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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/18184/2017

ACJC/638/2022 du 16.05.2022 sur JTBL/536/2021 ( OBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18184/2017 ACJC/638/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 16 MAI 2022

 

Entre

A______ AG, sise ______ [ZH], appelante et intimée sur appel joint d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 16 juin 2021, comparant par
Me Peter REETZ, avocat, Obere Wiltisgasse 52, case postale 441, 8700 Küsnacht (ZH), en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______ LIMITED, succursale de C______, ______ (GE), intimée et appelante sur appel joint, comparant par Me Karin GROBET THORENS, avocate, rue Verdaine 13, case postale, 1211 Genève 3, en l'étude de laquelle elle fait élection de domicile.

 

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTBL/536/2021 du 16 juin 2021, notifié à B______ LTD le 17 juin 2021 et à A______ AG le lendemain, le Tribunal des baux et loyers a condamné A______ AG à verser à B______ LTD la somme de 136'325 fr. 45 avec intérêts à 5% dès le 21 février 2016 (ch. 1 du dispositif), condamné A______ AG à verser à B______ LTD la somme de 126'062 fr. 55 avec intérêts à 5% dès le 17 janvier 2017 (ch. 2), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et dit que la procédure était gratuite (ch. 4).

B.            a. Par acte expédié au greffe de la Cour de justice le 19 août 2021, A______ AG appelle de ce jugement, dont elle sollicite l'annulation.

Principalement, elle conclut à ce que B______ LTD soit condamnée à lui verser la somme de 556'085 fr. avec intérêts à 5% :

-          sur 145'339 fr. 70 du 22 mars 2012 au 19 février 2016,

-          sur 194'653 fr. 95 du 10 juin 2012 au 19 février 2016,

-          sur 201'196 fr. 05 du 22 août 2012 au 19 février 2016,

-          sur 26'811 fr. 75 du 20 décembre 2012 au 19 février 2016,

-          sur 155'473 fr. 30 du 20 décembre 2012 au 19 février 2016,

-          sur 94'998 fr. 25 du 3 juillet 2015 au 19 février 2016,

-          sur 682'147 fr. 55 du 20 février 2016 au 15 février 2017 et

-          sur 556'085 fr. à compter du 16 février 2017.

Elle conclut également au prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer dans la poursuite no 1______, ainsi qu'à la validation à due concurrence du séquestre ordonné le 28 mars 2018 dans la cause C/2______/2018.

b. Dans sa réponse, B______ LTD conclut au rejet de l'appel.

Simultanément, elle forme un appel joint tendant principalement à l'annulation du jugement entrepris et à ce que A______ AG soit condamnée à lui payer les sommes de :

-            486'600 fr. avec intérêts à 5% dès le 21 février 2012 à titre de remboursement des acomptes pour frais accessoires pour la période du 1er juillet 2008 au 30 juin 2009;

-            486'600 fr. avec intérêts à 5% dès le 11 mai 2012 à titre de remboursement des acomptes pour frais accessoires pour la période du 1er juillet 2009 au 30 juin 2010;

-            624'600 fr. avec intérêts à 5% dès le 23 juillet 2012 à titre de remboursement des acomptes pour frais accessoires pour la période du 1er juillet 2010 au 30 juin 2011;

-            624'600 fr. avec intérêts à 5% dès le 20 novembre 2012 à titre de remboursement des acomptes pour frais accessoires pour la période du 1er juillet 2011 au 30 juin 2012;

-            624'600 fr. avec intérêts à 5% dès le 3 juin 2015, à titre de remboursement des acomptes pour frais accessoires pour la période du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013;

-            624'600 fr. avec intérêts à 5% dès le 30 juin 2014 à titre de remboursement des acomptes pour frais accessoires pour la période du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014;

-            624'600 fr. avec intérêts à 5% dès le 30 juin 2015 à titre de remboursement des acomptes pour frais accessoires pour la période du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015.

Elle conclut également au prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer dans la poursuite no 3______.

c. A______ AG a conclu au déboutement de B______ LTD de toutes ses conclusions sur appel joint, dans la mesure de leur recevabilité.

d. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions sur appel principal et sur appel joint.

e. Elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger par plis du greffe du 21 décembre 2021.

C.           Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. A______ AG, anciennement D______ SA (ci-après : A______ ou la bailleresse) est propriétaire de l'immeuble sis 4______ à Genève.

B______ LTD (ci-après : B______ ou la locataire) est une société active dans l'extraction de pétrole et de gaz, dont le siège se situe sur l'Ile de Man. Elle possède une succursale à Genève.

b. Par contrat du 4 mai 2000, B______ a pris à bail des locaux commerciaux d'une surface de 1'400 m2 au quatrième étage de l'immeuble appartenant à A______.

Le loyer a été fixé à 588'000 fr. par année, les acomptes de frais de chauffage à 70'008 fr. par année et les acomptes de frais d'exploitation à 63'000 fr. par année.

b.a L'article 5 de l'annexe au contrat précisait que le loyer net ne comprenait pas les frais annexes suivants, qui devaient être réglés séparément sur la base d'un décompte annuel :

-       Chauffage/eau chaude/frais de climatisation selon clé de répartition séparée.

-       Frais d'exploitation suivants selon clé de répartition séparée :

Conciergerie, y compris le déblaiement de la neige, le jardinage, le matériel de nettoyage, le remplacement des ampoules électriques dans les zones communes et les menues dépenses de conciergerie

Electricité générale

Amenées et évacuations d'eau, taxes de raccordement comprises

Elimination des déchets ménagers, biologiques et de jardin

Contrat de maintenance des installations d'ascenseurs

Contrat de maintenance des installations de ventilations

Contrat de maintenance pour le rinçage périodique des canalisations

Contrat de maintenance pour les installations d'alarme incendie, les gicleurs anti-incendie et les extincteurs

Taxes radio et câble TV

Nettoyage de base des bureaux

Consommation électrique des bureaux

Honoraires administratifs de 3.5%.

b.b Le contrat renvoyait en annexe aux conditions générales pour les locaux commerciaux, édition 1996.

Celles-ci prévoyaient notamment que la répartition des frais de chauffage, d'eau chaude et de climatisation s'effectuait selon la clé de répartition fixée par la bailleresse proportionnellement aux volumes chauffés ou aux surfaces chauffées, ou selon toute autre norme technique reconnue (art. 12).

Le locataire devait être informé de la part des frais lui incombant au plus tard dans les quatre mois suivant la date de bouclement des comptes annuels, par un décompte mentionnant le montant total des frais de chauffage, de climatisation et/ou d'eau chaude, ses quotes-parts et le montant des acomptes versés. Le bailleur devait permettre au locataire ou à son mandataire dûment autorisé d'examiner librement, au domicile de la régie ou du bailleur, toutes les pièces justificatives originales des dépenses portées en compte et de recevoir verbalement ou par écrit les dépenses utiles (art. 15).

En dérogation à l'article 8 des conditions générales, le contrat prévoyait que les comptes couvraient la période allant du 1er juillet au 30 juin de chaque année.

b.c Un avis de majoration a été notifié à la locataire le 6 novembre 2006, portant le loyer annuel à 973'656 fr. dès le 1er juillet 2007, l'acompte pour chauffage et eau chaude à 36'000 fr. et l'acompte pour les autres frais accessoires à 219'600 fr.

Un deuxième avis de majoration a été notifié le 5 novembre 2008, portant le loyer annuel à 1'006'194 fr. dès le 1er janvier 2009. Les acomptes pour charges sont demeurés inchangés.

c. A quatre reprises, B______ a pris à bail des locaux supplémentaires dans l'immeuble de A______, soit par contrats des 18 janvier 2006, 30 juin 2006, 24 avril 2008 et 10 mars 2010.

c.a Le total des surfaces louées s'élevait en dernier lieu à 5'373 m2 (plus 320 m2 de dépôt et quatorze places de parking en sous-sol) et le total des loyers annuels à 3'100'000 fr. environ. Le total des acomptes pour chauffage, eau chaude et frais accessoires s'élevait quant à lui à 723'720 fr. par an.

c.b Les contrats relatifs aux locaux supplémentaires précisaient que l'expression « charges » englobait les frais de chauffage, d'eau chaude et d'exploitation. Le décompte des frais de chauffage et d'exploitation devait être établi une fois par an, le jour de référence étant le 30 juin. Les frais de chauffage et d'eau chaude comprenaient tous les genres de frais cités à l'article 5 OBLF, ainsi que ceux liés à l'installation de climatisation et la facturation des honoraires de gestion selon les tarifs de la société des Régisseurs genevois.

c.c Le contrat du 18 janvier 2006 indiquait que les frais d'exploitation comprenaient les genres de frais suivants :

o   Conciergerie, TVA et prestations sociales incluses, ainsi que remplacement des vacances, location du local de conciergerie, faux frais

o   Location et entretien de machines de conciergerie

o   Nettoyage des locaux et surfaces d'accès commun, matériel de nettoyage et remplacement des ampoules électriques compris

o   Nettoyage périodique des containers

o   Nettoyage, total ou partiel, des façades vitrées et métalliques

o   Courant électrique commun, eau/eaux usées/égouts/ordures taxes de base comprises

o   Courant électrique des surfaces louées

o   Frais de récupération du papier et des néons

o   Entretien du jardin, enlèvement des déchets verts, déblais

o   Neige et déglaçage, sel compris

o   Redevances du câble radio et TV

o   Abonnements d'entretien d'installations : ascenseur, y compris l'exploitation du téléphone de cabine, ventilation / évacuation d'air et refroidissement / climatisation y compris nettoyage périodique de la tuyauterie de répartition, escaliers roulant, pont élévateurs, rampes d'accès, portes, alarmes, détecteurs d'incendie, systèmes Sprinkler, extincteurs, pompes

o   Sel, filtres et entretien d'appareils de préparation de l'eau

o   Vidange préventive des égouts et des conduites d'arrivée et d'évacuation

o   Coût des services de surveillance

o   Coût des prestations de Facility Management

o   Décompte des honoraires de gestion de 3.5% + TVA.

Le contrat du 30 juin 2006 contenait une liste identique, à l'exception du poste "courant électrique des surfaces louées", qui était omis, et du décompte des honoraires de gestion, dont le taux n'était pas précisé. Les contrats des 24 avril 2008 et 10 mars 2010 ajoutaient à la liste du contrat du 30 juin 2006 un poste "Frais de récupération du papier et des néons" et indiquaient que le taux des honoraires de gestion était "actuellement fixé à 4%".

c.d Les contrats relatifs aux locaux supplémentaires énonçaient que le décompte des frais de chauffage, eau chaude et d'exploitation était considéré comme accepté si, dans les trente jours dès sa réception, le locataire n'y avait pas fait opposition par écrit au bailleur ou à son représentant. Le locataire avait le droit de consulter, ou de faire consulter par son représentant ayant procuration, le décompte détaillé et les originaux des justificatifs en mains du bailleur ou de son représentant. Les versements complémentaires et les remboursements devaient être réglés dans les trente jours dès la réception du décompte.

d. A compter de l'année 2008, la bailleresse a accusé du retard dans l'établissement des décomptes de frais accessoires.

Des représentants de la locataire se sont rendus auprès de la bailleresse en 2010 et 2011 pour avoir des informations sur les décomptes en cours d'établissement.

e. Dans le courant de l'année 2012, la bailleresse a fait parvenir à la locataire plusieurs décomptes de frais de chauffage/accessoires:

-       Le 21 février 2012, elle a notifié le décompte pour la période du 1er juillet 2008 au 30 juin 2009, indiquant que la locataire restait devoir la somme de 145'339 fr. 70 pour la totalité des surfaces louées, déduction faite des acomptes déjà versés.

-       Le 11 mai 2012, elle a notifié le décompte pour la période du 1er juillet 2009 au 30 juin 2010, indiquant que la locataire restait devoir la somme de 194'653 fr. 95 pour la totalité des surfaces louées, déduction faite des acomptes déjà versés.

-       Le 23 juillet 2012, elle a notifié le décompte pour la période du 1er juillet 2010 au 30 juin 2011, indiquant que la locataire restait devoir la somme de 201'196 fr. 05 pour la totalité des surfaces louées, déduction faite des acomptes déjà versés.

-       Le 20 novembre 2012, elle a notifié deux décomptes pour la période du 1er juillet 2011 au 30 juin 2012, indiquant que la locataire restait devoir les sommes de 155'473 fr. 30 et de 26'811 fr. 75 pour la totalité des surfaces louées, déduction faite des acomptes déjà versés.

f. Le 25 juillet 2013, B______ a averti la bailleresse qu'elle n'exerçait pas son droit d'option pour renouveler l'ensemble des baux, ces derniers prenant ainsi fin au 31 mai 2015, les échéances ayant été harmonisées. Elle précisait que les modalités et prétentions relatives aux baux seraient discutées en temps voulu.

g. Le 16 juin 2014, la bailleresse a mis B______ en demeure de s'acquitter d'un montant de 723'475 fr. 45, représentant les soldes des décomptes de charges, avant le 30 juin 2014.

Par courrier de son conseil du 15 juillet 2014, la bailleresse a réitéré sa mise en demeure et enjoint B______ de s'acquitter d'un montant de 793'148 fr. 75, représentant le solde des décomptes avec intérêts, avant le 15 août 2014.

h. Le 26 septembre 2014, le conseil de la locataire s'est rendue dans les locaux de la bailleresse pour consulter les pièces justificatives relatives aux décomptes de charges.

Le 28 novembre 2014, B______ a informé la bailleresse que les décomptes avaient été établis de manière globale, alors que les baux ne prévoyaient pas de liste uniformisée des frais accessoires. Plusieurs pièces comptables étaient selon elle manquantes. Certaines factures avaient été intégrées dans le décompte alors qu'elles ne figuraient pas dans la liste détaillée des frais, d'autres factures concernaient le restaurant de l'immeuble. Ainsi, la locataire n'entendait pas donner suite aux demandes de paiement.

La bailleresse a répondu par courrier de son conseil du 22 juin 2015. Elle a donné des explications sur certaines factures (soit en particulier les factures E______ relatives à des travaux d'entretien sur les installations électriques) et certains postes des décomptes, tels que les frais de nettoyage du séparateur de graisse, liés au restaurant qui jusqu'à fin 2011 était considéré comme un local commun. Les frais de Facility Management, les frais relatifs à l'alarme incendie, à la préparation de l'eau ou des coûts des abonnements d'entretien des installations de l'immeuble faisaient selon elle indiscutablement partie des frais accessoires. Enfin, la bailleresse a réclamé à nouveau le paiement d'une somme de 723'475 fr. 75.

i. A______ a requis la poursuite de B______ à hauteur des montants suivants:

-       145'339 fr. 70 avec intérêts à 5% dès le 22 mars 2012 à titre de solde du décompte pour la période du 1er juillet 2008 au 30 juin 2009,

-       194'653 fr. 95 avec intérêts à 5% dès le 10 juin 2012 à titre de solde du décompte pour la période du 1er juillet 2009 au 30 juin 2010,

-       201'196 fr. 05 avec intérêts à 5% dès le 22 août 2012 à titre de solde du décompte pour la période du 1er juillet 2010 au 30 juin 2011,

-       26'811 fr. 75 avec intérêts à 5% dès le 20 décembre 2012 à titre de solde du premier décompte pour la période du 1er juillet 2011 au 30 juin 2012, et

-       155'473 fr. 30 avec intérêts à 5% dès le 20 décembre 2012 à titre de solde du second décompte pour la période du 1er juillet 2011 au 30 juin 2012.

