la réforme du cycle d’orientation », concluant, sur mesures provisionnelles, à ce qu’il soit fait interdiction au Conseil d’État d’autoriser lesdites séances jusqu’à droit jugé et, sur le fond, à ce qu’il soit fait interdiction au Conseil d’État de tenir ces séances et à ce qu’il lui soit ordonné de communiquer à l’ensemble du personnel des cycles d’orientation ayant participé à ces séances une copie électronique de l’arrêt à rendre, « avec une indication dans le courriel d’accompagnement dans le sens que le Conseil d’État regrette d’avoir cru pouvoir organiser des séances d’information sur une réforme encore contestée et invite les destinataires à se faire leur propre opinion sur le sujet, indépendamment de l’information qui a pu leur être transmise lors de ces séances d’information ».

Le recours était recevable, dès lors qu’il se fondait sur les informations disponibles par voie de presse, à savoir l’article paru dans la TdG du 7 avril 2022, étant précisé qu’il n’avait eu connaissance ni du contenu des séances litigieuses ni de leurs modalités.

Compte tenu de leur absence de transparence, du nombre élevé de personnes concernées et de leur but consistant à la mise en œuvre de la réforme du cycle d’orientation, la tenue de séances d’information unilatérales était problématique et non conforme à l’obligation de neutralité des autorités dans le cadre d’une campagne politique, ce d’autant plus que l’objectivité des informations données était sujette à caution, s’agissant d’un projet porté par le département. Dans ces circonstances, l’État devait attendre le résultat du scrutin avant de procéder à des séances d’information destinées à la mise en œuvre d’une réforme dont l’entrée en vigueur était prévue au mois d’août 2023 seulement.

9) a. Le 13 avril 2022, le Conseil d’État a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, ainsi qu’au rejet des mesures provisionnelles sollicitées.

Des séances d’information au sein des établissements du cycle d’orientation avaient été organisées entre les 28 février et 12 avril 2022, au vu de l’envergure de la réforme, laquelle nécessitait une importante anticipation pour toutes les parties prenantes, notamment les enseignants du cycle d’orientation, soit environ 1'600 personnes, les enseignants du cycle moyen des établissements primaires, soit 1'600 personnes également, ainsi que les élèves de « 8P », qui devaient avoir connaissance de leurs conditions de promotion à la rentrée 2023. Dans ce cadre, le choix des dates n’avait pas de rapport avec la tenue du scrutin, mais avait été dicté par des impératifs organisationnels en raison de la fin de l’année scolaire et avait dû être reporté en raison de la situation sanitaire, l’Association des maîtres du cycle d’orientation (ci-après : FAMCO) ayant sollicité la tenue de séances d’information au mois de décembre 2021 déjà. Les informations communiquées lors des séances litigieuses ne portaient en outre pas sur le scrutin, mais concernaient uniquement les conséquences possibles, concrètes et directes de la réforme sur le travail des personnes concernées. À cela s’ajoutait qu’une séance d’information avait également été organisée à la demande de l’Association des parents d’élèves de l’enseignement obligatoire le 6 avril 2022, dont le document de présentation avait été mis en ligne sur le site internet de la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel (ci-après : FAPEO).

Le recours était irrecevable. D’une part, il était tardif, puisque la tenue de séances d’information avait été annoncée lors du point presse du 30 mars 2022. D’autre part, lesdites séances n’étaient pas destinées aux électeurs mais aux enseignants, dans un but d’organisation ; elles n’avaient ainsi aucun rapport avec la procédure des opérations électorales, aucune référence n’ayant au demeurant été faite au scrutin.

