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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2110/2022

ATA/1277/2022 du 20.12.2022 ( DOMPU ) , REJETE

Recours TF déposé le 06.02.2023, rendu le 23.02.2024, REJETE, 2C_87/2023
Descripteurs : LIBERTÉ DE CONSCIENCE ET DE CROYANCE;USAGE COMMUN ACCRU;DOMAINE PUBLIC;ATTEINTE À UN DROIT CONSTITUTIONNEL;LÉGALITÉ;TÂCHE DE DROIT PUBLIC;INTÉRÊT PUBLIC;PROPORTIONNALITÉ
Normes : CEDH.9; Cst.15; Cst.36; LLE.6; RLE.3.letc; Cst-GE.3
Résumé : Confirmation de l’obligation (art. 3 let. c RLE) pour une communauté religieuse de signer et de s’engager à respecter la déclaration visée à l’art. 4 RLE (respect de l’ordre juridique et des droits fondamentaux) pour que l’autorité compétente traite, au fond, sa demande de procéder à un baptême sur le domaine public au sens de l’art. 6 LLE (manifestation religieuse cultuelle). Respect des trois conditions (légalité, intérêt public et proportionnalité) de restriction à la liberté religieuse de la recourante in casu. L’intérêt public au respect du principe de la primauté de l’ordre juridique sur les prescriptions religieuses est, en l’espèce, prépondérant sur la restriction litigieuse qui découle ici du propre fait de la recourante (qui refuse de signer et de s’engager à respecter la déclaration de l’art. 4 RLE), alors que ledit principe est considéré comme étant la condition fondamentale d’un « plein effet de la liberté religieuse et de l’égalité de traitement à la faveur de toutes les options spirituelles » et qu’en outre elle revendique in casu l’exercice de cette liberté (soit le droit de manifester publiquement et collectivement sa croyance). Rejet du recours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2110/2022-DOMPU ATA/1277/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 décembre 2022

 

dans la cause

 

A______

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE LA POPULATION ET DE LA SANTÉ



EN FAIT

1) Le 23 mai 2022, l’A______ (ci-après : l’Église), représentée par Monsieur B______, pasteur, a déposé une demande d'autorisation de manifestation auprès du département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : le département) en vue de la célébration du baptême d'un adulte, par immersion dans le lac Léman (ci-après : le lac), le dimanche 3 juillet 2022 entre 8h45 et 9h45, à la plage C______ (ci-après : la plage) dans la commune de D______ (ci-après : la commune), en présence de ses proches amis et de sa famille (pour un total annoncé de
septante-cinq participants), avec des explications sur le baptême, déclaration de foi du baptisé, éventuellement prière pour le baptisé ainsi que courts chants a cappella, étant précisé que la célébration du culte suivrait dans leur chapelle.

2) La police municipale des communes d'E______, F______, D______, G______, H______, I______ et J______ a délivré à l’Église, le 31 mai 2022, une autorisation en vue de cette manifestation, fondée sur la loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22) et du règlement d'exécution de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement du 28 octobre 2015 (RRDBHD - I 2 22.01), avec la précision que ni la musique, ni un amplificateur de son n'étaient autorisés.

3) Par décision du 27 juin 2022, le département a refusé la demande d'autorisation pour la manifestation cultuelle du 3 juillet 2022 et interdit tout rassemblement qui se formerait à cette fin.

La loi sur les manifestations sur le domaine public du 26 juin 2008 (LMDPu - F 3 10) posait le principe d'une autorisation pour l'organisation d'une telle manifestation. La loi sur la laïcité de l’État du 26 avril 2018 (LLE - A 2 75) consacrait le principe que les manifestations religieuses cultuelles se déroulaient sur le domaine privé (art. 6 al. 1). Elles pouvaient néanmoins être autorisées sur le domaine public après examen, par l'autorité compétente, des risques qu'une telle manifestation pouvait faire courir à la sécurité publique, à la protection de l'ordre public ou à la protection des droits et libertés d'autrui (art. 6 al. 2 et 4 LLE). Il ressortait de l’art. 3 du règlement d'application de la LEE du 17 juin 2021 (RLE - A 2 75.01) que seules les organisations religieuses admises à avoir des relations avec l'État pouvaient demander l'autorisation d'organiser des manifestations religieuses cultuelles sur le domaine public, aux conditions fixées aux art. 3 à 6 dudit règlement. Ce n’était que si la demande était « recevable », qu’elle était soumise « à l’examen préalable prévu à l’art. 6 al. 4 LLE ». Si cet examen permettait d'autoriser la manifestation en question, celle-ci était, dans un second temps, soumise aux critères de la LMDPu.

Sous l’angle de sa « recevabilité », la demande portait sur l’autorisation d’une manifestation religieuse cultuelle sur le domaine public. Les cours d'eau faisaient partie du domaine public, définition qui s'appliquait également au lac et à ses berges (art. 6 al. 2 LLE ; art. 3 al. 1 et 4 de la loi sur les eaux du 5 juillet 1961 -
LEaux-GE - L 2 05). Le baptême était un rite partagé par la quasi-totalité des églises chrétiennes. Il consistait en une pratique fixée par la religion et marquait l’engagement du croyant dans une nouvelle vie spirituelle au regard de la divinité. En l’espèce, l'Église ne faisait pas partie d’une organisation religieuse admise à des relations avec l'État au sens des art. 4 LLE et 3 ss RLE. Elle ne remplissait ainsi pas « la condition nécessaire pour entretenir des relations avec l’État en ce qui concern[ait] les autorisations des manifestations religieuses cultuelles sur le domaine public de l’art. 6 al. 2 LLE ». Partant, « les conditions nécessaires » à la délivrance de l’autorisation sollicitée n’étaient pas réalisées.

4) L’Église, représentée par Monsieur K______, président du comité d’association, a formé recours contre cette décision par acte expédié le 28 juin 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Elle a conclu que le refus de l'État « d’évaluer [sa] demande au sens de l’art. 6 al. 2 LLE » violait le principe de la liberté religieuse et que l’interdiction de tenir un baptême au bord du lac était une restriction injustifiée, non nécessaire et disproportionnée de sa liberté religieuse. L'État se devait d'autoriser cette manifestation et partant la chambre administrative la lui donner. Toute sanction, contravention ou amende liée à la tenue de cette manifestation devrait être annulée.

Elle avait par le passé et pour la dernière fois le 25 août 2019, procédé à plusieurs reprises à des baptêmes d'adultes dans le lac, à la plage, avec l'autorisation tacite ou explicite de la commune. À chaque fois, le baptême s'était déroulé paisiblement sans que les autres usagers de la plage, en général peu nombreux à cette heure matinale, ne se montrent importunés. Le 18 mai 2022, une assistante administrative de la commune lui avait indiqué que pour une manifestation religieuse sur le domaine public, il fallait désormais remplir un formulaire destiné au département, ce qu'elle avait fait le 19 mai suivant. Le 14 juin 2022, un représentant du département avait dit au pasteur, par téléphone, que le baptême envisagé le 3 juillet 2022 n'était pas autorisé, ce qui avait été confirmé lors d'une rencontre avec deux représentants du département le 16 juin 2022. À cette occasion, elle avait demandé au département de rendre une décision écrite susceptible de recours.

L’État ne démontrait pas en quoi l'atteinte à la liberté de conscience et de croyance, telle qu'ancrée aux art. 15 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), causée par l'interdiction de célébrer un baptême dans un espace public, conformément à l'art. 6 al. 1 et 2 LLE, serait légitimée par un intérêt prépondérant, ni a fortiori en quoi elle serait proportionnelle au but visé. Se prévalant de l’arrêt du Tribunal fédéral considérant l’interdiction de principe des manifestations religieuses cultuelles sur le domaine public comme non conforme à la Cst., l’Église estimait que l’État devait fonder son refus sur des motifs spécifiques – ce qu’il n’avait pas fait – et non sur sa seule nature religieuse ou cultuelle. Au regard des précédents et du bon sens, la manifestation prévue n'était pas propre à causer des troubles publics, ni à mettre en danger la paix confessionnelle ou à limiter la liberté d'autrui, puisqu'elle serait courte, circonscrite et se déroulerait à une heure de faible affluence.

La chambre administrative devait déterminer si le RLE interdisait réellement à l'État de répondre sur le fond à une demande d'autorisation de manifestation déposée par une organisation religieuse n'ayant pas accompli la démarche conduisant à entretenir des relations avec lui. En outre, une telle pratique, indépendamment de son bien-fondé réglementaire, violerait la liberté religieuse et de conscience, un règlement étatique ne pouvant mettre de condition restrictive à son rôle de statuer sur l’application de ce droit fondamental. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après : CourEDH), l’exercice de la liberté religieuse, y compris la liberté de manifester sa croyance en communauté et en public, ne pouvait pas être conditionnée par une forme préalable d’enregistrement ou de reconnaissance étatique, cette position étant également partagée par le Rapporteur spécial des Nations unies pour cette liberté.

Dans la mesure où des baptêmes dans le lac avaient été autorisés sous le régime de la LLE, avant l'adoption du RLE, pour des associations similaires à la sienne, la nécessité d'une telle restriction de la liberté religieuse n'était pas apparente. Le RLE aggravait la restriction des droits fondamentaux par rapport à la LLE, alors qu'il n'était qu'un règlement sans sanction démocratique directe. Rien dans la LLE ne justifiait que le RLE limite ainsi l’exercice du droit prévu à l’art. 6 al. 2 LLE aux communautés ayant établi des rapports avec l’État.

5) Par décision du 1er juillet 2022, la chambre administrative a rejeté la demande de mesures provisionnelles formée par l'Église visant à pouvoir procéder au baptême prévu deux jours plus tard.

6) Le département a conclu le 15 août 2022 au rejet du recours.

Après avoir constaté que l’Église ne figurait pas sur la liste des organisations religieuses admises à des relations avec l’État au sens de l’art. 6 al. 5 RLE, il refusait « le glissement sémantique rédui[sant] la liberté de conscience et de croyance à la seule "liberté religieuse" », soulignant que « toutes les convictions et croyance se val[ai]ent à l’aune de la protection [garantie par] la liberté de conscience et de croyance ». Il présentait ses définitions des termes « croyance », « foi », « conviction », « athéisme » et « laïcité ». Ce dernier terme était un principe juridique définissant le rapport entre l’État et les croyances et non une conviction ni une croyance. Il distinguait également les manifestations religieuses non cultuelles, visant la communication et/ou diffusion d’informations sur le contenu d’une croyance et les manifestations religieuses cultuelles, ayant pour but l’accomplissement d’un culte, d’un rite ou d’une pratique religieuse et pouvant être pratiquées individuellement ou en collectivité. Le département estimait que le texte de l’art. 9 CEDH était plus complet que les art. 15 Cst. et 25 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) et que l’art. 10 CEDH relatif à la liberté d’expression, constituant une lex specialis, ne s’appliquait pas aux manifestations cultuelles. Il concluait que la liberté de conscience et de croyance ne fondait pas directement un droit de pratiquer sa foi par des cultes dans l’espace public.

Au titre de restriction admissible de ladite liberté, l’exigence de la base légale était respectée, l’atteinte ici en cause étant légère. Le chapitre II de la LLE (art. 4 ss) énumérerait « les relations qui nécessit[ai]ent un cadre approprié » parmi lesquelles figureraient les manifestations religieuses au sens de l’art. 6 LLE. L’art. 4 RLE s’inscrivait dans le cadre légal des art. 4 LLE et 3 let. c RLE. Ainsi, l’organisation religieuse « souhaitant entretenir des relations avec l’État au sens des art. 5, 6, 8 et 9 de la loi » devait signer et respecter la déclaration d’engagement visée à l’art. 4 RLE (art. 3 let. c RLE), notamment accepter la diversité des approches philosophiques, spirituelles ou religieuses (let. b) et rejeter toute forme de discrimination ou de dénigrement à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, en raison notamment « de leur orientation ou de leur identité sexuelle, de leur identité ou de leur expression de genre » (let. d). Selon le département, cet engagement de respect concernait le rapport des organisations religieuses avec les particuliers ; il était un moyen, pour les autorités, de veiller au respect des droits fondamentaux dans les relations des particuliers entre eux conformément à l’art. 35 al. 3 Cst. En cas de décision positive du Conseil d’État quant à l’admission d’une organisation religieuse, celle-ci était inscrite sur une liste consultable au département (art. 6 al. 1 et 5 RLE). Le département estimait en outre que ces conditions s’appliquaient uniquement aux manifestations religieuses cultuelles. Les manifestations religieuses non cultuelles étaient exclues du champ d’application de la LLE et du RLE en vertu de l’art. 6 al. 3 LLE et soumises uniquement au motif de refus posé par la LMDPu (à savoir des motifs d’ordre public au sens de l’art. 5 al. 1 LMDPu). En revanche, les manifestations religieuses cultuelles pouvaient être refusées non seulement pour des motifs de protection de l’ordre public, mais également en raison de la protection des droits et libertés d’autrui conformément à l’art. 6 al. 4 LLE. Ce second motif se retrouvait dans des termes identiques à l’art. 9 § 2 CEDH.

