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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/22520/2021

ACJC/869/2022 du 27.06.2022 sur JTBL/1098/2021 ( SBL ) , RENVOYE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/22520/2021 ACJC/869/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 27 JUIN 2022

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, recourante contre un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 23 décembre 2021, comparant par Me Nils DE DARDEL, avocat, boulevard Georges-Favon 13, 1204 Genève, en l’Étude duquel elle fait élection de domicile,

 

et

B______ SA, sise ______, intimée, comparant par Me Serge PATEK, avocat, boulevard Helvétique 6, case postale, 1211 Genève 12, en l’Étude duquel elle fait élection de domicile.

 

 

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/1098/2021 du 23 décembre 2021, reçu par les parties le 1er février 2022, le Tribunal des baux et loyers a autorisé B______ SA à faire exécuter par la force publique le procès-verbal du 23 mai 2018 valant jugement d’évacuation dans la cause C/1______/2017 dès l’entrée en force du jugement (ch. 1 du dispositif), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et a dit que la procédure était gratuite (ch. 3).

B. a. Par acte expédié le 9 février 2022 à la Cour de justice, A______ forme recours contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation. Elle conclut, cela fait, préalablement, à la restitution de l’effet suspensif et à la jonction de la procédure C/2______/2021 (procédure de révision du procès-verbal précité) à la présente procédure, puis, principalement, à ce que la Cour prononce la suspension du caractère exécutoire du procès-verbal du 23 mai 2018 précité jusqu’à droit jugé au fond sur la demande de révision.

b. Dans sa réponse du 21 février 2022, B______ SA conclut à la confirmation du jugement entrepris et au rejet de l’effet suspensif.

c. Par arrêt du 2 mars 2022, l’effet suspensif a été octroyé.

d. A______ n’a pas fait usage de son droit de réplique.

e. Les parties ont été avisées le 22 mars 2022 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Le 12 mai 1998, A______, locataire, et B______ SA, bailleresse, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un atelier de peinture au 2e étage de l'immeuble sis avenue 3______, à Genève, pour un loyer annuel de 4'200 fr., charges comprises.

b. Les sociétés B______ SA et C______ Sàrl occupaient alors le rez-de-chaussée de l'immeuble pour des machines d'impression ainsi qu’une cafétéria dévolue au personnel de l’entreprise. Les sociétés précitées occupaient également une surface au 1er étage de l’immeuble concerné.

c. Le 4 octobre 2017, B______ SA a résilié le bail de A______ pour le 31 mai 2018. Elle a motivé son congé par sa volonté de mettre lesdits locaux à disposition de B______ SA et de C______ Sàrl, qui étaient toutes deux confrontées à des impératifs d'ordre économique.

d. A______ a contesté le congé le 2 novembre 2017 auprès de la Commission de conciliation en matière de baux et loyers. Non conciliée, l’affaire a été portée par devant le Tribunal des baux et loyers le 9 février 2018 (procédure C/1______/2017).

e. Lors de l’audience du 23 mai 2018, les parties – assistées chacune d’un avocat – ont conclu l’accord transactionnel suivant : « A______ s’engage à libérer de sa personne et de ses biens le local au 2ème étage de l’immeuble sis avenue 3______ à Genève, d’ici le 31 octobre 2021. Le présent accord vaut jugement d’évacuation dès le 1er novembre 2021. La locataire est autorisée à quitter les locaux en tout temps moyennant un préavis écrit d’un mois, pour la fin d’un mois. Le procès-verbal vaut décision entrée en force au sens de l’article 241 CPC, le Tribunal condamnant les parties à le respecter cas échéant ».

f. Le 18 octobre 2021, A______, par l’intermédiaire de son avocat, a déclaré invalider l’accord pris lors de l’audience du 23 mai 2018, alléguant avoir été victime d’un dol, respectivement d’une erreur essentielle lors de ladite audience. Elle a allégué avoir découvert, à son retour de vacances le 4 août 2021, que le rez-de-chaussée de l'immeuble était en travaux. Les personnes présentes lui avaient expliqué avoir loué le rez-de-chaussée pour y installer une crèche, les sociétés du groupe B______/C______ n'étaient plus présentes dans l'immeuble.

g. Le même jour, A______ a déposé auprès du Tribunal des baux et loyers une demande de révision, assortie de mesures provisionnelles (procédure C/2______/2021). Elle a conclu à l’annulation de l’accord pris lors de l’audience du 23 mai 2018 et, cela fait, à ce que le congé soit invalidé, subsidiairement à ce que le bail soit prolongé de six ans, soit jusqu'au 31 mai 2024. A l’appui de sa demande, elle allègue avoir été trompée ou, à tout le moins, s'être trouvée dans l'erreur au moment de l'audience, lorsqu'elle avait accepté le congé. Sur mesures provisionnelles, elle a conclu à ce que le Tribunal suspende le caractère exécutoire de la transaction judiciaire litigieuse prise lors de cette audience.

h. Par jugement du 21 décembre 2021, rendu dans la procédure C/2______/2021, le Tribunal a rejeté la requête de mesures provisionnelles.

i. A______ a formé appel contre ce jugement le 23 décembre 2021, sollicitant préalablement l’effet suspensif à l’appel, puis, principalement, sur mesures provisionnelles, la suspension du caractère exécutoire du procès-verbal du 23 mai 2018 du Tribunal de baux et loyers jusqu’à droit jugé au fond sur la demande de révision.

j. Par arrêt du 13 janvier 2022 (procédure C/2______/2021), la requête d’effet suspensif a été rejetée.

k. Parallèlement à la procédure de révision, B______ SA a déposé une requête en exécution indirecte devant le Tribunal le 19 novembre 2021, sollicitant qu’il lui soit donné le droit d’utiliser la force publique pour procéder à l’exécution du procès-verbal litigieux du 23 mai 2018, soit l’évacuation de A______ des locaux.

l. Lors de l’audience du 23 décembre 2021 devant le Tribunal, A______ a conclu au rejet de la requête en exécution, au motif qu’une demande de révision du procès-verbal litigieux avait été déposée le 18 octobre 2021, avec l’octroi de mesures provisionnelles visant à suspendre le caractère exécutoire dudit procès-verbal, et qu’une procédure d’appel était pendante sur cette question.

m. Par jugement du « 23 décembre 2021 », le Tribunal a autorisé B______ SA à faire exécuter par la force publique le procès-verbal litigieux et l’évacuation de A______. Dans ses considérants, le jugement retient en particulier que la Cour de justice a, par arrêt du 13 janvier 2022, refusé d’accorder l’effet suspensif à l’appel formé par A______ le 23 décembre 2021, dans la procédure en révision (C/2______/2021).

EN DROIT

1. 1.1 La voie du recours est ouverte contre les décisions du Tribunal de l'exécution (art. 309 let. a et 319 let. a CPC). Les conclusions, allégations de faits et preuves nouvelles sont irrecevables dans le cadre d'un recours (art. 326 al. 1 CPC).

1.2 La conclusion de la recourante visant à la jonction des causes C/2______/2021 et C/25520/2021 est nouvelle et, partant, irrecevable.

1.3 Le recours a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 321 al. 2 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 Le recours peut être formé pour violation du droit (art. 320 let. a CPC) et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 let. b CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait (ACJC/1136/2021 du 13 septembre 2021 consid. 1.3).

2.             Dans un premier grief d’ordre formel qu’il convient d’examiner en premier lieu, la recourante se plaint d’une composition irrégulière du Tribunal, en violation de l’art. 30 al. 1 Cst.

Relevant l’anachronisme présent dans le jugement qui, bien que rendu le « 23 décembre 2021 », mentionne, dans sa motivation, l’arrêt rendu le 13 janvier 2022 par la Cour de justice rejetant la requête d’effet suspensif dans la procédure C/2______/2021, la recourante allègue que le dispositif du jugement querellé n’avait pas été décidé dans la composition de trois juges mais uniquement par la présidente du Tribunal, en violation de l’art. 34 LOJ/Ge.

Son droit d’être entendue aurait également été violé, faute d’avoir pu se déterminer sur les conséquences de l’arrêt précité dans la présente procédure.

2.1. 2.1.1 Selon l'art. 30 al. 1 Cst. et l'art. 6 par. 1 CEDH, toute personne dont la cause doit être jugée dans une procédure judiciaire a droit à ce que sa cause soit portée devant un tribunal établi par la loi, compétent, indépendant et impartial. Cette réglementation vise à éviter que des tribunaux ne soient constitués spécialement pour le jugement d'une affaire et à empêcher que les juges choisis pour statuer dans une affaire déterminée ne le soient de façon à influencer le jugement. Un tribunal dont la composition n'est pas justifiée par des motifs objectifs viole le droit à la garantie constitutionnelle du juge indépendant et impartial. Les parties à la procédure ont droit à ce que l'autorité judiciaire soit composée régulièrement (ATF 137 I 340 consid. 2.2.1).