En tout état de cause, en l’absence de toute violation de la liberté de vote, le recours devait être rejeté. Contrairement à ce que soutenait M. A______, une présentation « Power point » concernant la réforme du cycle d’orientation était disponible sur le site internet de l’État de Genève et le contenu exact des séances se trouvait dans un document mis en ligne sur le site de la FAPEO. À cela s’ajoutait qu’environ 3'200 personnes étaient concernées par lesdites séances, dont certaines n’étaient pas membres du corps électoral genevois, ce qui représentait tout au plus 1,2 % des électeurs du canton. De plus, lesdites présentations avaient pris fin le 12 avril 2022.

b. Il a notamment produit :

- un courriel de la FAMCO au département du 13 décembre 2021 demandant à ce dernier qu’il organise des séances dans les établissements au sujet du projet « CO22 » en vue d’entamer une réflexion et de répondre aux questions s’agissant de la mise en œuvre de la réforme ;

- la planification du « projet CO22 » dans les cycles d’orientations, dont il ressortait que les séances auraient lieu entre le 28 février et le 12 avril 2022 ;

- le document « CO22, présentation aux collaboratrices et collaborateurs du cycle d’orientation, point de situation sur les travaux CO22, mars-avril 2022 » comprenant sept chapitres. Le premier de ceux-ci, intitulé « Pourquoi une réforme ? Historique et constats », rappelait les objectifs du système actuel, nommé « nCO », parmi lesquels était mentionné « Un cycle plus exigeant mais pas plus sélectif » ; il contenait des données chiffrées, notamment sur le flux des élèves, leur réorientation, la distribution des compétences scolaires en fonction des sections dans différentes matières ainsi qu’un constat, résumé de la manière suivante : « nCO = des intentions et des idées, mais des objectifs non atteints ». Le deuxième chapitre était consacré aux « Objectifs CO22 », dont la « mixité » était au centre, qui consistaient à améliorer les compétences des élèves, en particulier celles des plus fragiles, ainsi que leur orientation en fin d’école obligatoire, notamment vers la filière professionnelle duale, et à répondre à leurs besoins, qu’ils aient des difficultés ou de la facilité, soit « un CO plus adapté aux élèves pour la rentrée 2023 ». Le troisième chapitre était consacré à la « Structure » de la réforme, sous l’angle de la mixité des niveaux, avec des exemples et une comparaison avec le système actuel ; il mentionnait également les « forces de la mixité » (à savoir une transition douce par rapport à la 8P, une favorisation des apprentissages scolaires et sociaux, un profit pour tous les élèves, fragiles et forts, la prise en compte des différences de niveaux dans certaines disciplines, un accès aux mêmes contenus pour les élèves, une flexibilité des orientations et des changements de niveaux, une facilitation d’organisation des classes, une dynamique de groupe positive et une favorisation d’un bon climat scolaire), de même que ses « défis » (à savoir une complexité pédagogique, une crainte de ne pas répondre aux élèves les plus forts ou les plus faibles, un nombre et une diversité des situations à gérer, une différenciation pédagogique à maîtriser, des indications pédagogiques explicites à fournir au corps enseignant ainsi que les enjeux autour de l’évaluation, en particulier dans les disciplines sans niveau). Le quatrième chapitre était consacré au thème « Enseignement, évaluation, orientations, transitions », notamment en lien avec le plan d’études romand (ci-après : PER), le cinquième concernait les élèves en difficulté et le climat scolaire et le sixième avait trait à l’enseignement et aux gestes métier avec des exemples de mise en œuvre des apprentissages ;

- la présentation « CO22, soirée d’informations de la FAPEO, présentation de la réforme scolaire CO22 » du 6 avril 2022, contenant les mêmes éléments, mise en ligne sur le site internet « www.fapeo.ch ».

10) Dans sa réplique du 20 avril 2022, M. A______ a persisté dans les conclusions de son recours, « sous suite de frais et dépens », indiquant toutefois que la demande de mesures provisionnelles était devenue sans objet en raison de la position du Conseil d’État.

Le recours était recevable. Il était dirigé contre une opération électorale, notion interprétée de manière large par la jurisprudence et qui englobait toute intervention de l’autorité dans la campagne. Ladite opération visait des employés de l’État simultanément membres du corps électoral et prenait la forme d’une prise de position favorable à l’objet soumis au scrutin, comme l’indiquaient les documents de présentation versés au dossier. Le recours avait également été interjeté en temps utile, puisqu’il n’avait pas pris connaissance des points de presse des autorités, étant précisé que ceux-ci ne mentionnaient pas la tenue de séances d’information à l’attention de tous les enseignants.