B______ a formé opposition au commandement de payer, qui lui a été notifié le 3 février 2015 dans la poursuite no 5______.

A______ a renouvelé sa poursuite le 17 janvier 2017. B______ a formé opposition au commandement de payer, qui lui a été notifié dans la poursuite no 1______.

j. B______ a quitté les locaux le 31 mai 2015.

Elle a publiquement annoncé son départ de Suisse durant l'été 2017.

k. Dans l'intervalle, le 3 juin 2015, la bailleresse a fait parvenir à B______ deux décomptes de frais de chauffage/accessoires pour la période du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013, en indiquant qu'elle restait devoir les sommes de 7'835 fr. 05 et 87'163 fr. 20 pour la totalité des surfaces louées sur cette période, déduction faite des acomptes déjà versés.

l. Le 2 septembre 2015, B______ a requis la poursuite de la bailleresse à hauteur des montants suivants, à titre de remboursement de tous les acomptes pour frais accessoires déjà payés concernant l'ensemble des locaux loués, soit :

-     486'600 fr. avec intérêts à 5% dès le 21 février 2012,

-     486'600 fr. avec intérêts à 5% dès le 11 mai 2012,

-     624'600 fr. avec intérêts à 5% dès le 23 juillet 2012,

-     624'600 fr. avec intérêts à 5% dès le 3 juin 2015,

-     624'600 fr. avec intérêts à 5% dès le 30 juin 2014,

-     572'550 fr. avec intérêts à 5% dès le 30 juin 2015.

La bailleresse a formé opposition au commandement de payer, qui lui a été notifié le 12 novembre 2015 dans la poursuite no 6______.

Par courrier de son conseil du 13 novembre 2015, elle a indiqué à la locataire que si celle-ci contestait les décomptes, elle aurait dû saisir la Commission de conciliation en matière de baux et loyers pour constater leur caractère prétendument abusif, ou alors payer seulement ce qu'elle estimait être dû. La bailleresse a réclamé à nouveau le paiement du solde des décomptes et demandé le retrait de la poursuite introduite par la locataire.

m. B______ a renouvelé sa poursuite le 30 septembre 2016, puis le 6 décembre 2017. La bailleresse a formé opposition aux commandements de payer, qui lui ont été notifiés respectivement le 10 janvier 2017 dans la poursuite no 7______ et le 8 février 2018 dans la poursuite no 3______.

n. Le 21 janvier 2016, la bailleresse a fait parvenir à la locataire deux décomptes de frais de chauffage/accessoires pour la période du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014, aux termes desquels elle reconnaissait devoir à celle-ci les sommes de 39'084 fr. 20 et de 97'241 fr. 25, en tenant compte des acomptes déjà versés.

Le 17 janvier 2017, la bailleresse a adressé à la locataire deux décomptes de frais de chauffage/accessoires pour la période du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015, aux termes desquels elle reconnaissait devoir à celle-ci les sommes de 35'783 fr. 20 et de 90'279 fr. 35, en tenant compte des acomptes déjà versés.

o. Le 23 mars 2018, la bailleresse a requis le séquestre des biens de la locataire à concurrence de 818'473 fr. plus intérêts. Par ordonnance de séquestre du 28 mars 2018, rendue dans la cause C/2______/2018, le Tribunal de première instance a ordonné le séquestre requis. A teneur du procès-verbal de séquestre établi le 3 avril 2018, le séquestre a porté sur un montant total de 1'280'000 fr.

Par jugement OSQ/31/2018 du 26 juillet 2018, le Tribunal de première instance a partiellement admis l'opposition de la locataire contre l'ordonnance de séquestre et réduit le montant du séquestre à 556'085 fr., sans intérêts. Sur la base des derniers décomptes, le Tribunal a retenu que la locataire disposait d'une créance de 262'388 fr. envers la bailleresse, de sorte que ce montant venait compenser une partie de la créance invoquée par la bailleresse.

Par arrêt ACJC/1488/2018 du 29 octobre 2018, statuant sur recours de la bailleresse, la Cour de justice a partiellement réformé ce jugement en ce sens que le montant du séquestre, arrêté à 556'085 fr., portait intérêts à 5% l'an dès le trentième jour suivant réception des décomptes concernés par la locataire. La Cour a notamment retenu qu'à teneur de la procédure, la locataire n'avait pas contesté les décomptes de la bailleresse dans les trente jours suivant leur réception, de sorte que les soldes de ces décomptes étaient vraisemblablement devenus exigibles à cette échéance et que la locataire était simultanément tombée en demeure de s'en acquitter.

D.           a. Par requête déposée le 10 août 2017 par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, déclarée non conciliée lors de l'audience du 27 novembre 2017 et portée devant le Tribunal des baux et loyers le 9 janvier 2018, la bailleresse a conclu à ce que le Tribunal condamne la locataire à lui verser une somme totale de 818'473 fr. se décomposant comme suit :

-     145'339 fr. 70 avec intérêts à 5% dès le 22 mars 2012 à titre de solde du décompte pour la période du 1er juillet 2008 au 30 juin 2009,

-     194'653 fr. 95 avec intérêts à 5% dès le 10 juin 2012 à titre de solde du décompte pour la période du 1er juillet 2009 au 30 juin 2010,

-     201'196 fr. 05 avec intérêts à 5% dès le 22 août 2012 à titre de solde du décompte pour la période du 1er juillet 2010 au 30 juin 2011,

-     26'811 fr. 75 avec intérêts à 5% dès le 20 décembre 2012 à titre de solde du décompte pour la période du 1er octobre 2011 au 30 juin 2012,

-     155'473 fr. 30 avec intérêts à 5% dès le 20 décembre 2012 à titre de solde du décompte pour la période du 1er juillet 2011 au 30 juin 2012,

-     94'998 fr. 25 avec intérêts à 5% dès le 3 juillet 2015 à titre de solde du décompte pour la période du 1er juillet 2012 au 20 juin 2013.

La bailleresse a également conclu au prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer dans la poursuite no 1______.

b. La locataire a conclu au déboutement de la bailleresse de toutes ses conclusions.

Simultanément, elle a formé une demande reconventionnelle tendant principalement à ce que la bailleresse soit condamnée à lui rembourser une somme totale de 4'044'150 fr. plus intérêts correspondant au total des acomptes payés du 1er juillet 2008 au 31 mai 2015. Elle a également conclu au prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer dans la poursuite no 3______.

c. La bailleresse a conclu au déboutement de la locataire des fins de sa demande reconventionnelle. Elle a simultanément répliqué et réduit ses prétentions, compte tenu des derniers décomptes présentant un solde en faveur de la locataire. Elle a ainsi conclu principalement au paiement d'un montant de 556'085 fr. et d'intérêts calculés comme suit :

-     intérêts de 5% sur 145'339 fr. 70 du 22 mars 2012 au 20 février 2016,

-     intérêts de 5% sur 194'653 fr. 95 du 10 juin 2012 au 20 février 2016,

-     intérêts de 5% sur 201'196 fr. 05 du 22 août 2012 au 20 février 2016,

-     intérêts de 5% sur 26'811 fr 75 du 20 décembre 2012 au 20 février 2016,

-     intérêts de 5% sur 155'473 fr. 30, du 20 décembre 2012 au 20 février 2016,

-     intérêts de 5% sur 94'998 fr. 25 du 3 juillet 2015 au 20 février 2016,

-     intérêts de 5% sur 682'147 fr. 55 du 20 février 2016 au 16 février 2017,

-     intérêts de 5% sur 556'085 fr. dès le 16 février 2017.

La bailleresse a également conclu, à due concurrence, au prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition formée dans la poursuite no 1______ et à la validation du séquestre ordonné le 28 mars 2018 dans la cause C/2______/2018.

d. Dans ses allégués complémentaires déposés en audience le 10 avril 2019, la locataire a contesté les montants indiqués par la bailleresse dans ses décomptes. Elle a notamment indiqué que les surfaces totales de l'immeuble et la clé de répartition utilisées étaient incorrectes, cette dernière ne tenant compte que des mètres carrés et non du volume. Le restaurant au rez-de-chaussée nécessitait également selon elle l'application d'une clé de réparation différenciée. La locataire a sollicité la production par la bailleresse de l'ensemble des factures et preuves de paiement, certifiés par un organe comptable indépendant, quant aux frais qui étaient allégués et réclamés au travers des décomptes pour les années 2008 à 2015. La bailleresse devait également produire toutes explications permettant de justifier la diminution des frais accessoires et charges de près de 50% à compter des exercices 2013/2014 et 2014/2015.

e. Par ordonnance du 14 mai 2019, le Tribunal a refusé d'ordonner un nouvel échange d'écritures.

f. Par ordonnance du 15 août 2019, il a notamment ouvert les débats principaux, ordonné la comparution personnelle des parties et l'ouverture d'enquêtes.

f.a Entendu comme témoin, F______ a déclaré avoir été gérant de l'immeuble de 2010 à 2012. Lors de son arrivée, du retard avait été pris dans les décomptes et il s'était d'abord penché sur les années 2007/2008, puis avait établi tous les décomptes jusqu'en 2012. Le retard était dû au fait que les décomptes étaient très compliqués et il n'y avait pas de marche à suivre claire pour la clé de répartition. Il avait dû inventer la roue. Les frais effectifs étaient établis par locataire et par surface. Les chiffres étaient obtenus par les factures et des sous-compteurs par zone étaient relevés par le service de conciergerie, qui permettaient de connaître la consommation individuelle, par exemple pour la climatisation. Il devait toutefois essayer de savoir dans la zone en question comment étaient répartis les coûts entre les locataires de la zone. Il tenait compte de la surface louée et de la durée de la location. D'autres compteurs étaient généraux et les coûts étaient alors répartis selon la surface. Une fois ce travail accompli, il avait pu combler le retard, raison pour laquelle quatre décomptes avaient été transmis à la locataire en 2012. Les décomptes étaient identiques pour tous les baux et il n'avait pas remarqué qu'il y avait des différences dans les listes de frais accessoires, les baux étant standardisés. Lorsqu'il était en charge de l'immeuble, un contrat de Facility Management existait déjà et englobait toute la gestion opérationnelle de l'immeuble. Une représentante de la locataire avait consulté les pièces en 2010 pour avoir des informations sur les décomptes et des experts de la locataire étaient venus en 2011. Ils avaient validé la méthode utilisée pour l'exercice 2007/2008 et cette méthode avait donc été utilisée pour les décomptes suivants.

f.b Egalement entendue comme témoin, G______, gérante de l'immeuble depuis le 1er décembre 2013, a déclaré qu'elle avait été en charge d'établir les décomptes dès son arrivée. L'ancien système utilisé par la régie était basé sur les coûts effectifs et la consommation des locataires. Ce système étant compliqué, elle en avait utilisé un autre, basé sur la surface locative, système qu'elle avait également appliqué à la consommation dans les parties communes. Aucun avis de modification n'avait été communiqué à la locataire. Le premier décompte qu'elle avait établi était celui de 2012/2013, remis à la locataire en juin 2015 car elle avait dans un premier temps essayé de reprendre la clé de répartition selon l'ancienne méthode mais elle n'avait pas obtenu les informations, notamment les sous-compteurs d'eau. Malgré la légère différence dans la liste des frais accessoires dans les différents baux, elle avait établi un seul décompte pour tous les baux. Le contrat de Facility Management - conclu à son souvenir en 2014 - portait sur l'entretien courant de l'immeuble, notamment la conciergerie et la sécurité. Elle ne se rappelait pas si certains locaux avaient été vacants durant la présence de la locataire. En cas de vacance, la régie procédait à la même clé de réparation que d'habitude et la partie afférente à la surface vacante était prise en charge par le bailleur. Des travaux de chauffage et de climatisation/ventilation avaient été entrepris après son arrivée pendant environ deux ans. Les ouvriers étaient branchés sur une prise électrique indépendante de sorte que le coût de l'électricité n'était pas répercuté sur les locataires. La diminution des charges à partir de 2013/2014 s'expliquait d'une part par le changement de clé de répartition et d'autre part par la mise en place du Facility Management qui avait réduit les coûts. La locataire était une grande consommatrice d'énergie car elle était exigeante en matière de climatisation et avait beaucoup de matériel informatique. La variation de la surface totale de l'immeuble dans les différents décomptes pouvait s'expliquer si l'un des postes ne concernait pas tout l'immeuble ou parce que d'une année à l'autre, la surface avait été modifiée.

f.c H______, ancien directeur des services généraux de la locataire entre le 1er septembre 2011 et le 31 décembre 2017, a déclaré au cours de son témoignage qu'il avait tout de suite vu les décomptes lorsque ceux-ci avaient été transmis à la locataire en 2012. L'arrivée successive de ces décomptes confirmait à ses yeux la déconfiture du back-office du régisseur de l'époque. Il avait transmis les décomptes à la direction pour qu'une analyse soit faite et la locataire avait reçu des informations sur les clés de répartition. Bien que les décomptes aient suivi une certaine systématique, ils ne reflétaient pas les baux. Ils avaient alors demandé des explications à la bailleresse et avaient provisionné les montants réclamés au cas où ils étaient véritablement dus. Toutefois, la régie n'était jamais entrée dans l'analyse et ils n'avaient jamais reçu les explications permettant de comprendre les décomptes, point par point. Fin 2013 selon ses souvenirs, il s'était rendu dans les locaux de la régie avec l'avocate de la locataire. Ils avaient alors consulté une partie des pièces et avaient constaté de nombreux dysfonctionnements, notamment le fait qu'il n'y avait aucune distinction entre les baux. S'agissant de la consommation d'électricité, la locataire payait directement aux SIG sa consommation, grâce aux compteurs séparés.

g. Le 1er octobre 2019, la locataire a indiqué au Tribunal que le sort de la cause ne pouvait pas être jugé sans les pièces dont elle avait requis la production le 10 avril 2019, quelle que soit la partie supportant le fardeau de la preuve.

Le 22 octobre 2019, le Tribunal a cité les parties à comparaître et précisé que la bailleresse était invitée à produire les pièces sollicitées par la locataire quinze jours avant l'audience.

Le 6 novembre 2019, la bailleresse a produit une clé USB contenant les pièces sollicitées par la locataire.

Lors de l'audience du 21 novembre 2019, le conseil de la locataire a conclu à l'irrecevabilité des pièces produites par la bailleresse, car les débats principaux étaient déjà ouverts et leur production violait le fardeau de l'allégation. Le conseil de la bailleresse s'en est rapporté à justice sur la recevabilité de ces pièces, indiquant que celles-ci n'étaient pas utiles à la solution du litige.

h. Par courrier du 2 décembre 2019, la locataire a expliqué au Tribunal que lors de l'audience du 10 avril 2019, elle avait sollicité, pour le cas où elle devrait supporter le fardeau de la preuve, la production de pièces en mains de la bailleresse et un délai pour se déterminer. Le Tribunal n'avait toutefois pas ordonné la production des pièces dans son ordonnance du 15 août 2019. Elle avait alors préservé ses droits par pli du 1er octobre 2019, dans l'éventualité d'un appel. Dans son ordonnance, le Tribunal avait cependant décidé quels faits devaient être prouvés, quels moyens de preuve étaient nécessaires et avait ouvert les débats principaux. Les pièces produites étaient donc selon elle irrecevables.

Par ordonnance du 9 décembre 2019, le Tribunal a restitué à la bailleresse les pièces produites par celle-ci le 6 novembre 2019, considérant qu'aucune des parties n'en sollicitait plus la production.

i. A l'audience du 30 juin 2020, la bailleresse a déclaré s'en rapporter à justice quant à la possibilité d'ordonner une expertise. La locataire s'est opposée à ce qu'une expertise soit ordonnée. Les deux parties ont par ailleurs déclaré souhaiter plaider par écrit à l'issue des enquêtes.

Par ordonnance du 20 juillet 2020, le Tribunal a notamment renoncé à ordonner une expertise, au motif que les questions à trancher ne nécessitaient pas le concours d'un expert. Il a renoncé à entendre un témoin dont l'état de santé ne permettait pas l'audition et constaté que l'administration des preuves était terminée. Un délai a été fixé aux parties pour déposer leurs plaidoiries finales par écrit.

j. Dans leurs plaidoiries finales écrites, ainsi que dans divers courriers subséquents, les parties ont persisté dans leurs conclusions sur demande principale et sur demande reconventionnelle.

Le Tribunal a gardé la cause à juger le 7 avril 2021, à réception de leurs écritures.

E.            Dans le jugement entrepris, le Tribunal a considéré que les prétentions de la bailleresse en paiement du solde des décomptes de frais accessoires, soumises à un délai de prescription de cinq ans, n'étaient pas prescrites. Contrairement à ce que soutenait la locataire, les décomptes en question n'étaient pas nuls, bien que la bailleresse ne lui ait pas notifié de modification de la clé de répartition sur formule officielle. Seule une modification avait été opérée, à compter de l'exercice 2012/2013, et celle-ci n'était pas défavorable à la locataire, de sorte qu'une notification sur formule officielle n'était pas nécessaire.

La locataire n'avait par ailleurs pas contesté par écrit les décomptes litigieux dans les trente jours suivant leur réception. Les enquêtes avaient cependant permis de vérifier que la locataire avait demandé des explications à leur sujet: certains de ses représentants et des experts s'étaient notamment rendus en 2010 et 2011 auprès de la régie pour vérifier l'exactitude des décomptes et, en novembre 2014, la locataire en avait contesté par écrit la teneur après avoir consulté les pièces. Il ne pouvait dès lors être admis que la locataire avait accepté les décomptes de la bailleresse. Celle-ci était consciente du litige à leur égard et avait elle-même attendu plusieurs années avant de réclamer leur paiement à la locataire. Il appartenait par conséquent à la bailleresse de démontrer le bien-fondé de ses prétentions, soit que les décomptes dont elle demandait le paiement étaient exacts.

A ce propos, les éléments versés à la procédure ne permettaient pas de déterminer si les décomptes produits étaient justes ou s'ils comportaient des erreurs. La bailleresse avait certes apporté des explications au sujet des points contestés par la locataire, mais n'avait pas produit de pièce justificative permettant de vérifier si l'ensemble des décomptes était correct in fine et si les montants réclamés concernaient uniquement des coûts effectifs, à la charge de la locataire. Sur injonction du Tribunal, la bailleresse avait certes produit de telles pièces sous forme informatique, mais avait allégué qu'elles n'étaient pas nécessaires pour trancher le présent litige, de sorte qu'elles lui avaient été retournées. Faute d'avoir démontré l'exactitude des décomptes, la bailleresse devait être déboutée de ses conclusions en paiement à l'encontre de la locataire.

Sur demande reconventionnelle, les prétentions de la locataire en restitution des acomptes versés demeuraient soumises à la prescription annale prévue par l'ancien droit mais n'étaient pas prescrites. La restitution des acomptes supposait cependant que la locataire les ait versés sans cause valable, soit en l'occurrence parce que leur montant excédait ceux des frais réellement encourus et que les décomptes établis par la bailleresse étaient incorrects. Or, aucune des parties n'avait produit de pièces justificatives permettant d'établir si les décomptes litigieux étaient corrects ou non, ni de vérifier le cas échéant quels étaient les montants effectivement dus. Les éléments au dossier, en particulier les explications fournies par la bailleresse et les déclarations des témoins, ne permettaient pas de procéder à une telle vérification. La locataire n'était dès lors pas fondée à obtenir la restitution des acomptes versés, faute d'avoir prouvé qu'elle aurait payé sans cause valable.

Subsidiairement, la locataire réclamait la restitution des montants en sa faveur résultant des décomptes 2013/2014 et 2014/2015, avec intérêts. La bailleresse ne contestait pas que ces montants fussent dus à la locataire, mais concluait à ce qu'ils soient compensés avec la créance qu'elle invoquait. La bailleresse étant déboutée de ses conclusions en paiement, elle devait être elle-même condamnée à verser à la locataire les sommes de 136'325 fr. 45 et de 126'062 fr. 55 réclamées, avec intérêts dès le trentième jour suivant la réception des décomptes concernés.

EN DROIT

1.             1.1 Les jugements finaux rendus par le Tribunal des baux et loyers sont susceptibles d'appel si l'affaire est non pécuniaire ou si, pécuniaire, sa valeur litigieuse au dernier état des conclusions devant l'autorité de première instance atteint 10'000 fr. (art. 308 al. 1 let. a; art. 308 al. 2 CPC).

En l'espèce, la valeur litigieuse devant le Tribunal s'élevait à plus de 4'000'000 fr. (cf. art. 94 al. 1 CPC), de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

Interjeté contre une décision finale (art. 308 al. 1 let. a CPC), auprès de l'autorité compétente (art. 122 let. a LOJ), dans le délai utile de 30 jours (art. 311 al. 1 CPC) et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC), l'appel est recevable.

1.2 Formé dans la réponse à l'appel (art. 313 al. 1 CPC), elle-même déposée dans un délai de trente jours suivant la notification de l'appel (art. 312 al. 1 CPC), l'appel joint est recevable de ces points de vue.

Par souci de simplification et pour respecter le rôle initial des parties devant la Cour, la bailleresse sera désignée en qualité d'appelante et la locataire en qualité d'intimée.

1.3 L'appelante conteste la recevabilité de l'appel joint, au motif que la motivation de celui-ci serait pratiquement identique à l'argumentation soumise par l'intimée au Tribunal.

S'il est vrai que tout appelant doit démontrer le caractère erroné de la motivation de la décision attaquée, sans se borner à simplement reprendre des allégués de fait ou des arguments de droit présentés en première instance (cf. ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_290/2014 du 1er septembre 2014 consid. 3.1; 4A_97/2014 du 26 juin 2014 consid. 3.3), l'appelante reconnaît elle-même que l'intimée a apporté certains aménagements à ses développements dans son appel joint, afin de les mettre en relation avec le jugement entrepris et d'articuler sa critique de celui-ci. L'argumentation de l'intimée est ainsi suffisamment compréhensible et la recevabilité de l'appel joint doit être admise.

On relèvera que l'appelante ne conclut d'ailleurs pas formellement à l'irrecevabilité de l'appel joint, mais uniquement au rejet des conclusions de l'intimée dans la mesure de leur recevabilité. Il n'y a dès lors pas lieu de faire preuve d'une rigueur formelle excessive, même si la Cour examine d'office si les conditions de recevabilité sont remplies (art. 60 CPC).

1.4 S'agissant d'un appel, la Cour dispose d'un plein pouvoir d'examen en fait et en droit; en particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF
138 III 374 consid. 4.3.1).

2.             L'intimée reproche notamment au Tribunal de ne pas avoir retenu que les décomptes de frais accessoires litigieux étaient nuls, dans la mesure où ils reposaient sur une modification de leur système de calcul et de la clé de répartition qui ne lui avait pas été notifiée sur formule officielle.

Ce moyen étant susceptible de sceller tant le sort de l'appel que celui de l'appel joint, il sera examiné en priorité.

2.1 En cours de contrat, le bailleur peut décider de modifier le bail unilatéralement. Il doit toutefois procéder conformément à l'art. 269d CO et le locataire peut contester la modification s'il la juge abusive (art. 270b al. 2 CO).

Selon l'art. 269d al. 1 et 2 CO, l'avis de majoration du loyer, avec indication des motifs, doit parvenir au locataire dix jours au moins avant le début du délai de résiliation et être effectué au moyen d'une formule agréée par le canton; la majoration de loyer est nulle lorsqu'elle n'est pas notifiée au moyen de la formule officielle, que les motifs ne sont pas indiqués ou qu'elle est assortie d'une résiliation ou d'une menace de résiliation.

La modification des frais accessoires en défaveur du locataire obéit aux mêmes règles. Il en va ainsi du passage du forfait aux acomptes provisionnels, de l'augmentation de l'acompte provisionnel ou du forfait, du changement de la clé de répartition entre locataires, de l'introduction de nouveaux frais accessoires, du passage d'une facturation annuelle des frais accessoires au système des acomptes provisionnels ou à celui des forfaits mensuels, ou du changement de concierge générant une augmentation des frais accessoires (art. 269d al. 3 CO; Lachat/ Bohnet in Commentaire romand, Code des obligations I, 3ème éd., 2021, n. 9 ad art. 257a-257b CO).

Dans un arrêt du 10 juin 2011, le Tribunal fédéral a qualifié de nulle une modification relative aux frais accessoires qui ne permettait pas au locataire, à la lecture de l'avis officiel, d'apprécier si le changement proposé par la partie bailleresse était économiquement neutre ou s'il impliquait une augmentation de loyer, voire l'introduction de nouveaux coûts. Les juges fédéraux ont également relevé que l'avis officiel ne comportait aucune indication permettant de comparer les frais accessoires inclus dans le précédent loyer avec les "nouveaux" frais accessoires que la bailleresse entendait désormais facturer séparément. Dans ce contexte, le locataire ne disposait pas d'éléments sur lesquels se fonder pour apprécier dans quelle mesure le montant de la provision correspondait au coût effectif qu'il devrait assumer, selon l'avis officiel notifié. Le locataire doit à tout le moins être renseigné sur les coûts engendrés dans le passé par lesdits frais accessoires (ATF 137 III 362).

2.2 En l'espèce, l'intimée soutient que les frais accessoires facturés par l'appelante à compter de l'exercice 2008/2009 reposaient sur une clé de répartition et un mode de calcul différents, se traduisant par une augmentation des montants mis à sa charge sans diminution correspondante de loyer.

S'il est exact que les décomptes établis par l'appelante pour les exercices compris entre 2008 et 2012 présentent des soldes importants à la charge de l'intimée, rien ne permet d'affirmer que ces soldes seraient systématiquement ou même globalement plus élevés que ceux relatifs aux exercices précédents, pour les mêmes locaux loués. L'intimée, qui a loué des locaux dans l'immeuble de l'appelante à compter de l'année 2000, n'allègue notamment pas quel était le montant effectif des frais accessoires avant 2008, ni ne fournit aucune pièce à ce sujet.

Dans ces conditions, il n'est pas possible de retenir que ces décomptes consacreraient une modification des règles de calcul défavorable à l'intimée, impliquant la nécessité d'utiliser une formule officielle. Ceci est vrai quand bien même l'auteur de ces décomptes, soit le témoin F______, a pu rapporter qu'il n'avait pas trouvé de marche à suivre concernant la clé de répartition à son arrivée et qu'il avait dû "inventer la roue". Rien n'indique que la méthode de calcul appliquée par le prénommé n'ait pas été économiquement neutre pour l'intimée, voire favorable à celle-ci, à supposer qu'elle ait effectivement différé de celle utilisée précédemment. Comme l'a relevé le Tribunal, la méthode de calcul appliquée par l'appelante à compter de l'exercice 2012/2013 impliquait quant à elle une modification favorable à l'intimée, puisque les décomptes ont alors présenté un solde en faveur de l'intimée, contre un solde à la charge de celle-ci précédemment, et ce sans que les locaux loués ni les montants des acomptes de frais accessoires n'aient été modifiés. Les changements survenus à cette occasion, liés notamment à la conclusion d'un nouveau contrat de "facility management", ne devait dès lors pas nécessairement faire l'objet d'une notification sur formule officielle.

Partant, il n'y a pas lieu d'admettre avec l'intimée que les décomptes litigieux seraient nuls, ni de rejeter l'appel et faire droit à son appel joint pour ce motif.

3.             L'appelante reproche pour sa part au Tribunal de ne pas avoir retenu que l'intimée avait tacitement accepté les soldes des décomptes de frais litigieux et de ne pas avoir condamné celle-ci à s'en acquitter, faute d'avoir démontré que lesdits soldes seraient incorrects.

3.1 Selon l'art. 257a al. 1 CO, les frais accessoires sont dus pour les prestations fournies par le bailleur ou un tiers en rapport avec l'usage de la chose. Ils ne sont à la charge du locataire que si cela a été convenu spécialement (al. 2).

Le cas échéant, le locataire doit payer les frais accessoires à la fin de chaque mois, mais au plus tard à l'expiration du bail, sauf convention ou usage local contraires (art. 257c CO).

La plupart des baux d'habitations et de locaux commerciaux prévoient le versement à l'avance d'acomptes périodiques par le locataire. Le bailleur est alors tenu d'établir un décompte au moins une fois par année et de le présenter au locataire (art. 4 al. 1 OBLF; Bieri, in : Commentaire pratique, droit du bail à loyer et à ferme, Bohnet/Montini, 2e éd, 2017, ad art. 257a-257b CO n. 48; Lachat, Code des obligations I, Commentaire romand, 2ème éd., 2012, ad art. 257a-257b CO n. 5). A la demande du locataire, le bailleur doit lui permettre de consulter les pièces justificatives (art. 257b al. 2 CO).

3.1.1 S'il ne reçoit pas de décompte ou ne peut pas consulter les justificatifs, le locataire peut refuser de payer les frais accessoires. Lorsque le décompte présente des inexactitudes, le locataire peut retenir le montant litigieux, mais court le risque d'une résiliation, même s'il saisit l'autorité de conciliation (Lachat/Bohnet in Commentaire romand, Code des obligations I, 3ème éd., 2021, n. 10 et 11 ad art. 257a-257b CO). La loi ne fixe pas de délai pour agir et le contrat ne peut pas valablement en introduire un (ibid.).

La jurisprudence admet toutefois qu'un décompte puisse être accepté tacitement si le locataire ne réagit pas dans un délai de contestation fixé par le contrat ou le bailleur. La reconnaissance du solde, même tacite, n'entraîne cependant pas la renonciation aux objections contre les écritures erronées. L'effet de la reconnaissance du solde réside avant tout dans le fait que la partie qui entend contester l'exactitude du solde reconnu doit prouver son inexactitude (ATF
104 II 190 consid. 3a; arrêt du Tribunal fédéral 4A_606/2015 du 19 avril 2016 consid. 5.1).

3.1.2 Aux termes de l'art. 2 CC, chacun est tenu d'exercer ses droits et d'exécuter ses obligations selon les règles de la bonne foi (al. 1). L'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi (al. 2).

Les cas typiques en sont l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, l'utilisation d'une institution juridique de façon contraire à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence, l'exercice d'un droit sans ménagement ou l'attitude contradictoire (ATF 140 III 583 consid. 3.2.4 et les références citées).

