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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1661/2019

ATAS/498/2022 du 30.05.2022 ( AVS ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1661/2019 ATAS/498/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 30 mai 2022

6ème Chambre

En la cause

Monsieur A______, domicilié à BRUSON, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Marc MATHEY-DORET

recourant

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION, sise rue des Gares 12, Genève

intimée

et

 

Monsieur B______, à BRUSON

Monsieur C______, domicilié à CHENE-BOURG, comparant avec élection de domicile en l’Etude de Maître Guerric CANONICA

Monsieur D______, domicilié à BULLE

appelés en cause


EN FAIT

A. a. La société E______ SA, créée en ______ 2007, devenue F______SA (ci-après : la société, la société faillie ou F______) le ______ 2010, ayant son siège social à Genève, avait pour but social le génie civil, la réalisation d’aménagements extérieurs, les transports et l’exploitation de gravières.

À teneur de l’extrait du registre du commerce y relatif, Monsieur C______ en était l’administrateur du ______ 2010 au ______ 2013. Le 30 août 2013, Monsieur D______ lui a succédé dans cette fonction.

b. Le personnel de la société était affilié auprès de la Caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la CCGC, la caisse ou l’intimée).

c. À partir de 2010, la société n’a honoré qu’irrégulièrement les factures de cotisations sociales et les retards de paiements se sont accumulés. La CCGC lui a par conséquent réclamé le montant total de CHF 267'683.- pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2014.

d. Le 15 décembre 2014, le Tribunal de première instance a prononcé la faillite de la société. Par jugement du 16 septembre 2015, le tribunal précité a suspendu la liquidation de la société faute d’actifs, laissant la caisse avec un découvert de CHF 267'683.- à cette date. Le 4 janvier 2016, la société en liquidation a été radiée d’office du registre du commerce.

B. a. Par décision du 24 août 2016, la caisse a réclamé à Monsieur C______ le paiement de CHF 167'652.70, précisant qu’il s’agissait de la somme de montants dus et exigibles lorsqu’il avait pris ses fonctions et échus au cours de son mandat (soit CHF 1'130.55 pour 2010, CHF 2'548.85 pour 2011, CHF 92'982.25 pour 2012 et CHF 70'991.05 pour 2013), et qu’il en était solidairement responsable avec son successeur.

b. Dans son opposition du 10 septembre 2016, Monsieur C______ a notamment porté à la connaissance de la caisse le fait que « la justice » instruisait une procédure en reconnaissance de responsabilité à l’encontre du propriétaire de la société.

c. A la demande de la caisse, Monsieur C______ a encore précisé, par pli du 14 février 2017, que de nombreux éléments attestaient de la forte implication de plusieurs personnes dans la faillite de la société. Il s’agissait de Monsieur A______ et de son fils, Monsieur B______, propriétaires de la société, ainsi que d’un employé de celle-ci, Monsieur G______, qui en était le comptable.

d. Le 2 août 2018, la CCGC a rejeté l’opposition de Monsieur C______, celui-ci ayant été un organe formel de la société.

Sur recours, la chambre de céans a confirmé la décision sur opposition précitée (ATAS/333/2019 du 15 avril 2019 – A/2972/2018) compte tenu du statut d’organe formel de Monsieur C______.

C. a. Par décision du 28 février 2017, la caisse a réclamé à Monsieur A______ (ci-après : l’intéressé ou le recourant) le paiement de CHF 267'683.-, représentant les cotisations paritaires dues et exigibles lorsqu’il avait pris ses fonctions et échues au cours de son mandat et dont il était solidairement responsable avec Messieurs D______ et B______ pour le même montant, et avec Monsieur C______ à concurrence de CHF 167'652.70.

b. Le 21 mars 2019, la CCGC a écarté l’opposition de l’intéressé et confirmé sa décision du 28 février 2017, considérant que l’intéressé devait en réalité être qualifié d’organe de fait, de sorte qu’il était responsable du dommage subi dans la faillite de la société. En sa qualité d’organe de fait, il lui incombait de s’assurer personnellement du respect des prescriptions légales en matière AVS. Son inaction constituait par conséquent une négligence grave.