Pendant la campagne référendaire, le département avait fourni à l’ensemble du corps enseignant une présentation vantant les mérites de la réforme, sans mentionner ses désavantages. Il s’agissait d’une information partisane qui faisait fi de toute neutralité et assénait à une partie des électeurs les vérités de l’employeur avec un ton sans nuance, plus proche de l’affiche électorale que de l’information objective, les arguments présentés étant davantage développés que ceux figurant dans le matériel de vote. En procédant de la sorte, au demeurant pendant les heures de travail, le Conseil d’État avait contrevenu à l’art. 34 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101). En cas d’admission du recours, l’envoi d’une information de la part de l’autorité intimée à l’ensemble des participants aux séances litigieuses comportant l’indication selon laquelle la « démarche de propagande » n’était pas conforme au droit était suffisante pour garantir la libre formation de la volonté des citoyens, sans qu’il soit nécessaire d’annuler le scrutin.

11) Le 29 avril 2022, le Conseil d’État a persisté dans les conclusions et termes de ses précédentes écritures, précisant que le département n’avait pas agi en tant qu’autorité cherchant à convaincre des électeurs, mais uniquement en tant qu’employeur soucieux de répondre aux interrogations de ses collaborateurs et pouvoir être prêt à implémenter la réforme lors de la rentrée scolaire 2023, ce qui impliquait le suivi de formations spécifiques de la part des enseignants et l’adaptation de leurs supports de cours. À cela s’ajoutait que le département n’avait pas pris position sur le scrutin lors desdites séances.

12) Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées par courrier du 29 avril 2022.

EN DROIT

1) a. Selon l’art. 124 let. b de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), la Cour constitutionnelle – à savoir la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (art. 1 let. h ch. 3 1er tiret de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05) – est compétente pour traiter les litiges relatifs à l’exercice des droits politiques en matière cantonale et communale. Par la loi 11’311 du 11 avril 2014 mettant en œuvre la Cour constitutionnelle, le législateur a prévu que la chambre constitutionnelle connaît des recours en matière de votations et d’élections (art. 130B al. 1 let. b LOJ) ainsi qu’en matière de validité des initiatives populaires (art. 130B al. 1 let. c LOJ), et il a transféré à la chambre constitutionnelle, par une modification de l’art. 180 de la loi sur l’exercice des droits politiques du 15 octobre 1982 (LEDP - A 5 05), la compétence qu’avait jusqu’alors la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) de connaître des recours contre les violations de la procédure des opérations électorales, indépendamment de l’existence d’une décision (art. 180 aLEDP ; ACST/30/2020 du 2 octobre 2020 consid. 1a et la référence citée).

b. Comme le Tribunal administratif puis la chambre administrative et enfin la chambre constitutionnelle l’ont jugé à maintes reprises, entrent dans le cadre des opérations électorales, et sont donc sujets à recours au sens de l’art. 180 LEDP, tous les actes destinés au corps électoral, de nature à influencer la libre formation et expression du droit de vote telle qu’elle est garantie par les art. 34 al. 2 Cst. et 44 Cst-GE (ACST/40/2021 du 30 novembre 2021 consid. 1 et les références citées). La notion d’opérations électorales figurant à l’art. 180 LEDP est conçue largement ; non seulement elle ne se réduit pas aux seules élections mais vise également les votations et englobe aussi bien les scrutins populaires eux-mêmes que les actes préparant ces derniers (ACST/9/2021 du 23 mars 2021 consid. 1b).

c. En l’espèce, le recours est dirigé contre les séances d’information organisées par le département et relatives à la réforme du cycle d’orientation, résultant de la modification de la LIP soumise au scrutin cantonal du 15 mai 2022. Dans ce cadre, même si ces séances s’adressent aux enseignants concernés par la réforme, certains d’entre eux sont également membre du corps électoral cantonal et susceptibles, à ce titre, de prendre part au scrutin susmentionné. L’on ne saurait ainsi d’emblée considérer, comme le soutient l’autorité intimée, que les actes en cause, sans considération de leur contenu, n’entreraient pas dans le cadre des opérations électorales, notion au demeurant conçue de manière large, ce d’autant moins au regard de la proximité du vote, autre étant de savoir si le grief s’avère matériellement fondé. Il n’y a toutefois pas lieu de d’examiner plus avant cette question, vu ce qui suit.