Concernant l’exigence de l’intérêt public comme deuxième condition à la restriction de la liberté ici en cause, le département considérait que le Tribunal fédéral n’avait pas pris en compte tous les aspects de la problématique des intérêts en présence, dans son ATF 148 I 160 (arrêt 2C_1079/2019 du 23 décembre 2021) concernant le recours abstrait contre certaines dispositions de la LLE, y voyant une « porte entrouverte » pour compléter l’identification de l’intérêt public. Le refus de la manifestation litigieuse n’était in casu pas motivé par un danger pour l’ordre public, mais pour d’autres intérêts publics poursuivis par la LLE. Le département rappelait le choix politique du législateur cantonal d’exclure les manifestations religieuses cultuelles « dans les rues » afin de « préserv[er] la paix entre les différentes communautés ». S’écartant de l’approche suivie par le Tribunal fédéral dans l’arrêt susmentionné, il soulignait que le but de l’art. 6 al. 1 et 2 LLE était de déclarer que la manifestation cultuelle n’avait pas sa place dans le domaine public car elle n’en avait pas besoin pour s’accomplir ; cette norme pouvait donc s’interpréter d’une autre manière qu’une interdiction de principe. L’espace privé était, selon le département, le lieu « adapté » à la pratique du culte puisque celui-ci ne véhiculait pas d’information à autrui, de sorte que le domaine public ne lui était pas nécessaire et que sa place « naturelle » était dans l’espace privé. Il ressortirait en outre de la jurisprudence de la CourEDH que le droit de pratiquer un culte dans n’importe quel lieu n’était pas un droit protégé par l’art. 9 CEDH. L’art. 6 al. 4 LLE précisait, à titre de restriction possible, la sécurité publique, la protection de l’ordre public ou la protection des droits et libertés d’autrui. Le Tribunal fédéral n’avait examiné ni si « autrui », à savoir celui qui ne participait pas au culte pratiqué sur le domaine public, n’avait pas quelque droit et liberté à faire valoir dans cette situation, ni si d’autres intérêts publics que l’ordre public pouvaient être pris en compte. Dès lors, le régime d’autorisation était justifié par d’autres intérêts publics, propres à la LLE, à savoir la préservation de la paix religieuse (sérénité confessionnelle), la liberté de conscience et de croyance (en tant que liberté d’autrui) et le droit d’usage commun du domaine public (en tant que droit d’autrui). Ces trois volets étaient développés par le département.

Concernant la paix religieuse ou plutôt la « sérénité confessionnelle », le département relevait que le législateur genevois avait, à travers la LLE, décidé de mettre en œuvre une politique publique différente de celle de la Confédération, en mettant l’accent sur la préservation de la « paix religieuse » et non sur le droit individuel à la liberté religieuse garanti par l’art. 15 Cst. Le canton de Genève respectait la liberté de conscience et de croyance, mais avait déplacé « le curseur pour rééquilibrer la liberté religieuse de quelques-uns avec la préservation des libertés de conscience et de croyance de tous », conformément au principe de la laïcité ancré à l’art. 3 Cst-GE, la jurisprudence de la CourEDH admettant au surplus la paix religieuse et la tolérance dans une société démocratique comme un intérêt public équivalent à l’ordre public. La préservation de la paix confessionnelle impliquait pour l’État une obligation d’agir pour créer un climat de tolérance et de respect mutuel au sein de la population s’agissant de « leurs convictions, de leurs croyances et leurs convictions de non-croyance », étant précisé que le caractère « mutuel ou réciproque » ne concernait pas uniquement les croyances mais également les convictions, y compris la protection des non-croyants. D’une manière plus directe, le climat de tolérance et de respect imposait que « les croyants respectent également les droits et libertés des athées ». Pour Genève, ce « climat » « devait passer par un examen de la nécessité de l’exercice des libertés individuelles », en adoptant une « laïcité active » et une politique « proactive » propre à Genève et unique en Suisse, d’inspiration française. La chambre de céans était invitée à admettre « la sérénité confessionnelle, telle que [susdécrite, comme] un intérêt public distinct de l’ordre public, propre à la liberté religieuse et conforme au droit supérieur ».

Dans le deuxième volet précité, le département estimait que « la pratique d’un culte p[ouvait] être bornée par la protection des droits et libertés d’autrui ». Il soulignait que « l’intimité du lien uni[ssant] le croyant à sa foi et le non-croyant à sa conviction [était] de nature égale », que la croyance et la conviction n’étaient pas des « opinions mais des visions du monde » et qu’elles étaient les deux « une partie essentielle de l’identité intellectuelle de l’être humain ». La pratique d’un culte avait un effet plus perturbateur, pour un tiers y assistant, que la communication d’une opinion religieuse, vu que la pratique religieuse concernait l’intimité du for intérieur, qui était directement exposée aux tiers. Comme la croyance ou la conviction d’autrui étaient susceptibles d’être heurtées en présence d’un acte cultuel sur le domaine public, il existait, selon le département, un droit de l’athée et du croyant d’une autre religion à ce que l’intimité de sa foi ou de sa conviction ne soit pas heurtée sans nécessité. Le système d’autorisation mis en place à l’art. 6 al. 1 et 2 LLE permettait de prendre en compte ce droit d’autrui, dont la protection était « dans un rapport raisonnable avec le but de la sérénité religieuse poursuivie ». La neutralité de l’espace public se justifiait par le choix politique de préserver la paix religieuse en protégeant la sensibilité religieuse unissant le croyant et sa religion ainsi que la sensibilité philosophique unissant l’athée et sa conviction. Il était légitime pour le législateur cantonal de reconnaître le droit des individus de ne pas être exposés, sans nécessité, à une pratique religieuse à laquelle ils n’avaient pas sollicité d’être confrontés.

La protection du lien intime étant reconnue, il convenait de pondérer cet intérêt avec la liberté revendiquée par la recourante de pratiquer un culte sur l’espace public. L’interdiction querellée ne portait pas sur le culte en tant que tel, mais uniquement sur le lieu où il devait être exercé, en particulier s’agissant du domaine public. L’interdiction d’une manifestation religieuse cultuelle dans l’espace public n’entravait ni la substance ni le but de l’hommage religieux dont l’accomplissement ne concernait que les croyants, l’officiant et leur divinité et n’avait pas de valeur informative. La recourante ne justifiait pas la nécessité d’utiliser l’espace public. Selon le département, cette dernière estimait, sans devoir justifier davantage son besoin, qu’elle pouvait l’exercer parce qu’elle y avait droit « sur la base de sa seule liberté de croyance et de ce qu’elle estim[ait], de son point de vue, que cela ne dérange[ait] personne ». Le département considérait qu’il ressortait du dossier que le choix de l’espace public pour un baptême ne répondait pas à d’autre besoin que celui de bénéficier « d’un cadre naturel esthétique pour cette cérémonie », l’accomplissement du rite ne nécessitant pas du domaine public ni le lieu visé par la demande et encore moins « la présence de tiers d’autre conviction ou croyance qui y seraient exposés sans qu’il l’aient désiré ». Il s’agissait « manifestement d’un choix de confort sort[ant] du cadre de l’essence du but poursuivi par la protection de la liberté fondamentale ». Ainsi, le but poursuivi par l’acte pouvait être atteint sans utiliser l’espace public, le fait que la recourante donnerait à cette cérémonie une signification symbolique particulière liée à sa croyance – ce qu’elle ne faisait pas – important peu.

Dès lors, le refus d’autoriser une cérémonie dans l’espace public était une atteinte légère au droit de pratiquer son culte. De l’autre côté de la balance se trouvait l’atteinte « symbolique » au droit d’autrui à ne pas être « inutilement » lésé dans l’intimité de sa conviction. Cette atteinte permettait de s’opposer à la tenue d’un culte sur l’espace public qui n’était protégé ni par la liberté d’expression, ni n’entrait dans l’essence du droit fondamental. L’absence de droit constitutionnellement protégé de pratiquer son culte dans l’espace public et l’absence de nécessité objective de l’espace public dans le cas concret faisaient pencher la balance des intérêts en faveur de la protection du sentiment religieux ou de l’intimité de la croyance des tiers. Cela se justifiait d’autant plus que la sérénité confessionnelle impliquait le respect mutuel et que la protection de la neutralité confessionnelle de l’espace public était un moyen de « donner aux athées une protection de leur conviction philosophique dans l’espace public similaire à la protection que l’État accord[ait] aux croyants dans les espaces privés ». La coexistence pacifique des croyants et des non-croyants passait par le respect « mutuel et réciproque » et non par « l’injonction morale de ne pas être choqué dans son for intérieur ». Compte tenu de la « potentielle violence psychologique » que pouvait subir autrui « dans le plus profond de sa conviction », le choix politique de privilégier la sérénité religieuse plutôt qu’un droit subjectif non protégé constitutionnellement était proportionnel au but recherché car la protection du droit des non-croyants (ou des croyants en autre chose) à jouir d’une sérénité confessionnelle sur l’espace public évitait cette « violence injustifiée » et entrait dans l’intérêt d’un climat de sérénité confessionnelle dans l’espace public. En l’espèce, la recherche du compromis penchait en faveur du respect de la conviction ou de la croyance d’autrui qui étaient « objectivement davantage lésés » que le droit subjectif de la recourante de pratiquer un culte sur l’espace public « sans nécessité ».

S’agissant du troisième volet précité relatif à l’usage commun du domaine public, le département reprenait certaines des considérations évoquées plus haut, notamment le fait que la LLE poursuivait d’autres buts que celui de l’ordre public. Dans la mesure où le culte n’avait en l’espèce aucune nécessité de s’accomplir sur le domaine public, l’État devait garantir une priorité à l’usage commun. La demande litigieuse de culte sur l’espace public ne répondait à aucune nécessité « ni pratique ni légale » et la « simple raison de confort invoquée » ne justifiait pas de changer la destination du lieu et de priver l’usager de la jouissance du domaine public.

Enfin, sous l’angle de la proportionnalité, comme troisième condition à la restriction à la liberté concernée, le département a examiné la question de savoir s’il était légitime de se baser sur le seul critère que la recourante n’était pas sur la liste des organisations religieuses admises à avoir des relations avec l’État pour lui refuser l’autorisation sollicitée. La nécessité d’une « tolérance et [d’un] respect réciproques » et le caractère « acti[f] » de la laïcité genevoise impliquaient que ceux qui étaient autorisés à pratiquer des cultes sur le domaine public acceptent « ce principe » qui passait par le respect des valeurs « humanistes et universelles » fondant « notre République ». Il fallait trouver « des solutions sans dogmatisme, mais sans permissivité excessive contraire aux droits des non-croyants ». La protection de la paix religieuse imposait que le spectateur non volontaire du culte ait au moins l’assurance que ceux qui le pratiquaient, respectaient l’ordre juridique et les valeurs de la République.

Parmi les usagers de l’espace public, il y avait « des membres de la communauté LGBT, des femmes, des athées, des humanistes qui, confrontés, à une manifestation cultuelle, s’inquiéteraient de savoir si ceux qui pratiqu[ai]ent ce rite devant leurs yeux [n’étaient] pas les mêmes qui, au nom de cette même foi célébrée devant eux à leur corps défendant, agiss[ai]ent activement à leur nier d’avoir la sexualité de leur choix, d’aimer qui ils v[oulai]ent, de disposer de leur corps, d’être l’égale et l’égal de l’autre, d’exercer leur droit d’expression par la satire ou la critique, d’affirmer la non existence de Dieu, de ne pas reconnaître le droit de la famille ». Il existait aussi la persécution de croyants par certaines religions pouvant pratiquer leurs rites devant eux tout en propageant des messages de haine à leur endroit. Dans tous ces cas, à la « perturbation cultuelle » s’ajoutait le sentiment « d’indignation et d’injustice de tiers si les religions, même les plus intolérantes, p[ouvai]ent exercer tous leurs droits sans se soumettre à aucun devoir ». La liberté de conscience et de croyance ne devait pas finir par être niée par ceux estim[ant] que « le respect est une faiblesse et la violence une force ». Ainsi, le respect devait être mutuel.

C’était pour faire la différence entre les religions « respectueuses du vivre ensemble » et celles qui ne l’étaient pas qu’il y avait nécessité d’un contrôle sérieux sur les valeurs défendues par les organisations religieuses. Un tel examen ne pouvait pas être fait au cas par cas, selon les dates de la demande de manifestation. La procédure mise en place par le RLE garantissait à la population genevoise que le culte effectué sur le domaine public était pratiqué par des croyants respectant le droit de conscience et de croyance d’autrui ainsi que les règles élémentaires du vivre ensemble et de la sérénité religieuse. Il « existait des églises A______ qui estim[ai]ent que l’homosexualité [était] un péché et qui pratiqu[ai]ent des "conversions" qui [étaient] assimilées à de la torture et qui détruis[ai]ent mentalement les personnes homosexuelles tiraillées entre leur désir de satisfaire les dictats de leur croyance et de leur famille et le désir d’aimer ceux/celles qu’ils/elles désir[ai]ent ». Il était légitime, avant même d’examiner la possibilité d’accorder une autorisation de pratiquer un culte dans l’espace public, que la recourante présente « des gages » qu’elle respectait ce droit « à la différence », lesquels n’étaient « pour l’instant pas donnés ». Il était « adéquat et proportionnel » de refuser l’accès à l’usage accru du domaine public pour pratiquer un culte sur la base de cette raison seule en vue de préserver la paix religieuse.

7) Dans sa réplique du 1er septembre 2022, l’Église s’est déterminée sur l’argumentation du département en développant cinq points. Celle-ci lui donnait une impression de « règle[ment de] comptes avec une certaine conception de la "liberté religieuse" », de « cherche[r] à redéfinir ce droit », par les nombreux commentaires généraux, parfois sans liens directs avec la présente affaire. Elle était également attristée par les accusations « générales et diffamantes » portées sur A______ qui n’avaient pas de rapport avec le cas d’espèce. L’approche du département la rendait perplexe à la suite de l’arrêt du Tribunal fédéral concernant la LLE. Elle concluait au maintien de la tolérance, de l’accueil du pluralisme et du respect de l’État de droit et des libertés individuelles dans le canton de Genève.

Les définitions du département étaient d’une pertinence « limitée », mais sous-entendaient une certaine optique qui « hiérarchis[ait] caricaturalement entre la valeur des convictions chrétiennes (religieuses) et celle de l’athéisme ». Elle récusait lesdites définitions qui « signal[ai]ent assez clairement les convictions athées de leur auteur », ce que l’art. 3 al. 3 LLE visait à éviter.

En soutenant l’absence de besoin, ou l’exigence d’une nécessité, du domaine public pour accomplir sa manifestation cultuelle, le département proposait une condition supplémentaire à la reconnaissance des droits de l’homme et plus particulièrement du droit à la liberté religieuse, ce qui constituait une restriction considérable non prévue par l’art. 9 § 1 CEDH. Le département donnait une définition restrictive du culte qui était contredite par l’art. 6 al. 2 LLE et on pouvait se demander si l’État ne sortait pas de son rôle quand il venait expliquer aux communautés religieuses ce qu’était un culte, où et comment il était censé se tenir. Le droit de manifester sa croyance, y compris cultuellement, dans l’espace public, était confirmé par une abondante jurisprudence, notamment l’ATF 148 I 160 qui considérait que vouloir priver les croyants d’un accès au domaine public pour des manifestations cultuelles était une grave ingérence. L’acte du baptême, et le culte en général, impliquait des aspects « communicatifs ou expressifs ». Lors d’un baptême au lac, même en l’absence d’un but prosélyte, il arrivait que des curieux, constatant qu’il se passait quelque chose, s’informent, ce qui donnait l’occasion de communiquer sur les convictions chrétiennes. Il était fallacieux de soutenir que la liberté d’expression n’entrait pas en jeu.

La catégorie « entretenir des relations avec l’État » créée par la loi était imprécisément nommée, puisque toute association, religieuse ou non, entretenait des relations avec l’État pour son statut juridique, fiscal, etc. La LLE n’explicitait pas quels éléments de la relation avec l’État étaient conditionnés par une demande spécifique, ce qui était envisageable pour la perception de la contribution religieuse volontaire. Mais faire de cette relation, qui découlait d’une décision discrétionnaire de l’État, une condition à l’évaluation d’une demande de manifestation cultuelle sur le domaine public constituait une restriction grave aux droits fondamentaux.

Comme le lac était un espace naturel, préexistant à l’action de l’État et accessible de fait à tous, l’action de ce dernier privait en l’espèce l’Église de la possibilité d’employer un lieu naturel pour célébrer un baptême, alors qu’elle l’aurait dans « l’état de nature » et l’avait avant l’entrée en vigueur du RLE. La commune en cause n’objectait nullement la tenue du baptême. Toutes les rives du lac, même incultes ou bordant des parcelles privées, étaient du domaine public. La décision du département empêchait donc tout emploi du lac pour un baptême, indépendamment des aménagements existants. Il s’agissait donc d’un tout autre cas de figure que s’il avait simplement refusé de bâtir ou de mettre à disposition un édifice pour le culte.

Le département ne démontrait pas que l’interdiction litigieuse des baptêmes sur le domaine public, en particulier dans le lac, serait une mesure nécessaire autorisant la restriction de la liberté religieuse, condition qu’il lui appartenait de prouver. Sa position visant à « sanctuariser le domaine public au profit de l’athéisme » n’était conforme ni à l’ATF 148 I 160, ni à l’arrêt de la CourEDH cité par le département relatif à l’affaire Perovy c. Russie (47429/09 § 73), ni à la volonté de tolérance, de pluralisme ou de neutralité de l’État. Il n’expliquait pas non plus en quoi il était nécessaire et proportionnel, dans une société démocratique, que certaines communautés religieuses puissent accéder au domaine public selon le RLE, tandis que d’autres devraient systématiquement en être exclues. Il ne détaillait pas davantage en quoi un « revirement de pratique aussi drastique » était nécessaire, alors que, jusqu’à peu, y compris après l’adoption de la LLE, des autorisations avaient été octroyées aux communautés religieuses pour des célébrations de baptêmes au bord du lac, indépendamment de leur statut de communautés « ayant établi ou non des relations avec l’État ». Elle produisait des autorisations datées des 16 septembre 2019 et 17 septembre 2020 pour des célébrations de baptêmes à la plage C______ en faveur de l’Église A______(pièces 3 et 4). L’« art. 2 » RLE, tel qu’il était formulé et appliqué par le département, réinstaurait, malgré l’ATF 148 I 160, une interdiction de principe. Le département n’indiquait pas à quel but légitime de l’art. 6 al. 4 LLE ou de l’art. 9 § 2 CEDH la paix religieuse se rattachait, mais on pouvait déduire de son argumentation qu’il s’agirait de la protection des droits et libertés d’autrui. Le département n’apportait aucun élément concret en lien avec le cas d’espèce, faisant état d’une quelconque menace réelle ou supposée sur la paix religieuse. Il ne tenait compte ni du fait qu’elle avait déjà procédé à de nombreuses célébrations similaires dans le passé sans que la paix religieuse n’ait été affectée, ni que les baptêmes au lac représentaient une tradition établie de longue date dans le milieu des communautés A______. Il n’expliquait pas le fait que, selon l’art. 2 RLE, certaines communautés religieuses étaient autorisées à accéder au domaine public et pas d’autres, « autrement dit, en quoi les secondes seraient plus dangereuses pour la paix religieuse et le respect des droits d’autrui ». Elle voyait mal comment le fait d’interdire « soudainement » l’accès au domaine public à des célébrations cultuelles de certaines communautés religieuses, et pas à d’autres, était une mesure favorable à la paix religieuse et à un climat de tolérance et de respect mutuel. En raison de son caractère discriminatoire, une telle mesure créait un « système à deux vitesses entre les communautés reconnues par le canton et les autres ». Elle envoyait également un « message ambigu sur le fait religieux, qu’il s’agirait de contenir au domaine privé et qui serait une menace quand il s’afficherait dans le domaine public ».

8) Les parties ont été informées le 6 septembre 2022 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente par la destinataire de la décision litigieuse, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 60 al. 1 et art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Bien que l’intérêt digne de protection au sens de l’art. 60 al. 1 let. b LPA suppose l’existence d’un intérêt actuel à l’admission du recours (ATA/1392/2021 du 21 décembre 2021 consid. 2b et 2d et les arrêts cités), la jurisprudence consent une exception à l'exigence de l'intérêt actuel au recours lorsque la contestation peut se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, que sa nature ne permet pas de la trancher avant qu'elle ne perde son actualité et que, en raison de sa portée de principe, il existe un intérêt public suffisamment important à la solution de la question litigieuse (ATF 146 II 335 consid. 1.3). En outre, dans un souci de concilier les critères de la recevabilité des recours interjetés devant lui avec les exigences liées au droit à un recours effectif garanti à l'art. 13 CEDH, le Tribunal fédéral entre aussi en matière, en dépit de la disparition d'un intérêt actuel, sur le recours d'une personne s'estimant lésée dans ses droits reconnus par la CEDH, qui formule son grief de manière défendable (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 in fine) ; cela suppose une obligation de motivation accrue comparable à celle prévue à l'art. 106 al. 2 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110 ; ATF 137 I 296 consid. 4.3.4). L'art. 13 CEDH ne saurait en effet s'interpréter comme exigeant un recours interne pour toute doléance, si injustifiée soit-elle, qu'un individu peut présenter sur le terrain de la Convention : il doit s'agir d'un grief défendable au regard de celle-ci (ATF 137 I 296 consid. 4.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_552/2021 du 8 mars 2022 consid. 4.1). Tel n'est pas le cas d'un grief qui apparaît manifestement mal fondé ou d'emblée dénué de toute chance de succès (arrêt du Tribunal fédéral 2C_353/2021 du 30 avril 2021 consid. 4.3). 

En l’espèce, les conditions pour surseoir à la condition de l’intérêt actuel sont remplies. En effet, celui-ci n’existe a priori plus, puisque le baptême était prévu pour le dimanche 3 juillet 2022. Néanmoins, outre la question pertinente et délicate du respect de la liberté de conscience et de croyance invoquée par la recourante, la contestation litigieuse relative à l’exercice de cette liberté sur le domaine public est susceptible de se poser, à nouveau, dans des circonstances analogues avec le risque concret qu’elle ne soit pas jugée avant la date annoncée pour la manifestation religieuse sollicitée, ce qui en empêcherait à nouveau sa tenue.

2) En tant que communauté religieuse, constituée en association, ce qui n’est pas contesté, la recourante peut se prévaloir de la liberté de conscience et de croyance (ou liberté religieuse) en vertu des art. 15 Cst. et 9 CEDH, conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 142 I 195 consid. 5.2) et à celle de la CourEDH (ACEDH Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France [Grande Chambre] du 27 juin 2000, req. n° 27417/95, § 72 ; Vincent MARTENET/David ZANDIRAD in Vincent MARTENET/Jacques DUBEY [éd.], Commentaire romand de la Constitution fédérale, 2021, ad art. 15 Cst. n. 44 ss).

3) En vertu de l’art. 9 CEDH, intitulé liberté de pensée, de conscience et de religion, toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que celle de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites (§ 1). L'art. 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte ONU II ; RS 0.103.2) comporte un principe similaire mais ne revêt pas de portée propre par rapport à l'art. 9 CEDH (ATF 148 I 160 consid. 7.1).

Selon la CourEDH, la liberté de pensée, de conscience et de religion garantie à l’art. 9 CEDH représente l’une des assises d’une « société démocratique » au sens de la Convention. Cette liberté figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – qui ne saurait être dissocié de pareille société. Cette liberté implique, notamment, celle d’adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas la pratiquer (ACEDH S.A.S c. France [Grande Chambre] du 1er juillet 2014, req. n° 43835/11, § 124 et les références citées).

4) L'art. 15 Cst., intitulé liberté de conscience et de croyance, prévoit que la liberté de conscience et de croyance est garantie (al. 1). Toute personne a le droit de choisir librement sa religion ainsi que de se forger ses convictions philosophiques et de les professer individuellement ou en communauté (al. 2). Toute personne a le droit d'adhérer à une communauté religieuse ou d'y appartenir et de suivre un enseignement religieux (al. 3). Nul ne peut être contraint d'adhérer à une communauté religieuse ou d'y appartenir, d'accomplir un acte religieux ou de suivre un enseignement religieux (al. 4). La portée de cette disposition est similaire à celle de l’art. 9 § 1 CEDH (ATF 148 I 160 consid. 7.1).

a. Le Tribunal fédéral a rappelé les trois fonctions de cette liberté : assurer la paix religieuse (devoir de tolérance) ; garantir que tous puissent, individuellement ou en communauté, préserver, exprimer et vivre au quotidien leurs convictions les plus profondes sur des questions religieuses (protection de la liberté) ; empêcher l’exclusion des minorités religieuses et faciliter l’intégration de chaque individu dans la communauté, indépendamment de ses croyances (fonction d’intégration ; ATF 148 I 160 consid. 7.3 et les références citées). La sauvegarde de la tolérance, de la liberté et de l'intégration religieuses est concrétisée dans la plupart des pays dotés d'une constitution d'inspiration occidentale par le principe de la neutralité philosophique et religieuse de l'État. Cette neutralité n'est pas réalisée seulement en cas de séparation stricte entre l'État et la sphère religieuse (tradition de l'État laïque) ; elle l'est aussi lorsque l'État fait preuve d'une attitude également réceptive à l'égard des diverses philosophies et professions de foi (neutralité confessionnelle de l'État ; ATF 142 I 49 consid. 3.3). Dans le système fédéraliste prévalant en Suisse, le droit constitutionnel des cantons s'inspire de traditions marquées aussi bien par la neutralité confessionnelle (réalisée de manière plus ou moins effective) que, comme c'est le cas dans le canton de Genève, par la laïcité (ATF 148 I 160 consid. 7.4).

b. En outre, il convient de préciser que le principe de neutralité confessionnelle et religieuse s’impose à l’État, notamment aux écoles publiques et aux enseignants, personne ne pouvant être contraint d’accomplir un acte religieux ou de suivre un enseignement religieux (art. 15 al. 4 Cst.). En revanche, les élèves des écoles – usagers de l’établissement public – ne sont soumis à aucun devoir de neutralité, dans la mesure où l’exercice de leurs droits fondamentaux n’entrave pas d’une manière inadmissible ceux de tiers (ATF 139 I 280 = JdT 2014 I 118 consid. 5.5.2 et les arrêts cités).

c. Selon la Professeure Maya HERTIG RANDALL, l’approche du Tribunal fédéral, au sujet de la distinction de la portée de la neutralité confessionnelle suivant qu’il s’agit d’une enseignante ou d’une élève (opérée dans l’ATF 139 I 280 consid. 5.5.2 = JdT 2014 I 118, puis confirmée dans l’ATF 142 I 49 consid. 9.2 = JdT 2016 I 67), se situe entre celle adoptée en France et celle suivie en Allemagne. D’une part, en insistant sur la distinction entre enseignante et élève, les juges fédéraux se distancient de la conception dominante en France, qui étend l’emprise de la laïcité aux usagers des établissements publics, reléguant le fait religieux à la sphère privée. D’autre part, en admettant que le port d’un foulard par une enseignante soit compris comme une identification de l’État avec une religion, le Tribunal fédéral prête une autre signification au port du voile par une enseignante que la Cour constitutionnelle allemande. Dans un arrêt de janvier 2015, cette dernière a considéré l’interdiction générale imposée au corps enseignant de porter le foulard islamique comme étant contraire à la liberté religieuse, le port du voile « ne port[ant] pas sur un comportement à connotation religieuse imputable à l’État, mais sur l’exercice individuel de la liberté religieuse, ce qui [était] reconnaissable pour les tiers ». Dans un arrêt antérieur, cette juridiction allemande avait déjà souligné que l’enseignante était titulaire de la liberté religieuse, à la différence des collectivités publiques (Maya HERTIG RANDALL, Aux antipodes du juge Scalia : L’arrêt « St. Margrethen » du 11 décembre 2015 sur l’interdiction du port du voile par une élève dans une perspective comparative », in Frédéric BERNARD/Eleanor McGREGOR/Diane VALLÉE-GRISEL [éd], Études en l’honneur de Tristan Zimmermann – Constitution et religion – Les droits de l’homme en mémoire, 2017, p. 129 ss, en particulier p. 134 s et les références citées).

Cette auteure soulève la question de savoir si l’option française pourrait être suivie par des cantons connaissant une conception des rapports entre l’Église et l’État inspirée par la notion française de laïcité, puisque l’ATF 142 I 49 précité, dit arrêt St. Margrethen, concernait un canton avec une tradition chrétienne et humaniste. Selon elle, la réponse ne pourra pas être résolue par une « simple transposition de la conception de laïcité actuellement dominante en France [mais] nécessite une réflexion sur le sens de la tradition laïque dans le contexte helvétique ». En outre, la laïcité est une notion à géométrie variable dans l’espace et dans le temps. Cette auteure rappelle qu’il existe deux visions de la laïcité : la laïcité « stricte ou militante » adoptée par la conception française selon laquelle le port de signes religieux ostentatoires par les élèves est incompatible avec la laïcité ; et la « laïcité d’ouverture ou de tolérance » qui n’oppose pas l’État laïque à la liberté religieuse des élèves, considérant que la laïcité est au service de la fonction individuelle de la liberté religieuse, ayant pour but de renforcer la liberté de conscience et de croyance des écoliers. Pour cette auteure, un raisonnement axé sur les fonctions – individuelle, intégrative et pacificatrice – de la liberté religieuse, à l’instar de celui suivi par le Tribunal fédéral dans l’ATF 142 I 49 précité, milite contre une transposition de la conception française de laïcité aux cantons marqués par la tradition française, ajoutant que la notion de laïcité est en France indissociable du concept français de nation et que la nation française a une visée assimilationniste qui est étrangère au concept helvétique d’une nation composée, fondée sur la reconnaissance et l’intégration des minorités linguistiques, religieuses et géographiques (p. 135 ss).

Favorable à une approche respectueuse de la diversité et de la liberté individuelle, Maya HERTIG RANDALL précise que la neutralité confessionnelle peut justifier une restriction à la liberté de conscience et de croyance (telle que l’interdiction de signes ou tenues religieux), puisque le Tribunal fédéral réserve le cas de figure où l’exercice de la liberté religieuse par les élèves perturbe la paix confessionnelle ou porte atteinte aux droits fondamentaux des tiers. Dans un tel cas, cependant, le respect du principe de la proportionnalité exige qu’un tel risque soit étayé par des éléments concrets (p. 137 s et les arrêts cités).

d. À Genève, l’art. 3 Cst-GE dispose que l’État est laïque et qu’il observe une neutralité religieuse (al. 1), qu’il ne salarie ni ne subventionne aucune activité cultuelle (al. 2) et que les autorités entretiennent des relations avec les communautés religieuses (al. 3).

Dans un article concernant l’exigence de laïcité au regard de la Cst-GE, le Professeur Michel HOTTELIER commence par souligner la particularité genevoise marquée par une séparation nette entre l’Église et l’État dès 1907, année de l’adoption d’une loi constitutionnelle genevoise supprimant le budget des cultes, interdisant qu’un culte soit salarié ou subventionné et qu’une personne soit tenue de contribuer par l’impôt aux dépenses d’un culte, tout en garantissant la liberté des cultes. Il explique le fait qu’à Genève, la religion reste prioritairement considérée comme une affaire privée, en relevant qu’il n’y existe pas d’Église d’État, ni d’Église juridiquement reconnue par le droit public cantonal et bénéficiant d’un statut spécial, que les communautés religieuses s’organisent exclusivement sur la base des règles de droit privé et que l’État se borne à prêter son concours, facultatif, pour certaines tâches comme le calcul et la perception de la contribution ecclésiastique. Cela étant, selon cet auteur, le statut de la laïcité procède également de trois sources jurisprudentielles émanant des juridictions genevoises, du Tribunal fédéral et de la CourEDH (Michel HOTTELIER, L’exigence de laïcité au regard de la Constitution genevoise du 14 octobre 2012, in Frédéric BERNARD/Eleanor McGREGOR/Diane VALLÉE-GRISEL [éds], op. cit., p. 151 ss, en particulier p. 156 s).

Le Professeur Michel HOTTELIER, également membre en son temps de l’Assemblée constituante, explique qu’en adoptant l’art. 3 Cst-GE, l’Assemblée constituante a voulu confirmer une règle séculaire du droit constitutionnel genevois : celle d’une laïcité centrée sur l’ouverture, sur l’harmonie, sur la tolérance, par opposition à une laïcité de combat, fondée sur l’affrontement et l’exclusion. L’exigence genevoise de la laïcité repose sur le respect, l’intégration, l’humanisme, de même que sur la diversité des opinions religieuses, en l’absence de toute forme de parti pris. En fixant une séparation entre les communautés religieuses et l’État, la laïcité contribue à maintenir la paix confessionnelle dans le respect des croyances et des non-croyances personnelles ou communautaires. Elle permet, à ce titre, de contribuer à la solidarité et à la coexistence pacifique entre les habitants du canton (p. 165). Malgré les débats nourris au sein de l’Assemblée constituante, l’adoption de l’art. 3 Cst-GE procède d’un accord « largement convergent entre ses divers groupes ». Les propositions tendant à convertir la laïcité de tolérance prévalant à Genève en une laïcité militante – visant une neutralité absolue de la part non seulement de l’État mais aussi des usagers des services publics et la suppression de tout contact entre l’État et les communautés religieuses – ont été rejetées lors de ces débats (p. 158 s). L’art. 3 al. 3 Cst-GE, qui n’était pas nécessaire en raison du caractère général de l’art. 3 al. 1 Cst-GE, pose le principe d’un dialogue entre l’État et les communautés religieuses conçu de manière minimale, dans le but de prévenir toute tentative d’interpréter la laïcité dans un sens différent et toute forme de repli communautaire (p. 158 s et les travaux cités de l’Assemblée constituante). Le principe de la laïcité impose la neutralité religieuse à tous les acteurs de l’État de Genève. Celui-ci ne peut adopter aucune position fondée sur des convictions religieuses et n’intervenir ni en faveur, ni en défaveur d’une communauté, d’un groupe confessionnel déterminé ou de leurs membres respectifs (p. 160).

Selon cet auteur, le Tribunal fédéral a bien identifié la conception spécifiquement genevoise de la laïcité dans son arrêt de principe du 12 novembre 1997 concernant le port du foulard islamique par une enseignante à l’école primaire en considérant que « finalement, la laïcité de l’État se résume en une obligation de neutralité qui lui impose de s’abstenir, dans les actes publics, de toute considération confessionnelle ou religieuse susceptible de compromettre la liberté des citoyens, dans une société pluraliste. En ce sens, elle vise à préserver la liberté de religion des citoyens, mais aussi à maintenir, dans un esprit de tolérance, la paix confessionnelle » (ATF 123 I 296 consid. 4a/bb). Il s’agit selon cet auteur, qui renvoie aussi à l’arrêt St. Margrethen (ATF 142 I 49), d’une laïcité d’ouverture permettant aux communautés religieuses et à leurs adhérents de se faire connaître, de s’exprimer et d’entrer en contact avec les autorités, sans les reléguer à la marge de la société (Michel HOTTELIER, op. cit., p. 165 s).

5) Le champ de protection de la liberté de conscience et de croyance comprend, outre la protection générale de cette liberté (art. 15 al. 1 Cst.), plusieurs comportements spécifiques revêtant, pour certains, une portée positive (art. 15 al. 2 et 3 Cst.) et pour, d’autres, une portée négative (art. 15 al. 4 Cst. ; Vincent MARTENET/David ZANDIRAD, op. cit., ad art. 15 Cst. n. 60 ss respectivement n. 89 ss).

a. La détermination du caractère religieux d’un comportement soulève une difficulté particulière : celui-ci doit procéder d’une croyance religieuse, voire philosophique, et non d’une prédilection personnelle, mais les autorités et les tribunaux ont l’interdiction de faire un examen de la justesse théologique d’un précepte religieux, sous peine de violer le principe de la neutralité confessionnelle incombant à l’État. Selon la ligne jurisprudentielle établie par le Tribunal fédéral, les croyances religieuses motivant un certain comportement ne font en principe l’objet d’aucun contrôle dans la signification de leur contenu, ni d’aucune appréciation de leur importance dans une pesée des intérêts (ATF 142 I 49 consid. 5.2 ; 134 I 56 consid. 4 et 5.2 ; Vincent MARTENET/David ZANDIRAD, op. cit., ad art. 15 Cst. n. 57). Afin d’éviter le risque d’une instrumentalisation du religieux, le Tribunal fédéral et la CourEDH corrigent les écueils de l’approche subjective en vérifiant que l’intéressé se prévaut de manière crédible de la croyance ou pratique en cause et que celle-ci existe dans la pratique sociale, y compris de manière minoritaire (doctrine dite de l’objectivisme sociologique). Le Tribunal fédéral rappelle à cet égard qu’il peut se prononcer librement et sans faire preuve de retenue sur les aspects ou effets sociaux de la pratique d’une religion. En d’autres termes, la liberté de conscience et de croyance ne protège pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une conviction religieuse, mais doit avoir quelque rapport direct, réel et objectif avec celle-ci (Vincent MARTENET/David ZANDIRAD, op. cit., ad art. 15 Cst. n. 59 et les arrêts cités).

b. Selon la CourEDH, le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion s’applique à des vues atteignant un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d’importance. Pour être qualifié de « manifestation » au sens de l’art. 9 CEDH, l’acte en cause doit être étroitement lié à la religion ou à la conviction. Des actes du culte ou de dévotion relevant de la pratique d’une religion ou d’une conviction sous une forme généralement reconnue en constitueraient un exemple. Toutefois, la manifestation d’une religion ou d’une conviction ne se limite pas aux actes de ce type : l’existence d’un lien suffisamment étroit et direct entre l’acte et la conviction qui en est à l’origine doit être établie au vu des circonstances de chaque cas d’espèce. En particulier, le requérant n’est aucunement tenu d’établir qu’il a agi conformément à un commandement de la religion en question (ACEDH Eweida et autres c. Royaume-Uni du 15 janvier 2013, req. n° 48420/10, § 81 et 82 et les références citées).

c.  La liberté de conscience et de croyance protège le citoyen de toute ingérence de l'État qui serait de nature à gêner ses convictions religieuses. Elle confère au citoyen le droit d'exiger que l'État n'intervienne pas de façon injustifiée en édictant des règles limitant l'expression et la pratique de ses convictions religieuses (ATF 142 I 195 consid. 5.1 ; 118 Ia 46 consid. 3b). Outre la liberté intérieure de croire, ne pas croire et modifier en tout temps sa religion et ses convictions philosophiques, cette liberté comprend la liberté extérieure d'exprimer, de pratiquer et de communiquer ses convictions religieuses ou sa vision du monde, dans certaines limites, ou de ne pas les partager. Cela englobe le droit pour le citoyen de se comporter conformément aux enseignements de sa foi et d'agir selon ses croyances intérieures, y compris celle de ne pas suivre les préceptes d'une religion. La liberté de conscience et de croyance protège toutes les religions, quel que soit le nombre de leurs fidèles en Suisse (ATF 148 I 160 consid. 7.2 et les arrêts cités). En revanche, l’art. 15 Cst. ne garantit pas de ne pas être confronté aux actes religieux d’autrui, y compris à leurs chants religieux, ou à des convictions religieuses différentes (ATF 142 I 49 = JdT 2016 I 67 consid. 4.2 et 8.2.2 et les arrêts cités).

d. L'art. 15 al. 2 et 3 Cst. protège notamment l'observation des rites et préceptes religieux ainsi que les autres expressions de la vie confessionnelle, dans la mesure où ces comportements sont la manifestation d'une conviction religieuse. C’est notamment le cas des prescriptions religieuses en matière d’habillement (ATF 142 I 49 consid. 3.6 ; ATF 148 I 160 consid. 7.5 et les arrêts cités). L’art. 15 al. 2 Cst. couvre le libre exercice des cultes, qui se définit par la liberté d’accomplir des actes ou des rituels investis d’une signification ou d’une portée religieuse. Cette liberté vaut tant pour les actes accomplis de manière individuelle (par exemple la prière ou la méditation) que ceux accomplis collectivement (par exemple la procession ; Vincent MARTENET/David ZANDIRAD, op. cit., ad art. 15 Cst. n. 62).

L’art. 9 CEDH énumère les diverses formes que peut prendre la manifestation d’une religion ou d’une conviction, à savoir le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. Toutefois, cette disposition ne protège pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction et ne garantit pas toujours le droit de se comporter dans le domaine public d’une manière dictée ou inspirée par sa religion ou ses convictions (ACEDH S.A.S., précité, § 125 et les références citées).

La liberté de conscience et de croyance comprend le droit de manifester ses convictions religieuses ainsi que son appartenance à une religion ou à une communauté religieuse, étant rappelé que les art. 9 CEDH et 15 Cst. ne protègent pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion (Vincent MARTENET/David ZANDIRAD, op. cit., ad art. 15 Cst. n. 75 et les arrêts cités). Ledit droit de manifester peut s’exercer en public ou privé, individuellement ou collectivement, par oral ou par quelque autre forme d’expression (par exemple, par l’écrit ou la musique), que ce soit par le culte, la tenue vestimentaire ou d’autres symboles, les pratiques ou encore l’accomplissement de rites, la liste n’étant qu’exemplative (Vincent MARTENET/David ZANDIRAD, op. cit., ad art. 15 Cst. n. 76).

e. L’art. 15 al. 2 Cst. garantit aussi le droit de professer ses convictions – religieuses ou philosophiques – individuellement ou en communauté. Il se rapproche du droit de manifester son appartenance religieuse qui revêt une plus grande importance dans la jurisprudence (Vincent MARTENET/David ZANDIRAD, op. cit., ad art. 15 Cst. n. 69). Cette disposition comprend le droit de chercher à convaincre son prochain. Selon le Tribunal fédéral et la CourEDH, le prosélytisme est protégé par la liberté religieuse (ATF 135 I 79 consid. 5.1 ; 118 Ia 46 consid. 4c ; ACEDH Larissis et autres c. Grèce du 24 février 1998, req. n° 140/1996/759/958-960, § 45 à 61 ; ACEDH Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, req. n° 14307/88, § 31, 36 et 48 s), sauf s’il se fait trop insistant par exemple en cas d’activité « offrant des avantages matériels ou sociaux ou l’exercice d’une pression abusive en vue d’obtenir des adhésions à une Église [ou à toute autre communauté religieuse] » (Vincent MARTENET/David ZANDIRAD, op. cit., ad art. 15 Cst. n. 70 et les arrêts cités). L’idée est l’accès à la religion sans contrainte. Le prosélytisme est aussi prohibé lorsque l’expression de convictions se réclamant d’idéaux religieux fait la promotion d’un extrémisme sortant du cadre d’une société démocratique (Vincent MARTENET/David ZANDIRAD, op. cit., ad art. 15 Cst. n. 71s et les références citées). L’art. 15 al. 2 Cst. implique à la fois un devoir d’abstention à la charge de l’État, mais aussi des obligations positives. En vertu de celles-ci, les autorités étatiques doivent veiller à ce que chacun puisse professer ses convictions philosophiques et religieuses dans les relations interindividuelles (Vincent MARTENET/David ZANDIRAD, op. cit., ad art. 15 Cst. n. 74).

f. Dans un État fondé sur la neutralité confessionnelle, le primat de la « loi commune » (au sens de démocratiquement votée et applicable à tout un chacun) sur la loi religieuse demeure la condition d’un plein effet de la liberté religieuse et de l’égalité de traitement à la faveur de toutes les options spirituelles. Selon la jurisprudence et une partie de la doctrine, les autorités publiques doivent rechercher des mesures concrètes pour rendre possible ou faciliter l’exercice de la liberté religieuse afin d’éviter de mettre des individus dans la position d’un dilemme face à une règle légale et une prescription religieuse, le respect de l’une entraînant la violation de l’autre, à défaut de quoi la proportionnalité de la mesure étatique sera susceptible d’être déniée (Vincent MARTENET/David ZANDIRAD, op. cit., ad art. 15 Cst. n. 107 et les arrêts cités).

Selon le Tribunal fédéral, l’État étant laïque, il ne peut pas contrôler la conformité théologique d’un précepte religieux, en particulier sous l’angle de la conformité aux textes sacrés. Il lui est également interdit de déterminer lui-même la signification d’un précepte religieux et d’établir ainsi son importance dans une pesée des intérêts. Les organes de l’État doivent au contraire reconnaître la signification que la règle religieuse présente pour les recourants (ATF 135 I 79 = JdT 2009 I 343 consid. 4.4 et les arrêts cités). La question de savoir si l’obligation découlant de la réglementation en vigueur constitue une restriction admissible de la liberté religieuse s’inscrit en général dans un conflit entre des prescriptions religieuses, y compris minoritaires si elles sont importantes pour la personne concernée, et l’ordre juridique établi en Suisse (ATF 135 I 79 = JdT 2009 I 343 consid. 5.2).

Dans un arrêt de 2008 relatif à la question des dispenses de cours de natation pour les élèves de confession musulmane, le Tribunal fédéral a procédé à une pesée des intérêts entre celui, public, de suivre pour tous les écoliers les cours obligatoires mixtes de natation et celui privé des recourants, des garçons musulmans, à faire prévaloir le respect d’une règle religieuse qu’ils considéraient importante, soulignant qu’il ne s’agissait pas ici de participer à une manifestation en rapport avec des convictions religieuses telles que des cours d’éducation religieuse ou des offices religieux. Dans ce cadre, le Tribunal fédéral a relevé le devoir de l’État constitutionnel de créer entre lui et la société, le minimum de cohésion indispensable à une coexistence harmonieuse, empreinte de respect et de tolérance. Il était notamment attendu des étrangers qu’ils acceptent l’ordre juridique suisse et les réalités sociales locales. Face à des conflits entre certaines normes de comportement, ancrées sur le plan culturel et religieux mais se rapportant à la vie quotidienne, et les règles en vigueur en Suisse, le Tribunal fédéral a rappelé que les opinions religieuses ne dispensaient pas de se soumettre aux obligations civiques et que cette règle, auparavant expressément prévue à l’art. 49 al. 5 de l’ancienne Constitution, valait toujours à titre de principe fondamental (ATF 135 I 79 = JdT 2009 I 343 consid. 7.2).

g. Le prolongement de la séparation de l’État et des Églises est l’autonomie organisationnelle reconnue à ces dernières dans la réglementation de leurs affaires internes, notamment avec leurs employés : on parle à cet égard de liberté religieuse corporative. Deux aspects principaux la composent : le droit pour les communautés religieuses de s’organiser librement et celui d’exercer tous les actes indispensables pour mener à bien leurs activités essentielles, tels que la liberté de choisir leurs responsables religieux (Vincent MARTENET/David ZANDIRAD, op. cit., ad art. 15 Cst. n. 108 s).

h. Les droits fondamentaux doivent être réalisés dans l’ensemble de l’ordre juridique (art. 35 al. 1 Cst.) et les autorités veillent à ce qu’ils soient aussi réalisés dans les relations qui lient les particuliers entre eux (art. 35 al. 3 Cst). Cependant, ni la jurisprudence ni la doctrine ne reconnaissent à la liberté religieuse un effet horizontal direct, le mandat de l’art. 35 al. 3 Cst. s’adressant avant tout au législateur et aux autorités d’application du droit. En particulier, cette norme constitutionnelle ne confère aucun droit à ne pas être confronté à d’autres conceptions religieuses ou métaphysiques ou de critiques de tiers dirigées contre ses propres convictions (ATF 118 Ia 46 consid. 4c ; ACEDH Aydin Tatlav c. Turquie du 2 mai 2006, req. n° 50692/99, § 27 ; ACEDH Otto-Preminger-Institut c. Autriche du 20 septembre 1994, req. n° 13470/87, § 47). Mais la garantie de la liberté religieuse n’est pas sans effet sur les relations entre les particuliers : un effet horizontal indirect important existe, impliquant entre autres l’intervention du législateur pour protéger la liberté religieuse dans les relations entre particuliers. De plus, certaines obligations positives – enjoignant à l’État de garantir activement la mise en œuvre des droits fondamentaux – se rapprochent d’un effet horizontal direct, comme celles émanant de la CourEDH telles que l’obligation positive d’informer sur les sectes ou celle de l’État d’imposer aux partis politiques le devoir de ne pas proposer un programme politique contraire aux principes fondamentaux de la démocratie, dont fait partie la liberté religieuse (ACEDH Leela Förderkreis E.V. et autres c. Allemagne du 6 novembre 2008, req. n° 58911/00, § 99 ; ACEDH Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres c. Turquie [Grande Chambre] du 13 février 2003, req. n° 41340/98 et autres, § 103). Dans les rapports de droit privé, on peut parler d’effet horizontal quasi-direct de la liberté religieuse dans les rapports de travail de droit privé, en raison de l’ACEDH Eweida et autres exposé plus bas (Vincent MARTENET/David ZANDIRAD, op. cit., ad art. 15 Cst. n. 135 ss).

6) La question de l’expression religieuse sur le domaine public et de ses limites a, notamment, été traitée par le Professeur Thierry TANQUEREL dans un article paru en 2017 (Thierry TANQUEREL, L’expression religieuse sur le domaine public in Frédéric BERNARD/Eleanor McGREGOR/Diane VALLÉE-GRISEL [éds], op. cit., p. 245 ss), faisant notamment référence à la jurisprudence du Tribunal fédéral et de la CourEDH.

a. Selon cet auteur, le domaine public est un forum d’échanges interpersonnels et de communication de premier ordre. Les droits fondamentaux doivent y être respectés et réalisés (art. 35 al. 1 Cst.), y compris lorsque cela en implique un usage accru. Le devoir de neutralité religieuse de l’État, résultant de l’art. 15 Cst., et plus spécifiquement pour Genève, le principe de laïcité de l’État n’impliquent nullement que l’expression religieuse soit bannie du domaine public (p. 247).

b. Cet auteur estime que l’arrêt de l’ancien Tribunal administratif ATA/288/2004 du 6 avril 2004 n’était pas conforme aux arrêts du Tribunal fédéral rendus en 1923 (ATF 49 I 138 dit arrêt Vogel), puis en 1982 (ATF 108 Ia 41 dit arrêt Rivara). La juridiction genevoise avait confirmé le refus communal d’autoriser une paroisse d’utiliser la place du village pendant deux heures, un dimanche matin, pour célébrer la messe de la première communion. De manière contradictoire selon Thierry TANQUEREL, l’ancien Tribunal administratif avait considéré qu’il n’y avait pas de restriction de la liberté religieuse au motif que la commune avait proposé à la paroisse la mise à disposition gratuite d’une salle communale (p. 249 et la référence citée). Cet auteur souligne que l’existence d’une alternative à l’usage du domaine public pour l’exercice d’une liberté ne prive pas les titulaires de
celle-ci du droit de s’en prévaloir pour en solliciter l’usage accru. Il critique le raisonnement du tribunal genevois qui était parti du principe que toute manifestation religieuse sur le domaine public était susceptible de mettre en péril la cohabitation harmonieuse d’une communauté diverse, quand bien même la cérémonie en cause n’avait aucun caractère provocateur et n’intervenait nullement dans un contexte de tensions religieuses particulières. Ce raisonnement conduit, selon Thierry TANQUEREL, à maintenir en pratique la règle genevoise – interdisant « toute célébration de culte, procession ou cérémonie religieuse » sur la voie publique – censurée par le Tribunal fédéral, à la seule condition qu’une solution en lieu fermé soit disponible. Or, cet auteur considère qu’il n’y avait aucune raison objective de la remettre à l’ordre du jour en 2004 (p. 249). Considérer que toute manifestation cultuelle sur le domaine public constituait une menace potentielle pour l’ordre public apparaît « exagér[é]» à cet auteur qui souligne que le Conseil d’État n’évoquait aucun fait, ni aucune étude qui corroborerait l’idée que la paix religieuse serait, en 2017, tellement fragile dans le canton de Genève que toute manifestation cultuelle sur le domaine public risquerait de la menacer (p. 251).

c. Thierry TANQUEREL critique également la différence de réglementation – contenue à l’art. 6 LLE – concernant les manifestations religieuses de nature cultuelle et non cultuelle, la considérant « ni utile ni pertinente » (p. 253). Selon lui, la liberté religieuse confère un droit « conditionnel » à l’usage accru du domaine public. Ainsi, saisie d’une demande en ce sens pour une opération d’information ou de recrutement, l’autorité compétente doit, comme pour les demandes de manifestations cultuelles, peser l’ensemble des intérêts en cause dans le cas d’espèce, sans que la nature religieuse de l’opération en cause constitue a priori un élément s’opposant à l’octroi d’une autorisation (p. 252).

Sur la base de l’ATF 125 I 369 et des arrêts de la CourEDH (ACEDH Ahmet Arslan c. Turquie du 23 février 2010, req. n° 41135/98, § 51 ; ACEDH Kokkinakis, précité, § 49), cet auteur estime que l’information et le démarchage religieux ne peuvent être limités voire interdits, lorsqu’ils s’effectuent dans le cadre d’un usage commun du domaine public, que s’ils prennent la forme d’un harcèlement inacceptable des usagers dudit domaine, recourent à des méthodes déloyales ou trompeuses ou menacent l’ordre public d’une autre manière, par exemple en diffusant des propos diffamatoires pour les adeptes d’autres religions ou en adoptant des comportements dangereux pour la sécurité routière. Si l’on est en présence d’un usage accru du domaine public, un système d’autorisation peut être imposé, dans le cadre duquel non seulement le maintien de l’ordre public, mais aussi la bonne gestion de celui-ci, pourront être pris en compte. En définitive, les principes ne sont pas différents pour ce type d’expression religieuse que pour les manifestations cultuelles (p. 252 s).

d. Enfin, Thierry TANQUEREL examine la question du port de vêtement religieux sur le domaine public, notamment à la lumière de la jurisprudence de la CourEDH, en particulier de l’ACEDH S.A.S. précité relatif à l’interdiction française de se dissimuler le visage dans l’espace public (p. 255). Cet arrêt constitue, selon lui, le droit positif s’agissant de la protection conventionnelle du droit de se vêtir selon son choix dans l’espace public (p. 256). Cela étant, Thierry TANQUEREL critique l’argumentation de la CourEDH qui souligne le fait que l’interdiction n’était pas explicitement fondée sur la connotation religieuse des habits visés mais sur le seul fait qu’ils dissimulent le visage (ACEDH S.A.S., précité, § 151). La formulation « apparemment » neutre de la règle litigieuse vise en réalité les femmes musulmanes. Il partage l’opinion dissidente de deux juges européens, selon laquelle « des droits individuels et concrets garantis par la [CEDH ont été sacrifiés] à des principes abstraits, en fondant son appréciation non sur l’effet du voile lui-même mais sur la philosophie que celui-ci est censé véhiculer, vue comme oppressive, chargée de violence symbolique et déshumanisante » (p. 256 et la référence citée). L’approche de la CourEDH néglige, selon cet auteur, le fait qu’il n’existe pas de droit à ne pas être choqué par des modèles culturels ou religieux aux antipodes des siens, fussent-ils extrêmes, ni d’ailleurs d’obligation de se soumettre au contact des autres sur le domaine public (p. 256).

Eu égard à l’évolution de la jurisprudence relative à son usage, Thierry TANQUEREL conclut que le domaine public ne peut être vu « ni comme un espace aseptisé, condamné à la neutralité politique, religieuse ou culturelle, ni comme l’apanage exclusif de majorités nationales ou locales. C’est un lieu d’expressions diverses, d’échanges, voire de confrontations, qui doivent rester pacifiques et respectueuses de l’ordre public, mais qui exigent de chaque personne le fréquentant une tolérance envers l’expression, même dérangeante, des convictions des autres usagers » (p. 259).

7) Abordant les droits fondamentaux en lien avec l’art. 3 Cst-GE, Michel HOTTELIER mentionne également dans son article précité de 2017, l’ATF 108 Ia 41 dit arrêt Rivara, prononçant l’inconstitutionnalité d’une ancienne loi genevoise interdisant par principe tout rassemblement religieux sur le domaine public dans le cas d’une procession à la fête des Rameaux. Selon cet auteur, le droit invocable en cas de manifestation religieuse sur le domaine public est la liberté de conscience et de croyance, lue et interprétée en lien avec la liberté de réunion et de manifestation au sens de l’art. 32 Cst-GE (Michel HOTTELIER, op. cit., p. 163). Cette garantie, lue en relation avec l’art. 3 Cst-GE et la liberté d’association au sens de l’art. 31 Cst-GE, interdit toute prise en considération de motifs d’ordre confessionnel dans le cas de réunions ou de manifestations, que celles-ci soient organisées sur le domaine privé ou public. Seuls des motifs tenant aux conditions générales de restriction des libertés au sens de l’art. 43 al. 2 Cst-GE sont susceptibles d’entrer en ligne de compte, étant précisé que le droit de toute personne – physique ou morale – de professer ses convictions religieuses ou philosophiques individuellement ou collectivement au sens de l’art. 25 al. 2 Cst-GE peut aussi, le cas échéant, s’exercer sur le domaine public (p. 162). La teneur des art. 25, 31, 32 et 43 Cst-GE est similaire à celle de leur pendant fédéral.

