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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/795/2022

ACJC/785/2022 du 13.06.2022 sur JTBL/164/2022 ( SBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/795/2022 ACJC/785/22

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

du LUNDI 13 JUIN 2022

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, recourante contre un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 3 mars 2022, représentée par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6, en les bureaux de laquelle elle fait élection de domicile,

et

SOCIETE IMMOBILIERE B______ SA, sise c/o C______, Agence Immobilière, ______, intimée, comparant par Me Gabriel RAGGENBASS, avocat, OA Legal SA, place de Longemalle 1, 1204 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/164/2022 du 3 mars 2022, reçu par A______ le 8 mars suivant, le Tribunal des baux et loyers, statuant par voie de procédure sommaire, a condamné la précitée à évacuer immédiatement de sa personne, de ses biens, ainsi que de toute autre personne faisant ménage commun avec elle, l'appartement de 3,5 pièces situé au 1er étage de l'immeuble sis 1______ à E______ [GE] (ch. 1 du dispositif), a autorisé SOCIETE IMMOBILIERE B______ SA à requérir l'évacuation par la force publique de la précitée dès le 1er juin 2022 (ch. 2), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et a dit que la procédure était gratuite (ch. 4).

En substance, les premiers juges ont considéré que le congé ordinaire notifié à A______ n'avait pas été contesté, de sorte qu'elle ne disposait plus d'aucun titre juridique l'autorisant à rester dans l'appartement. Il se justifiait ainsi de prononcer son évacuation. S'agissant de la durée du sursis, le Tribunal a retenu qu'il n'existait pas de retard dans le paiement des indemnités, malgré la situation financière difficile de la précitée, laquelle vivait dans le logement avec deux de ses enfants. Elle avait par ailleurs procédé à des recherches de solution de relogement. Un délai de près de 90 jours était adéquat et devait permettre à A______ de trouver un nouvel appartement.

B. a. Par acte déposé le 18 mars 2022 à la Cour de justice, A______ a formé recours contre le chiffre 2 du dispositif du jugement précité. Elle a conclu à ce que la Cour lui accorde un sursis jusqu'au 31 janvier 2023. Elle s'est plainte d'une violation du principe de proportionnalité, soulignant que les troubles causés au voisinage "devra[ient] disparaître, puisque son fils de 17 ans a[vait] été placé par le TPAE", de sorte qu'elle demeurerait seule dans le logement avec son fils âgé de 15 ans.

b. La requête de suspension du caractère exécutoire des mesures d'exécution a été rejetée par décision présidentielle du 25 mars 2022 (ACJC/422/2022).

c. Dans sa réponse du 1er avril 2022, SOCIETE IMMOBILIERE B______ SA a conclu au rejet du recours.

d. A______ n'ayant pas fait usage de son droit de détermination spontanée, les parties ont été avisées par plis du greffe du 29 avril 2022 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Le 15 novembre 2006, SOCIETE IMMOBILIERE B______ SA a conclu avec D______ un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement de 3,5 pièces situé au 1er étage de l'immeuble sis 1______, à E______.

Le loyer, charges comprises, a été fixé en dernier lieu à 17'760 fr. par année.

b. Par avenant du 15 novembre 2016, A______ est devenue colocataire de l'appartement aux côtés de son époux.

c. D______ a quitté le logement au mois de mars 2020.

d. Par avis officiels adressés aux deux époux le 21 décembre 2020, SOCIETE IMMOBILIERE B______ SA a résilié le bail pour le 30 novembre 2021.

Ce congé n'a pas été contesté par devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers.

e. Par requête adressée au Tribunal le 19 janvier 2022, SOCIETE IMMOBILIERE B______ SA a conclu à l'évacuation de A______, avec exécution directe du jugement d'évacuation.

f. Lors de l'audience du Tribunal du 3 mars 2022, SOCIETE IMMOBILIERE B______ SA a persisté dans ses conclusions. Le bail avait été résilié pour troubles du voisinage. Il a déclaré que les plaintes continuaient, pièces à l'appui, et que la situation empirait. Les indemnités courantes étaient payées et la situation comptable était à jour. SOCIETE IMMOBILIERE B______ SA s'opposait à tout sursis dans la mesures où les habitants de l'immeuble étaient excédés.

A______ a déclaré ne pas avoir contesté la résiliation ordinaire car elle l'avait confondue avec une résiliation pour défaut de paiement qui avait été retirée. Elle vivait avec ses deux enfants âgés de 15 et 17 ans. Elle admettait avoir des problèmes avec son aîné. Une procédure était actuellement en cours en vue de le placer à l'extérieur pendant la semaine. Elle était dans une situation financière délicate et poursuivait une formation auprès de la maison de retraite F______ jusqu'à fin juin 2022. Elle ne savait pas si elle pourrait trouver un emploi fixe par la suite. Elle rencontrait d'importantes difficultés à faire renouveler son permis B. Différentes demandes de logement avaient été déposées. Elle a conclu à l'octroi d'un sursis humanitaire de douze mois.

A______ a produit des pièces.

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre des baux et loyers connaît des appels et des recours dirigés contre les jugements du Tribunal des baux et loyers (art. 122 let. a LOJ).

1.2 Seule la voie du recours est ouverte contre les décisions du Tribunal de l'exécution (art. 309 let. a et 319 let. a CPC).

En l'espèce, la recourante a contesté les mesures d'exécution prononcées par les premiers juges, de sorte que la voie du recours est ouverte. Le recours est recevable, pour avoir été interjeté dans le délai de dix jours (art. 321 al. 2 CPC) et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 321 al. 1 CPC).