2) a. Selon l’art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir non seulement les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a), mais aussi toute personne qui est touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d’État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée (let. b). La jurisprudence a précisé que les let. a et b de cette disposition doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s’il était partie à la procédure de première instance (ACST/26/2021 du 27 mai 2021 consid. 3b).

b. En matière de droits politiques, la qualité pour recourir appartient notamment à toute personne disposant du droit de vote dans l’affaire en cause. Elle suppose toutefois encore que la partie recourante ait un intérêt actuel digne de protection à l’annulation ou à la modification de la décision entreprise, cet intérêt devant exister non seulement au moment du dépôt du recours, mais encore au moment où l’arrêt est rendu (arrêt du Tribunal fédéral 1C_147/2020 du 5 octobre 2020 consid. 1.2.1 ; ACST/3/2022 du 14 mars 2022 consid. 3b).

Il peut exceptionnellement être fait abstraction de l’exigence d’un intérêt actuel lorsque la contestation peut se produire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, que sa nature ne permet pas de la soumettre à une autorité judiciaire avant qu’elle ne perde son actualité et qu’il existe un intérêt public suffisamment important à résoudre la question litigieuse (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_495/2021 du 9 février 2022 consid. 1.4.1).

c. En l’espèce, si le recourant, en tant que ressortissant suisse exerçant ses droits politiques à Genève, dispose certes de la qualité pour recourir à ce titre, il n’en demeure pas moins que les séances dont il se plaint ont eu lieu dans les établissements des cycles d’orientation du canton entre les mois de février et avril 2022, la dernière s’étant tenue le 12 avril 2022 comme l’a indiqué l’autorité intimée. L’on ne saurait toutefois d’emblée exclure que, jusqu’à la tenue du scrutin, d’autres séances n’auraient plus lieu, si bien que la situation pourrait se reproduire, et cela à brève échéance.

3) a. Les recours en matière de votations et d’élections doivent être formés dans les six jours (art. 62 al. 1 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10), délai non susceptible d’être suspendu (art. 63 al. 2 let. a LPA). Ce délai court dès le lendemain du jour où, en faisant montre à cet égard de la diligence commandée par les circonstances, le recourant a pris connaissance de l’irrégularité entachant, selon lui, les opérations électorales (ACST/40/2021 précité consid. 2a).

b. En l’espèce, même si le recourant allègue avoir eu connaissance des séances qu’il conteste à la lecture d’un article paru dans la TdG du 7 avril 2022, il n’en demeure pas moins qu’en date du 30 mars 2022, lors de son point presse, le Conseil d’État a présenté la réforme du cycle d’orientation notamment au moyen d’un document « Power point », mis en ligne sur le site de l’État de Genève, mentionnant la tenue de demi-journées d’études durant les mois d’avril et mai 2022, ce qu’a du reste confirmé un article de la TdG publié le lendemain et qui relatait les critiques adressées à la conseillère d’État en charge du département de ce fait. À cela s’ajoute qu’en date du 24 mars 2022 déjà, une question urgente avait été adressée par un député du Grand Conseil au Conseil d’État au sujet des séances organisées dans les cycles d’orientation. La question de la recevabilité du recours pourra néanmoins également souffrir de rester indécise sur ce point, au regard de ce qui suit.

4) Pour le reste, le recours satisfait aux exigences de forme et de contenu prévues par les art. 64 al. 1 et 65 al. 1 et 2 LPA, sous réserve des conclusions visant à ce que la chambre constitutionnelle ordonne à une autorité politique, à savoir le Conseil d’État, de présenter des excuser aux personnes ayant pris part aux séances litigieuses, dont il est permis de douter de la recevabilité.

5) a. La garantie des droits politiques, ancrée à l’art. 34 Cst., et, dans une même mesure, à l’art. 44 Cst-GE, protège la libre formation de l’opinion des citoyens et l’expression fidèle et sûre de leur volonté.