D. a. Le 28 mars 2019, l’intéressé a adressé à la Chambre de céans un courrier, à teneur duquel il contestait la décision du 21 mars 2019 (« j’ai bien reçu votre décision, datée du 21 mars, reçue le 23 mars dernier »), relevant que les déclarations de Monsieur C______ étaient mensongères et dictées par le besoin de se blanchir. Il n’était en effet ni employé de la société et il n’avait jamais perçu de salaire. Il ne faisait partie ni de la direction de la société ni de son conseil d’administration. Il habitait à 160 km du siège de la société et n’avait pas de domicile à Genève. Il s’agissait d’une société dont il avait vaguement entendu parler étant donné que son fils y travaillait.

Par courrier du 2 avril 2019, la Chambre de céans a retourné le courrier du 28 mars 2019 à son expéditeur, celui-ci n’étant pas partie à la procédure A/2972/2018 et aucune prise de position de sa part n’ayant été sollicitée.

b. Le 2 mai 2019, sous la plume de son conseil, l’intéressé a interjeté recours concluant, sous suite de dépens, à l’annulation des décisions des 21 mars 2019 et 28 février 2017, contestant tant la qualité d’organe de fait que le dommage que la caisse lui attribuait.

c. Par courrier du 5 juin 2019, le recourant a sollicité l’apport de la procédure A/2972/2018 ou, alternativement, la jonction des deux causes. Il a également sollicité la production, par la caisse, du dossier complet relatif aux procédures en réparation du dommage liées à la faillite de la société et l’apport de la procédure pénale dont se prévalait la caisse intimée. Enfin, à titre probatoire, le recourant a sollicité l’audition des anciens administrateurs de la société ainsi que de ses organes de révision.

d. Le 2 juillet 2019, l’intimée a prié la Chambre de céans de se déterminer sur les requêtes procédurales du recourant avant de répondre.

e. Les 6 août, 26 septembre et 29 octobre 2019, le recourant a persisté dans ses conclusions.

f. Les 16 décembre 2019 et 10 janvier 2020, l'intimée a fait valoir sa position et a persisté dans ses précédentes écritures, transmettant en outre, d’une part, des documents pouvant attester, selon elle, du rôle du recourant au sein de la société et, d’autre part, les autres pièces fondant les prétentions de la caisse à l’encontre du recourant.

g. Par écritures des 17 février 2020 et 23 mars 2020, le recourant, respectivement l’intimée, ont persisté dans leurs conclusions qu’ils ont encore précisées

h. Par courrier du 4 mai 2020, le recourant a sollicité la suspension de l’instruction de la procédure, suspension à laquelle la caisse s’est opposée par courrier du 12 mai 2020.

i. Par courriers des 17 août et 27 octobre 2020, la Chambre de céans a sollicité la communication, par le Ministère public, de toute pièce de la procédure P17282/2013 précisant les faits reprochés au recourant (mise en prévention, acte d’accusation, ordonnance de classement, etc.) ainsi que toute pièce utile permettant le cas échéant de rendre vraisemblable la qualité d’organe de fait du précité.

j. Par ordonnance du 30 septembre 2021, la Chambre de céans a appelé en cause Messieurs D______, C______ et B______ et leur a imparti un délai pour se déterminer.

k. Par courrier du 3 novembre 2021, Monsieur C______ a considéré que le recourant était organe de fait, pour les motifs qu’il a explicités dans son courrier.

l. De son côté, Monsieur B______ a expliqué, par courrier du 2 décembre 2021, qu’il avait formé opposition à la décision du 28 février 2017 mais que depuis lors, aucune décision sur opposition n’avait été rendue à son encontre. En tous les cas, il estimait que les créances dirigées à son encontre étaient prescrites.

m. Quant à Monsieur D______, il ne s’est pas manifesté.

n. Par courrier du 2 mai 2022, la Chambre de céans a informé les parties que le Ministère public lui avait transmis le texte de la mise en prévention concernant le recourant, lequel ne comportait aucune accusation le concernant en sa qualité d’organe de fait de la société faillie, étant précisé que des défaillances notamment en lien avec des cotisations relatives à la prévoyance professionnelle lui étaient reprochées mais qu’elles ne concernaient pas la société faillie.

 

EN DROIT

1.         

1.1. Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) en vigueur dès le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10).

Sa compétence ratione materiae pour juger du cas d’espèce est ainsi établie

1.2.1 Selon l’art. 52 al. 5 LAVS, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA, le tribunal des assurances du canton dans lequel l’employeur est domicilié est compétent pour traiter le recours. Cette disposition est également applicable lorsque la caisse recherche un organe de l’employeur en réparation du dommage, et ce quel que soit le domicile dudit organe (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 184/06 du 25 avril 2007 consid. 2.3).

1.2.2. La société étant domiciliée dans le canton de Genève jusqu'au moment de la faillite, la Chambre de céans est également compétente ratione loci.

2.        Le délai de recours est de trente jours (art. 60 al. 1 LPGA). Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, compte tenu de la suspension des délais du 7e jour avant Pâques au 7e jour après Pâques inclusivement (art. 38 al. 4 let. a LPGA et art. 89C let. a LPA), le recours est recevable (art. 56 ss LPGA et 62 ss LPA).

3.        Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Toutefois, dans la mesure où le recours était, au 1er janvier 2021, pendant devant la chambre de céans, il reste soumis à l'ancien droit (cf. art. 82a LPGA ; RO 2020 5137 ; FF 2018 1597 ; erratum de la CdR de l’Ass. féd. du 19 mai 2021, publié le 18 juin 2021 in RO 2021 358).

4.         

4.1. À teneur de l’art. 1 al. 1 LAVS, les dispositions de la LPGA s’appliquent aux art. 1 à 97 LAVS, à moins que la loi n’y déroge expressément.

L’entrée en vigueur de la LPGA le 1er janvier 2003 a entraîné la modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de l’AVS, notamment en ce qui concerne l’art. 52 LAVS. Désormais, la responsabilité de l’employeur y est réglée de manière plus détaillée qu’auparavant et les art. 81 et 82 du règlement sur l’assurance-vieillesse et survivants du 31 octobre 1947 (RAVS - RS 831.101) ont été abrogés. Les principes dégagés par la jurisprudence sur les conditions de droit matériel de la responsabilité de l’employeur au sens de l’art. 52 LAVS dans sa teneur précédente restent valables sous l’empire des modifications introduites par la LPGA (ATF 129 V 11 consid. 3.5 et 3.6). Les modifications de la LAVS du 7 juin 2011, entrées en vigueur le 1er janvier 2012, ont également entraîné la modification de nombreuses dispositions légales, en particulier l’art. 52 al. 2 à 4 LAVS. Par ailleurs, le 1er janvier 2020 est entrée en vigueur la révision du droit de la prescription de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), entraînant la modification de l’art. 52 al. 3 LAVS.

4.2. En l’espèce, au vu des faits pertinents, la responsabilité du recourant doit être examinée, sur le plan matériel, au regard des dispositions en vigueur depuis le
1er janvier 2012, étant encore précisé qu’eu égard au principe de droit intertemporel selon lequel les dispositions légales applicables sont celles en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 130 V 445 consid. 1), c’est la teneur de l’art. 52 al. 2 LAVS en vigueur jusqu’au 31 décembre 2019 qui est applicable au cas d’espèce.

5.        Le litige porte sur la responsabilité du recourant dans le préjudice causé à l’intimée, par le défaut de paiement des cotisations sociales (AVS-AI-APG et AC ainsi qu’AMat et AF) entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2014.

6.         

6.1. L'art. 14 al. 1er LAVS en corrélation avec les art. 34 et suivants RAVS, prescrit l'obligation pour l'employeur de déduire sur chaque salaire la cotisation du salarié et de verser celle-ci à la caisse de compensation avec sa propre cotisation. Les employeurs doivent envoyer aux caisses, périodiquement, les pièces comptables concernant les salaires versés à leurs salariés, de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l'objet de décisions. L'obligation de payer les cotisations et de fournir les décomptes est, pour l'employeur, une tâche de droit public prescrite par la loi. À cet égard, le Tribunal fédéral a déclaré, à réitérées reprises, que la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS est liée au statut de droit public. L'employeur qui ne s'acquitte pas de cette tâche commet une violation des prescriptions au sens de l'art. 52 LAVS, ce qui entraîne pour lui l'obligation de réparer entièrement le dommage ainsi occasionné (ATF 118 V 193 consid. 2a).

6.2. Selon l’art. 52 LAVS, dans sa teneur du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2019, l'employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n'observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à l'assurance, est tenu à réparation (al. 1). Si l'employeur est une personne morale, les membres de l'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d'un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage (al. 2). Le droit à réparation est prescrit deux ans après que la caisse de compensation compétente a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, cinq ans après la survenance du dommage. Ces délais peuvent être interrompus. L'employeur peut renoncer à invoquer la prescription. Si le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long, celui-ci est applicable (al. 3). La caisse de compensation fait valoir sa créance en réparation du dommage par voie de décision (al. 4).

7.        À titre liminaire, il convient d’examiner si la prétention de la caisse est prescrite.

7.1.1. Les délais prévus par l’art. 52 al. 3 LAVS doivent être qualifiés de délais de prescription, non de péremption, comme cela ressort du texte légal et des travaux préparatoires de la LPGA (SVR 2005 AHV n° 15 p. 49 consid. 5.1.2 ; FF 1994 V 964 ; FF 1999 p. 4422). Alors que le délai de prescription de deux ans commence à courir dès la connaissance du dommage, celui de cinq ans débute, en revanche, dès la survenance du dommage (ATF 129 V 193 consid. 2.2). Cela signifie qu'ils ne sont plus sauvegardés une fois pour toutes avec la décision relative aux dommages-intérêts ; le droit à la réparation du dommage au sens de l'art. 52 al. 1 LAVS peut donc aussi se prescrire durant la procédure d'opposition ou la procédure de recours qui s'ensuit (ATF 135 V 74 consid. 4.2).

7.1.2. Le dommage survient dès que l'on doit admettre que les cotisations dues ne peuvent plus être recouvrées, pour des motifs juridiques ou de fait (ATF 129 V 193 consid. 2.2; ATF 126 V 443 consid. 3a). Ainsi, en matière de cotisations, un dommage se produit au sens de l'art. 52 LAVS lorsque l'employeur ne déclare pas à l'AVS tout ou partie des salaires qu'il verse à ses employés et que, notamment, les cotisations correspondantes se trouvent ultérieurement frappées de péremption selon l'art. 16 al. 1 LAVS. Dans un tel cas, le dommage est réputé survenu au moment de l'avènement de la péremption (ATF 112 V 156 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 35/06 du 4 octobre 2006 consid. 6). Ce jour marque également celui de la naissance de la créance en réparation et la date à partir de laquelle court le délai de 5 ans (ATF 129 V 193 consid. 2.2 ; ATF 123 V 12 consid. 5c).

Un dommage se produit également en cas de faillite, en raison de l'impossibilité pour la caisse de récupérer les cotisations dans la procédure ordinaire de recouvrement. Le dommage subi par la caisse est réputé être survenu le jour de la faillite (ATF 129 V 193 consid. 2.2).

7.1.3. Selon la jurisprudence rendue à propos de l'ancien art. 82 al. 1 RAVS, et valable sous l'empire de l'art. 52 al. 3 LAVS (arrêt du tribunal fédéral des assurances H 18/06 du 8 mai 2006 consid. 4.2), il faut entendre par moment de la « connaissance du dommage », en règle générale, le moment où la caisse de compensation aurait dû se rendre compte, en faisant preuve de l'attention raisonnablement exigible, que les circonstances effectives ne permettaient plus d'exiger le paiement des cotisations, mais pouvaient entraîner l'obligation de réparer le dommage (ATF 129 V 193 consid. 2.1).

En cas de faillite, le moment de la connaissance du dommage correspond en règle générale à celui du dépôt de l'état de collocation, ou celui de la publication de la suspension de la liquidation de la faillite faute d'actifs (ATF 129 V 193 consid. 2.3), la date de la publication de cette mesure dans la Feuille officielle suisse du commerce (FOSC) étant déterminante (arrêt du Tribunal fédéral H.142/03 du 19 août 2003 consid. 4.3 ; ATF 129 V 193 consid. 2.3).

7.1.4. S’agissant des actes interruptifs de prescription, il sied de retenir ce qui suit. Tandis que le juge ne peut interrompre la prescription que par une ordonnance ou une décision, « chaque acte judiciaire des parties » suffit à produire cet effet (art. 138 al. 1 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse - CO, Code des obligations; RS 220). Cette notion d'acte judiciaire des parties doit être interprétée largement tout en ayant égard à la ratio legis de la disposition citée, qui est de sanctionner l'inaction du créancier. Il faut donc considérer comme acte judiciaire d'une partie tout acte de procédure relatif au droit invoqué en justice et susceptible de faire progresser l'instance (ATF 130 III 202 consid. 3.2). Par ailleurs, tant la décision que l’opposition interrompent le délai de prescription de deux ans et font courir un nouveau délai de même durée (ATF 135 V 74 consid. 4.2.2).

Selon l’art. 136 al. 1 CO, la prescription interrompue contre l’un des débiteurs solidaires ou l’un des codébiteurs d’une dette indivisible l’est également contre tous les autres. Cette règle n’est cependant valable qu'en cas de solidarité parfaite (ATF 133 III 11 consid. 5.1). L’art. 136 al. 1 CO ne s'applique pas au simple concours d'actions, appelé parfois solidarité imparfaite (ATF 106 II 250 consid. 3); le lésé doit alors interrompre la prescription contre chacun des responsables du dommage (ATF 127 III 257 consid. 6a et les arrêts cités).

La solidarité entre responsables du dommage causé à la caisse de compensation doit être qualifiée de parfaite (cf. ATAS/536/2011 du 26 mai 2011 et ATAS/1150/2009 du 17 septembre 2009).

7.2. En l’espèce, le dommage s’est produit le 15 décembre 2014, soit au moment du prononcé de la faillite, et l’intimée est réputée avoir eu connaissance du dommage le 24 septembre 2015, lors de la publication dans la FOSC de la suspension de la faillite faute d’actifs.

Ainsi, le délai absolu de prescription de cinq ans courant dès le 15 décembre 2014 et le délai relatif de prescription de deux ans courant dès le 24 septembre 2015 ont été interrompus par la décision en réparation du dommage du 24 août 2016 concernant Monsieur C______ (cf. ch. 8 des faits), par la décision en réparation du dommage du 28 février 2017 concernant le recourant (cf. ch. 11 des faits), la décision sur opposition du 2 août 2018 confirmant la décision du 24 août 2016 (cf. ch. 13 de faits), par la décision sur opposition du 21 mars 2019 confirmant la décision du 28 février 2017 (ch. 14 des faits), puis par chaque acte de procédure dans la cause A/2972/2018 et dans la présente cause.

8.        L’action en réparation du dommage n’étant pas prescrite, il convient à présent d’examiner si les autres conditions de la responsabilité de l’art. 52 LAVS sont réalisées, à savoir si le recourant peut être considéré comme étant « l’employeur » tenu de verser les cotisations à l’intimée, s’il a commis une faute ou une négligence grave et enfin s’il existe un lien de causalité adéquate entre son comportement et le dommage causé à l’intimée.

9.         

9.1. La nouvelle teneur de l’art. 52 al. 2 LAVS, entrée en vigueur le 1er janvier 2012, codifie la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle, si l’employeur est une personne morale, la responsabilité peut s’étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom (ATAS/610/2013 du 18 juin 2013 consid. 4a).

Le caractère subsidiaire de la responsabilité des organes d’une personne morale signifie que la caisse de compensation ne peut agir contre ces derniers que si le débiteur des cotisations (la personne morale) est devenu insolvable (ATF 123 V 12 consid. 5b).

L’art. 52 LAVS ne permet ainsi pas de déclarer l’organe d’une personne morale directement débiteur de cotisations d’assurances sociales. En revanche, il le rend responsable du dommage qu’il a causé aux différentes assurances sociales fédérales, intentionnellement ou par négligence grave, en ne veillant pas au paiement des cotisations sociales contrairement à ses obligations (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 96/05 du 5 décembre 2005 consid. 4.1).

9.2. La notion d'organe selon l'art. 52 LAVS est en principe identique à celle qui se dégage de l'art. 754 al. 1 CO.

En matière de responsabilité des organes d'une société anonyme, l'art. 52 LAVS vise en première ligne les organes statutaires ou légaux de celle-ci, soit les administrateurs, l'organe de révision ou les liquidateurs (ATF 128 III 29 consid. 3a; Thomas Nussbaumer, Les caisses de compensation en tant que parties à une procédure de réparation d'un dommage selon l'art. 52 LAVS, in RCC 1991 p. 403).

Mais les critères d'ordre formel ne sont, à eux seuls, pas décisifs et la qualité d'organe s'étend également aux personnes qui ont pris des décisions réservées aux organes ou se sont chargées de la gestion proprement dite, participant ainsi de manière déterminante à la formation de la volonté de la société (ATF 119 II 255 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 128/04 du 14 février 2006 consid. 3 ss).

Les organes de fait sont les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation de la société, à savoir celles qui prennent en fait les décisions normalement réservées aux organes ou qui pourvoient à la gestion, concourant ainsi à la formation de la volonté sociale d'une manière déterminante (ATF 132 III 523 consid. 4.5; ATF 114 V 213 consid. 3). Conformément à la jurisprudence en matière de responsabilité du droit de la société anonyme, dont les principes s'appliquent dans le cadre de l'art. 52 LAVS (ATF 114 V 213 consid. 3), revêt une position d'organe de fait la personne qui assume sous sa propre responsabilité la compétence durable - et non seulement isolée - de prendre des décisions qui dépassent le cadre des affaires quotidiennes et ont une influence sur le résultat de l'entreprise. Tel n'est pas le cas d'une personne qui se limite à préparer et/ou à exécuter de telles décisions (ATF 128 III 29 consid. 3c). En d'autres termes, la responsabilité pour la gestion ne concerne que la direction supérieure de la société, au plus haut niveau de sa hiérarchie (ATF 117 II 570 consid. 3). En revanche, l'accomplissement de l'ensemble des tâches administratives au sein de l'entreprise (facturation aux clients, exécution des paiements, préparation des bulletins de salaires – y compris établissement de décomptes pour les autorités de l'AVS et la SUVA -, gestion des livres de caisse et des relations bancaires, etc.) n'est pas assimilable à l'activité spécifique d'un organe (ATF 114 V 213 consid. 4).

La qualité d'organe de fait s'analyse en fonction du rôle que la personne concernée a effectivement joué au sein de la société. Aussi, il faut en particulier qu'elle ait eu la possibilité de causer un dommage ou de l'empêcher, en d'autres termes qu'elle ait exercé effectivement une influence sur la marche des affaires de la société (ATF 132 III 523 consid. 4.5; cf. aussi ATF 146 III 37 consid. 5 et 6 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_295/2017 du 6 juillet 2017 consid. 5.2). L’organe de fait ne doit répondre que des actes ou des omissions qui relèvent de son domaine d'activité, ce qui dépend de l'étendue des droits et des obligations qui découlent des rapports internes, sinon il serait amené à réparer un dommage dont il ne pouvait empêcher la survenance faute de disposer des pouvoirs nécessaires (arrêt du Tribunal fédéral 9C_68/2020 du 29 décembre 2020 consid. 5.2.1 et la référence). Contrairement à un organe au sens formel, il n'a donc pas un devoir de surveillance (cura in custodiendo) à l'endroit de l'activité des autres organes, de fait ou de droit, de la société (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 128/04 du 14 février 2006 consid. 3). L'obligation de réparer le dommage au sens de l'art. 52 LAVS intervient en principe seulement si la personne intéressée avait un pouvoir de disposer des cotisations non payées et pouvait effectuer les paiements à la caisse de compensation (ATF 134 V 401 consid. 5.1; arrêt du Tribunal fédéral 9C_428/2013 du 16 octobre 2013 consid. 4.2).

Pour que la responsabilité d’un organe matériel ou de fait soit engagé, les tâches déléguées doivent inclure le domaine des cotisations (Michel VALTERIO, Droit de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS) et de l’assurance-invalidité (AI), 2011, n° 2395 p. 647). Le Tribunal fédéral a ainsi reconnu la responsabilité du directeur d’une société anonyme disposant du droit de signature individuelle (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 215/99 du 20 février 2002), d’un membre d’un conseil d’administration qui exécute d’une manière indépendante ou sous sa responsabilité le traitement des salaires et des cotisations (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 129/04 du 14 janvier 2015 consid. 2) ou d’un actionnaire majoritaire qui s’est occupé, du moins en partie de ces tâches (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 305/00 du 6 septembre 2001 consid. 4).

9.3. Il incombe à la caisse, qui supporte les conséquences de l'échec de la preuve, d'alléguer les faits fondant la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS et permettant d'établir qu'une personne occupait au sein d'une société la position d'un organe au sens matériel (ATF 114 V 213 consid. 5 in fine; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 20/01 du 21 juin 2001 consid. 5).

10.    Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible ; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération (ATF 139 V 176 consid. 5.3 et les références). Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 360 consid. 5b ; ATF 125 V 195 consid. 2 et les références ; cf. ATF 130 III 324 consid. 3.2 et 3.3). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 322 consid. 5a).

11.    En l’espèce, l’intimée a, dans un premier temps, recherché les administrateurs formels de la société faillie, soit Messieurs D______ et C______, en paiement du dommage subi du fait des cotisations impayées. Dans sa défense, Monsieur C______ a accusé le recourant et son fils d’être des organes de fait. Se fondant sur les déclarations et les pièces transmises par l’administrateur précité, l’intimée a réclamé au recourant le paiement du dommage résultant des cotisations non versées. C’est le bien-fondé de cette décision de réparation qui doit être examiné dans la présente procédure.

Comme indiqué précédemment, le recourant n’était formellement pas inscrit au registre du commerce. Savoir s’il pouvait engager sa responsabilité d’employeur pour ne pas avoir veillé au paiement des cotisations sociales s’examine par conséquent en fonction du rôle qu’il a effectivement joué dans l’organisation et la gestion de la société faillie.

A titre liminaire, la Chambre de céans relève que les éléments sur lesquels la caisse s’est fondée pour considérer le recourant comme un organe de fait de la société ressortent exclusivement des déclarations des administrateurs de la société, à savoir Messieurs C______ et D______, lesquels ont évoqué le rôle du recourant dans le cadre de leur propre défense. Compte tenu du contexte et des procédures tant administratives que pénales qui étaient alors en cours, leurs déclarations doivent être prises avec circonspection et corroborées par d’autres éléments.

Cela étant précisé, force est de constater que quand bien même Monsieur D______ a évoqué à plusieurs reprises le fait que la famille A_____ et B______, et notamment le recourant, étaient les propriétaires et les gérants de la société faillie (procès-verbal d’audience du Ministère public du 26 juin 2015 et courrier adressé à l’office des faillites le 8 juin 2015), Monsieur C______, pour sa part, semblait être moins au clair avec cette situation (procès-verbal d’audience du Ministère public du 21 septembre 2016). A l’exception des rendez-vous chez des avocats, les interventions du recourant ne sont pas décrites, au contraire de celles de Monsieur G______, qui a expressément été qualifié d’administrateur de fait et de partie prenante dans toutes les décisions stratégiques (procès-verbal d’audience du Ministère public du 21 septembre 2016 concernant l’audition de Monsieur C______) ou encore du rôle de Monsieur B______, qui donnait des instructions pour les virements et dirigeait les ressources humaines, sans payer les charges et la totalité des salaires (procès-verbal d’audience du Ministère public du 26 juin 2015 concernant l’audition de M. D______). Bien plus, dans un courriel du 8 octobre 2014 adressé à son avocat, Monsieur D______ a décrit l’attitude du « dirigeant Monsieur B______ », expliquant notamment qu’il lui était impossible d’établir une gestion comptable de la société faillie, car le dirigeant, sans rien dire, allait encaisser directement en liquide chez les clients, se rémunérant à titre personnel au passage, sans tenir compte des charges à payer.

En annexe à ses déterminations du 3 novembre 2021, Monsieur C______ a notamment produit le procès-verbal de l’audience du 27 mai 2016, dont il ressort que Monsieur B______ a expliqué, à plusieurs reprises, que son père n’était pas actif dans la société F______, se contentant de donner des conseils (cf. procès-verbal précité, p. 4). Quant à Monsieur C______, il a expliqué lors de cette même audience que le propriétaire de F______ était B______ (procès-verbal précité, p. 8) et qu’il lui semblait que les anciennes sociétés appartenaient au recourant mais que F______ appartenait à Monsieur B______ (procès-verbal précité, p. 10). Pour sa part, Monsieur B______ a contesté être propriétaire de F______ et a expliqué ne pas savoir qui en était propriétaire (procès-verbal précité, p. 11).

Si elle est certes malgré tout envisageable, la qualité d’organe de fait du recourant n’est pas suffisamment établie au vu de ce qui précède, que ce soit de manière générale ou tout particulièrement pour le paiement des cotisations aux assurances sociales. En effet, rien dans le dossier qui a été soumis à la Chambre de céans ne permet de considérer que le recourant était effectivement chargé de la gestion administrative et, en particulier, du règlement des comptes vis-à-vis de l’intimée. Rien dans le dossier ne permet de retenir que le recourant aurait lui-même décidé du non-paiement des charges sociales. Le dossier ne comporte aucune pièce signée par le recourant, telle que déclaration de salaires, correspondance, etc. Au contraire, il ressort de ce qui précède que c’était en réalité Monsieur G______ qui participait à toutes les décisions stratégiques et Monsieur B______ qui gérait les ressources humaines et s’acquittait des charges et des salaires, étant encore constaté que les déclarations de Monsieur C______ sont contradictoires, celui-ci alléguant tantôt que Monsieur A______ était le propriétaire de F______ tantôt que c’était Monsieur B______.

Cette analyse est en outre corroborée par les termes de la mise en prévention prononcée à l’encontre du recourant, dès lors que celle-ci ne comporte aucun reproche concret quant à une qualité d’organe de fait au sein de la société faillie. Certes, la mise en prévention commence par « il m’est reproché à titre personnel et en ma qualité de représentant de fait ou de droit des sociétés ( ) F______SA, d’avoir ( ) ». Toutefois, aucun reproche concret n’a été formulé à l’encontre du recourant en sa qualité d’organe de fait de la société faillie, la seule mention concernant cette dernière étant en lien avec la cession d’un contrat d’entreprise, auquel le recourant aurait procédé en sa qualité d’administrateur de fait d’une autre société, non visée par la présente procédure. Par ailleurs, quand bien même le Ministère public a reproché au recourant un certain nombre d’infractions en matière de prévoyance professionnelle, cela concernait d’autres sociétés que la société faillie.

Dans de telles circonstances, la Chambre de céans est d’avis que le dossier ne comporte pas suffisamment d’éléments pour retenir, au degré de la vraisemblance prépondérante, que le recourant était un organe de fait de la société faillie, même si cette éventualité ne peut être exclue. La caisse doit donc supporter les conséquences de l'échec de la preuve.

Par ailleurs, par appréciation anticipée des preuves (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1), il sera renoncé à l’audition des personnes déjà entendues dans la procédure pénale, en particulier des anciens administrateurs et de l’organe de révision, la Chambre de céans disposant de suffisamment d'éléments au dossier pour se prononcer en connaissance de cause. En effet, le Ministère public a déjà procédé à l’audition de ces personnes sans que cela n’ait permis de qualifier le recourant d’organe de fait de la société faillie.

12.    Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la décision du 21 mars 2019 sera annulée.

Le recourant obtenant gain de cause, une indemnité de CHF 3'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. a LPGA).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision sur opposition du 21 mars 2019.

4.        Alloue au recourant un montant de CHF 3'000.- à titre de dépens à charge de l'intimée.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le