La composition et la formation des tribunaux civils appelés à statuer relèvent de l'organisation judiciaire cantonale (art. 3 CPC). Le tribunal est ainsi valablement constitué lorsqu'il siège dans une composition qui correspond à ce que le droit cantonal prévoit. Le droit des parties à une composition régulière du tribunal impose des exigences minimales au droit d'organisation judiciaire cantonal, de façon à éviter les tribunaux d'exception et la mise en œuvre de juges ad hoc ou ad personam (ATF 129 V 335 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 9C_731/2007 du 20 août 2008 consid. 2.2.1).

En cas de changement de composition, le tribunal doit en informer les parties. Le droit à une composition régulière du tribunal doit être examiné de la même façon que le droit à un tribunal indépendant (ATF 142 I 93 consid. 8.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_430/2016 du 7 février 2017 consid. 2).

2.1.2 A teneur de l’art. 88 LOJ/GE [RS GE E 2 05], Le Tribunal des baux et loyers siège dans la composition d’un juge, qui le préside, d’un juge assesseur représentant les groupements de locataires et d’un juge assesseur représentant les bailleurs.

Les tribunaux composés collégialement statuent à la majorité simple (art. 34 al. 1 LOJ/GE).

2.1.3 Compris comme l'un des aspects de la notion générale de procès équitable au sens de l'art. 29 Cst., le droit d'être entendu garantit notamment le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, dans la mesure où il l'estime nécessaire, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu'elle soit ou non concrètement susceptible d'influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1).

Il appartient aux parties, et non au juge, de décider si une prise de position ou une pièce nouvellement versée au dossier contient des éléments déterminants qui appellent des observations de leur part. Toute prise de position ou pièce nouvelle versée au dossier doit dès lors être communiquée aux parties pour leur permettre de décider si elles veulent ou non faire usage de leur faculté de se déterminer (ATF 139 I 189 consid. 3.2).

2.1.4 Le droit d'être entendu est une garantie de nature formelle, dont la violation entraîne en principe l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 144 I 11 consid. 5.3; 143 IV 380 consid. 1.4.1). Sa violation peut cependant être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un pouvoir d'examen complet en fait et en droit (ATF 145 I 167 consid. 4.4; 142 II 218 consid. 2.8.1).

2.2 S’agissant de la composition régulière du Tribunal, il ressort du dossier que celui-ci a délibéré dans la composition de trois juges le 23 décembre 2021, de sorte que le grief relatif à une composition irrégulière est infondé.

2.3 Il ressort toutefois de la délibération que les premiers juges ont convenu d’attendre la décision de la Cour de justice relative à la procédure de révision (C/2______/2021), en particulier sur la question de l’effet suspensif à l’appel interjeté le 23 décembre 2021 par la recourante, pour trancher définitivement le cas. Après avoir eu connaissance de l’arrêt rendu le 13 janvier 2022 dans ladite procédure, les premiers juges ont rendu le jugement litigieux.

Ce faisant, les premiers juges se sont basés sur une pièce nouvelle, à savoir l’arrêt précité, pour fonder leur décision. Ils n’ont toutefois donné à aucune des parties la faculté de se déterminer à ce propos. Une telle manière de procéder n’est pas conforme au droit d’être entendu des parties et à un procès équitable. En effet, il n’est pas admissible que le Tribunal complète d’office l’instruction de la cause après les délibérations par l’ajout de nouvelles pièces ou de nouveaux faits pour fonder sa décision, ceci sans en informer les parties et leur donner l’occasion de se déterminer à ce propos.

La question de savoir si ce nouvel élément a été ou non décisif dans la solution choisie par le Tribunal est sans importance à ce propos.

Le grief de la recourante sur la violation de son droit d’être entendue est dès lors fondé.

2.4 Au regard de la nature de la violation et l’absence de pouvoir de cognition complet de la Cour dans le cadre d’un recours, il se justifie d’annuler le jugement querellé et de renvoyer la cause aux premiers juges (art. 327 al. 1 let. a CPC), afin que les parties puissent se déterminer sur l’apport de l’arrêt rendu le 13 janvier 2022 dans la procédure.

2.5 Au regard de ce qui précède, il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs soulevés par la recourante.

3.             A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 9 février 2022 par A______ contre le jugement rendu le 23 décembre 2021 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/22520/2021.

Au fond :

Annule ce jugement.

Renvoie la cause au Tribunal des baux et loyers pour instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRYBARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Grégoire CHAMBAZ et Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.