Selon une formule couramment utilisée par le Tribunal fédéral, aucun résultat de votation ou d’élection ne doit être reconnu s’il ne traduit pas de manière fidèle et sûre la volonté librement exprimée du corps électoral, chaque citoyen devant pouvoir exercer ses droits politiques conformément à sa volonté, à l’abri de toute influence extérieure, en fondant sa décision sur un processus de formation de la volonté le plus complet et le plus libre possible (ATF 146 I 129 consid. 5.1 ; 145 I 207 consid. 2.1).

b. L’art. 34 al. 2 Cst. impose notamment aux autorités le devoir de donner une information correcte et retenue dans le contexte de votations (ATF 145 I 282 consid. 4.1). Lors de scrutins de leur propre collectivité, un rôle de conseil leur incombe. Les collectivités assument ce rôle principalement par la rédaction d’un message explicatif préalable au vote. Elles ne sont pas astreintes à un devoir de neutralité et peuvent diffuser une recommandation. Elles sont en revanche tenues à un devoir d’objectivité, de transparence et de proportionnalité. Les informations qu’elles apportent doivent prendre place dans un processus ouvert de formation de l’opinion, ce qui exclut les interventions excessives et disproportionnées s’apparentant à de la propagande et propres à empêcher la formation de l’opinion (ATF 146 I 129 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_321/2020 du 13 novembre 2020 consid. 4.1).

c. Pour savoir si les électeurs ont acquis une opinion suffisante et objective sur l’objet soumis au vote, il convient de prendre en considération le contexte global et l’ensemble des informations diffusées (ATF 138 I 61 consid. 7.4 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_24/2018 du 7 février 2019 consid. 7.1 ; 1C_130/2015 du 20 janvier 2016 consid. 3.2). Par ailleurs, lorsque des irrégularités sont constatées, la votation n’est annulée qu’à la double condition que la violation constatée soit grave et qu’elle ait pu avoir une influence sur le résultat du vote (ATF 147 I 297 consid. 5.1 ; 145 I 207 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_321/2020 précité consid. 4.2).

6) En l’espèce, le département a organisé plusieurs séances d’information qui se sont tenues au cours des mois de mars et avril 2022 et qui étaient destinées au corps enseignant du niveau secondaire I, à savoir le cycle d’orientation, ainsi qu’à certains enseignants de l’école primaire, l’une de ces séances, qui a eu lieu le 6 avril 2022, étant intervenue pour les parents d’élèves sous l’égide de la FAPEO, comme l’a indiqué l’autorité intimée. Lors desdites séances, des présentations « Power point » ont été projetées, qui ont été versées au dossier.

Le recourant soutient que ces séances et la projection des présentations « Power point » intervenues dans ce cadre s’apparenteraient à des actes de propagande de la part de l’autorité intimée, au regard de leur caractère connoté en faveur de la réforme, sans en mentionner les désavantages, destinées à l’ensemble des enseignants membres du corps électoral, durant les heures de travail et pendant la campagne précédant le scrutin du 15 mai 2022.

Outre le fait que les séances d’information litigieuses n’ont pas été organisées par l’autorité intimée mais par l’un de ses départements, l’on ne saurait y voir un acte de propagande des autorités en vue d’influencer le résultat du scrutin à venir. Contrairement à ce que soutient le recourant, les présentations « Power point » versées au dossier contiennent des explications factuelles et ne comportent pas d’éléments subjectifs, propres à empêcher la formation de l’opinion, étant précisé que l’indication « Un cycle plus exigeant mais pas plus sélectif » a trait non pas à la réforme projetée, mais au régime « nCO » en vigueur depuis 2011 et qui doit être abandonné au profit de la nouvelle organisation du cycle d’orientation dite « CO22 ». De plus, si le troisième chapitre mentionne certes les avantages de la mixité, au centre de « CO22 », sous l’intitulé « forces de la mixité », il n’en indique pas moins également ses « défis », sous l’angle des difficultés liées à sa mise en œuvre. Par ailleurs, la phrase « un CO plus adapté aux élèves pour la rentrée 2023 » ne va pas plus loin que le commentaire des autorités figurant dans le matériel de vote pour le scrutin du 15 mai 2022.