1.3 Le recours peut être formé pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

1.4 La procédure de protection dans les cas clairs est soumise à la procédure sommaire des art. 248 ss CPC, plus particulièrement aux art. 252 à 256 CPC. La maxime des débats est applicable (art. 55 al. 1 CPC), sauf dans les deux cas prévus par l'art. 255 CPC (lequel est réservé par l'art. 55 al. 2 CPC), qui ne sont pas pertinents en l'espèce.

2. La recourante reproche au Tribunal d'avoir mésusé de son pouvoir d'appréciation et d'avoir enfreint le principe de proportionnalité en lui accordant un sursis de près de 90 jours, qu'elle estime insuffisant.

2.1 L'exécution forcée d'un jugement ordonnant l'expulsion d'un locataire est réglée par le droit fédéral (cf. art. 335 et ss CPC).

En procédant à l'exécution forcée d'une décision judiciaire, l'autorité doit tenir compte du principe de la proportionnalité. Lorsque l'évacuation d'une habitation est en jeu, il s'agit d'éviter que des personnes concernées ne soient soudainement privées de tout abri. L'expulsion ne saurait être conduite sans ménagement, notamment si des motifs humanitaires exigent un sursis, ou lorsque des indices sérieux et concrets font prévoir que l'occupant se soumettra spontanément au jugement d'évacuation dans un délai raisonnable. En tout état de cause, l'ajournement ne peut être que relativement bref et ne doit pas équivaloir en fait à une nouvelle prolongation de bail (ATF 117 Ia 336 consid. 2b; arrêts du Tribunal fédéral 4A_232/2018 du 23 mai 2018 consid. 7; 4A_207/2014 du 19 mai 2014 consid. 3.1).

L'art. 30 al. 4 LaCC concrétise le principe de la proportionnalité en prévoyant que le Tribunal peut, pour des motifs humanitaires, surseoir à l'exécution du jugement d'évacuation dans la mesure nécessaire pour permettre le relogement du locataire ou du fermier lorsqu'il est appelé à statuer sur l'exécution d'un jugement d'évacuation d'un logement, après audition des représentants du département chargé du logement et des représentants des services sociaux ainsi que des parties.

S'agissant des motifs de sursis, différents de cas en cas, ils doivent être dictés par des "raisons élémentaires d'humanité". Sont notamment des motifs de ce genre la maladie grave ou le décès de l'expulsé ou d'un membre de sa famille, le grand âge ou la situation modeste de l'expulsé. En revanche, la pénurie de logements ou le fait que l'expulsé entretient de bons rapports avec ses voisins ne sont pas des motifs d'octroi d'un sursis (ACJC/269/2019 du 25 février 2019 consid. 3.1; ACJC/247/2017 du 6 mars 2017 consid. 2.1; ACJC/422/2014 du 7 avril 2014 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral du 20 septembre 1990, in Droit du bail 3/1991 p. 30 et les références citées).

Dans sa jurisprudence, la Cour a notamment confirmé, par arrêt ACJC/78/2017 du 23 janvier 2017, l'évacuation par la force publique, dès le nonantième jour suivant l'entrée en force du jugement, d'une locataire mère de deux enfants mineurs dont l'arriéré de loyer s'élevait à plus de 36'000 fr. Dans un autre arrêt ACJC/57/2017 du 16 janvier 2017, l'évacuation par la force publique dès le nonantième jour après l'entrée en force du jugement a également été maintenue, concernant une personne sans emploi, dont l'arriéré s'élevait à 13'400 fr.

En revanche, la Cour a confirmé l'évacuation par la force publique dans un délai de trois mois d'un locataire sans emploi, faisant l'objet de nombreuses poursuites et qui occupait l'appartement litigieux depuis douze ans. La Cour a considéré que le délai de trois mois était adéquat, compte tenu des nombreuses démarches effectuées afin de trouver un logement, dont l'inscription auprès de la Gérance immobilière municipale de la Ville de Genève et des Fondations immobilières de droit public plus d'un an avant la résiliation du bail (ACJC/224/2015 du 2 mars 2015 consid. 3.2).

2.2 Dans le présent cas, le Tribunal a accordé à la recourante un sursis au 31 mai 2022, soit d'un peu moins de trois mois.

Comme l'ont retenu à bon droit les premiers juges, la situation financière de la recourante est fragile, elle vit dans le logement avec ses deux enfants, âgés de respectivement 17 ans et 15 ans et a effectué plusieurs demandes de logement.

Cela étant, la recourante a bénéficié, de fait, depuis la résiliation ordinaire du bail notifiée le 21 décembre 2020 pour le 30 novembre 2021, de plus de cinq mois d'occupation de l'appartement. Elle ne peut obtenir un délai qui reviendrait à lui octroyer une prolongation de bail, à laquelle elle ne peut prétendre dès lors qu'elle n'a pas contesté le congé.

Par ailleurs, la recourante n'a pas contesté que les autres habitants de l'immeuble continuent de se plaindre de nuisances provenant de son logement.

Par conséquent, le sursis de près de trois mois accordé à la recourante constitue un délai équitable au sens des principes sus-rappelés et est conforme au principe de proportionnalité.

2.3 Infondé, le recours sera rejeté.

3. A teneur de l'article 22 alinéa 1 LaCC, la procédure est gratuite (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 18 mars 2022 par A______ contre le chiffre 2 du dispositif du jugement JTBL/164/2022 rendu le 3 mars 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/795/2022-7-SD.

Au fond :

Le rejette.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Zoé SEILER, Monsieur Nicolas DAUDIN, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.