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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/2140/2018

CAPH/84/2022 du 07.06.2022 sur JTPH/317/2021 ( OO ) , REJETE

Recours TF déposé le 11.07.2022, rendu le 31.10.2022, REJETE, 4a_308/22
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/2140/2018-5 CAPH/84/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU 7 juin 2022

 

Entre

REPUBLIQUE A______, domiciliée ______ appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 27 août 2021, comparant par Me Mathilde RAM-ZELLWEGER, avocate, route de Suisse 100, case postale 110, 1290 Versoix, en l'Étude de laquelle elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié c/o M. C______, ______ [GE], intimé, comparant par Me Manuel BOLIVAR, avocat, rue des Pâquis 35, 1201 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.


EN FAIT

A.           Par jugement incident du 27 août 2021 (JTPH/317/2021), adressé pour notification aux parties le même jour, le Tribunal des prud'hommes s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande formée par B______ le 3 décembre 2018 à l'encontre de la REPUBLIQUE A______ (ch. 1 du dispositif). Le Tribunal a en outre réservé le sort des frais judiciaires à la décision finale (ch. 2), n'a pas alloué de dépens (ch. 3) et a réservé la suite de la procédure (ch. 4).

B.            a) Par acte déposé au greffe de la Cour de justice le 29 septembre 2021, la REPUBLIQUE A______ a interjeté appel contre le jugement susmentionné, qu'elle a reçu le 30 août 2021, concluant à son annulation et, cela fait, à ce qu'il soit dit et constaté que le Tribunal des Prud'hommes est incompétent pour connaître de la demande en paiement formée par B______ à son encontre, sous suite de frais et dépens.

Elle a produit un chargé de pièces, dont les pièces n° 2 à 9 et 12 nouvelles, avec la précision que les pièces n° 10 et 11, mentionnées au chargé, n'ont pas été produites.

b) Par réponse du 11 novembre 2021, B______ a conclu, à la forme, à l’irrecevabilité de l’appel et, au fond, au rejet de celui-ci, sous suite de frais judiciaires.

Il a produit trois pièces nouvelles, soit les pièces n° 10 à 12.

C.           Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a) B______, ressortissant ______ né le ______ 1966, a exercé la profession de cuisinier-maître d’hôtel et cuisinier auxiliaire, du 1er novembre 2008 au 30 novembre 2016, à l'Ambassade du A______ à Genève.

b) B______ allègue que le contrat de travail qui le liait à son employeur n’a pas revêtu la forme écrite, qu’il travaillait à la résidence de l’Ambassadeur, sans être ni logé ni nourri, de 07h00 à 12h30 puis de 13h00 à 21h00, pour un salaire mensuel de 2'560 fr. durant le mois de décembre 2008, puis de 2'760 fr. durant les années 2009 à 2016, et qu’il aurait été licencié après avoir réclamé le salaire recommandé à Genève pour les cuisiniers.

c) B______ est au bénéfice d’une carte de légitimation délivrée par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) de type « E », destinée aux membres du personnel de service des missions permanentes, en l’occurrence de la Mission permanente de la REPUBLIQUE A______ auprès de l’ONU à Genève, expirant le 22 juillet 2018.

d) Il est domicilié au Foyer E______ à Genève depuis janvier 2018.

e) Par requête en conciliation du 5 janvier 2018, B______ a assigné la REPUBLIQUE A______ en paiement de la somme totale de 388'223 fr., ainsi qu’en délivrance de ses certificats de salaire et de ses fiches de paie pour la durée des rapports de travail.

L’audience de conciliation du 3 septembre 2018 s’étant soldée par un échec, une autorisation de procéder a été délivrée.

f) Par demande ordinaire adressée le 3 décembre 2018 au Tribunal des Prud’hommes, B______ a assigné la REPUBLIQUE A______ en paiement de la somme totale de 672'596 fr., avec intérêts à 5% l’an dès le 1er décembre 2012, se décomposant de la manière suivante :

- 426'324 fr., sous déduction de la somme nette de 272’560 fr. déjà reçue, à titre de différence entre le salaire perçu et le salaire obligatoire jusqu’en janvier 2017 ;
- 476'300 fr. à titre de rémunération pour ses heures supplémentaires ;
- 38'100 fr. à titre d’indemnités pour les dimanches travaillés ;
- 4'432 fr. à titre d’indemnités pour vacances non prises.

Il a en outre conclu à la délivrance de ses certificats de salaire et de ses fiches de paie pour la durée des rapports de travail.

A titre préalable, il a conclu à ce qu’il soit constaté que la REPUBLIQUE A______ ne pouvait pas se prévaloir de son immunité de juridiction.

g) Le 19 juin 2019, la REPUBLIQUE A______ a déposé un mémoire de réponse ainsi que des pièces au Tribunal.

h) Par ordonnance du 25 juin 2019, le Tribunal a imparti un délai de quinze jours à la REPUBLIQUE A______ pour déposer son écriture de réponse conforme aux exigences de l’art. 221 CPC, précisant, qu’à défaut, les allégués non conformes ne seraient pas pris en considération.

i) Par ordonnance du 21 janvier 2020, le Tribunal a imparti un délai supplémentaire de dix jours à la REPUBLIQUE A______ pour déposer son écriture de réponse, précisant qu’à défaut le Tribunal rendrait une décision finale si la cause était en état d’être jugée ou, à défaut, citerait la cause aux débats principaux.
j) Par pli déposé à l’office postal le 22 juillet 2020, la REPUBLIQUE A______ a déposé une écriture de réponse, accompagnée de neuf pièces.

k) Par ordonnance du 14 décembre 2020, valablement notifiée le 4 mai 2021 à la REPUBLIQUE A______, le Tribunal a constaté que l’écriture de réponse était tardive et dit que la cause était gardée à juger.

D.           Le Tribunal a indiqué dans sa décision qu’il tranchait, à titre incident, la question de l’immunité de juridiction de la REPUBLIQUE A______ et, statuant d’office, s’est déclaré compétent pour statuer sur la demande formée par B______. Il a considéré que ce dernier, employé en qualité de cuisinier-maître d’hôtel et cuisinier auxiliaire, n’avait pas agi en tant que représentant de la puissance publique de l’employeur, mais avait exercé des tâches subalternes, de sorte qu’il ne jouissait pas de l’immunité diplomatique. Le fait qu’il soit venu en Suisse pour y occuper un emploi pendant près de huit ans et soit resté en Suisse plusieurs années après la fin de son emploi était suffisant pour admettre qu’il y avait créé une résidence permanente. L’employeur n’avait apporté aucun élément permettant de retenir que l’employé n’avait plus sa résidence permanente en Suisse lors de l’introduction de son action, le 5 janvier 2018. Ce dernier avait d’ailleurs produit une attestation de logement datée du 26 janvier 2018 du Foyer E______ à Genève confirmant qu’il y était logé. Il s’était par ailleurs présenté personnellement à l’audience de conciliation du 3 septembre 2018. Ainsi, les parties étant liées par un contrat de travail et l’employé ayant exercé son activité à Genève où il s’était créé une résidence permanente, l’employeur ne pouvait pas se prévaloir de son immunité de juridiction.

EN DROIT

1.             1.1 Sont susceptibles d'appel les décisions finales ou incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). En matière patrimoniale, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions de première instance est au moins de 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).

L'appel, écrit et motivé, doit être introduit dans les trente jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 311 al. 1 CPC) auprès de l'autorité compétente, en l'espèce la Chambre des prud'hommes (art. 24 LOJ).

1.2 Déposé dans les délais et la forme prévue par la loi, auprès de l'autorité compétente, dirigé contre une décision incidente susceptible d'appel immédiat, l'appel expédié au greffe de la Cour de justice le 29 septembre 2021 est ainsi recevable.

1.3 Est également recevable la réponse de l'intimé qui a été déposée dans le délai légal (art. 312 al. 2 CPC).

2.             La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), tant en fait qu'en droit. La Cour peut donc librement contrôler l'appréciation des preuves effectuée par le Juge de première instance (art. 310 let. b cum art. 157 CPC) et vérifie si ce dernier pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1). En revanche, la Cour ne revoit la cause que dans la limite des griefs suffisamment motivés qui sont formulés (arrêts du Tribunal fédéral 4A_290/2014 du 1er septembre 2014 consid. 5; 5A _89/2014 du 15 avril 2014 consid. 5.3.2).

3.             Aux termes de l'art. 237 al. 1 CPC, le tribunal peut rendre une décision incidente lorsque la juridiction de seconde instance pourrait prendre une décision contraire qui entraînerait la fin du procès. Une telle décision doit être contestée immédiatement (art. 237 al. 2 CPC), à l'instar d'une décision finale. Tel est le cas lorsque le jugement entrepris rejette un moyen libératoire de fond pour admettre la recevabilité d'une demande et que son renversement mettrait fin à la procédure (cf. Code de procédure civile commenté, BOHNET / HALDY / JEANDIN / SCHWEIZER / TAPPY, Helbing Lichtenhahn 2011, ad art. 237, n. 3, p. 916).

4.             Les parties ont allégué des faits nouveaux et produit des pièces nouvelles en appel.

4.1 Selon l'article 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).

Il faut distinguer les "vrais nova" des "pseudo nova". Les "vrais nova" sont des faits et moyens de preuve qui ne sont survenus qu'après la fin des débats principaux, soit après la clôture des plaidoiries finales (cf. ATF 138 III 788 consid. 4.2; Tappy, in Code de procédure civile commenté, Commentaire romand, 2ème éd. 2019, art. 229 CPC, n. 11). En appel, ils sont en principe toujours admissibles, pourvu qu'ils soient invoqués sans retard dès leur découverte. Les "pseudo nova" sont des faits et moyens de preuve qui étaient déjà survenus lorsque les débats principaux de première instance ont été clôturés. Leur admissibilité est largement limitée en appel, dès lors qu'ils sont irrecevables lorsqu'en faisant preuve de la diligence requise, ils auraient déjà pu être invoqués dans la procédure de première instance. Il appartient au plaideur d'exposer en détails les motifs pour lesquels il n'a pas pu présenter le "pseudo nova" en première instance déjà (ATF 143 III 42 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_1006/2017 du 5 février 2018 consid. 3.3).

4.2.1 En l’espèce, l'appelante débute son mémoire par une partie "En Fait" qu'elle indique vouloir compléter par des éléments que le Tribunal n'a, selon elle, pas pris en compte ou a apprécié de manière inexacte. Suivent vingt et un allégués, lesquels se réfèrent aux pièces n° 2 à 13 de son chargé de pièces nouvelles produites en appel.

4.2.2 Les allégués 1 à 14 sont des allégués nouveaux, qui n'ont pas été articulés valablement devant les premiers juges, l'appelante ayant déposé très largement hors délai son écriture de réponse, laquelle a été écartée de la procédure par ordonnance du 14 décembre 2020, valablement notifiée à l'appelante le 4 mai 2021. Ces faits, qui sont en lien avec le recrutement, l'engagement, la mise en disponibilité et le statut de l'intimé datent des années 2008, 2009 et 2012 (allégués 1 à 8, 10 à13), étaient donc connus de l'appelante en première instance. Il en va de même des faits qui se rapportent à la résiliation de son contrat de travail ou à son statut ultérieur (allégués 9 et 14).

L'ensemble des faits susmentionnés ne figurant pas dans l'état de fait établi par le Tribunal et étant antérieurs à la clôture des débats de première instance, il s'agit de faux nova. Il incombait par conséquent à l'appelante d'exposer en détails les motifs pour lesquels elle n'aurait pas pu les alléguer en temps utile en première instance déjà. L'appel ne comporte toutefois aucune explication sur ce point. Les faits susmentionnés sont par conséquent irrecevables, de même que les pièces 2 à 12 qui s'y rapportent.

4.2.3 Les allégués 15 à 19 de la partie En fait de l'appelante sont en réalité des appréciations portées sur le jugement rendu.

L'appelante se plaint à l'allégué 15 de ce que le Tribunal n'aurait pas tenu compte des pièces qu'elle a produites en première instance, "certes avec retard", indiquant que le Tribunal aurait dû agir sur la base de son pouvoir d'office et qu'il était tenu de prendre en considération ces pièces. S'il faut y voir un grief, fort mal placé dans le corps de son appel et non assorti de conclusions idoines, force est de constater que l'appelante n'indique pas sur quelle base elle considère que le Tribunal aurait dû agir d'office et déclarer recevables les pièces qu'elle a déposées hors délai. Insuffisamment motivé, ce grief doit être déclaré irrecevable.

A l'allégué 16, l'appelante considère que le Tribunal a fait preuve de formalisme excessif mais n'en tire aucune conclusion, de sorte que ce grief, pour autant que l'on puisse considérer qu'il s'agisse d'un grief, sera déclaré irrecevable. Il en ira de même des remarques que l'appelante a formulées à l'allégué 17, s'agissant de la manière dont le Tribunal a conduit la procédure, dont elle ne tire aucune conclusion. Les commentaires des allégués 18 et 19 sur la manière dont elle-même entend mener la procédure au fond ne revêtent pas la qualification de faits.
L'allégué 20 concernant le logement, les repas et les horaires de travail de l'intimé est irrecevable pour les mêmes raisons que celles exposées supra sous 4.2.1.

A l'allégué 21, l'appelante indique peiner à comprendre les raisons qui ont amenées le Tribunal à rendre un jugement incident mais ne critique pas cette façon de procéder et n'en tire aucune conclusion, de sorte que ce grief, pour autant que l'on puisse considérer qu'il s'agisse d'un grief, sera également déclaré irrecevable.

4.2 L’intimé a produit, quant à lui, des pièces nouvelles, toutes antérieures à la date à laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger, de sorte qu’elles seront déclarées irrecevables, de même que les faits qui s'y rapportent, ce d'autant qu'il n'expose pas pour quelles raisons il n'aurait pas pu les produire devant les premiers juges.

5.             L'intimé soutient que l'appel serait insuffisamment motivé, ce qui le rendrait irrecevable.

5.1 Selon la jurisprudence, pour satisfaire à son obligation de motivation de l'appel prévue par l'art. 311 al. 1 CPC, l'appelant doit démontrer le caractère erroné de la motivation de la décision attaquée et son argumentation doit être suffisamment explicite pour que l'instance d'appel puisse la comprendre, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision qu'il attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1). Même si l'instance d'appel applique le droit d'office (art. 57 CPC), le procès se présente différemment en seconde instance, vu la décision déjà rendue. L'appelant doit donc tenter de démontrer que sa thèse l'emporte sur celle de la décision attaquée. Il ne saurait se borner à simplement reprendre des allégués de fait ou des arguments de droit présentés en première instance, mais il doit s'efforcer d'établir que, sur les faits constatés ou sur les conclusions juridiques qui en ont été tirées, la décision attaquée est entachée d'erreurs. Il ne peut le faire qu'en reprenant la démarche du premier juge et en mettant le doigt sur les failles de son raisonnement (arrêts du Tribunal fédéral 4A_376/2016 du 2 décembre 2016 consid. 3.2; 4A_97/2014 du 26 juin 2014 consid. 3.3; 5A_438/2012 du 27 août 2012 consid. 2.2).

5.2 En l'espèce, l'appelante a exposé les raisons pour lesquelles elle considérait que le Tribunal avait, à tort, estimé que l'immunité de juridiction ne pouvait être retenue. La motivation de son appel, qui se base certes sur de nombreux allégués et pièces irrecevables, doit cependant être considérée comme suffisante.

6.             L’appelante se plaint d’une violation des règles de droit et des principes régissant l'immunité de juridiction des Etats étrangers et de leur personnel diplomatique. Elle considère que, quand bien même l’intimé a été engagé en qualité de cuisinier et n’a donc aucune fonction diplomatique ou de représentation de l’Etat, il est membre à part entière de la fonction publique A______ et dispose à cet égard de l’immunité dans le cadre de ses fonctions. Il fait partie du personnel de service de la REPUBLIQUE A______, ce qui est précisé sur sa carte de légitimation. Elle estime par ailleurs que c’est à tort que le Tribunal a considéré que l’intimé avait exercé des tâches subalternes et qu’elle n’aurait apporté aucun élément permettant de démontrer qu’elle ne pouvait pas se prévaloir de son immunité de juridiction.
5.1.1 La question de savoir si un Etat est ou non soumis à la juridiction suisse s'examine à l'aune des principes généraux de droit international public « (...) tels qu'ils peuvent être dégagés de la jurisprudence, de la doctrine, ainsi que des solutions qui ont été retenues dans les conventions internationales réglant les conflits de juridiction entre Etats » (WYLER/HEINZER, Droit du travail, 2014, p.765, arrêts du Tribunal fédéral 4A_331/2014 du 31 octobre 2014 consid.3; 4A_544/2011 du 30 novembre 2011 consid. 2.1 ; ATF 134 111 122 consid. 5.1).
Selon le Tribunal fédéral, la jurisprudence suisse a marqué une tendance à restreindre le domaine de l'immunité des Etats. Le principe de l'immunité de juridiction n’est pas une règle absolue. L'Etat étranger n'en bénéficie que lorsqu'il agit en vertu de sa souveraineté (jure imperii). En revanche, il ne peut pas s'en prévaloir s'il agit comme titulaire d'un droit privé ou au même titre qu'un particulier (jure gestionis) ; en ce cas, l'Etat étranger peut être assigné devant les tribunaux suisses, à condition toutefois que le rapport de droit privé auquel il est partie soit rattaché de manière suffisante au territoire suisse (Binnenbeziehung). Les actes accomplis de jure imperii (ou actes de souveraineté) se distinguent des actes accomplis jure gestionis (ou actes de gestion) non par leur but, mais par leur nature intrinsèque. Il convient ainsi de déterminer, en recourant si nécessaires à des critères extérieurs à l'acte en cause, si celui-ci relève de la puissance publique ou s'il s'agit d'un rapport juridique qui pourrait, dans une forme identique ou similaire, être conclu entre deux particuliers. » (ATF 134 III 570, consid. 2.2).

5.1.2 Sur le plan international, il convient en particulier de s'inspirer de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens (CNUIJE), signée par la Suisse le 19 septembre 2006 et ratifiée le 16 avril 2010, qui n'est pas encore entrée en vigueur faute de ratification par un nombre suffisant d'Etats. Cet accord codifie le droit international coutumier et constitue à ce titre une source de droit positif, y compris lorsque l'Etat d'envoi n'est pas signataire de la CNUIJE contrairement à la Suisse (arrêt du Tribunal fédéral du 31 octobre 2014 4A_331/2014, consid.3.2.).

Selon l'art. 11 al. 1 CNUIJE, en matière de contrat de travail, un Etat ne peut pas invoquer l'immunité de juridiction devant le Tribunal d'un autre Etat, si cet Etat est compétent pour connaître d'un litige découlant des rapports de travail entre l'Etat et une personne physique pour un travail accompli ou devant être accompli, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autre Etat (arrêt du Tribunal fédéral du 30 novembre 2011, 4A_544/2011, consid. 2).
Toutefois, selon l'art. 11 al. 2 CNUIJE, l'al. 1 n'est pas applicable si l'employé a été engagé pour « (...) s 'acquitter de fonctions particulières dans l'exercice de la puissance publique » (art. 11 al. 2 let. a CNUIJE), est « agent diplomatique » selon la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 (art. 11 - 7/13 - C/11584/2016-5 al. 2 let. b/iv CNUIJE), est ressortissant de l'Etat employeur au moment où l'action est engagée, à moins qu'il n'ait sa résidence dans l'Etat du for (art. 11 al. 2 let. e CNUIJE).

5.1.3 Depuis le 1er janvier 2008, la Suisse s'est dotée de la loi fédérale sur les privilèges, les immunités et les facilités, ainsi que sur les aides financières accordés par la Suisse en tant qu' Etat hôte (LEH, RS 192.12) et son ordonnance d'application (OLEH, RS 192.121), qui définit sous quelles conditions et dans quelle mesure la Suisse reconnaît les privilèges et les immunités énoncées à l'art. 3 al. 1 let. a à j LEH, dont l'immunité de juridiction (art. 3 al. 1 let. b LEH), à certaines institutions, comme les missions permanentes ou certaines personnes physiques, en particulier et principalement, les membres du personnel d'une mission permanente (cf. art. 2 al. 2 let. a et b LEH, en relation avec l'art. 2 al. 1 let. d et LEH (cf. arrêt du Tribunal fédéral 4A_544/2011 du 30 novembre 2011 consid. 2.2).

Conformément à l'art. 2 al. 2 let. c LEH, en relation avec l'art. 11 al. 3 let. g OLEH, la Confédération peut également accorder des privilèges et des immunités aux personnes autorisées à accompagner les personnes bénéficiaires mentionnées aux let. a et b, y compris les domestiques privés. Selon les articles. 1 al. 2 et 2 OLEH, les conditions d'entrée sur le territoire suisse, de séjour et de travail des domestiques privés font l'objet d'une ordonnance séparée, l'Ordonnance sur l’engagement des domestiques privés par les membres du personnel des missions diplomatiques, des missions permanentes, des postes consulaires et des organisations internationales en Suisse du 6 juin 2011 (ODPr, RS 192.126).

5.1.4 L'ODPr a remplacé une directive du Département fédéral des affaires étrangères du 1er mai 2006 sur l'engagement des domestiques privés. Selon la définition retenue par l'art. 2 al. 1 ODPr, le domestique privé, conformément à l’article 1 let. h de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques et à l'article 1 let. i, de la Convention de Vienne du 24 avril 1964 sur les relations consulaires, est la personne qui, d'une part, est employée au service domestique d'une personne bénéficiaire au sens de l'art. 2 al. 2 let. a et b LEH autorisée à engager un domestique privé (employeur), et qui, d'autre part, est titulaire d'une carte de légitimation de type F délivrée par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).

Aucune immunité de juridiction ne se rattache à la carte de légitimation F, qui sert principalement de titre de séjour au domestique privé pendant la durée du rapport de travail (art. 23 ODPr). L'art. 2 al. 2 ODPr dispose encore que les domestiques ne sont pas des employés du bénéficiaire institutionnel dont relève l'employeur, mais sont engagés par l’employeur sur la base d'un contrat de travail de droit privé.

Selon l'ODPr, les relations de travail entre le domestique privé et l'employeur sont régies par le droit suisse (art. 28 al. 1 et 2) et le contrat de travail est soumis à la forme écrite et doit être établi conformément au modèle préétabli du Département fédéral des affaires étrangères (art. 10 al. 1 et 2 ODPr). En outre, conformément à l'art. 41 al. 3 ODPr, la partie qui le souhaite peut porter le litige de droit du travail devant l'autorité judiciaire compétente suisse. Selon l'art. 2 al. 3 ODPr, relève du service domestique « toute tâche accomplie par le domestique privé au domicile de l'employeur, telle que les tâches ménagères, la cuisine, le service de table, le blanchissage, la garde des enfants ou les travaux de jardinage ». Aux termes de l'art. 3 al. 2 ODPr, il convient de distinguer du « domestique privé » le « membre du personnel de service » qui conformément à l’art. 1 let. g de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques et à l'art. l, let. f, de la Convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires, est l'employé de l'Etat accréditant ou de l'Etat d'envoi affecté au service de la mission diplomatique, de la mission permanente ou autre représentation auprès des organisations intergouvernementales, ou d'un poste consulaire, en qualité de membre desdits missions, représentation ou poste consulaire. A l'instar du « domestique privé », il peut être affecté à une tâche domestique, telle que le nettoyage ou l'entretien des locaux de la chancellerie ou à la résidence du chef de mission (arrêt du Tribunal fédéral du 4A_570/2013 consid. 4.2.2). Contrairement au « domestique privé », le « membre du personnel de service » reste dans un tel cas membre du personnel rattaché à la mission diplomatique (cf. la Directive sur l'engagement des domestiques privés par les membres du personnel des missions diplomatiques, des missions permanentes, des postes consulaires et des organisations internationales en Suisse du 1 er mai 2006 sur www.eda.admin.ch). Le « membre du personnel de service » reçoit une carte de légitimation « E » à laquelle se rattache effectivement une immunité de juridiction qui lui est accordée dans l'exercice de ses fonctions (cf. le Manuel pratique d'application du régime des privilèges et immunités et des autres facilités de la Mission permanente de la Suisse auprès de l'Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève sur le site précité).

Enfin, l'art. 5 OLEH inclut au nombre des personnes physiques susceptibles de bénéficier de privilèges et d'immunités au sens de l'art. 2 al. 2 let. c LEH et de l'art. 11 al. 3 let. g OLEH « les membres du personnel local ». Il s'agit de personnes engagées pour accomplir des fonctions officielles au sens de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques, de la Convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires ou de la Convention du 8 décembre 1969 sur les missions spéciales, mais qui ne font pas partie du personnel transférable de l'Etat accréditant ou de l'Etat d'envoi. Les « membres du personnel local » accomplissent généralement des fonctions attribuées au personnel de service selon les conventions précitées, mais peuvent également se voir confier d'autres fonctions prévues par lesdites conventions. A l'instar des conditions de travail des « domestiques privés », celles du personnel local sont également soumises au droit du travail suisse (art. 18 al. 2 OLEH). Le « membre du personnel local » reçoit une carte de légitimation « E », qui lui accorde une immunité de juridiction concernant l'exercice de ses fonctions (cf. Manuel pratique d'application du régime des privilèges et immunité et des autres facilités de la Mission permanente de la Suisse auprès de l'Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève sur le site précité).

5.2 En l'espèce, l'intimé occupait la fonction de cuisinier-maître d’hôtel et cuisinier auxiliaire et travaillait à titre privé pour l'Ambassadeur. Il remplissait ainsi des tâches de type domestique et à l'évidence ne remplissait pas une fonction liée à l'exercice de la puissance publique, ce qu’admet d’ailleurs expressément l’appelante, et qui justifierait en droit international public la reconnaissance à l'appelante, Etat étranger, de l'immunité de juridiction selon l'art. 11 al. 2 let. a CNUIJE (arrêt du Tribunal fédéral 4A_544/2011 du 30 novembre 2011 consid. 2.1 ; ATF 134_111 570 consid. 2.2 ; ATF 120 11 400 consid. 4b; arrêts du Tribunal fédéral 4A_331/2014 du 31 octobre 2014 consid. 3.4; 4C_338/2002 du 17 janvier 2003 consid. 4.2; 4C_73/1996 du 16 mai 1997).

Selon le droit international public rappelé supra, seuls les agents diplomatiques jouissent du statut diplomatique qui leur confère une immunité de juridiction et d'exécution administrative, civile et pénale complète, couvrant non seulement les actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions, mais encore les actes relevant de la sphère privée.

Une personne en charge d'un travail dit subalterne, qu'il soit domestique privé, membre du personnel local, en charge de tâches domestiques ou membre du personnel de service technique et administratif d'une mission permanente, selon les articles 2 al. 2 let. c LEH, en relation avec l'art. 11 al. 3 let. g OLEH, ne jouit pas du statut diplomatique évoqué par l'art. 11 al. 2 let. b/iv CNUIJE, tel que défini par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 (arrêts du Tribunal fédéral 4A_331/2014 du 31 octobre 2014 consid.3.4; 4A_544/2011 du 30 novembre 2011 consid. 2,2).

Le Tribunal fédéral relève en particulier à ce sujet que la personne jouissant de l'immunité diplomatique au sens de l'art. 11 al. 2 let. b/iv CNUIJE est nécessairement une personne s'acquittant de fonctions particulières dans l'exercice de la puissance publique, ce qui exclut les personnes s'occupant uniquement de tâches domestiques. Toujours selon le Tribunal fédéral, admettre l'inverse reviendrait à étendre très fortement l’immunité de juridiction ce qui irait manifestement à l’encontre du principe fixé à l'art. Il al. I CNUIJE et du but inverse poursuivi par les Nations Unies, à savoir, de limiter l'immunité de juridiction en matière de contestations liées à des contrats de travail (arrêt du Tribunal fédéral 4A_544/2011 du 30 novembre 2011 consid. 2.2.2).

C'est en conséquence en vain que l'appelante invoque une violation de l’immunité de juridiction, l’intimé, indépendamment de la qualification de ses fonctions, n'ayant manifestement jamais exercé de tâches relevant de la puissance publique, ni d'un quelconque statut diplomatique, ce qui est admis par les parties.

L'appelante ne dispose pas de l'immunité de juridiction à raison du contrat de travail conclu avec l'intimé, conformément aux dispositions de l'art. 11 al. 1 CNUIJE.

L’appelante ne conteste par ailleurs pas que l’intimé n’aurait pas eu de résidence permanente à Genève au moment du dépôt de sa requête (art. 11 al. 2 let e CNUIJE) et ce, à juste titre, puisque celui-ci a produit devant les premiers juges, une attestation justifiant de son domicile à Genève, laquelle n’a pas été remise en cause par l’appelante. Quoi qu’il en soit, conformément à l'art. 8 CC, il appartenait à l'appelante d’alléguer et de prouver la réalisation des conditions fondant l'immunité de juridiction, y compris une éventuelle absence de résidence au for de l'intimé, ce qu’elle n’a pas fait (cf. HOHL, Procédure civile Tome I, Introduction et théorie générale, p. 340, 2042 et 347, 2085; arrêt du Tribunal fédéral 4A_544/2011 du 30 novembre 2011 consid. 2.3.).

Au surplus, comme le Tribunal fédéral l'a rappelé à plusieurs reprises, la nationalité de l'employé chargé d'un travail subalterne ne suffit pas pour fonder une immunité de juridiction dès lors que cela reviendrait à étendre à l'excès l'immunité de juridiction de l'Etat étranger et à vider de son sens l'art. 11 al. 1 CNUIJE (arrêts du Tribunal fédéral 4A_331/2014 du 31 octobre 2014 consid. 3; 4A_544/2011 du 30 novembre 2011 consid. 2.1).

En toute hypothèse, la CNUIJE, bien que ratifiée par la Suisse, n'est pas encore entrée en vigueur faute de signatures suffisantes (art. 30 CNUIJE). S'il faut s'en inspirer comme expression de la coutume internationale, s'agissant de la définition des limitations aux immunités de juridiction dont peut se prévaloir l'Etat, on ne saurait lui accorder force obligatoire et considérer qu'elle prendrait le pas sur les normes de compétences ordinaires prévues par la loi suisse du for de l'action, que la CUIJE reconnait d'ailleurs, pour autant que l'employé ait bien exécuté le travail fourni au lieu de situation du Tribunal saisi, ou qu'il devait le fournir dans ce lieu, ce qui n'est pas contestable au cas d'espèce. Il convient en outre de rappeler que les articles 28 al. 1 et 41 al. 3 ODPr et 18 al. 2 OLEH prévoient expressément l'application du droit suisse aux différends opposant l'Etat étranger employeur à ses « domestiques privés » ou aux membres de son « personnel local », quels que soient leur nationalité ou le lieu de leur recrutement.

On ne voit pas dans ces conditions qu'il se justifierait de priver l'intimé du droit de saisir le juge suisse selon les règles de compétence internationale du for, nommément l'art. 115 al. 1 LDIP, qui permet alternativement à l'employé de saisir les tribunaux suisses du domicile du défendeur ou du lieu dans lequel il accomplit habituellement son travail, ou encore l'art. 115 al. 3 LDIP, qui prévoit que les tribunaux suisses du lieu dans lequel un travailleur en provenance de l'étranger est détaché, pour une période limitée et pour y exécuter tout ou partie de sa prestation de travail, sont également compétents pour connaître des actions relatives aux conditions de travail et de salaire devant s'appliquer à cette prestation.

En l'espèce, compte tenu des pièces et explications fournies par l'intimé, non valablement contredites par l'appelante, il ne fait aucun doute que celui-ci a effectivement résidé à Genève de 2008 à fin 2016, pour l'exécution de son travail de cuisinier privé de l'Ambassadeur. Par la suite, il a continué à résider à Genève, et y demeurait encore fin 2018 au moment du dépôt de sa requête, selon les pièces qu’il a produites. Il demeure toujours actuellement à Genève, et même s’il n’a pas fourni de justificatif de domicile de l’office cantonal de la population à cet égard et que les pièces qu’il a produites en appel sont irrecevables, le doute qui pourrait subsister sur sa présence effective à Genève n'est pas de nature à remettre en cause l'existence d'un lien suffisant avec la Suisse justifiant la saisine du Tribunal.
Le jugement entrepris doit dès lors être confirmé et l'appelante déboutée de son appel.

7.             La valeur litigieuse dans la présente procédure dépasse le montant de 30'000 fr. L'appelante qui succombe sera condamné aux frais d'appel arrêtés à 2'500 fr. (art. 106 al. 1 CPC ; art. 23 et 36 RTFMC par analogie et par renvoi de l'art. 68 RTFMC ; art. 71 RTFMC) qui seront compensés avec l'avance de frais déjà opérée, acquise à l'Etat (art. 111 al. 1 CPC). Il n’est pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 5 :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé par LA REPUBLIQUE A______ le 29 septembre 2021 contre le jugement JTPH/317/2021 rendu le 27 août 2021 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/2140/2018-5.

Au fond :

Le rejette.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires à 2'500 fr.

Les met à la charge de la REPUBLIQUE A______ et les compense avec l'avance de frais versée, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Dit qu’il n’est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente, Madame Anne-Christine GERMANIER, juge employeur; Madame Shirin HATAM, juge salarié; Madame Chloé RAMAT, greffière.

 

 


 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile. Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.