Le recourant ne saurait ainsi soutenir que la présentation litigieuse ne fait mention que des avantages de la réforme du cycle d’orientation en cours, pas plus qu’il ne peut prétendre qu’elle contiendrait davantage d’éléments que les explications figurant dans la brochure explicative fournie aux citoyens. Il perd en particulier de vue que les séances litigieuses n’avaient pas pour but d’expliquer l’objet soumis au scrutin aux électeurs, mais d’entamer le processus de mise en œuvre de la réforme, en expliquant les changements induits par celle-ci et en proposant des pistes de réflexion à cette fin. Le fait que ces séances aient eu lieu pendant les heures de travail des enseignants et avant la tenue de la votation du 15 mai 2022 n’apparaît dans ce cadre pas déterminant. En effet, comme l’a indiqué l’autorité intimée, il n’était pas envisageable pour le département de les organiser à un autre moment. Si une demande en ce sens de la FAMCO avait certes été faite dès le mois de décembre 2021, la situation sanitaire ne rendait pas possible ce type de rassemblements en présentiel en début d’année 2022, pas plus que le calendrier scolaire ne le permettait avant la fin de l’année scolaire en cours. L’autorité intimée a en outre expliqué que leur organisation à la rentrée du mois d’août 2022 aurait été tardive, ce qui aurait eu pour effet de retarder la mise en œuvre de la réforme prévue pour la rentrée 2023, même si ladite entrée en vigueur aurait pu, le cas échéant, être repoussée à l’année scolaire suivante. Ces explications ne prêtent néanmoins pas le flanc à la critique, rien ne permettant d’inférer une volonté d’influencer le résultat du vote à venir de la part du département.

Même à suivre les arguments du recourant, les séances litigieuses ne sont pas en mesure de produire l’effet qu’il allègue. En effet, bien que la présentation « Power point » soit accessible sur le site internet de la FAPEO, elle était destinée aux seuls membres du corps enseignant du cycle secondaire I, au nombre de 1'825 personnes en 2020, et à une partie de celui du corps enseignant du cycle primaire, au nombre total de 2'970 personnes en 2020 selon les données de l’annuaire statistique de l’enseignement public et privé à Genève de l’office cantonal de la statistique (ci-après : OCSTAT), ainsi qu’à un nombre limité de parents d’élèves ayant pris part à la séance du 6 avril 2022. Sur l’ensemble des personnes ayant assisté à ces séances, seules certaines d’entre elles prendront part au scrutin, puisque le domicile à Genève et la nationalité suisse ne constituent pas des critères d’engagement aux fonctions considérées et que seuls sont titulaires des droits politiques sur le plan cantonal les personnes de nationalité suisse domiciliées dans le canton ainsi que les personnes domiciliées à l’étranger qui exercent leurs droits politiques fédéraux dans le canton (art. 48 al. 1 Cst-GE). Les personnes ainsi concernées ne constituent qu’un nombre infime des électeurs inscrits dans les rôles électoraux, qui était de 273'971 lors du scrutin du 13 février 2022 selon les données de l’OCSTAT, étant précisé que le recourant ne conclut pas à l’annulation du scrutin.

Il s’ensuit que le recours sera rejeté, en tant qu’il est recevable, ce qui rend sans objet les mesures provisionnelles sollicitées auxquelles le recourant a du reste renoncé dans ses déterminations du 20 avril 2022.

7) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne lui sera accordée, pas plus qu’au Conseil d’État, qui dispose de son propre service juridique (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

rejette, en tant qu’il est recevable, le recours interjeté le 8 avril 2022 par Monsieur A______ contre « les séances d’information relatives à la réforme du cycle d’orientation » ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Stéphane Grodecki, avocat du recourant, ainsi qu’au Conseil d’État.

Siégeant : M. Verniory, président, M. Pagan, Mme Lauber, MM. Knupfer et Mascotto, juges.

 

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

C. Gutzwiller

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :