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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1184/2022

ATAS/151/2023 du 07.03.2023 ( LAMAL ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1184/2022 ATAS/151/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 7 mars 2023

8ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée à GENÈVE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Estelle MARGUET

 

 

recourante

 

contre

HELSANA ASSURANCES SA, sise avenue de Provence 15, LAUSANNE

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l'assurée ou la recourante), née le ______ 2000 de sexe masculin, a souffert d'une dysphorie de genre dans le sens homme vers femme depuis son adolescence. De ce fait, elle a entrepris une procédure de transition de genre comprenant notamment, sous l’angle médical, une hormonothérapie (depuis janvier 2019), des chirurgies de réduction de la pomme d’Adam et d’augmentation mammaire, ainsi qu’une vulvoplastie. Elle a également changé de genre et de prénom auprès de l’état civil.

b. L'assurée est affiliée pour l'assurance obligatoire des soins auprès d’Helsana assurances SA (ci-après : l’assureur ou l'intimée) depuis le 1er novembre 2005.

c. Le 10 septembre 2019, le docteur B______, spécialiste FMH en endocrinologie, a indiqué soutenir la demande de réassignation sexuelle chirurgicale de l’assurée par vaginoplastie et mammoplastie.

d. Par courrier du 31 octobre 2019, l’assureur a communiqué à l'assurée la prise en charge de l'intervention prévue au titre de l'assurance obligatoire des soins.

e. Le docteur C______, spécialiste en chirurgie de la main, chirurgie plastique, reconstructive et esthétique, a procédé à l’intervention le 5 février 2020, selon la technique de l’inversion pénienne simple. À teneur de la lettre de sortie du 17 février 2020, les suites opératoires ont été simples et afébriles.

f. Le 6 septembre 2020, le docteur D______, chirurgien plastique auprès de l’E______ à Zurich, a adressé à l’assureur un courrier en allemand faisant état d’un diagnostic de dysphorie de genre au sens de la transidentité de l'homme à la femme (F64.0) et expliquant (traduction libre) :

« La patiente a subi une vaginoplastie en février 2020 avec inversion pénienne. Malheureusement, des complications postopératoires sont survenues et elle a actuellement une profondeur de pénétration de 0 cm. Les rapports sexuels sont donc impossibles et, comme vous pouvez l'imaginer, sa qualité de vie et les souffrances qui en découlent sont très importantes. Il existe maintenant une indication pour une vaginoplastie secondaire avec interposition de colonnes sigmoïdes que nous effectuons par voie laparoscopique. En raison de la complexité de l'opération et du fait qu'il s'agit d'une intervention secondaire, la patiente souhaite explicitement que je l'opère. Nous vous proposons donc d'examiner avec bienveillance le tarif d'une vaginoplastie secondaire avec interposition sigmoïdienne par voie laparoscopique à l'étranger (Madrid, Espagne). Le forfait fixe s'élève à EUR 26'500.-. Par ailleurs, nous allons procéder à une plastie des grandes lèvres au cours de la même séance, car le résultat esthétique est inacceptable et la peau scrotale est beaucoup trop importante (voir la documentation photo). Les coûts de cette intervention sont inclus dans le prix de base. Je me tiens à votre disposition pour toute question. Nous vous prions de nous faire part de votre décision et de la communiquer directement à la patiente ».

g. Par avis médical du 28 septembre 2020, la doctoresse F______, spécialiste FMH en chirurgie et médecin-conseil de l’assureur, a considéré que l’intervention prévue constituait une prestation obligatoire (PFL : Pflichtleistung), pouvant être effectuée en Suisse.

h. Par courrier du 30 septembre 2020 au Dr D______, l’assureur a indiqué que l'opération de révision pouvant être effectuée en Suisse, l'assurance obligatoire des soins ne couvrait que les traitements médicaux imprévus et qu'il n'y avait dès lors aucun droit à des prestations à l'étranger pour l'assurée.

i. Le 8 janvier 2021, l’assurée a persisté à solliciter la prise en charge de l’intervention à l’étranger, laquelle devait être admise lorsque, comme dans son cas, il n'existait aucune possibilité de traitement en Suisse, ou s'il était établi, dans un cas particulier, qu'une mesure thérapeutique en Suisse, par rapport à une alternative de traitement à l'étranger, comportait pour le patient des risques importants et notablement plus élevés.

j. Par décision du 29 janvier 2021, l’assureur a refusé la prise en charge de l'opération requise, estimant qu’une reprise de la vaginoplastie pouvait être réalisée en Suisse.

B. a. Le 1er mars 2021, l'assurée s’est opposée à cette décision, par l’intermédiaire de sa mandataire. Elle a fait état des complications consécutives à son opération de février 2020. La profondeur de pénétration vaginale était notamment désormais de 0 cm, ce qui empêchait tout rapport sexuel, impactant sur sa qualité de vie et entrainant des souffrances physiques et psychiques importantes. Une reprise de la vaginoplastie était nécessaire suite à l’opération ratée et cette opération devait être effectuée par un médecin disposant des compétences nécessaires dans ce domaine. L’intervention était d'autant plus délicate qu'il s'agissait de reprendre et corriger une opération déjà effectuée, source de complications postopératoires. Par ailleurs, une partie du côlon allait cette fois être utilisée pour agrandir le neovagin. Il s’agissait d’une technique particulièrement complexe nécessitant des compétences hautement spécialisées.