De plus, les principes développés par la jurisprudence au sujet de la liberté de se réunir sur le domaine public pour y tenir une manifestation dans le domaine du débat politique s’appliquent de manière identique à la liberté de conscience et de croyance, laquelle fonctionne, selon cet auteur, à la manière d’une lex specialis. Ainsi, seuls des motifs visant à protéger l’ordre public (soit la sécurité, la tranquillité, la santé ou la moralité publique) sont admissibles, à l’exception de toute considération tenant à la nature des convictions exprimées. Conformément aux standards développés par la jurisprudence, la liberté de s’exprimer vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. En outre, les opinions sont protégées pour elles-mêmes, même si elles ne correspondent pas à la vérité, car, par définition, elles ne se prêtent pas à une démonstration de véracité. L’exercice de la liberté de conscience et de croyance sur le domaine public illustre d’une manière évocatrice la règle de l’art. 41 al. 1 Cst-GE, selon laquelle les droits fondamentaux doivent être respectés, protégés et réalisés dans l’ensemble de l’ordre juridique. Le domaine public en faisant naturellement pas exception, tout refus d’autoriser une manifestation impliquant un usage accru du domaine public s’analyse comme une restriction qui doit répondre aux exigences posées par l’art. 43 Cst-GE et ouvrir, le cas échéant, la porte au contrôle de la constitutionnalité (p. 162 s).

8) Selon la CourEDH, l’autonomie des communautés religieuses est indispensable au pluralisme dans une société démocratique et se trouve au cœur même de la protection offerte par l’art. 9 CEDH. Lorsque l’organisation d’une communauté religieuse – existant traditionnellement sous la forme de structures organisées – est en cause, l’art. 9 CEDH doit s’interpréter à la lumière de l’art. 11 CEDH qui protège la vie associative contre toute ingérence injustifiée de l’État. Le refus de reconnaître une communauté religieuse en tant qu’Église ou de lui octroyer la personnalité morale a été considéré comme une ingérence dans le droit à la liberté de religion garanti à l’art. 9 CEDH (ACEDH Metodiev et autres c. Bulgarie du 15 juin 2017, req. n° 58088/08, § 33 et 34).

a. Selon l’art. 11 CEDH, toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts (§ 1). L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État (§ 2).

Les libertés de réunion et d’association sont aussi garanties aux art. 22 al. 1 respectivement 23 al. 1 Cst. Toute personne a le droit d’organiser des réunions, d’y prendre part ou non (art. 22 al. 2 Cst). Toute personne a le droit de créer des associations, d’y adhérer ou d’y appartenir et de participer aux activités associatives (art. 23 al. 2 Cst.). Nul ne peut être contraint d’adhérer à une association ou d’y appartenir (art. 23 al. 3 Cst.).

b. La liberté d’association, notamment celle des communautés religieuses, n’est pas absolue. Les États disposent d’un droit de regard sur la conformité du but et des activités d’une association avec les règles fixées par la législation. Les États doivent cependant user de ce droit d’une manière qui se concilie avec leurs obligations au titre de la CEDH et sous réserve du contrôle des organes de cette convention. En conséquence, les exceptions visées à l’art. 11 CEDH appellent une interprétation stricte, seules des raisons convaincantes et impératives pouvant justifier des restrictions à la liberté d’association. Dans le cadre de son contrôle des décisions internes à l’aune de l’art. 11 CEDH, la CourEDH ne doit pas se borner à rechercher si l’État défendeur a usé de son pouvoir d’appréciation de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable. Il lui faut considérer l’ingérence litigieuse en tenant compte de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la CourEDH doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés par l’art. 11 CEDH et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (ACEDH Metodiev, précité, § 35 et les références citées). Pour déterminer une éventuelle ingérence dans l’exercice des droits garantis par les art. 9 et 11 CEDH, la CourEDH doit tenir compte des répercussions de la mesure litigieuse sur l’exercice de ces droits par le requérant, en prenant notamment en considération l’importance du droit des communautés religieuses à l’autonomie (ACEDH Metodiev, précité, § 36).

c. Dans l’affaire Metodiev précitée, la CourEDH a constaté une telle ingérence dans l’exercice des droits ancrés à l’art. 9 CEDH, interprété à la lumière de l’art. 11 CEDH, et ce même si le refus d’enregistrement de la nouvelle association n’avait pas empêché les membres de la communauté religieuse d’effectuer des rassemblements ou de pratiquer des rites religieux. Le fait qu’elle ne pouvait pas obtenir, par un autre moyen, la personnalité juridique privait la communauté religieuse de plusieurs prérogatives, telles que posséder des biens et ester en justice, qui étaient pourtant essentiels pour l’exercice du droit de manifester sa religion (§ 36 s). La CourEDH a ensuite examiné les trois conditions de restriction aux libertés, prévues aux art. 9 § 2 et 11 § 2 CEDH. Elle a notamment admis l’existence d’objectifs légitimes tendant à la protection de l’ordre et des droits et libertés d’autrui, au motif avancé par l’État défendeur que les statuts d’une association cultuelle devaient définir clairement les croyances et les rites du culte, dans l’objectif de permettre au public de distinguer les différents cultes et d’éviter la confrontation entre les communautés religieuses (§ 40). Elle a en revanche estimé que le défaut allégué de précision de la description des croyances et des rites de l’association cultuelle dans les statuts de celle-ci n’était pas de nature à justifier le refus d’enregistrement litigieux et a conclu à la violation de l’art. 9 CEDH, interprété à la lumière de l’art. 11 CEDH (§ 47 s).

Dans cette affaire, la CourEDH a, d’une part, rappelé que le fait d’exiger d’une association cultuelle cherchant à acquérir le statut d’Église qu’elle fournisse des documents exposant les principes fondamentaux de sa religion, afin de déterminer l’authenticité de l’organisation et de vérifier si cette religion ne constituait pas un danger pour la société démocratique, pouvait passer pour justifié (§ 42 et les références citées). Or, dans cette affaire, le but des autorités nationales n’était pas de juger de l’authenticité de l’organisation ou de la compatibilité de ses activités avec la loi, mais de distinguer le culte de la nouvelle association de ceux préexistants. Si pareille distinction pouvait être en principe considérée légitime afin de ne pas induire le public en erreur, elle ne devait pas restreindre l’exercice du droit à la liberté de religion et d’association de manière disproportionnée (§ 42 s). D’autre part, la CourEDH a rappelé sa jurisprudence, selon laquelle le droit à la liberté de religion au sens de la CEDH excluait en principe que l’État apprécie la légitimité des croyances religieuses ou les modalités d’expression de celles-ci, et ce même dans un souci de préserver l’unité au sein d’une communauté religieuse. Le rôle des autorités, lorsqu’une communauté religieuse était divisée, consisterait non pas à prendre des mesures susceptibles de privilégier un courant au détriment des autres ni à enrayer la cause des tensions en éliminant le pluralisme, mais à s’assurer que des groupes opposés l’un à l’autre se tolèrent (ACEDH Metodiev, précité, § 46 et les références citées).

d. Dans une autre affaire récente relative au refus d’enregistrer une communauté religieuse (ACEDH Ilyin et autres c. Ukraine du 17 novembre 2022, req. n° 74852/14), la CourEDH a examiné la question de la proportionnalité dudit refus à l’aune des raisons invoquées par l’État défendeur (§ 65 ss). Selon la CourEDH, un tel refus pouvait en principe se justifier lorsqu’une communauté religieuse refusait de permettre aux autorités de prendre des mesures appropriées afin d’investiguer toute plainte crédible de pratiques abusives survenant lors d’événements de cette communauté, en l’espèce lors de séminaires organisés par celle-ci. Cependant, afin de respecter les exigences procédurales des art. 9 et 11 CEDH, une telle démarche d’investigation devait être accompagnée des garanties appropriées : en particulier, elle devait être dûment documentée (« duly documented ») et les échanges pertinents devaient être dûment recueillis (« appropriate records of relevant exchanges be held »). Cela permettait un examen effectif (« an effective review ») des décisions et actions pertinentes des autorités d’enregistrement au niveau interne (§ 66 et 67 et les références citées). Faute de preuve d’une contrainte qui aurait été exercée sur des individus en lien avec des pratiques liées au mariage, il n’existait en l’espèce pas de motif pour refuser l’enregistrement de la communauté religieuse (§ 71).

9) Une restriction à la liberté de conscience et de croyance est possible tant au regard de l’art. 9 § 2 CEDH que de l’art. 36 Cst., à condition de remplir les trois exigences usuelles en la matière (base légale suffisante, intérêt public ou protection d’un droit fondamental d’autrui, proportionnalité) et le respect du noyau intangible du droit en cause (art. 36 al. 4 Cst.). Il en va de même d’une limitation de la liberté d’association (art. 11 § 2 CEDH).

a. Selon l’art. 36 Cst., toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Les restrictions graves doivent être prévues par une loi. Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés (al. 1). Toute restriction d’un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui (al. 2). Toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé (al. 3). L’essence des droits fondamentaux est inviolable (al. 4).

En vertu de l’art. 9 § 2 CEDH, la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

b. En l’espèce, le département prive l’Église d’effectuer un baptême devant accueillir septante-cinq personnes sur le domaine public pendant une heure. Il restreint ce faisant le droit de la recourante de manifester sa religion collectivement et en public, droit expressément prévu à l’art. 9 § 1 CEDH et admis en Suisse par la jurisprudence fédérale et la doctrine susmentionnées relatives à l’art. 15 Cst.

Il convient donc d’examiner si cette restriction du droit à la liberté de conscience et de croyance de la recourante est justifiée en l’espèce, étant précisé que les limitations concernant les manifestations religieuses extérieures ne portent pas atteinte au noyau intangible de la liberté de conscience et de croyance, qui ne protège que la « liberté intérieure » (ATF 135 I 79 = JdT 2009 I 343 consid. 5.5.1 ; ATF 148 I 160 consid. 7.11).

10) Avant d’examiner les raisons du département, il convient de rappeler premièrement les exigences de la base légale.

a. Selon le Tribunal fédéral, les restrictions graves d’un droit fondamental supposent une base claire et explicite dans une loi au sens formel (art. 36 al. 1 phr. 2 Cst.). Pour les restrictions légères, une loi au sens matériel suffit. Les dispositions doivent être formulées d’une manière suffisamment précise pour permettre aux individus d’adapter leur comportement et de prévoir les conséquences d’un comportement déterminé avec un degré de certitude approprié aux circonstances. Le degré de précision exigible ne peut pas être défini abstraitement. Il dépend notamment de la diversité des états de faits à régler, de la complexité et de la prévisibilité de la décision à prendre dans le cas d’espèce, des destinataires de la règle, de l’intensité de l’atteinte portée aux droits fondamentaux, et finalement de l’appréciation de la situation qui n’est possible que lors de l’examen du cas individuel et concret (ATF 139 I 280 = JdT 2014 I 118 consid. 5.1 et les arrêts cités).

Il faut en principe apprécier selon des critères objectifs si la restriction d’un droit fondamental est grave ou légère, ce qui est difficile dans le domaine de la liberté de conscience et de croyance car les sentiments et les convictions religieux sont toujours motivés de manière subjective ; les organes étatiques doivent se référer à [la signification] des règles religieuses pour les personnes concernées. Les entraves à la manifestation des convictions religieuses sont habituellement ressenties comme graves par les personnes concernées. Il est donc décisif d’examiner si les personnes touchées par une entrave concrète sont en mesure d’exposer en quoi cette atteinte heurte un élément essentiel ou une règle de comportement importante établie dans une pratique religieuse déterminée, de manière que sa gravité soit perceptible objectivement dans les circonstances apparentes de la vie (ATF 142 I 49 = JdT 2016 I 67 consid. 7.1 ; ATF 139 I 280 = JdT 2014 I 118 consid. 5.2 et les arrêts cités).

b. La jurisprudence de la CourEDH pose des conditions similaires. Elle exige, outre l’existence d’une base en droit interne, que la loi en question soit à la fois suffisamment accessible et précise : le citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables et pouvoir régler sa conduite. Il est reconnu que beaucoup de lois, en raison de la nécessité d’éviter une rigidité excessive et de s’adapter aux changements de situation, se servent par la force des choses de formules plus ou moins floues. Aussi l’interprétation et l’application de pareils textes dépendent de la pratique (ACEDH Osmanoglu et Kocabas c. Suisse du 10 janvier 2017, req. n° 29086/12, § 50 ss).

c. Selon le Tribunal fédéral, l'exigence d'une base légale formelle n'exclut pas que le législateur puisse autoriser le pouvoir exécutif, par le biais d'une clause de délégation législative, à édicter des règles de droit (art. 164 al. 2 Cst.) destinées à préciser les tâches publiques et les pouvoirs y afférents que la loi a confiés à une organisation extérieure à l'administration, ceci valant en particulier pour la délégation de tâches publiques mineures ou purement techniques. La clause de délégation législative en faveur du pouvoir exécutif est cependant soumise à des exigences strictes lorsqu'elle porte sur des tâches de puissance publique ou lorsque les droits et obligations des personnes sont en jeu (art. 164 al. 1 let. c Cst.). Il lui faut dans un tel cas être suffisamment précise de manière à circonscrire les lignes fondamentales de la réglementation déléguée, soit le but, l'objet et l'étendue des pouvoirs délégués au pouvoir exécutif (ATF 137 II 409 consid. 6.4 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_854/2016 du 31 juillet 2018 consid. 7.2).  

11) Deuxièmement, il sied de rappeler les motifs susceptibles de restreindre la liberté de conscience et de croyance.

a. La notion d'intérêt public, au sens de l'art. 36 al. 2 Cst., varie dans le temps et selon le lieu et comprend non seulement les biens de police (tels que l'ordre, la sécurité, la santé et la tranquilité publics, etc.), mais aussi les valeurs culturelles, écologiques et sociales dont les tâches de l'État sont l'expression. Ces intérêts publics se concrétisent généralement dans le cadre d'un processus politique de l’adoption démocratique des lois, laquelle ne s’opère pas de manière arbitraire mais à la lumière du système de valeur de l’ordre juridique global. Ils doivent en outre constituer un critère de restriction pertinent pour la limitation du droit fondamental en cause. Si ce droit ne peut pas être restreint pour les motifs invoqués par la collectivité publique, ces motifs n’entrent pas en considération à titre d’intérêt public pertinent (ATF 142 I 49 = JdT 2016 I 67 consid. 8.1 et les arrêts cités).

b. Selon la CourEDH, l’énumération des exceptions à la liberté de chacun de manifester sa religion ou ses convictions, qui figure à l’art. 9 § 2 CEDH, est exhaustive et la définition de ces exceptions est restrictive. Pour être compatible avec cette convention, une restriction à cette liberté doit notamment être inspirée par un but susceptible d’être rattaché à l’un de ceux énumérés dans cette disposition (ACEDH Hamidovic c. Bosnie-Herzégovine du 5 décembre 2017, req. n° 57792/15, § 34).

