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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3828/2018

ATAS/478/2022 du 27.05.2022 ( AI ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3828/2018 ATAS/478/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 27 mai 2022

5ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée ______, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Guillaume ETIER

 

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

intimé


EN FAIT

A.      a. Madame A______ (ci-après : l’assurée ou la recourante) est née en novembre 1972 au Portugal. Arrivée en Suisse à l’âge de 12 ans, après avoir suivi l’école obligatoire au Portugal, elle a obtenu la nationalité suisse et s’est mariée, en 1993, avec un compatriote avec lequel elle a eu deux filles, B______ née en 1996, et C______ née en 1999.

b. De 1997 à 2004 auprès de la régie D______, puis de 2006 à 2014, auprès de la régie E______, l’assurée a exercé l’activité de concierge à temps plein. Elle a été licenciée le 21 mars 2014 par la régie E______ avec effet au 30 juin 2014.

c. Inscrite au chômage depuis juillet 2014, l’assurée a suivi diverses formations de transition professionnelle et a obtenu un certificat d’agent de maintenance bâtiment, et un certificat d’aide jardinière, mais n’a pas retrouvé d’emploi.

d. L’assurée a déposé une demande de prestations AI enregistrée le 15 avril 2016 par l’office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI ou l’intimé). La demande se fondait sur une fibromyalgie et une dépression. Elle faisait référence à un suivi psychiatrique auprès des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), suite à une tentative de suicide.

-          Daté du 17 novembre 2005, un résumé d’intervention CTB du département de psychiatrie des HUG diagnostiquait un épisode dépressif sévère avec symptômes psychotiques (F32.3), ainsi qu’un trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline (F60.31). Dans l’anamnèse, il était mentionné une tentative de suicide en 1997, ainsi qu’une seconde tentative, sous forme médicamenteuse, en octobre 2005. Il était précisé que l’assurée avait souffert d’une hallucination auditive sous forme d’une voix de petite fille qui l’aurait enjointe à rejoindre son père et sa mère décédés. Dans le cadre de la discussion, il était mentionné que la patiente disait avoir subi des abus sexuels de la part d’un de ses frères, vers l’âge de 9 ou 10 ans. Un traitement de Fluctine de 20 mg par jour et de Seroquel de 25 mg par jour était prescrit.

-          Le service de radiologie des HUG avait pratiqué un ultrason de l’épaule en date du 25 novembre 2014. La conclusion en était l’existence d’une tendineuse du supra épineux sans rupture. Il n’y avait pas d’épanchement intra articulaire, ni de signe de bursite.

e. Suite au dépôt de la demande de prestations AI du 15 avril 2016, l’OAI s’est prononcé, en date du 23 août 2016, de manière négative sur d’éventuelles mesures de réadaptation d’ordre professionnel, considérant que ces mesures n’étaient actuellement pas indiquées. L’assurée n’a pas demandé de décision formelle sujette à recours.

f. Interpelée par l’OAI, la doctoresse F______, généraliste et médecin traitant de l’assurée depuis 2003, a répondu en date du 31 mai 2016 à la question de savoir quelle était la capacité de travail exigible de l’assurée, qu’elle n’en avait « aucune idée, mais qu’il s’agissait probablement d’une capacité de 0 % ». La maladie diagnostiquée était un trouble de la personnalité de type borderline, ainsi qu’un état dépressif récurrent et des épisodes psychotiques depuis 2005 et sévère, en 2014, avec un tentamen. Des douleurs dorsolombaires, l’incontinence urinaire mixte depuis 2011, ainsi qu’un syndrome douloureux chronique, étaient également mentionnés. L’évolution était estimée comme étant défavorable. Le constat médical mentionnait l’obésité, des troubles de la concentration, de la fatigue, des migraines et des troubles alimentaires. S’agissant de la capacité de travail, le médecin précisait n’avoir jamais fait de certificat d’arrêt de travail de longue durée en faveur de l’assurée, qui était au chômage depuis 2014, sans avoir retrouvé d’emploi depuis lors. Elle considérait que l’assurée pourrait difficilement retrouver un emploi.

g. En date du 12 janvier 2017, le service médical régional de l’OAI (ci-après : SMR) a rendu un avis médical constatant la présence d’une symptomatologie dépressive, un trouble de la personnalité et un syndrome douloureux chronique. Il était mentionné la nécessité de clarifier la présence d’une atteinte incapacitante, d’examiner le syndrome douloureux chronique selon la jurisprudence, de clarifier une éventuelle incapacité de travail et de définir les limitations fonctionnelles. Une expertise bi-disciplinaire rhumatologique et psychiatrique était recommandée.

h. Sur cette recommandation, l’assurée a été convoquée par le SMR, pour un examen clinique en deux parties, afin d’être vue par la doctoresse G______, psychiatre FMH, et par le docteur H______, rhumatologue FMH.

i. Suite à l’examen psychiatrique du 15 juin 2018 et à l’examen rhumatologique du 25 juin 2018, un rapport daté du 16 juillet 2018 a été rendu par les deux médecins susmentionnés au SMR.

Le statut ostéo-articulaire a été effectué par le Dr H______. Le dépistage d’une fibromyalgie selon les critères de 2016 de Wolfe s’est avéré positif avec un score total de 31. En ce qui concerne le statut psychiatrique effectué par la Dresse G______, il a mis en évidence des éléments en faveur d’un trouble de la personnalité de type émotionnellement labile, l’assurée présentant un vide existentiel important, avec de grandes difficultés à se projeter dans l’avenir.

L’appréciation consensuelle du cas a permis de conclure à un ressenti douloureux important, à la mobilisation des épaules, des hanches, des genoux, du rachis cervicolombaire. La fibromyalgie a été objectivée avec un WIP à 19 sur 19 et un scores SSS à 12 points, soit un score total de 31 points. Aucun rhumatisme inflammatoire n’a été détecté, pas plus qu’une tendinopathie du supra épineux droite. En ce qui concerne l’aspect psychiatrique, la conclusion a été une symptomatologie dépressive, un trouble de la personnalité, et un syndrome douloureux chronique.

S’agissant des questions spécifiques posées aux experts par l’OAI, les réponses ont été les suivantes :

 

L'aptitude à suivre des mesures de réadaptation est entière. Nous relevons une certaine divergence entre les symptômes, le comportement et les activités quotidiennes. Le pronostic n'est pas très bon au niveau psychiatrique au vu de la chronicité du trouble et des difficultés à s'inscrire dans un processus de soins.

Limitations fonctionnelles :

Sur le plan rhumatologique, aucune.

Sur le plan psychiatrique, aucune.

 

Début de l'IT durable : 

Sur le plan psychiatrique, dès le 1er janvier 2014 à 100 %. Les documents du dossier et l'anamnèse témoignent en effet de la récidive d'un trouble dépressif récurrent d'intensité sévère durant la période et qui a nécessité un milieu psychiatrique ambulatoire.Sur le plan ostéoarticulaire, les éléments à disposition du dossier, les éléments anamnestiques et l'examen clinique détaillé plus haut, de même que les RX à disposition, ne justifient pas de LF durables d'ordre ostéoarticulaire. Nous concluons que l'état de santé constaté au niveau ostéoarticulaire est compatible avec l’activité modérément contraignante physiquement de concierge, décrite par l'assurée. La fibromyalgie est une entité apparentée au trouble somatoforme douloureux. L'évaluation des critères de sévérité est effectuée par la Dresse G______, co-experte psychiatre.

Depuis quand y a-t-il une incapacité de travail de 20 % au moins ?




Sur le plan psychiatrique, dès le 1er janvier 2014 à 100 %. Il n'y a pas d'IT durable sur le plan ostéoarticulaire avec les éléments à disposition.

 

Comment le degré d'incapacité de travail et le rendement ont-ils évolué depuis lors ?

Sur le plan psychiatrique, dès le 31 mai 2016, la CT est devenue entière en raison de l'amélioration de la thymie (RM du 31.05.2016) sur fond d'un diagnostic de trouble de la personnalité non incapacitant.

 

Pronostic :

Sur le plan rhumatologique, le pronostic est bon au niveau ostéo-articulaire avec les éléments à disposition, c'est-à-dire par rapport aux troubles dégénératifs débutants objectivés. Le pronostic est réservé quant à l'évolution des douleurs en relation avec la fibromyalgie. Le pronostic est mauvais quant à la reprise d'une activité professionnelle, au vu du ressenti douloureux de l'assurée, du non-emploi depuis 2014 et de la perception de l'assurée de ses capacités fonctionnelles résiduelles.

Nonobstant ces réserves, le médecin psychiatre et le médecin rhumatologue mandatés par le SMR ont tous deux conclu à une capacité de travail dans l’activité habituelle de concierge de 100 %, ainsi qu’à une capacité de travail dans une activité adaptée de 100 % et ceci depuis le 1er juin 2016.

B.       a. En date du 30 juillet 2018, l'OAI a rendu un projet de décision de refus de rente d’invalidité et de mesures professionnelles. La motivation reposait sur le rapport du SMR du 16 juillet 2018 selon lequel il ne pouvait pas être retenu une atteinte à la santé invalidante.

b. Par courrier du 4 septembre 2018, l’assurée a communiqué à l’OAI qu’elle persistait à réclamer l’octroi d’une rente entière d’invalidité.

c. En date du 27 septembre 2018, l’OAI a notifié à l’assurée une décision de refus de rente d’invalidité et de mesures professionnelles, reprenant sa motivation selon laquelle, après consultation du SMR, elle considérait qu’il n’y avait pas d’atteinte à la santé invalidante au sens de la loi.

C.      a. En date du 31 octobre 2018, l’assurée a recouru contre la décision de l’OAI et a demandé son audition, celle de Madame I______, psychologue, et celle du docteur J______, généraliste. La recourante a conclu, principalement, à l’annulation de la décision de l’OAI et à la constatation qu’elle avait droit à une rente complète d’invalidité rétroactivement depuis le 31 mars 2016. Elle souffrait d’un trouble dépressif majeur et d’une fibromyalgie invalidante, ce qui l’empêchait d’exercer toute activité lucrative. À l’appui de ses griefs, elle a produit le rapport médical de la Dresse F______, du 31 mai 2016, les rapports de la doctoresse K______ du 27 janvier 2017 et du 25 septembre 2017, le rapport du docteur L______ du 17 janvier 2018 et le rapport du docteur M______ du 7 mars 2018.

b. L’intimé a répondu en date du 29 novembre 2018. Se fondant sur l’examen médical approfondi du SMR en matière rhumatologique et psychiatrique, dont il soulignait la valeur probante, et en l’absence d’éléments objectivement vérifiables, la décision querellée était maintenue.

c. La recourante a répliqué en date du 31 janvier 2019. Elle a constaté que la réponse de l’OAI n’était qu’une confirmation de la décision précédemment rendue et a maintenu ses conclusions.

d. Lors de sa comparution personnelle, en date du 21 novembre 2019, la recourante a déclaré que pendant la période allant de 2004 à 2006, elle avait cessé son travail, car elle était en dépression. Par la suite, elle avait repris un travail de concierge pour la régie E______, qu’elle avait dû quitter en 2014, car son employeur considérait qu’elle n’était plus capable de faire correctement son travail et l’avait licenciée. Elle ressentait trop de douleurs et même si son mari l'aidait, elle ne pouvait plus nettoyer le hall d'entrée et les vitres. Pendant son absence pour cause de maladie, lorsqu’elle travaillait pour la régie E______, son mari avait souvent fait le travail de conciergerie à sa place.

Elle pensait avoir probablement toujours été dépressive, mais quand les enfants étaient petits, elle assumait. La perte de son travail avait aggravé sa dépression. Ses enfants étaient nés en 1996 et 1999 et elle avait fait une tentative de suicide en 1997 ; elle en concluait qu’elle était déjà dépressive à ce moment-là.

Sur le plan médicamenteux, elle prenait surtout des antidouleurs, Brufen, Dafalgan et autres, ainsi qu'un antidépresseur, Cymbalta, à raison de 60 mg par jour.

Ses deux filles vivaient toujours avec elle, à la maison. La plus grande, qui avait 23 ans, cherchait une place d'apprentissage. La plus petite, qui avait 20 ans, ne faisait rien sur le plan scolaire ou professionnel. Les deux filles faisaient tout à la maison ; le ménage, les courses et la cuisine, alternativement avec la recourante.

Elle était suivie par le docteur N______, psychiatre et psychothérapeute, à raison d’une fois par semaine jusqu'au mois de juin ou juillet 2019, où elle avait dû suspendre les séances pour se faire soigner l'épaule, pour une déchirure du tendon déjà mentionnée dans le rapport du SMR.

Décrivant sa journée ordinaire, elle se levait vers 9h00, prenait son café et se recouchait. Parfois, elle déjeunait aves ses filles, parfois elle restait au lit jusqu’au retour de son mari du travail. En hiver, c'est ainsi qu’elle passait ses journées, mais quand il faisait beau, elle essayait de sortir avec ses filles. En raison des atteintes à sa santé, physique et morale, elle n’avait plus envie de faire quoi que ce soit.

Il était question d'une nouvelle opération de la vessie, car elle avait des problèmes d'incontinence qui étaient évoqués dans le cadre du rapport du SMR ; depuis, la situation s’était aggravée et elle avait beaucoup de difficultés à se retenir.

La situation familiale et de couple était difficile ; il y avait les enfants qui étaient une des raisons pour lesquelles elle continuait à vivre, d'un autre côté, quand tout allait mal, elle envisageait de se séparer de son époux et enfin, elle envisageait également un départ définitif, soit de mettre fin à ses jours.

e. Au vu de la péjoration de la situation, la chambre de céans a décidé de soumettre la recourante à une expertise médicale judiciaire.

f. Par courrier du 18 décembre 2019, elle a informé les parties de son intention de confier le mandat d’expertise psychiatrique à la doctoresse O______, psychiatre et psychothérapeute ; ces dernières n’ont fait valoir aucune cause de récusation. Les parties ont sollicité que des questions supplémentaires soient intégrées dans la mission d’expertise. Celle-ci a dès lors été complétée en ce sens.

g. Suite à l’ordonnance d’expertise psychiatrique du 28 septembre 2020, l’experte a rendu son rapport d’expertise psychiatrique en date du 10 novembre 2021.

Trois entretiens avaient eu lieu avec l’expertisée, soit un entretien d’une durée de deux heures le 24 octobre 2020, un second entretien d’une durée de deux heures, le 31 octobre 2020 et enfin un troisième entretien d’une durée d’une heure, le 21 novembre 2020.

L’anamnèse familiale, médicale, psychiatrique, professionnelle et socio-affective étaient réalisées. La recourante se plaignait d’être incontinente de façon complète, ce qui la désespérait ; depuis plus de dix-huit ans, elle se plaignait d’avoir mal partout, avec une aggravation dans son quotidien, depuis cinq à six ans.

Les douleurs étaient actuellement perceptibles dans les jambes, les chevilles, le dos et la vessie, et ceci en permanence sous forme de lancées ; elles étaient également présentes au repos et en mouvement et la réveillaient parfois la nuit.

La recourante était triste et consciente qu’elle était déprimée.

S’agissant d’une journée type, l’expertisée disait se réveiller vers 10h00, après une nuit entrecoupée de quatre à cinq réveils en raison des douleurs ; le sommeil lui semblait peu réparateur. Il lui fallait environ une heure pour se dérouiller. Elle ne se douchait pas tous les jours, car elle n'en n’avait pas l’énergie. Elle n’avait pas davantage envie de s’habiller, ce qui la conduisait à rester en pyjama toute la journée. Quand elle devait se doucher et s’habiller pour sortir, c’était sa fille qui l’aidait. Après son petit-déjeuner, elle retournait se coucher car la position allongée était celle dans laquelle les douleurs étaient les moins fortes ; elle était tout le temps fatiguée, tout au long de la journée, ne lisait plus, restait des heures devant la télévision allumée, mais sans se concentrer sur les programmes. Elle ne mangeait pas à midi, mangeait un vrai repas le soir préparé par sa fille C______, car elle-même ne pouvait plus cuisiner en raison des douleurs et des fatigues. Elle se couchait vers 23h00, après avoir regardé un peu la télévision et mettait son appareillage CPAP contre les apnées nocturnes. Les tâches domestiques étaient complètement effectuées par les deux filles. Elle ne sortait de chez elle que pour aller à ses rendez-vous médicaux, prenait parfois le bus seule, mais évitait le plus possible de sortir, car elle était trop fatiguée. Elle ne voyait plus personne et n’avait plus d’amis, ce qui ne la dérangeait pas.

Se livrant à une comparaison avant/après, l’experte notait qu’avant 2015, l’assurée passait du temps dans un jardin familial, cuisinait, surmontait ses douleurs et avait des amis, elle aimait marcher, jardiner, prenait du plaisir à nager et s’était rendue en avion au Portugal, en mars 2018. En été 2018, au moment de l’expertise, l’assurée se levait vers 6h00-7h00, réveillée par les douleurs, mangeait, se recouchait et sortait de son lit vers 11h30. Néanmoins, les beaux jours, elle se rendait tout de même à son jardin familial et restait allongée sur une chaise longue. Elle s’occupait de la cuisine mais les courses étaient faites par l’assurée et par ses filles. Lors de sa comparution personnelle devant la chambre de céans, le 21 novembre 2019, l’assurée avait dit se réveiller vers 9h00, prendre son café, se recoucher et passer ses journées au lit. Elle sortait parfois avec ses filles mais n’avait envie de rien et ses filles assumaient la totalité des tâches ménagères. L’expertisée envisageait également de mettre fin à ses jours. Elle disait avoir un sommeil très perturbé du fait des douleurs qui l’obligeaient à se retourner sans arrêt pendant le repos nocturne ; elle n’avait pas envie de se lever ou de s’habiller et ne pouvait marcher qu’environ 30 minutes. Elle ne pouvait plus cuisiner car elle n’avait plus de force dans les bras et ne se sentait pas l’énergie de le faire ; elle ne faisait plus rien sur le plan domestique.

Pendant l’entretien, l’expertisée avait une thymie triste et avait pleuré à plusieurs reprises, avec des pleurs qui semblaient authentiques. Elle était pessimiste face à l’avenir, montrait du découragement et avait des idées de mort sous forme d’envie de disparaître, mais sans projet précis de passage à l’acte. Son estime de soi était nulle.

En réponse aux questions de la chambre de céans, l’experte a diagnostiqué un trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère, sans symptômes psychotiques F33.2.

S’agissant de la capacité de travail, l’experte notait que les précédents experts, les Drs G______ et H______, avaient considéré qu’en juillet 2018, la capacité de travail était nulle, depuis le 1er janvier 2014, et elle était d’accord avec cette appréciation. Rien ne lui permettait d’admettre que cette capacité de travail avait évolué favorablement entre 2014 et le printemps 2018. Elle constatait que lors de l’expertise bi-disciplinaire de l’été 2018, la lecture de l’examen clinique donnait à penser qu’il y avait une amélioration de la symptomatologie dépressive, mais cette amélioration était restée incomplète. Depuis début 2019 jusqu’à ce jour, la symptomatologie dépressive s’était à nouveau péjorée et l’un des facteurs aggravant sur le plan de l’humeur était probablement l’échec de la prise en charge de l’incontinence. Par conséquent, l’experte considérait que la capacité de travail était nulle dès le 1er janvier 2014 ; que du printemps 2018 à la fin de de l’année 2018, une amélioration partielle de la symptomatologie dépressive permettait de fixer la capacité de travail à 50 %, mais que dès le début de l’année 2019, du fait de l’aggravation des symptômes dépressifs, la capacité de travail était redevenue nulle, jusqu’à ce jour et ceci pour tout type d’activité adaptée, car les limitations fonctionnelles, soit : manque d’énergie, manque de motivation, manque d’élan vital, troubles de l’attention, ralentissement psychomoteur, tristesse, pessimisme, idées de dévalorisation, découragement permanent, touchaient tout type d’activité. L’expertisée continuait de prendre ses antidépresseurs, soit de la Fluctine 20 mg par jour et du Rivotril, à petite dose, pour dormir, comme cela ressortait notamment de la prise de sang qui avait été effectuée et qui montrait une bonne compliance médicamenteuse.

h. Interpellées par la chambre de céans, les parties ont fait valoir leurs remarques concernant l’expertise psychiatrique.

i. Par courrier du 1er décembre 2021, le mandataire de la recourante a commenté le contenu du rapport d’expertise et a considéré que ladite expertise psychiatrique permettait de démontrer, sans l'ombre d’un doute, que la capacité de travail et de gain de la recourante étaient nulles et qu’il se justifiait qu’elle soit mise au bénéfice d’une rente d’invalidité complète, rétroactivement depuis le 31 mars 2016, puis à 50 % depuis le 1er juillet 2018, puis à nouveau une rente d’invalidité complète, depuis le 1er janvier 2019.

j. De son côté, l’intimé a joint un avis médical de son SMR, daté du 2 décembre 2021, qui, sous la plume de la doctoresse P______, considérait que les conclusions de l’expertise ne pouvaient pas être suivies, ni en ce qui concernait l’état de santé, ni en ce qui concernait l’évaluation de la capacité de travail entre 2016 et 2021. Il retenait d’importantes différences entre l’appréciation de la Dresse G______ et celle de l’experte ; de plus, la description des activités quotidiennes en 2018 était très différente de celle qui avait été faite lors de l’entretien de la recourante avec l’experte O______. Enfin, alors que la Dresse G______ considérait la capacité de travail comme entière depuis juin 2016, l’experte la considèrait comme nulle depuis 2014, puis de 50 % entre le printemps et la fin de l’année 2018, sans expliquer la raison pour laquelle elle s’écartait de l’appréciation de la Dresse G______, aussi bien pour les dates que pour le taux de capacité de travail. S’agissant d’une aggravation éventuelle, survenue en 2020, l’expertise n’était pas suffisamment documentée pour être admise en l’état.

k. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

l. Les autres faits seront cités, en tant que de besoin, dans la partie « en droit » du présent arrêt.

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Toutefois, dans la mesure où le recours était, au 1er janvier 2021, pendant devant la chambre de céans, il reste soumis à l'ancien droit (cf. art. 83 LPGA).

3.        Le 1er janvier 2022 sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l'état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références).

En l’occurrence, la décision querellée a été rendue antérieurement au 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

4.        Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable (art. 56 ss LPGA et 62 ss de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

5.        La question litigieuse est celle de la capacité de travail de la recourante et de son droit à une rente d'invalidité.

6.         

6.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).

6.2 En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70 % au moins, à un trois-quarts de rente s'il est invalide à 60 % au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50 % au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40 % au moins.

6.3 Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui, après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28 al. 2 LAI).

7.         

7.1 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 127 V 294 consid. 4c ; ATF 102 V 165 consid. 3.1 ; VSI 2001 p. 223 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanant d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 et 141 V 281 consid. 2.2 et 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_841/2016 du 30 novembre 2017 consid. 4.5.2).

Les principes jurisprudentiels développés en matière de troubles somatoformes douloureux sont également applicables à la fibromyalgie (ATF 132 V 65 consid. 4.1), au syndrome de fatigue chronique ou de neurasthénie (ATF 139 V 346 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_662/2009 du 17 août 2010 consid. 2.3 in SVR 2011 IV n° 26 p. 73), à l'anesthésie dissociative et aux atteintes sensorielles (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 9/07 du 9 février 2007 consid. 4 in SVR 2007 IV n° 45 p. 149), à l’hypersomnie (ATF 137 V 64 consid. 4) ainsi qu'en matière de troubles moteurs dissociatifs (arrêt du Tribunal fédéral 9C_903/2007 du 30 avril 2008 consid. 3.4), de traumatisme du type « coup du lapin » (ATF
141 V 574 consid. 5.2 et ATF 136 V 279 consid. 3.2.3) et d’état de stress post-traumatique (ATF 142 V 342 consid. 5.2). En revanche, ils ne sont pas applicables par analogie à la fatigue liée au cancer (cancer-related Fatigue) (ATF 139 V 346 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_73/2013 du 2 septembre 2013 consid. 5).

Dans sa jurisprudence récente (ATF 143 V 409 consid. 4.5 et ATF 143 V 418 consid. 6 et 7), le Tribunal fédéral a modifié sa pratique lors de l'examen du droit à une rente d'invalidité, en cas de troubles psychiques. La jurisprudence développée pour les troubles somatoformes douloureux, selon laquelle il y a lieu d'examiner la capacité de travail et la capacité fonctionnelle de la personne concernée dans le cadre d'une procédure structurée d'administration des preuves à l'aide d'indicateurs (ATF 141 V 281), s'applique dorénavant à toutes les maladies psychiques, y compris troubles dépressifs de degré léger ou moyen (ATF 143 V 409 consid. 4.5.1). En effet, celles-ci ne peuvent en principe être déterminées ou prouvées sur la base de critères objectifs que de manière limitée.

7.2 La capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d'une procédure d'établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant de mettre en regard les facteurs extérieurs incapacitants d’une part et les ressources de compensation de la personne d’autre part (ATF 141 V 281 consid. 3.6 et 4). Il n'y a plus lieu de se fonder sur les critères de l'ATF 130 V 352, mais sur une grille d’analyse comportant divers indicateurs qui rassemblent les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique (ATF 141 V 281 consid. 4). Dans ce cadre, il convient d'évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée en tenant compte, d'une part, des facteurs contraignants extérieurs limitant les capacités fonctionnelles et, d'autre part, les potentiels de compensation (ressources).

Les indicateurs standard qui doivent être pris en considération en règle générale peuvent être classés selon leurs caractéristiques communes :

-          Catégorie « Degré de gravité fonctionnel » (ATF 141 V 281 consid. 4.3)

A.    Complexe « Atteinte à la santé » (consid. 4.3.1)

Expression des éléments pertinents pour le diagnostic (consid. 4.3.1.1), succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à cet égard (consid. 4.3.1.2), comorbidités (consid. 4.3.1.3).

B.     Complexe « Personnalité » (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles ; consid. 4.3.2) 

C.     Complexe « Contexte social » (consid. 4.3.3)

-          Catégorie « Cohérence » (aspects du comportement ; consid. 4.4) 

Limitation uniforme du niveau d'activité dans tous les domaines comparables de la vie (consid. 4.4.1), poids des souffrances révélé par l'anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation (consid. 4.4.2).

Le « complexe personnalité » englobe à côté des formes classiques du diagnostic de la personnalité, qui vise à saisir la structure et les troubles de la personnalité, le concept de ce qu’on appelle les « fonctions complexes du moi » qui désignent des capacités inhérentes à la personnalité, permettant des déductions sur la gravité de l’atteinte à la santé et de la capacité de travail (par exemple : auto-perception et perception d’autrui, contrôle de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité et motivation ; cf. ATF 141 V 281 consid. 4.3.2).

La question des effets fonctionnels d'un trouble doit dès lors être au centre. La preuve d'une invalidité ouvrant le droit à une rente ne peut en principe être considérée comme rapportée que lorsqu'il existe une cohérence au niveau des limitations dans tous les domaines de la vie. Si ce n'est pas le cas, la preuve d'une limitation de la capacité de travail invalidante n'est pas rapportée et l'absence de preuve doit être supportée par la personne concernée.

Même si un trouble psychique, pris séparément, n'est pas invalidant en application de la nouvelle jurisprudence, il doit être pris en considération dans l'appréciation globale de la capacité de travail, qui tient compte des effets réciproques des différentes atteintes. Ainsi, une dysthymie, prise séparément, n'est pas invalidante, mais peut l'être lorsqu'elle est accompagnée d’un trouble de la personnalité notable. Par conséquent, indépendamment de leurs diagnostics, les troubles psychiques entrent déjà en considération en tant que comorbidité importante du point de vue juridique si, dans le cas concret, on doit leur attribuer un effet limitatif sur les ressources (ATF 143 V 418 consid. 8.1).

7.3 Pour des motifs de proportionnalité, on peut renoncer à une telle évaluation si elle n’est pas nécessaire ou si elle est inappropriée. Il en va notamment ainsi lorsqu’il n’existe aucun indice en faveur d’une incapacité de travail durable, ou si l’existence d’une incapacité de travail est niée de manière convaincante par un avis médical spécialisé ayant pleine valeur probante et que les éventuels avis contraires peuvent être écartés faute de pouvoir se voir conférer une telle valeur (arrêt du Tribunal fédéral 9C_724/2018 du 11 juillet 2019 consid. 7).

8.         

8.1 Pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration (ou le juge, s'il y a eu un recours) a besoin de documents que le médecin, éventuellement aussi d'autres spécialistes, doivent lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1). La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'assuré (ATF 125 V 256 consid. 4 ; ATF 115 V 133 consid. 2 ; ATF 114 V 310 consid. 3c ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_442/2013 du 4 juillet 2014 consid. 2).

8.2 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3; ATF 125 V 351 consid. 3).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.

8.3 Ainsi, en principe, lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 125 V 351 consid. 3b/bb).

8.4 Le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 125 V 351 consid. 3b/aa et les références).

8.5 Le juge peut accorder pleine valeur probante aux rapports et expertises établis par les médecins d'un assureur social aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu'aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé. Le simple fait que le médecin consulté est lié à l'assureur par un rapport de travail ne permet pas encore de douter de l'objectivité de son appréciation ni de soupçonner une prévention à l'égard de l'assuré. Ce n'est qu'en présence de circonstances particulières que les doutes au sujet de l'impartialité d'une appréciation peuvent être considérés comme objectivement fondés. Étant donné l'importance conférée aux rapports médicaux dans le droit des assurances sociales, il y a lieu toutefois de poser des exigences sévères quant à l'impartialité de l'expert (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee).

Dans une procédure portant sur l'octroi ou le refus de prestations d'assurances sociales, lorsqu'une décision administrative s'appuie exclusivement sur l'appréciation d'un médecin interne à l'assureur social et que l'avis d'un médecin traitant ou d'un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l'un ou sur l'autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l'art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_301/2013 du 4 septembre 2013 consid. 3).

8.6 En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52 ; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

8.7 On ajoutera qu'en cas de divergence d’opinion entre experts et médecins traitants, il n'est pas, de manière générale, nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle expertise. La valeur probante des rapports médicaux des uns et des autres doit bien plutôt s'apprécier au regard des critères jurisprudentiels (ATF 125 V 351 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante. À cet égard, il convient de rappeler qu'au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d'expertise (ATF 124 I 170 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral I 514/06 du 25 mai 2007 consid. 2.2.1, in SVR 2008 IV Nr. 15 p. 43), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins traitants font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2008 du 5 mars 2009 consid. 2.2).

9.         

9.1 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 ; ATF 126 V 353 consid. 5b ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

9.2 Si l’administration ou le juge, se fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves fournies par les investigations auxquelles ils doivent procéder d’office, sont convaincus que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante et que d’autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation, il est superflu d’administrer d’autres preuves (appréciation anticipée des preuves ; ATF 122 II 464 consid. 4a ; ATF 122 III 219 consid. 3c). Une telle manière de procéder ne viole pas le droit d’être entendu selon l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101 ; SVR 2001 IV n. 10 p. 28 consid. 4b), la jurisprudence rendue sous l’empire de l’art. 4 aCst. étant toujours valable (ATF 124 V 90 consid. 4b ; ATF 122 V 157 consid. 1d).

10.    En l’espèce, les conclusions de l’expertise judiciaire diffèrent des conclusions prises par les médecins du SMR de l’intimé. Ces différences peuvent toutefois s’expliquer à la lecture du rapport d’expertise par une amélioration de l’état psychiatrique de la recourante qui s’est manifestée en été 2018, au moment de l’expertise bi-disciplinaire des Drs G______ et H______. Ces fluctuations sont expliquées, en détail, dans la rubrique « comparaison avant-après » p. 10 ch. 11.2 de l’expertise judiciaire.

L’intimé reproche à l’experte de ne pas avoir retenu les diagnostics de personnalité borderline et de troubles somatoformes indifférenciés qui étaient pourtant présents respectivement en 2005 et en 2018. Ces différences sont toutefois expliquées par l’experte ; s’agissant du trouble de la personnalité borderline, l’experte considère qu’il manque des éléments tels que la labilité émotionnelle, les troubles identitaires, le sentiment de vide intérieur, un parcours de vie avec des ruptures etc. qui accompagnent ce type de trouble ; dès lors, le fait qu’elle ne le retienne pas est expliqué et justifié. S’agissant du trouble somatoforme douloureux, l’experte explique également qu’elle ne peut poser ce diagnostic mais qu’il ne faut pas considérer chaque trouble comme des entités isolées et estime que les pathologies s’enchevêtrent et s’influencent mutuellement. En d’autres termes, la fibromyalgie use le moral de la recourante et les symptômes dépressifs aggravent sans aucun doute le vécu des douleurs dues à la fibromyalgie chez une femme qui a un terrain de fragilité psychologique, due à une maltraitance pendant l’enfance.

En ce qui concerne les différences au regard de la manière dont la recourante a décrit sa journée type en 2018, puis en 2020, le SMR constate une nette dégradation des activités quotidiennes. Il n’en tire toutefois aucune conclusion objective qui permettrait d’admettre une erreur au niveau de l’expertise. L’experte s’est contentée de décrire la journée quotidienne telle qu’elle figurait dans la première expertise administrative, puis lors de la comparution personnelle de novembre 2019 devant la chambre de céans et enfin de la manière dont elle a été racontée par la recourante lors de ses entretiens avec l’experte. On constate, en effet, une nette péjoration de la situation et une perte d’autonomie, la recourante ne faisant pratiquement plus rien et laissant les tâches ménagères à ses deux filles, tout en décrivant des douleurs de plus en plus sévères. Rien ne permet de mettre en doute la véracité du récit de la recourante, celle-ci étant considérée comme authentique par l’experte, et la chambre de céans n’ayant pas non plus eu de doute lors de l’audition de la recourante, en novembre 2019.

Enfin, l’intimé reproche à l’experte de ne pas expliquer pourquoi elle s’écarte de l’appréciation de la Dresse G______ en ce qui concerne les dates et le taux de la capacité de travail. Ce reproche est inexact dès lors que l’experte a bien expliqué que la recourante allait mieux lors de l’expertise bi-disciplinaire administrative, après quoi, son état s’est à nouveau aggravé en 2019. Ce reproche manque de fondement dès lors que l’experte a fixé le moment de l’aggravation de l’état de la recourante en janvier 2019, soit six mois après que l’expertise administrative de juillet 2018 ait été rendue. On ne se trouve donc pas dans une contradiction mais bien plutôt dans une aggravation de l’état dépressif de la recourante, postérieure à l’entretien avec la Dresse G______ et largement expliquée par l’experte.

La chambre de céans considère que le rapport d’expertise judiciaire remplit, sur le plan formel, plusieurs exigences auxquelles la jurisprudence soumet la valeur probante d’un tel document. En effet, il contient une anamnèse détaillée, le résumé des pièces principales du dossier, les indications subjectives de la recourante, des observations cliniques, ainsi qu'une discussion générale du cas.