L’assurée a expliqué que c’était notamment du fait de ces éléments, qu’elle avait prévu de se faire opérer par le Dr D______, spécialisé dans les opérations de réassignation de genre à la clinique G______ de Madrid. Ce médecin disposait d'une équipe multidisciplinaire compétente et expérimentée en matière de dysphorie de genre et de toutes les infrastructures nécessaires. Le Dr D______ et son équipe effectuaient en moyenne 2 à 3 vaginoplasties par mois, certaines avec utilisation d’une partie du côlon. Dans ce cas de figure, des spécialistes de chirurgie viscérale intervenaient en même temps, afin d’éviter une opération supplémentaire et diminuer les risques opératoires. Pour le surplus, le suivi opératoire pouvait être effectué en Suisse.

Concernant le Dr D______, l’assurée a expliqué qu’il avait acquis son expérience en travaillant plusieurs mois, tant au H______ qu'à l'hôpital universitaire I______ de Bangkok où il avait pratiqué un grand nombre d'opérations de réassignation de genre, sous la supervision du Pr J______, chirurgien mondialement connu pour être à la source des techniques modernes de réassignation homme vers femme. Il avait ensuite dirigé l'équipe consacrée à la chirurgie de réassignation du genre au département de chirurgie plastique de la main de l'hôpital universitaire de Zurich. Dans ce cadre, il avait réalisé plus de 200 opérations de réassignation de genre. II avait par ailleurs régulièrement publié des articles dans ce domaine et organisé le premier symposium suisse en la matière. Il dirigeait désormais le programme de chirurgie de réassignation de genre de l'hôpital G______ à Madrid.

L'assurée a pour le surplus largement fait référence à un arrêt de la chambre des assurances sociales (ci-après : la CASSO) du Tribunal cantonal vaudois (VD 4/2016 du 09 décembre 2015) admettant la prise en charge par l’assurance obligatoire d’une vaginoplastie en Thaïlande, les risques d’une intervention en Suisse, en 2008, devant être considérés comme notablement plus élevés. L’assurée a notamment produit l’expertise judiciaire du professeur K______ du 20 juin 2015, mise en œuvre dans le cadre de la procédure vaudoise précitée et attestant notamment de ce qu’en 2008, aucun chirurgien ni aucun intervenant n’avait traité suffisamment de cas pour avoir acquis le savoir-faire nécessaire. Elle a également produit une étude publiée par le Groupe Mutuel et citée par le Matin dimanche le 30 novembre 2020, mentionnant notamment que « les opérations chirurgicales étaient [sont]trop éparpillées ».

La situation en Suisse n'avait guère évolué depuis l'arrêt vaudois et le peu de chirurgies était réparti sur trois hôpitaux universitaires (Bâle, Zurich et Lausanne), empêchant d'acquérir l'expérience et les compétences nécessaires selon les critères cités par le Pr K______, repris par la CASSO.

En résumé, la mesure thérapeutique en Suisse, par rapport à une alternative de traitement à l'étranger, comportait des risques notablement plus élevés, spécialement au vu des circonstances. En outre, les frais d'opération en Espagne, opération devisée à EUR 26'500.-, étaient de toute évidence largement moins élevés que ceux d'une opération en Suisse.

b. Par courrier du 19 août 2021, l’assureur a demandé à l’assurée de signer une « déclaration de consentement concernant l'échange de données personnelles » afin de transmettre son dossier à la doctoresse L______, spécialiste en chirurgie plastique, reconstructive et esthétique et médecin-cheffe auprès de l’hôpital universitaire de Bâle, afin qu’elle puisse évaluer en tant qu’experte reconnue la faisabilité d'une vaginoplastie en Suisse.

c. Cette demande a été renouvelée par courrier du 27 septembre 2021.

d. Le 4 octobre 2021, l’assurée a informé l’assureur de ce qu’elle avait été réopérée en mars 2021 par le Dr D______. Elle n’avait en effet pas pu attendre davantage, en raison des souffrances physiques et psychiques consécutives à la première vaginoplastie mal exécutée.

Pour le surplus, elle a demandé, afin de pouvoir se déterminer en toute connaissance de cause avant de retourner le formulaire de consentement, quels étaient les éléments que l’assureur entendait demander à l’experte. Elle a également expliqué qu’elle considérait que la Dresse L______ ne disposait pas de compétences spécifiques en chirurgie de réassignation de genre et n’effectuait notamment pas le nombre de vaginoplasties mensuelles requis par le Pr K______ dans son expertise du 20 juin 2015.

e. Le 15 octobre 2021, l’assurée a sollicité de l’assureur le remboursement de la facture d’EUR 19'800.- du Dr D______ relative à la reprise de la vaginoplastie le 8 avril 2021 à Madrid.

f. Le 22 octobre 2021, l’assureur a écrit à l’assurée que la Dresse L______ avait effectué de nombreuses opérations de changement de sexe, qu'elle était membre de la commission d'experts sur la dysphorie du genre auprès de l'office fédéral de la santé publique (ci-après : OFSP), qu'elle avait publié un compte rendu de conférence ayant pour nom « l'optimisation des traitements chirurgicaux pour personne trans » dans le bulletin des médecins suisses en septembre 2020. Dès lors, si l’assurée persistait à contester le choix de l’experte, il lui appartenait de transmettre des motifs de récusation pertinents et de soumettre des contre-propositions.