12) Troisièmement, la mesure litigieuse doit être conforme au principe de la proportionnalité, rappelé ci-dessous à l’aune de l’art. 36 al. 3 Cst. et de la jurisprudence topique de la CourEDH.

a. Le principe de proportionnalité ancré à l’art. 36 al. 3 Cst. exige que la mesure envisagée soit apte à produire les résultats d'intérêt public escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, elle interdit toute limitation allant au-delà du but visé et postule un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 140 I 218 consid. 6.7.1; ATF 148 I 160 consid. 7.10). La restriction ne doit pas être plus grave que nécessaire d’un point de vue objectif, spatial, temporel et personnel. Les intérêts antagonistes privés et publics doivent être évalués et pondérés en considération des circonstances de l’espèce et du contexte social actuel (ATF 142 I 49 = JdT 2016 I 67 consid. 9.1 et les arrêts cités).

b. Selon la CourEDH, dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d’une même population, il peut se révéler nécessaire d’assortir la liberté de manifester sa religion ou ses convictions de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun. La CourEDH met l’accent sur le rôle de l’État en tant qu’organisateur neutre et impartial de l’exercice des diverses religions, cultes et croyances. Ce rôle contribue à assurer l’ordre public, la paix religieuse et la tolérance dans une société démocratique. Le devoir de neutralité et d’impartialité de l’État est incompatible avec un quelconque pouvoir d’appréciation de la part de celui-ci quant à la légitimité des croyances religieuses ou des modalités d’expression de celles-ci. Ce devoir impose à l’État de s’assurer que des groupes opposés se tolèrent. Le rôle des autorités dans ce cas n’est pas de supprimer la cause des tensions en éliminant le pluralisme, mais de s’assurer que des groupes opposés l’un à l’autre se tolèrent. Pluralisme, tolérance et esprit d’ouverture caractérisent une « société démocratique ». Bien qu’il faille parfois subordonner les intérêts d’individus à ceux d’un groupe, la démocratie ne se ramène pas à la suprématie constante de l’opinion de la majorité mais commande un équilibre qui assure aux individus minoritaires un traitement juste et qui évite tout abus d’une position dominante. Le pluralisme et la démocratie doivent également se fonder sur le dialogue et un esprit de compromis, qui impliquent nécessairement de la part des individus des concessions diverses qui se justifient aux fins de la sauvegarde et de la promotion des idéaux et valeurs d’une société démocratique. Si les « droits et libertés d’autrui » figurent eux-mêmes parmi ceux garantis par la CEDH ou ses protocoles, il faut admettre que la nécessité de les protéger puisse conduire les États à restreindre d’autres droits ou libertés également consacrés par la CEDH : c’est précisément cette constante recherche d’un équilibre entre les droits fondamentaux de chacun qui constitue le fondement d’une « société démocratique » (ACEDH S.A.S, précité, § 126 à 128 et les références citées).

Le pluralisme repose aussi sur la reconnaissance et le respect véritables de la diversité et de la dynamique des traditions culturelles, des identités ethniques et culturelles, des convictions religieuses, et des idées et concepts artistiques, littéraires et socio-économiques. Une interaction harmonieuse entre personnes et groupes ayant des identités différentes est essentielle à la cohésion sociale. Le respect de la diversité religieuse présente certainement l’un des défis les plus importants aujourd’hui, c’est pourquoi les autorités doivent percevoir la diversité religieuse non pas comme une menace mais comme une richesse (ACEDH Izzettin Dogan et autres c. Turquie [Grande Chambre] du 26 avril 2016, req. n° 62649/10, § 109).

La CourEDH accorde une importance particulière au rôle du décideur national, jouissant d’une légitimité démocratique directe et mieux placé pour se prononcer sur les besoins et contextes locaux, lorsque des questions de politique générale sont en jeu, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans un État démocratique. Tel est en particulier le cas lorsque ces questions concernent les rapports entre l’État et les religions. Vu la diversité des approches nationales observées sur le port de symboles religieux dans les établissements d’enseignement, il n’est pas possible de discerner à travers l’Europe une conception uniforme de la signification de la religion dans la société et le sens ou l’impact des actes correspondant à l’expression publique d’une conviction religieuse ne sont pas les mêmes suivant les époques et les contextes (ACEDH S.A.S., précité, § 129 s et les références citées). Pour délimiter l’ampleur de la marge d’appréciation devant être, dans une certaine mesure, laissée à l’État concerné, la CourEDH doit tenir compte de l’enjeu, à savoir la protection des droits et libertés d’autrui, les impératifs de l’ordre public, la nécessité de maintenir la paix civile et un véritable pluralisme religieux, indispensable pour la survie d’une société démocratique (ACEDH Leyla Sahin c. Turquie [Grande Chambre] du 10 novembre 2005, req. n° 44774/98, § 109 s).

c. Dans l’affaire S.A.S précitée, la CourEDH rappelle plusieurs cas examinés à l’aune des principes précités, dont deux méritent d’être signalés (ACEDH S.A.S., précité, § 134 ss).

Dans le cas de Mme Eweida, employée d’une compagnie aérienne privée qui était, dans un premier temps, opposée au fait que celle-là porte au travail une croix en pendentif au cou de manière visible, la CourEDH a admis une ingérence dans le droit de l’employée de manifester sa religion, bien qu’elle ne fût pas directement imputable à l’État défendeur, l’insistance de l’intéressée étant motivée par sa volonté de témoigner de sa foi chrétienne. La question à examiner portait sur le juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu (ACEDH Eweida et autres, précité, § 84, 89 et 91). Selon la CourEDH, qui a constaté la violation de l’art. 9 CEDH dans le cas de cette employée, la volonté de manifester sa conviction religieuse était un droit fondamental, non seulement parce qu’une société démocratique saine avait besoin de tolérer et soutenir le pluralisme et la diversité mais aussi en raison de l’utilité que revêtait pour quiconque fait de la religion un principe essentiel de sa vie la possibilité de communiquer cette conviction à autrui. Admettant que la volonté de l’employeur privé de projeter une certaine image commerciale était un but légitime, la CourEDH a estimé que les tribunaux internes avaient donné trop d’importance à ce but. La croix de cette employée était discrète et ne pouvait nuire à son apparence professionnelle. Rien ne prouvait que le port par les employés d’autres vêtements religieux autorisés d’emblée (turban ou hijab) eût nui à la marque ou à l’image de la compagnie aérienne privée. La modification du code vestimentaire survenue entretemps montrait que l’interdiction litigieuse n’était pas d’une importance cruciale. Au regard de ces circonstances, aucune atteinte réelle aux intérêts d’autrui n’avait été établie (§ 94 s).

Dans l’affaire Ahmet Arslan et autres, la CourEDH a examiné la question de l’interdiction de porter, en dehors des cérémonies religieuses, certaines tenues religieuses dans les lieux publics ouverts à tous comme les voies ou places publiques ; la tenue litigieuse était composée d’un turban, d’un saroual et d’une tunique, tous de couleur noire, et assortie d’un bâton. Compte tenu notamment de l’importance du principe de laïcité pour le système démocratique en Turquie, la CourEDH pouvait admettre que l’ingérence querellée – visant à faire respecter les principes laïcs et démocratiques – poursuivait des buts légitimes énumérés à l’art. 9 CEDH, à savoir le maintien de la sécurité publique, la protection de l’ordre et la protection des droits et libertés d’autrui (ACEDH Ahmet Arslan et autres c. Turquie du 23 février 2010, req. n° 41135/98, § 43). Toutefois, la CourEDH a considéré que la nécessité de la restriction litigieuse au regard de ces buts n’était pas établie de manière convaincante et a admis la violation de l’art. 9 CEDH faute de motifs suffisants à l’atteinte portée au droit de manifester ses convictions (§ 52). Tout d’abord, les requérants dans cette affaire étaient de simples citoyens, et non des représentants de l’État exerçant une fonction publique (§ 48). Ils portaient la tenue vestimentaire litigieuse dans des lieux publics ouverts à tous comme les voies ou places publiques, de sorte que la jurisprudence de la CourEDH mettant l’accent sur l’importance particulière du rôle du décideur national s’agissant de l’interdiction du port des symboles religieux dans les établissements d’enseignement publics ne s’appliquait pas (§ 49). En outre, il ne ressortait pas du dossier que la façon dont les requérants avaient manifesté leurs croyances par une tenue spécifique constituait ou risquait de constituer une menace pour l’ordre public ou une pression sur autrui, leur seul but étant de participer à une cérémonie à caractère religieux (§ 50). Quant à la thèse du gouvernement tirée d’un éventuel prosélytisme de la part des requérants, la CourEDH observait qu’aucun élément du dossier ne montrait que ceux-là avaient tenté de faire subir des pressions abusives aux passants dans les voies et places publiques dans un désir de promouvoir leurs convictions religieuses (§ 51).

d. Ces principes ont été rappelés dans l’ACEDH Hamidovic précité, qui a admis la violation de l’art. 9 CEDH. Si le fait d’ordonner à un témoin d’ôter un symbole à caractère religieux (ici une calotte) pouvait se justifier dans certains cas, les autorités ne devaient cependant pas négliger les particularités de chaque religion, la liberté de manifester sa religion étant un droit fondamental comme cela avait été exposé dans l’affaire Eweida précitée (§ 41). En l’espèce, la CourEDH ne voyait aucune raison de douter que le geste du requérant était motivé par une conviction sincère que sa religion lui imposait de porter une calotte en toute occasion, et non par une volonté dissimulée de tourner le procès en ridicule, d’inciter autrui à rejeter les valeurs laïques et démocratiques, ou de causer des troubles. L’intéressé s’était présenté à la convocation ordonnée par le tribunal et levé lorsqu’on le lui avait demandé, indiquant ainsi qu’il se soumettait aux lois et juridictions du pays. Rien n’indiquait qu’il ne fût pas disposé à témoigner ou qu’il ait fait preuve d’un quelconque manque de respect (§ 42).

e. Contrairement aux affaires Ahmet Arslan et Hamidovic relatives à l’interdiction de porter un habit à connotation religieuse dans l’espace public, l’arrêt S.A.S précité s’en distingue, significativement selon la CourEDH, par le fait que le voile islamique intégral (burqa et niqab) est un habit particulier en ce qu’il dissimule entièrement le visage à l’exception éventuellement des yeux (ACEDH S.A.S., précité, § 11 et 136).

La requérante, musulmane pratiquante, se plaignait de l’interdiction de porter une tenue destinée à dissimuler le visage dans l’espace public, posée par la loi française, et a invoqué une violation de l’art. 9 CEDH notamment. La CourEDH a considéré que cette interdiction pouvait passer pour proportionnée au but poursuivi, à savoir la préservation des conditions du « vivre ensemble » (ou exigences minimales de la vie en société, § 140) en tant qu’élément de la « protection des droits et libertés d’autrui », notamment au regard de l’ampleur de la marge d’appréciation de l’État défendeur (§ 157) et de l’absence de consensus sur la question du port du voile intégral dans l’espace public, que ce soit pour ou contre son interdiction générale (§ 156). Certes, en interdisant à chacun de revêtir dans l’espace public une tenue destinée à dissimuler son visage, l’État défendeur restreignait d’une certaine façon le champ du pluralisme, dans la mesure où l’interdiction faisait obstacle à ce que certaines femmes expriment leur personnalité et leurs convictions en portant le voile intégral en public. Cela étant, la CourEDH a relevé que pour l’État, il s’agissait de répondre à une pratique qu’il jugeait incompatible, dans la société française, avec les modalités de la communication sociale et, plus largement, du « vivre ensemble ». Dans cette perspective, l’État défendeur entendait protéger une modalité d’interaction entre les individus, essentielle à ses yeux pour l’expression non seulement du pluralisme, mais aussi de la tolérance et de l’esprit d’ouverture, sans lesquels il n’y avait pas de société démocratique. Il apparaissait ainsi, selon la CourEDH, que la question de l’acceptation ou non du port du voile intégral dans l’espace public constituait un choix de société (§ 153). Consciente des effets de l’interdiction litigieuse sur les femmes musulmanes souhaitant porter le voile intégral (§ 145 ss), la CourEDH a souligné attacher une grande importance à la circonstance que cette interdiction n’était pas explicitement fondée sur la connotation religieuse des habits visés mais sur le seul fait qu’ils dissimulaient le visage, ce qui était une distinction avec l’affaire Ahmet Arslan précitée (§ 151). La restriction litigieuse pouvait donc être considérée « nécessaire dans une société démocratique », de sorte qu’il n’y avait pas de violation de l’art. 9 CEDH.

En revanche, une telle interdiction générale n’était pas nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité publique au sens de l’art. 9 CEDH. Bien qu’il s’agisse d’un moyen de pouvoir identifier les individus et de prévenir des atteintes à la sécurité des personnes et des biens et de lutter contre la fraude identitaire, une interdiction absolue de porter dans l’espace public une tenue destinée à dissimuler son visage ne pouvait, selon la CourEDH, passer pour proportionnée qu’en présence d’un contexte révélant une menace générale contre la sécurité publique, ce qui n’était in casu pas démontré (§ 139).

13) Le présent litige porte sur le droit de la recourante d’accomplir un acte rituel investi d’une signification religieuse, sur le domaine public du canton de Genève connaissant une séparation nette entre l’État et l’Église depuis 1907 et fortement imprégné du principe de la laïcité, ancré à l’art. 3 Cst-GE. L’argumentation prolixe du département mérite quelques clarifications préliminaires afin de cerner la question litigieuse et son cadre légal.

a. L’exercice d’un acte d’ordre cultuel sur le domaine public est une question délicate dans le canton de Genève. Comme le relève Michel HOTTELIER, ce canton est fortement attaché à l’idée que la religion est une affaire essentiellement privée qui devrait principalement se mener hors du domaine public, comme l’illustre l’ATA/288/2004 précité et critiqué par Thierry TANQUEREL. C’est dans cette optique que s’inscrit le département lorsqu’il se prévaut d’une vision de la laïcité « d’inspiration française » et d’une « politique publique différente de celle de la Confédération » faisant primer la préservation de la paix religieuse sur le droit individuel à la liberté religieuse garanti par l’art. 15 Cst.