Comme cela été vu supra, les différences d’appréciation entre l’experte et les médecins du SMR ont été expliquées en détail. L’expertise ne contient pas de contradictions internes, ni de contradictions flagrantes avec des pièces médicales présentes au dossier, l’intimé se contentant d’essayer de substituer l’appréciation de ses médecins du SMR à celle de l’experte judiciaire. Dans ces conditions, la chambre de céans ne voit aucun motif l’autorisant à s’écarter des conclusions de l’experte judiciaire, qui doit être considérée comme probante. En ce qui concerne la situation depuis janvier 2019, il peut ainsi être considéré comme établi que la capacité de travail de la recourante était nulle dans n’importe quelle activité dès le mois de janvier 2019.

Les médecins du SMR ont admis une capacité de travail nulle dès le 1er janvier 2014 (rapport d’expertise bi-disciplinaire du 16 juillet 2018, p. 16), ce qui est confirmé par l’experte. La chambre de céans considère cette appréciation comme convaincante et la fait sienne.

En revanche, les médecins du SMR considèrent que la capacité de travail de la recourante est redevenue entière dès le 31 mai 2016, alors que l’experte O______ estime qu’à la même période, la capacité de travail de la recourante était nulle, qu’entre le printemps 2018 et la fin de l’année 2018, la capacité de travail est remontée à 50 % avant de redescendre à 0 % dès le mois de janvier 2019.

Le rapport médical de la Dresse F______, daté du 31 mai 2016, conclut à une capacité de travail exigible de probablement 0 %, à cette date, tout en indiquant que la recourante continue à prendre des antidépresseurs. L’évolution est notée comme défavorable et le médecin traitant envisage « difficilement » une reprise de l’activité professionnelle ou une amélioration de la capacité de travail.

Cet élément est conforté par l’appréciation de l’experte O______, selon laquelle la capacité de travail est toujours nulle au 31 mai 2016. Les conclusions de l’expertise bi-disciplinaire, selon lesquelles la capacité de travail était à nouveau entière dès le 31 mai 2016, ont probablement été influencées par l’amélioration très ponctuelle de la thymie de la recourante, amélioration qui, comme cela a été démontré supra, n’a été que passagère. Dès lors, la chambre de céans considère que l’appréciation de l’experte O______ l’emporte sur celle des Drs G______ et H______.

L’amélioration de l’état de la recourante en 2018 est reconnue par l’experte O______, cette dernière considérant qu’une capacité de travail de 50 % peut être admise, du printemps à la fin de l’année 2018. S’agissant de déterminer le début de la période d’amélioration, il sera fixé au mois de janvier 2018, en se fondant sur le rapport médical du Dr L______ daté du 17 janvier 2018 qui montre une amélioration de la qualité du sommeil de l’assurée et un réveil régulier, le matin, entre 7h30 et 8h00. Dès lors, la chambre de céans considère qu’il est établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que la capacité de travail de la recourante s’est améliorée en 2018, passant de 0 % à 50 %, depuis le 1er janvier 2018 jusqu’au 31 décembre 2018.

11.    En conclusion, la chambre de céans, en accord avec les appréciations de l’experte O______, considère que la capacité de travail de la recourante, dans toute activité, était nulle du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2017, puis de 50 %, du 1er janvier au 31 décembre 2018, puis à nouveau nulle depuis le 1er janvier 2019.

12.    S’agissant des dates, le début de l’incapacité de travail doit être fixé au 1er janvier 2014. Ce nonobstant, la demande de prestations invalidité n’a été déposée par la recourante qu’en date du 15 avril 2016, ce qui entraîne, en application de l’art. 29 al. 1 LAI (demande tardive) que le droit aux prestations ne s’ouvre qu’à l’issue d’un délai de six mois, soit dès le 1er octobre 2016, date à laquelle l’incapacité de gain est de 100 %.

13.    Compte tenu de ces éléments, le recours doit être admis.

Ayant conclu à l’absence d’incapacité de travail, l’OAI n’a pas procédé à une comparaison des revenus afin de déterminer le taux d’invalidité. Pour cette raison, la cause lui sera renvoyée afin qu’il procède au calcul du taux d’invalidité en se fondant sur les pourcentages de capacité de travail retenus supra en fonction des dates.

Étant précisé que le statut de la recourante, tel qu’il ressort des éléments du dossier et notamment du certificat de travail du 25 juillet 2014, délivré par la régie E______, ainsi que du « questionnaire pour l’employeur » du 3 mai 2016, est celui d’une personne exerçant une activité professionnelle à 100 %.

14.    La recourante étant assistée d’un mandataire professionnellement qualifié et obtenant gain de cause, une indemnité de CHF 3’000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

15.    Étant donné que, depuis le 1er juillet 2006, la procédure n'est plus gratuite (art. 69 al. 1bis LAI), au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument de CHF 200.-.

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision sur opposition du 27 septembre 2018.

4.        Retourne le dossier à l’intimé pour nouvelle décision au sens des considérants.

5.        Condamne l’intimé à verser un montant de CHF 3'000.- à la recourante, à titre de dépens.

6.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

Véronique SERAIN

 

Le président

 

 

Philippe KNUPFER

 

 

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le ______