g. Par rapport du 5 novembre 2021, le Dr D______ a indiqué, en anglais, que l'assurée avait subi, le 8 avril 2021 une chirurgie de réassignation sexuelle de l'homme à la femme ayant consisté en une vaginoplastie avec interposition du côlon. Le chirurgien a expliqué avoir « reconstructed a neo-clitoris, meatus urethrae, major und minor labias and a vaginal cavity with a sigma-colon interponate performed in a strictly laparoscopic manner ». Les suites opératoires s’étaient déroulées sans complications.

h. Le 19 novembre 2021, l'assurée a admis la nécessité d’une expertise tout en maintenant ses objections à l’encontre de la Dresse L______, qui ne disposait pas, selon elle, des compétences nécessaires. Même pris dans son ensemble, l’hôpital universitaire de Bâle ne réalisait pas 24 vaginoplasties par année, soit le minimum préconisé par le Pr K______ dans son expertise du 20 juin 2015. Au demeurant, l’experte pressentie en réalisait donc encore moins, ce d’autant plus qu’elle n’était pas médecin-cheffe (Chefärztin), mais cheffe de clinique (Oberärztin), titre correspondant à un médecin ayant obtenu une spécialisation FMH, ce sans qu’aucune fonction de direction d’équipe ne soit pour autant associée. Quant au fait que la Dresse L______ était membre de la commission d’experts sur la dysphorie de genre auprès de l’OFSP, il n’attestait pas de compétences spécifiques en matière de chirurgie de réassignation de genre, la médecine transgenre couvrant de vastes domaines de compétence. Enfin, pour ce qui était du compte rendu de la conférence sur « l'optimisation des traitements chirurgicaux pour personne trans » qu’elle avait coécrit, l’assurée a souligné qu’il était paru dans le Bulletin des médecins suisses, soit une revue hebdomadaire regroupant des articles sur des sujets divers. Ces articles n’avaient pas de visée scientifique et n’étaient pas revus à l’aveugle par des pairs. L’article de la Dresse L______ ne figurait d’ailleurs pas dans la base de donnée Pubmed, répertoriant toutes les publications médicales à caractère scientifique au niveau mondial, et comportait diverses erreurs grossières.

L’assurée a proposé trois experts, soit le Pr K______, le professeur M______ (Belgique) et le docteur N____ (États-Unis). Elle a expliqué que ces experts étaient tous étrangers, dans la mesure où aucun chirurgien en Suisse ne disposait des compétences pour juger des capacités de centres hospitaliers suisses à prendre en charge une vaginoplastie avec interposition du côlon.

i. Le 30 novembre 2021, l’assureur a indiqué que suite à un nouvel arrêt de la CASSO vaudoise du 30 juin 2021 (AM 33/20 28/2021) reconnaissant qu’une vaginoplastie pouvait désormais être réalisée en Suisse selon les règles de l’art, il n’était plus nécessaire de mettre en œuvre une expertise pour l’établir.

j. Par courrier du 11 janvier 2022, l'assurée a persisté à solliciter la mise en œuvre de l’expertise. Elle a rappelé que l’assureur lui-même l’avait initialement considérée nécessaire (cf. courrier du 12 juillet 2021), reconnaissant qu’il ne disposait pas de suffisamment d'éléments pour rendre une décision. L’arrêt de la CASSO du 30 juin 2021 n’y changeait rien, la situation n’étant pas transposable et chaque cas devant être évalué concrètement, selon les caractéristiques personnelles de la patiente, lesquelles déterminaient notamment si les techniques opératoires connues en Suisse lui étaient adaptées, ce d'autant plus dans le cas d’espèce, s’agissant d’une reprise suite à l'échec d’une première opération. En outre, la situation visée par l’arrêt vaudois était également différente du fait que le refus de collaborer du médecin ayant opéré l'assurée s’était avéré décisif, dans la mesure où il avait empêché celle-ci de démontrer le bénéfice d'une opération à l'étranger. Enfin, la recourante a soulevé diverses critiques à l’encontre de l’arrêt de la CASSO en tant que tel, notamment le fait qu’il se fondait en grande partie sur l’avis médical du Dr C______, pressenti pour opérer l’assurée en Suisse, de sorte que la valeur probante de ses propos devait être relativisée, ce d’autant plus au vu de l’absence d’éléments contradictoires au dossier, résultant du refus de collaborer du chirurgien traitant au Portugal.

k. Par décision du 9 mars 2022, l’intimée a rejeté l’opposition, au motif qu’indépendamment de la situation prévalant en Espagne, il était désormais établi qu'une vaginoplastie ne présentait pas de risque notable en Suisse. Dès lors, une expertise n'apporterait aucun élément supplémentaire.

C. a. L’assurée a recouru contre cette décision le 11 avril 2022, concluant à son annulation, avec suite de frais et dépens. À titre préalable, elle a sollicité l’audition de plusieurs témoins, dont le Dr D______, ainsi que la mise en œuvre d’une expertise.