3.1.3 La procédure d'opposition au séquestre (art. 278 LP) est une procédure sommaire au sens propre, dans laquelle les faits doivent être rendus simplement vraisemblables. Le juge examine sommairement le bien-fondé juridique de la prétention et rend une décision provisoire, qui ne règle pas définitivement la situation juridique des parties et ne revêt pas l'autorité de la chose jugée (ATF
138 III 636 consid. 4.3.2).

La limitation des moyens de preuve à ceux qui sont immédiatement disponibles y est admissible, puisque ceux qui ne le sont pas pourront tous être administrés ultérieurement dans le procès ordinaire, qui tranchera définitivement la cause après un examen complet en fait et en droit (ibid.).

3.2 En l'espèce, l'appelante reproche au Tribunal de ne pas avoir retenu que l'intimée n'avait pas contesté les décomptes litigieux dans un délai de trente jours suivant leur réception, alors notamment que ce défaut de contestation avait été expressément constaté par la Cour de justice dans son arrêt rendu le 29 octobre 2018 sur opposition à séquestre.

3.2.1 Sur ce point, on relèvera tout d'abord que le juge du fond n'est pas lié par la décision rendue sur opposition à séquestre, laquelle est de nature provisoire et ne bénéficie pas de l'autorité de la chose jugée, conformément aux principes rappelés ci-dessus. Il n'est ainsi pas exclu que les éléments tenus pour vraisemblables par cette décision, rendue au terme d'un examen limité aux moyens de preuve immédiatement disponibles, puissent être infirmés ou contredits par une décision rendue sur le fond, après un examen complet et l'administration de moyens de preuve supplémentaires, tels que les témoignages recueillis dans le cadre du présent procès. En l'occurrence, le considérant de l'arrêt concerné énonçait seulement que l'intimée n'avait pas contesté les décomptes litigieux "à teneur de la procédure", soit à teneur de la procédure de séquestre, et l'appelante ne saurait en tirer un quelconque argument dans le cadre du présent procès au fond.

3.2.2 Ceci étant précisé, il convient en l'espèce de relever que seuls les contrats relatifs aux locaux supplémentaires pris à bail par l'intimée dans l'immeuble de l'appelante dès 2006 prévoyaient pour celle-là l'obligation de contester les décomptes de frais accessoires dans un délai de trente jours dès réception, faute de quoi lesdits décomptes seraient considérés comme acceptés. Le contrat initial, conclu le 4 mai 2000, ne mettait pas de telle incombance à la charge de la locataire, ni dans le corps du contrat, ni dans son annexe, et les conditions générales auxquelles il renvoyait ne contiennent pas de disposition semblable. Or, l'appelante n'a jamais allégué, au cours du présent procès, quelle serait la part des soldes de frais accessoires réclamés afférente aux seuls locaux faisant l'objet des contrats prévoyant l'obligation susvisée, pour les périodes concernées. Cette part n'est pas non plus immédiatement apparente à teneur des décomptes produits et il ne saurait incomber au juge de procéder d'office à une analyse comptable desdits décomptes aux fins de l'établir.

Dès lors à supposer même que les décomptes litigieux doivent être considérés comme acceptés en tant qu'ils concernent les locaux supplémentaires loués par l'intimée, et qu'il faille admettre que cette dernière, à qui incomberait alors le fardeau de la preuve, échoue à démontrer le caractère erroné desdits décomptes pour ces locaux, comme le soutient l'appelante, il ne pourrait être fait droit aux conclusions en paiement de l'appelante, faute de connaître le montant des frais accessoires qui seraient encore dus à celle-ci pour les locaux faisant l'objet des contrats susvisés. Pour ce motif déjà, l'appelante doit être déboutée de ses conclusions et l'appel doit être rejeté, étant observé que le Tribunal a retenu que l'appelante échouait à démontrer l'exactitude des décomptes litigieux, pièces à l'appui, et que celle-ci n'offre pas d'effectuer une telle démonstration devant la Cour (cf. consid. 4.2 ci-dessous).

3.2.3 Dans tous les cas, il n'est certes pas établi que l'intimée aurait contesté par écrit les décomptes litigieux dans les trente jours suivant leur réception. Elle en a donc reconnu tacitement les différents soldes. Les allégations de l'intimée selon lesquelles le renversement du fardeau de la preuve en cas d'acceptation tacite du décompte ne s'appliquerait qu'aux frais accessoires déjà couverts par les acomptes versés et à l'éventuel solde restant en faveur de la locataire, mais non au solde réclamé par la bailleresse après comptabilisation des acomptes versés, ne résultent pas à ce stade de la jurisprudence du Tribunal fédéral et ne reposent sur aucune source doctrinale connue.

Cela étant, il est en l'espèce établi que l'appelante a accusé plusieurs années de retard dans l'établissement des décomptes litigieux, apparemment en raison de défaillances imputables à la régie chargée de gérer son immeuble. Ce retard a notamment conduit l'intimée à s'enquérir auprès d'elle des raisons de ce retard et de la méthode qui était appliquée au calcul des frais accessoires. Si les démarches intentées en ce sens par l'intimée en 2010 et 2011 ne peuvent être considérées comme une contestation des décomptes litigieux, comme le relève l'appelante, puisque ceux-ci n'étaient alors pas établis, force est de constater que l'appelante ne pouvait dans ces conditions considérer que lesdits décomptes seraient acceptés par l'intimée sans vérification supplémentaire. En l'occurrence, il ressort notamment des enquêtes qu'après réception des décomptes litigieux, l'intimée a sollicité des explications complémentaires de la bailleresse, qui ne s'est que partiellement exécutée. L'intimée n'a notamment pu accéder à certaines pièces permettant de vérifier si les frais accessoires correspondaient à des coûts effectifs qu'à la fin de l'année 2013, puis à nouveau en septembre 2014, avec le concours de son conseil. Selon les témoins entendus, elle a alors constaté certaines irrégularités et il est constant que la méthode de calcul utilisée était particulièrement complexe. Dans ces conditions, on ne saurait effectivement reprocher à l'intimée de n'avoir formellement contesté les décomptes litigieux qu'au mois de novembre 2014 comme elle l'a fait.

En se prévalant de l'acceptation tacite desdits décomptes par l'intimée, au motif qu'il aurait incombé à celle-ci de contester lesdits décomptes dans un délai de trente jours, alors qu'elle a elle-même accusé plusieurs années de retard dans leur établissement, qu'elle a tardé à donner à l'intimée la possibilité de consulter des justificatifs et qu'elle est directement responsable de la complexité de la méthode choisie pour le calcul des frais accessoires, l'appelante commet un abus de droit, au sens des principes rappelés ci-dessus. Il n'y a dès lors pas lieu de retenir que le fardeau de l'inexactitude des décomptes litigieux incomberait désormais à l'intimée, quand bien même ces décomptes n'ont pas formellement été contestés dans les trente jours suivant leur réception. C'est au contraire l'appelante qui demeure tenue de démontrer le bien-fondé de ses prétentions en paiement de solde de frais, comme l'a retenu à bon droit le Tribunal, ce qu'il convient d'examiner ci-après.

4.             Quelle que soit la partie supportant le fardeau de la preuve, l'appelante soutient que les décomptes de frais accessoires qu'elle a établis sont exacts et conclut au paiement du solde de ces décomptes en sa faveur, sous déduction des soldes en faveur de l'intimée et avec intérêts échelonnés.

4.1 Les frais accessoires ne sont à la charge du locataire que si cela a été convenu spécialement (art. 257a al. 2 CO). L'accord des parties doit être suffisamment précis et détailler les postes effectifs. En concluant le contrat, le locataire doit comprendre facilement quels postes lui seront facturés en plus du loyer (ATF
135 III 591 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_719/2016 du 31 août 2017 consid. 2.1). A défaut de convention spéciale ou en cas de doute sur la portée de celle-ci, les frais accessoires sont inclus dans le loyer (ATF 121 III 460 consid. 2a/aa et les réf. citées; arrêt du Tribunal fédéral 4A_719/2016 du 31 août 2017 consid. 2.1).