Elle a souligné que le caractère hautement complexe des vaginoplasties avait été sous-évalué par l’intimée, tout comme le fait que les médecins pratiquant ces interventions en Suisse ne disposaient pas de la formation (initiale et continue) ni de la pratique nécessaire pour pouvoir y procéder dans les conditions assurant la sécurité des soins. De manière plus générale, elle a contesté que de telles interventions puissent être pratiquées en Suisse dans le respect des critères posés par l'association professionnelle mondiale pour la santé des personnes transgenres (World Professional Association for Transgender Health, ci-après : WPATH) et par le Pr K______ dans son expertise de 2015. Dans le cas particulier de la recourante, soit celui d’une reprise de vaginoplastie avec interposition du côlon, les risques d’une intervention en Suisse étaient encore plus importants, ce type d’opération étant peu connu et peu pratiqué en Suisse. Enfin, elle a rappelé les compétences et l’expérience du Dr D______ en la matière et expliqué pourquoi, selon elle, une intervention par celui-ci dans sa clinique à Madrid garantissait le respect des standards de la WPATH, ainsi que ceux posés par le Pr K______.

D’une manière générale, elle a souligné l’insuffisance des mesures d’instruction mises en œuvre par l’intimée.

b. Par décision du 16 mai 2022, la recourante a été mise au bénéfice de l’assistance juridique.

c. L’intimée a conclu au rejet du recours le 13 mai 2022. Elle a maintenu que l’arrêt de la CASSO du 30 juin 2021 était tout à fait transposable au cas d’espèce et que, conséquemment, les mesures d’instruction complémentaires requises, notamment la mise en œuvre d’une expertise, n’étaient pas nécessaires, ni pertinentes. Il ressortait en effet de l’arrêt précité qu’une vaginoplastie, respectivement sa reprise, était une prestation établie en Suisse dont le risque était considéré comme raisonnable pour le patient.

d. La recourante a répliqué le 25 juillet 2022. Elle a expliqué que l’arrêt de la CASSO du 30 juin 2021 ne constituait pas un moyen de preuve et semblait critiquable à divers égards. En outre, contrairement à ce que semblait retenir l’intimée, cet arrêt n’invalidait pas l’expertise du Pr K______ de 2015, les juges ayant au contraire estimé que les critères de cette expertise restaient pertinents. Or, la réalisation de ces derniers (notamment ceux de la formation des médecins et leurs publications) n’avait pas été investiguée dans le cas particulier de la recourante.

e. Par courrier du 24 août 2022, l’intimée a persisté dans les termes et conclusions de son mémoire-réponse.

f. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 4 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-maladie, du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Interjeté dans la forme et le délai prescrits par la loi, le recours est recevable (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

3.             Le litige porte sur la prise en charge, par l’intimée, au titre de l’assurance obligatoire des soins, de la reprise de vaginoplastie subie par l'assurée en Espagne.

4.             La LAMal est fondée sur le principe de territorialité des prestations. Partant, celles-ci ne sont obligatoirement prises en charge que si elles ont été fournies en Suisse (Gebhard EUGSTER, Krankenversicherung, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 2ème éd. 2007, p. 559 n. 474).

L'art. 34 LAMal, qui se fonde sur cette prémisse, permet cependant au Conseil fédéral de décider de la prise en charge, par l'assurance obligatoire des soins, des coûts des prestations prévues aux art. 25 al. 2 ou 29 fournies à l'étranger pour des raisons médicales (al. 2, 1ère phase). Par « raisons médicales » au sens de l'art. 34 al. 2 LAMal, il faut entendre soit des cas d'urgence, soit des cas dans lesquels il n'y a pas en Suisse d'équivalent de la prestation à fournir (voir ATF 128 V 77 consid. 1b).

5.             Selon les art. 34 al. 2 LAMal et 36 al. 1 de l'ordonnance sur l'assurance-maladie du 27 juin 1995 (OAMal - RS 832.102), le Département fédéral de l'intérieur (DFI) est tenu de désigner les prestations générales en cas de maladie (art. 25 al. 2 LAMal) et les prestations en cas de maternité (art. 29 LAMal) dont les coûts occasionnés à l'étranger sont pris en charge par l'assurance-maladie obligatoire lorsqu'elles ne peuvent être fournies en Suisse ; le remboursement est plafonné au double du montant qui aurait été payé si le traitement avait eu lieu en Suisse (art. 36 al. 4 OAMal ; ATF 131 V 271 consid. 3.1 ; ATF 128 V 75 consid. 4).

Bien que le DFI n'ait pas établi une telle liste, on ne saurait en déduire que, d'une manière générale et absolue, un assuré qui a reçu, à l'étranger, des traitements médicaux ne pouvant être administrés en Suisse, ne puisse en aucun cas en obtenir la prise en charge (ATF 128 V 75 consid. 4. ; ATF 131 V 271, consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 44/06 du 20 février 2008 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_11/2007 du 4 mars 2008 consid. 3.1). Pour être remboursée, la prestation (art. 25 al. 2 et 29 LAMal) doit être adéquate (elle doit réellement ne pas pouvoir être fournie en Suisse) et satisfaire aux critères d'efficacité et d'économicité (art. 32 LAMal).

5.1 Une prestation est réputée ne pas pouvoir être fournie en Suisse dans deux cas de figure (art. 36 al. 1 OAMal) :

-          S'il n'existe aucune possibilité de traitement de la maladie en Suisse ;

-          Lorsqu'il est établi, dans le cas d'espèce, qu'une mesure thérapeutique en Suisse comporte pour le patient des risques importants et notablement plus élevés par rapport à une alternative de traitement à l'étranger, l'existence de tels risques devant être appréciée selon des critères objectifs (cf. notamment ATF 131 V 271 consid. 3.2 ; ATF 134 V 330 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_11/2007 du 4 mars 2008 consid. 3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral des assurances K 39/01 du 14 octobre 2002 consid. 3.2. et K 102/02 du 23 juin 2003 consid. 2).

5.2 Ainsi, seules de graves lacunes dans l'offre des soins disponibles en Suisse (« Versorgungslücke ») justifient une exception au principe de la territorialité (ATF 134 V 330 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 60/06 du 28 juin 2007 consid. 4.2 ; Ghislaine FRÉSARD FELLAY / Bettina KAHIL-WOLFF / Stéphanie PERRENOUD, Droit suisse de la sécurité sociale, vol. II, 2015, p. 224). Les deux hypothèses susmentionnées font généralement référence à des traitements nécessitant une technique hautement spécialisée ou à des traitements complexes de maladies rares pour lesquelles, en raison précisément de cette rareté, on ne dispose pas en Suisse d'une expérience diagnostique ou thérapeutique suffisante. Lorsque des traitements appropriés sont couramment pratiqués en Suisse et qu'ils correspondent à des protocoles largement reconnus, en revanche, l'assuré ne peut invoquer l'art. 34 al. 2 LAMal afin que le traitement suivi à l'étranger lui soit remboursé. Dans le même sens, quand une prestation fournie à l'étranger présente des avantages minimes, difficiles à estimer ou encore contestés, ceux-ci ne sauraient constituer des raisons médicales au sens de l'art. 34 al. 2 LAMal ; tel est également le cas lorsqu'une clinique à l'étranger dispose d'une plus grande expérience dans le domaine considéré (ATF 131 V 271 consid. 3.2 ; ATF 134 V 330, c. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 102/02 du 23 juin 2003 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_11/2007 du 4 mars 2008 consid. 3.1).

Doctrine et jurisprudence prônent une interprétation stricte de la notion « raisons médicales » (art. 34 al. 2 LAMal) afin, en particulier, d'éviter que les assurés ne pratiquent à grande échelle une forme de « tourisme médical » à la charge de l'assurance-maladie obligatoire. À noter aussi que compte tenu de ce que la LAMal repose sur le régime des conventions tarifaires avec les établissements hospitaliers (art. 49 LAMal), reconnaître aux assurés le droit de se faire soigner aux frais de l'assurance-maladie obligatoire dans un établissement très spécialisé à l'étranger afin d'obtenir les meilleures chances de guérison possibles ou de se faire traiter par les meilleurs spécialistes à l'étranger pour le traitement d'une affection en particulier équivaudrait à remettre en cause ce financement, ainsi que la planification hospitalière qui lui est intrinsèquement liée ; un tel procédé risquerait de compromettre le maintien d'une capacité de soins ou d'une compétence médicale en Suisse, essentiel pour la santé publique. Dès lors, en l'absence de raisons médicales, lorsque l'assuré recourt à un traitement médical à l'étranger, il n'a pas droit au remboursement d'un montant équivalent aux frais qui auraient été occasionnés si le traitement avait eu lieu en Suisse. En ce sens, l'assuré ne peut pas se prévaloir du droit à la substitution de la prestation (ATF 126 V 332 consid. 1b ; ATF 131 V 271 consid. 3.2 et les références ; ATF 134 V 330 consid. 2.4 ; ATF 145 V 170, consid. 7.1).

Toutefois, il convient également de relever que, dans sa jurisprudence récente, le Tribunal fédéral a observé que la prévention de déficits d'approvisionnement au niveau national ne devait pas devenir une fin en soi. En effet, dans le contexte par exemple d'une intervention chirurgicale, une opération peut être si rarement pratiquée qu'il se pose la question de savoir si l'équipe chirurgicale peut acquérir, respectivement maintenir l'expérience et la routine nécessaires. Autrement dit, si le traitement disponible en Suisse expose l'assuré à un risque inacceptable, en raison d'un manque de pratique spécifique de la part du corps médical, il y a finalement autant de lacunes dans les soins que si aucun traitement n'était disponible en Suisse (ATF 145 V 170 consid. 7.3).

5.3 Les raisons médicales ont, par exemple, été niées dans les cas suivants :

-          un assuré atteint d'un carcinome épidermoïde de la branche ascendante de la mandibule gauche, qui s'était rendu aux États-Unis afin de subir une reconstruction par microchirurgie au moyen du tissu osseux de l'omoplate. Le Tribunal fédéral a estimé que l'assuré aurait dû, avant de suivre les conseils de son médecin traitant de se rendre aux États-Unis, étendre ses recherches aux grands centres hospitaliers de Suisse alémanique, où l'intervention était possible (arrêt du Tribunal fédéral 9C_11/2007 du 4 mars 2008) ;

-          une assurée atteinte d'un cancer du sein, qui s'était rendue en Italie dans le but de subir une quadrantectomie avec radiothérapie intra-opératoire localisée. Le Tribunal fédéral a jugé que ce traitement ne devait pas être remboursé par l'assurance-maladie obligatoire, dès lors qu'une mastectomie constituait une alternative thérapeutique disponible en Suisse, laquelle était raisonnable et exigible d'un point de vue médical et ne comportait pas de risques importants et notablement plus élevés. Une prise en charge par l'assurance-maladie suisse a été niée, quand bien même une radiothérapie intra-opératoire pratiquée en Italie et permettant de se substituer à plus de 30 séances de radiothérapie post-opératoire en Suisse, offrait un gain en termes de confort pour l'assurée et de coûts pour l'assurance-maladie (arrêt du Tribunal fédéral des assurances K.1/06 du 26 février 2007) ;

-          un assuré qui s'était rendu aux États-Unis pour le traitement d'un adénocarcinome du rectum, au moyen d'une radiothérapie intra-opératoire (prestation indisponible en Suisse). Le Tribunal fédéral a considéré que ce traitement ne devait pas être pris en charge par l'assurance-maladie obligatoire, étant donné que la mesure thérapeutique disponible en Suisse (une radiothérapie préopératoire) n'entraînait pas de risque important et notablement plus élevé et représentait dès lors une alternative thérapeutique raisonnable et exigible. Le fait que le traitement proposé à l'étranger et non disponible en Suisse diminuait les risques de récidive dans une mesure difficile à évaluer n'était pas suffisant pour justifier sa prise en charge par l'assurance obligatoire des soins (ATF 131 V 271).

En revanche, le Tribunal fédéral a retenu que, dans le cas d'une assurée qui avait, été atteinte d'un cancer du sein en 1984 et avait dû subir une tumorectomie du sein droit et une chimiothérapie, à la suite desquelles elle avait développé un lymphoedème du bras (enflure chronique du bras), une intervention conservative, effectuée en Italie en 2005 suite à un second cancer du sein (intervention permettant d'ôter les quadrants du sein gauche atteints par la tumeur au moyen d'une biopsie du ganglion lymphatique sentinelle et des ganglions de la chaine mammaire interne), présentait une « valeur ajoutée considérable » par rapport à l'intervention disponible en Suisse, qui consistait en une mastectomie avec curage axillaire et présentait un risque élevé de lymphoedème bilatéral avec un impact considérable sur la qualité de vie de l'assurée, déjà fortement handicapée en raison du lymphoedème de son bras droit ; compte tenu de la situation particulière de l'assurée, le Tribunal fédéral a estimé qu'il se justifiait de mettre à la charge de l'assurance-maladie obligatoire les coûts de l'intervention exécutée en Italie (arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 44/06 du 20 février 2008 consid. 9-10).

6.             En l’espèce, il convient d'examiner si le traitement qui a été dispensé à la recourante à Madrid pouvait être fourni en Suisse, sans l'exposer à des risques notablement plus élevés. Comme exposé dans les considérants qui précèdent, une mesure thérapeutique est réputée ne pas pouvoir être fournie en Suisse, notamment lorsqu'elle comporte pour le patient des risques importants et notablement plus élevés qu'un traitement à l'étranger (art. 36 al. 1 OAMal ; ATF 131 V 271). La recourante soutient que tel est le cas en l'espèce, ce que l'intimée conteste.

6.1 Contrairement à la portée que l’intimée semble vouloir lui donner, l’ATF 145 V 170 précité (qui concerne une phalloplastie) ne tranche pas la question du « risque inacceptable » pour toutes les opérations de réassignation de genre, pas plus qu’il n’invalide, in extenso, l’expertise du Pr K______ du 20 juin 2015. En substance, cet arrêt met plutôt en exergue la nécessité d’une instruction concrète en fonction des situations médicales particulières afin de déterminer dans chaque cas si « l'offre thérapeutique correspondante sur le territoire national comporte [ ], par rapport au même traitement à l'extérieur, des risques de complications tellement plus élevés, en raison de la faible fréquence des opérations dans notre pays, que l'on ne peut plus considérer, eu égard au succès de guérison visé en Suisse, qu'il s'agit d'un traitement médicalement responsable et raisonnablement exigible, c'est-à-dire approprié (art. 32 al. 1 LAMal) » (consid. 7.5). C’est d’ailleurs en grande partie au regard de ce principe que notre Haute Cour relativise la portée des résultats de l’expertise du Pr K______ du 20 juin 2015, vu qu’ils concernent une situation médicale et une période distinctes (consid. 8.2).

6.2 En l’espèce, la seule mesure d'instruction mise en œuvre par l'intimée suite à la demande de la recourante d’une prise en charge de la reprise de sa vaginoplastie par les soins du Pr. D______, a consisté à demander à son médecin-conseil de compléter un formulaire, sur la prise en charge obligatoire du traitement par l'assurance obligatoire de soins, et sur la possibilité d'effectuer ce traitement en Suisse. En date du 28 septembre 2020, le médecin-conseil a répondu en une phrase qu'il s'agissait d'une prestation à charge de l'assurance-maladie, et qu'elle pouvait être réalisée en Suisse (pièce 7). Comme la recourante le relève à juste titre, cet avis sommaire et non motivé ne satisfait pas aux réquisits jurisprudentiels qui permettraient de lui conférer une valeur probante (ATF 125 V 351 consid. 3).

L’intimée l’a d’ailleurs explicitement admis, vu qu’elle a successivement indiqué : que des mesures d’instruction étaient nécessaires, notamment par le biais d’avis médicaux auprès d’autres spécialistes (pièce 15 int.), que pour répondre à son obligation de clarification, son médecin-conseil avait pris contact avec une experte reconnue, la Dresse L______, pour lui demander d’évaluer la faisabilité d’une vaginoplastie en Suisse (pièce 20 int.) et finalement qu’elle entendait mandater la Dresse L______ en tant qu’experte externe pour trancher cette question (pièce 23 rec.).

C’est finalement uniquement suite à l’arrêt de la Cour des assurances sociales (ci-après : CASSO) du canton de Vaud du 30 juin 2021 (AM 33/20 28/2021) que l’intimée a renoncé à toute mesure d’instruction complémentaire et notamment à la mise en œuvre d’une expertise. Elle a en effet considéré que de telles mesures n’étaient plus nécessaires, car cet arrêt aurait répondu par la positive à la question de savoir si l’opération de vaginoplastie pouvait être réalisée selon les règles de l’art en Suisse et que cette conclusion était tout à fait transposable au présent cas.

6.3 La Cour de céans relève cependant que le cas ayant fait l’objet de l’arrêt de la CASSO du 30 juin 2021 est distinct de la présente situation, tant pour des questions médicales que juridiques.

6.3.1 Tout d’abord, la nature de l’opération est différente, vu qu'il s’agit d’une reprise de vaginoplastie, soit une deuxième opération suite à l’échec de la première. En outre, la technique d’intervention à laquelle la recourante s’est soumise consiste en une inversion pénienne comportant une interposition du côlon, soit l’utilisation d’une partie du côlon pour constituer le neovagin. Cette méthode a été préconisée par le Dr D______ du fait que, chez la recourante, la peau du pénis ne suffisait pas à constituer un neovagin suffisamment profond, ce qui expliquait au moins en partie l'échec de la première opération (pièce 3 rec.). Il semble avéré que cette méthode est moins pratiquée en Suisse qu’une inversion pénienne « simple » telle que celle visée par l’arrêt de la CASSO du 30 juin 2021. Elle semble d’ailleurs être majoritairement considérée (à tort selon la recourante) comme une technique de révision (cf. Barbara MUSKOVICA,c, Dirk Johannes SCHAEFERB,c, David Garcia NUÑEZ Erstes Schweizer Konsensustreffen zur Standardisierung der geschlechtsangleichenden Chirurgie : Optimierung chirurgischer Behandlungen für trans Personen), par définition moins fréquente qu’une intervention initiale.

Par ailleurs, dans la situation examinée dans l’arrêt de la CASSO du 30 juin 2021, l’intéressée ne pouvait apparemment bénéficier d'aucun suivi post-opératoire par le médecin ayant procédé à l’opération (ou par son équipe). Dans la présente affaire, le suivi post-opératoire a en revanche été assuré, en Suisse, par le Dr D______. S’il n’est peut-être pas décisif à lui seul, cet aspect ne paraît pas non plus totalement anodin.

6.3.2 Au-delà de l’aspect strictement médical, la Cour de céans constate que le résultat auquel aboutit la CASSO dans l’arrêt du 30 juin 2021 découle en grande partie de l’absence de collaboration de l’assurée et de son médecin. Ainsi, la CASSO relève que s’agissant de l’intervention effectuée à l’étranger (en l’occurrence au Portugal), aucune pièce n’était produite permettant d’en établir la nature exacte, les caractéristiques, risques et avantages. Aucune information pertinente et vérifiable relative au médecin ayant procédé à l’intervention n’était en outre produite (formation, spécialisation, fréquence des interventions de ce type, collaborations, etc.). Ledit médecin ne s’était d’ailleurs pas manifesté malgré les nombreuses interpellations de l’assureur (par courriel, courrier, courrier recommandé, téléphone) afin qu’il fournisse les informations pertinentes. Dans ces circonstances, vu l’absence totale de pièces permettant d’établir les circonstances de l’opération à l’étranger, il n’était pas possible de reprocher à l’assureur d’avoir violé son devoir d’instruire et d’avoir rendu une décision en l’état (arrêt AM 33/20 28/2021, consid. 5d).

Sous cet angle également, la situation n’est donc guère comparable à celle qui prévaut dans la présente procédure. Le Dr D______ a spontanément écrit à l’intimée afin d’expliquer son intervention et n’a montré aucun signe permettant de remettre en cause sa volonté de collaborer. Quant à la recourante, elle a également toujours été proactive, expliquant les raisons pour lesquelles elle estimait que son opération à Madrid était moins risquée qu’une intervention en Suisse et se déclarant disposée à se soumettre à une expertise. Contrairement à l’arrêt de la CASSO du 30 juin 2021, les nombreux éléments qui manquent au présent dossier résultent ainsi non pas d’un manque de collaboration de la recourante, mais bien d’un manque d’instruction de la part de l’intimée.

6.3.3 Pour l’ensemble de ces raisons, les conclusions de l’arrêt du 30 juin 2021 de la CASSO ne sont pas transposables à la présente situation, laquelle devait dès lors faire l’objet d’une instruction per se, conformément aux principes rappelés dans l’ATF 145 V 170.

6.4 La Cour de céans rappelle finalement qu’elle n’est pas liée par l’arrêt de la CASSO du 30 juin 2021, contrairement à ce que semble soutenir l’intimée dans ses écritures. Elle se permet dès lors de relever que cet arrêt a uniquement une portée sui generis et émet en outre des réserves quant à l’affirmation qui y figure selon laquelle le système médical suisse offrirait en matière de vaginoplastie « une pratique bien établie et respectant des règles déterminées et internationalement reconnues et appliquées » (consid. 5c.aa). En effet, cette affirmation n'est pas convaincante, dans la mesure où elle se fonde pour l’essentiel sur les seuls propos du Dr C______. Outre que, comme déjà relevé, les allégations de ce dernier n’ont pas pu faire l’objet d’un débat contradictoire (faute de collaboration du médecin traitant ou de mise en œuvre d’une expertise), leur objectivité est sujette à caution pour au moins deux raisons.

Premièrement, il est établi que les compétences en chirurgie de réassignation de genre, spécialement pour les vaginoplasties, sont réparties en Suisse sur trois centres hospitaliers universitaires sis à Bâle, Zurich et Lausanne. Il paraît évident qu’en tant que médecin cadre et responsable de la prise en charge chirurgicale des patients transgenres au sein de l’un de ces trois centres (soit le CHUV) depuis 2008, le Dr C______ ne peut pas évaluer de façon neutre ses propres compétences, celles de ses équipes ou même de la place hospitalière suisse pour ce type de chirurgies. Toute réserve qu’il viendrait à émettre à cet égard pourrait ainsi être interprétée comme la reconnaissance d’une incapacité, ou pour le moins d'une difficulté à exercer ses fonctions dans les règles de l’art. C’est d’ailleurs probablement pour des raisons de cet ordre qu’en 2015, la CASSO avait eu la sagesse de nommer un expert étranger, soit le Pr K______, pour évaluer la qualité des soins en Suisse en matière de vaginoplasties. Deuxièmement, dans le cas spécifique traité par la CASSO dans son arrêt du 30 juin 2021, il appert que c’était précisément le Dr C______ qui devait opérer l’assurée jusqu’à ce qu’elle change d’avis et opte pour une intervention auprès d’un médecin au Portugal, pour des raisons d’expériences et de compétences. Il est légitime de douter de l’objectivité de la prise de position du médecin vaudois dans ces circonstances.

6.5 Il ressort de ces éléments que, contrairement à ce qu’affirme l’intimée, l’arrêt du 30 juin 2021 de la CASSO, outre qu’il n’est pas transposable au cas d’espèce, n’établit pas non plus, au degré de la vraisemblance prépondérante, que le système médical suisse offrirait en matière de vaginoplastie une pratique bien établie et respectant des règles déterminées, internationalement reconnues et appliquées. Dans la mesure où l’inverse n’est pas non plus démontré au niveau de preuve requis, eu égard notamment aux différentes critiques soulevées par le Tribunal fédéral dans l’ATF 145 V 170 à l’encontre de l’expertise de 2015 du Pr K______, cette question ne pouvait être éludée par l’intimée, qui se devait d’y répondre concrètement, au terme d’une instruction portant sur les spécificités, notamment médicales du cas de la recourante. L’intimée se devait non seulement de mettre en œuvre une expertise (dont elle avait elle-même admis la nécessité), mais également, et même préalablement, solliciter des renseignements précis auprès du Dr D______, concernant notamment sur les détails de l’opération à Madrid (risques, avantages, etc.) ou encore les raisons pour lesquelles il procède à ce type d’interventions en Espagne plutôt que dans sa clinique zurichoise. À cet égard, il n’est pas satisfaisant que l’intimée indique simplement dans la décision entreprise que « bien que le Dr D______ n'ait pas été questionné par Helsana, il n'est pas sûr que celui-ci dispose d'une infrastructure multidisciplinaire plus développée qu'en Suisse. Il n'est pas non plus établi que la technique opératoire effectuée par le Dr D______ soit plus efficace » (pièce 29 int., p. 24), ce sans chercher une réponse à ces questions pourtant nécessaires à l’évaluation concrète des risques relatifs à l’opération spécifique dont il est question.

7.             En renonçant à ces mesures, l’intimée a violé son obligation d’instruire d’office (art. 43 al. 1 LPGA). Partant, le recours est partiellement admis, la décision sur opposition du 9 mars 2022 sera donc annulée et la cause renvoyée à l’intimée pour complément d’instruction.

Dans ce cadre, il conviendra, au minimum, qu’elle questionne dans un premier temps le Dr D______ sur les différents éléments qui viennent d’être mentionnés, puis, sur la base de ses réponses, qu’elle mette en œuvre une expertise permettant d’établir si, dans le cas concret de la recourante, l’intervention chirurgicale préconisée par le Dr D______ se justifiait et, cas échéant, s’il était possible d’y procéder en Suisse sans que cela ne comporte pour l’intéressée des risques importants et notablement plus élevés par rapport à l’intervention subie à Madrid. Dans un souci d’objectivité et d’impartialité, il conviendra de confier l’expertise à un spécialiste reconnu en chirurgie de réassignation de genre, n’exerçant pas en Suisse.

L'intimée rendra ensuite une nouvelle décision portant sur la prise en charge du traitement dispensé à l'étranger.

8.             La recourante obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 2'000.- lui est accordée à titre de participation à ses frais et dépens, à la charge de l'intimée (art. 61 let. g LPGA ; art. 89H al. 3 LPA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA ; RS E 5 10.03).

9.             La procédure est gratuite (art. 89H al. 1 LPA).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Admet partiellement le recours.

3.        Annule la décision du 9 mars 2022.

4.        Renvoie la cause à l’intimée pour instruction complémentaire, au sens des considérants, et nouvelle décision.

5.        Alloue à la recourante une indemnité de CHF 2'000.- à titre de dépens, à la charge de l'intimée.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

La présidente suppléante

 

 

 

 

Maya CRAMER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le