L'art. 257b al. 1 CO précise que pour les habitations et les locaux commerciaux, on entend par frais accessoires les dépenses effectives du bailleur pour des prestations en rapport avec l'usage de la chose, telles que frais de chauffage, d'eau chaude et autres frais d'exploitation, ainsi que les contributions publiques qui résultent de l'utilisation de la chose. Cette définition étant impérative (ATF
137 I 135 consid. 2.4), seuls les coûts liés à l'usage de la chose louée peuvent être facturés au titre de frais accessoires, à l'exclusion des dépenses d'entretien, de réparations ou de remplacement des parties usées servant au maintien de la chose dans l'état conforme au contrat, qui sont comprises dans le loyer (Burkhalter/ Martinez-Favre, Commentaire SVIT, Le droit suisse du bail à loyer, 2011, ad art. 257-257b CO, n. 12 ss; Lachat, Le bail à loyer, 2008, p. 332, n. 1.2).

Il résulte du fait que les frais accessoires doivent correspondre à des dépenses effectives du bailleur que ce dernier supporte en principe le fardeau de la preuve des dépenses qu'il facture comme frais accessoires (Richard, Les frais accessoires au loyer dans les baux d'habitations et de locaux commerciaux, in : 12ème séminaire sur le droit du bail, Neuchâtel 2002, p. 6, n° 19, et les références; Lachat, op. cit., p. 408).

4.2 En l'espèce, les différents soldes de frais accessoires dont l'appelante sollicite le paiement ne sont étayés que par les décomptes et tableaux qu'elle a elle-même établis, et qui ne font l'objet d'aucune certification comptable. Devant le Tribunal, l'appelante n'a pas spontanément produit les pièces justificatives permettant de vérifier l'exactitude desdits décomptes, telles que des factures et des justificatifs de paiement. Après avoir produit une version numérique de telles pièces sur injonction du Tribunal, l'appelante a déclaré que celles-ci n'étaient pas utiles à la solution du litige et ne s'est pas opposée à la décision du premier juge de les lui restituer. Devant la Cour, elle ne critique pas cette décision, ni ne reproche au Tribunal de ne pas avoir ordonné une expertise comptable.

L'intimée observe pour sa part à juste titre que les décomptes de frais litigieux sont identiques pour tous les locaux loués, alors que les contrats présentent certaines différences dans la liste des frais accessoires pouvant être facturés au locataire, en particulier entre le contrat initial et les contrats subséquents. Même si la totalité des frais accessoires listés n'était pas nécessairement engagée chaque année, ceci suffit à mettre en doute l'exactitude des décomptes établis par la bailleresse. Les enquêtes ont également révélé l'existence de différences de surface non éclaircies d'une année à l'autre dans les décomptes concernant les locaux loués et l'ancien directeur de la locataire ayant pu consulter les pièces justificatives a affirmé que les décomptes en question présentaient de nombreuses irrégularités par rapport à celles-ci.

Dans ces conditions, il faut comme le Tribunal admettre que l'appelante échoue à démontrer l'exactitude des décomptes de frais accessoires dont elle se prévaut et par là le bien fondé de ses prétentions en paiement de soldes de tels frais. Sur appel principal, le jugement entrepris sera dès lors confirmé en tant qu'il a débouté l'appelante de ses conclusions.

5.             Sur appel joint, l'intimée reproche au Tribunal de l'avoir déboutée de ses conclusions tendant au remboursement de la totalité des acomptes pour frais accessoires versés depuis 2008. L'appelante ne soutient plus à ce propos que les prétentions de l'intimée seraient prescrites.

5.1 Après l'établissement du décompte de frais et son acceptation, des corrections demeurent possibles. Les prétentions correspondantes sont soumises aux règles applicables en matière d'enrichissement illégitime (art. 67 al. 1 CO). Il en va ainsi pour le locataire qui aurait versé un montant trop élevé ou le bailleur qui aurait crédité à tort le locataire d'une somme en tout ou en partie indue (Bieri, op. cit., ad art. 257a-257b CO n. 158). Le fardeau de la preuve incombe à la partie qui s'en prévaut (ibid.).

L'ouverture d'une action pour cause d'enrichissement illégitime suppose la réalisation de quatre conditions: l'enrichissement d'une personne, l'appauvrissement d'une autre, un rapport de causalité entre les deux éléments précités et l'absence d'une cause légitime (ou paiement d'un indu). Ainsi en est-il lorsque des sommes ont été versées sans fondement juridique, (sine causa, p. ex. des frais accessoires non convenus ou qui ne répondent pas à la définition légale), pour un motif qui ne s'est pas réalisé (causa non secuta, p. ex. révision de citerne non effectuée), ou en raison d'un fondement qui a cessé d'exister (causa finita; p. ex. : suppression du service de conciergerie; Bieri, loc. cit.).

5.2 En l'espèce, il a été retenu ci-dessus que les décomptes litigieux n'étaient pas nuls, quand bien même les éventuelles modifications de frais accessoires qu'ils reflétaient n'avaient pas fait l'objet d'une notification à l'intimée sur formule officielle (cf. consid. 2.2).

Les acomptes dont l'intimée réclame le remboursement n'ont donc pas été globalement versés sans cause valable, au sens des principes rappelés ci-dessus, et celle-ci ne saurait prétendre à la restitution de la totalité des acomptes pour ce motif.

L'intimée relève certes plusieurs irrégularités ou incohérences dans les décomptes établis par l'appelante, qui pourraient permettre d'inférer qu'une partie des acomptes versés l'ont été sans raison valable, ce d'autant que la présence de telles irrégularités a été confirmée au cours des enquêtes. A aucun moment, l'intimée n'a cependant allégué les montants qu'il conviendrait de retrancher en conséquence des décomptes établis par l'appelante, ni fourni de quelconques éléments permettant de chiffrer la différence entre les montants effectivement facturés et ceux qui auraient dû l'être. Devant le Tribunal, l'intimée a contesté la recevabilité et la pertinence des pièces justificatives qui lui auraient éventuellement permis de déterminer cette différence; elle s'est également opposée à la conduite d'une expertise comptable. Aujourd'hui, elle ne fait pas grief au premier juge d'avoir suivi ses conclusions sur ces points. Or, le seul fait que les décomptes établis par l'appelante à compter de l'exercice 2013/2014 aient présenté, à la suite d'un changement de méthode de calcul favorable à l'intimée, des soldes débiteurs en faveur de celle-ci, ne permet pas de retenir qu'il aurait nécessairement dû en aller de même pour les exercices précédents, ni de déterminer l'éventuel trop-versé.

Dans ces conditions, la Cour constate que l'intimée, à qui incombe cette fois le fardeau de la preuve, échoue à démontrer que tout ou partie des acomptes de frais accessoires versés à l'appelante l'auraient été sans cause, au sens des dispositions et principes rappelés ci-dessus. Le jugement entrepris sera dès lors également confirmé en tant qu'il a débouté l'intimée de ses prétentions en remboursement desdits acomptes, à l'exception de montants reconnus comme dus par l'appelante, qui ne sont pas contestés devant la Cour.

6.             Au vu des motifs qui précèdent, l'appel et l'appel joint seront tous deux rejetés.

7.             A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (art. 116 al. 1 CPC; ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 19 août 2021 par A______ AG contre le jugement JTBL/536/2021 rendu le 16 juin 2021 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/18184/2017-5-OOD.

Déclare recevable l'appel joint formé par B______ LTD contre ce même jugement.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD et Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ et Monsieur Stéphane PENET, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

Le président :

Ivo BUETTI

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

Indication des voies de recours :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.