S’il est vrai que selon l’art. 72 al. 1 Cst., la réglementation des rapports entre l’Église et l’État est du ressort des cantons, il n’en demeure pas moins que ces derniers sont soumis au respect des droits fondamentaux tels que prévus par la Cst. et la CEDH. La conception cantonale de ces rapports doit donc être compatible avec ces deux textes relevant du droit supérieur et avec la jurisprudence topique du Tribunal fédéral et de la CourEDH. À cet égard, le respect du principe de la laïcité peut, dans certains contextes tels que celui de la Turquie vu l’importance de ce principe pour son système démocratique, se rattacher à un but légitime au sens de l’art. 9 § 2 CEDH, comme l’a admis la CourEDH dans l’affaire Ahmet Arslan précitée, et être ainsi pris en compte à titre d’intérêt public à l’aune duquel la restriction litigieuse à la liberté religieuse doit être examiné.

À Genève, les principes de la laïcité et de la neutralité du canton sont ancrés à l’art. 3 Cst-GE. Sur la base des contributions susmentionnées de Maya HERTIG RANDALL et Michel HOTTELIER fondées sur la jurisprudence du Tribunal fédéral et, pour le second, sur les travaux de l’Assemblée constituante, la conception genevoise du principe de la laïcité ne se confond pas avec la vision française de celui-ci. En effet, comme le souligne Maya HERTIG RANDALL, le canton de Genève appartient à un État fédéral constitué de différentes minorités, notamment linguistiques et non à une nation comme la France. Il doit respecter la Cst., notamment son art. 15 relatif à la liberté de conscience et de croyance. Conformément à la jurisprudence susmentionnée du Tribunal fédéral, d’une part, cette liberté a trois fonctions : un devoir de tolérance visant à assurer la paix religieuse, la protection du droit individuel à la liberté religieuse et l’intégration de chaque individu indépendamment de ses croyances afin d’éviter l’exclusion des minorités religieuses. D’autre part, le devoir de neutralité s’impose à l’État et à ses représentants dans l’exercice de leurs fonctions publiques, mais non aux usagers des établissements publics. À cela s’ajoute que la vision genevoise de la laïcité telle qu’elle résulte des travaux de l’Assemblée constituante cités par Michel HOTTELIER, membre lui-même de celle-ci, prônant une laïcité d’ouverture et de tolérance, et non une laïcité militante – à l’instar de celle prévalant en France – expressément rejetée par l’Assemblée constituante.

Ainsi, la laïcité genevoise d’ouverture et de tolérance correspond, comme l’explique Maya HERTIG RANDALL, à une vision mettant la laïcité au service de la fonction individuelle de la liberté religieuse et permet, comme le souligne Michel HOTTELIER, aux communautés religieuses et à leurs adhérents de se faire connaître, de s’exprimer et d’entrer en contact avec les autorités « sans les reléguer à la marge de la société ». Cet auteur considère que la spécificité genevoise de la laïcité a correctement été identifiée par le Tribunal fédéral dans son ATF 123 I 296 résumant celle-ci comme « une obligation de neutralité qui impose [à l’État] de s’abstenir, dans les actes publics, de toute considération confessionnelle ou religieuse susceptible de compromettre la liberté des citoyens, dans une société pluraliste [de sorte qu’elle poursuit un double objectif de] préserver la liberté de religion des citoyens [et de] maintenir, dans un esprit de tolérance, la paix confessionnelle » (consid. 4a/bb).

Par conséquent, le département ne peut être suivi lorsqu’il soutient que la vision genevoise de la laïcité fait primer l’intérêt général à la paix religieuse sur le droit individuel de chaque personne à la liberté religieuse. Cet intérêt général peut cependant être pris en compte dans l’examen de la conformité au droit du refus litigieux, à l’aune de trois conditions de restriction des droits fondamentaux (art. 36 Cst. et 9 § 2 CEDH), en particulier s’agissant de la condition de la proportionnalité. Les autorités genevoises sont ainsi tenues de respecter la liberté de conscience et de croyance de tout citoyen, sous réserve de restrictions admissibles à celle-ci.

b. Contrairement à ce que semble avancer le département dans sa réponse, la recourante, dont il n’est pas contesté qu’elle est titulaire de la liberté de conscience et de croyance, a un droit – constitutionnel (art. 15 Cst.) et conventionnel (art. 9 CEDH) – à manifester publiquement sa croyance, notamment « par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites », ceci étant expressément prévu à l’art. 9 § 1 CEDH. C’est d’ailleurs en raison du droit à manifester sa religion collectivement en public que le Tribunal fédéral a déclaré la teneur de l’art. 6 al. 2 LLE adoptée par le législateur genevois – autorisant les manifestations religieuses cultuelles sur le domaine public uniquement à titre exceptionnel – incompatible avec l’art. 15 Cst., considérant qu’une telle norme revenait en réalité à une interdiction de principe desdites manifestations (ATF 148 I 160 consid. 11.4 à 11.6).

Ainsi, la distinction entre manifestation religieuse cultuelle et non cultuelle contenue à l’art. 6 LLE interroge, en particulier à l’aune de la garantie de l’art. 9 § 1 CEDH visant expressément la liberté de manifester sa religion, en public, collectivement, par le culte et l’accomplissement des rites notamment. Cela étant, elle n’est pas déterminante pour l’issue du présent litige. En effet, comme exposé plus bas, le motif du refus querellé réside dans le non-respect de la condition de l’art. 3 let. c RLE exclusivement, indépendamment des considérations alléguées par le département concernant un prétendu effet « plus perturbateur » résultant de la pratique d’un culte par opposition à la communication d’une opinion religieuse.

Pour ce motif lié à l’objet litigieux, il n’y a pas non plus lieu d’examiner la conformité au droit de la procédure visant à autoriser les communautés religieuses à entretenir des relations avec l’État au sens des art. 4 ss LLE (art. 5 et 6 RLE), ni son articulation avec celle concernant l’autorisation des manifestations religieuses, ici cultuelles, sur le domaine public (art. 6 LLE).

c. L’argumentation des parties pose également la question de l’articulation des procédures d’autorisation régies par l’art. 6 LLE et celles afférentes à l’utilisation du domaine public réglées par la LMDPu. Selon le département, l’art. 6 LLE ne concernerait que les manifestations religieuses cultuelles, qui seraient seules sujettes aux motifs de restriction posés par l’art. 6 al. 4 LLE (à savoir la sécurité publique, la protection de l’ordre public et la protection des droits et libertés d’autrui). La recourante soutient quant à elle que la manifestation litigieuse – courte, circonscrite et prévue à une heure de faible affluence – ne troublerait pas l’ordre public, à l’image des précédentes manifestations de même type qu’elle a organisées, et que donc elle devrait être autorisée. Cela étant, il n’y a pas lieu, dans la présente affaire, de développer ce point. En effet, quelle que soit, en l’état, l’articulation des deux procédures précitées, la revue de la doctrine et de la jurisprudence pertinente en matière de liberté religieuse, exposée plus haut, confirme que toute restriction à celle-ci doit s’examiner suivant l’approche légale usuelle consistant à examiner les conditions précitées de restriction des droits fondamentaux. Par ailleurs, les trois motifs mentionnés dans l’art. 6 al. 4 LLE sont déjà pris en compte par les normes générales de restriction aux libertés individuelles, telles que les art. 36 al. 2 Cst. et 9 § 2 CEDH. Enfin, pour les raisons développées plus bas, la chambre de céans n’aura, en l’espèce, pas à examiner lesdits motifs sous l’angle des conditions permettant l’usage accru du domaine public.

d. Par conséquent, la question à examiner in casu est de déterminer si la restriction au droit de la recourante de manifester sa religion collectivement et en public, que lui a imposée le département en refusant d’autoriser le baptême en cause, est admissible au regard des trois conditions usuelles de restriction des droits fondamentaux prévues aux art. 36 Cst. et 9 § 2 CEDH. Plus précisément, cet examen implique, sous l’angle du respect du principe de la proportionnalité et plus particulièrement de l’exigence de nécessité, de savoir si la restriction au droit – constitutionnel et conventionnel – d’accomplir publiquement le baptême en cause, est nécessaire à un des intérêts publics susceptibles d’être invoqués au sens des art. 36 al. 2 Cst. et 9 § 2 CEDH.

En argumentant que le domaine public n’est pas nécessaire à l’accomplissement du baptême en cause, le département fait une mauvaise application du droit. En effet, il n’examine pas la nécessité de la restriction au droit revendiqué (à savoir si le refus litigieux d’utiliser le domaine public est nécessaire à un intérêt public donné), mais s’intéresse à la nécessité d’exercer ce droit (à savoir si l’exercice du droit de manifester sa religion sur le domaine public repose sur un besoin légitime de la recourante). En d’autres termes, au lieu d’examiner la nécessité de son intervention (soit le refus litigieux), le département s’interroge sur la nécessité de la demande de l’administrée. Son raisonnement ne cible donc pas correctement la question juridique pertinente, ce d’autant plus que, ce faisant, il s’immisce, à tort, dans l’appréciation de la recourante quant à la manière d’exprimer sa croyance, en estimant qu’il s’agit d’un choix « de confort » de cette dernière, lié à l’esthétique de la plage. Conformément à la jurisprudence précitée de la CourEDH (affaire Metodiev) et du Tribunal fédéral (ATF 142 I 49), il n’appartient pas à l’État d’apprécier la légitimité des croyances religieuses ni les modalités d’expression de celles-ci. Autre est la question de l’éventuel impact social du baptême sur la société, le Tribunal fédéral rappelant à cet égard qu’il peut se prononcer librement sur les aspects ou effets sociaux de la pratique d’une religion, comme évoqué plus haut.

Par conséquent, la question de savoir si le domaine public est nécessaire à l’acte religieux, objet de la demande sollicitée, n’est pas pertinente, de sorte que l’argument y relatif du département doit être écarté. Dès lors et sous réserve de l’examen – conforme au droit – des conditions de restriction posées aux art. 36 Cst. et 9 § 2 CEDH, il ne revient pas au département de décider du lieu du baptême en cause, étant rappelé que la recourante a un droit – conditionnel – à manifester publiquement sa religion en vertu des art. 15 Cst. et 9 § 1 CEDH.

14) Après ces remarques préliminaires clarifiant l’objet du présent litige, il y a lieu de vérifier, dans un deuxième temps et au regard des motifs invoqués par le département, si la restriction litigieuse au droit de la recourante de manifester publiquement sa religion par l’accomplissement d’un rite respecte les trois conditions de restriction des droits fondamentaux posées, de manière similaire, par les art. 36 Cst. et 9 § 2 CEDH.

a. Le département motive principalement son refus par le fait que la recourante ne figure pas sur la liste des organisations admises à entretenir des relations avec l’État en violation des art. 3 ss RLE et 4 LLE, ce qui constituerait un problème de « recevabilité » de la demande litigieuse. Selon le département, l’inscription dans cette liste serait une condition préalable nécessaire à un examen sur le fond de la demande de manifester un acte religieux cultuel sur le domaine public au sens de l’art. 6 al. 4 LLE. En outre, dans sa réponse, le département explique que la signature et le respect de la déclaration d’engagement prévue à l’art. 4 RLE vise à s’assurer du respect des droits fondamentaux dans les relations des particuliers entre eux en vertu de l’art. 35 al. 3 Cst. Il semble également s’inquiéter, à la fin de son écriture, article de presse relatant des témoignages à l’appui, du respect par la recourante des règles élémentaires du vivre ensemble, notamment du droit « à la différence » s’agissant « des membres de la communauté LGBT, des femmes, des athées [et] des humanistes », ce qui est fermement contesté par la recourante.

La recourante estime en revanche que la condition litigieuse visée par les normes précitées constitue une restriction inadmissible à sa liberté religieuse, avançant qu’elle ne veut pas entretenir des relations avec l’État et se prévalant entre autres de l’opinion du Rapporteur spécial des Nations Unies pour la liberté religieuse. Dans un commentaire de 2016 concernant la liberté de religion et de croyance, ce rapporteur, le professeur Heiner BIELEFELDT et deux autres experts ont examiné, sur la base du droit international, plus particulièrement celui des Nations Unies, le droit de manifester sa religion ou croyance par rapport à la question de l’enregistrement (« registration »). Ils recommandent en effet, comme le relève la recourante, de ne pas rendre obligatoire l’enregistrement d’une entité religieuse en ce sens qu’avoir le statut d’entité religieuse enregistrée ne devrait pas être une condition préalable (« precondition ») pour exercer sa religion, mais uniquement pour acquérir la personnalité juridique et les bénéfices y relatifs (Heiner BIELEFELDT/Nazila GHANEA/Michael WIENER, Freedom of Religion or Belief - an International Law Commentary, 2016, chapitre 1.3.8, p. 228).

b. Le département développe, à bien le comprendre, une autre raison dans sa réponse pour s’opposer à la demande de la recourante, liée aux droits d’autrui, plus particulièrement à la liberté de conscience et de croyance des athées et des croyants d’une autre religion. Il invoque aussi l’intérêt de préserver un climat de sérénité confessionnelle dans l’espace public et de respecter le principe de laïcité. Le département privilégierait le fait que les athées et les croyants d’une autre religion ne soient pas heurtés, sans nécessité, dans l’intimité de leur foi ou conviction compte tenu de la « potentielle violence psychologique » qui en résulterait pour eux, puisqu’il estime que l’utilisation de l’espace public n’est pas nécessaire au baptême ici en cause, manifestation cultuelle pouvant se dérouler hors de l’espace public. L’atteinte au droit de pratiquer le culte serait ainsi légère et l’usage commun du domaine public devrait in casu primer.

15) Sous l’angle de l’exigence de la base légale, la limitation litigieuse imposée à la recourante se fonde sur l’art. 3 RLE, selon lequel « l’organisation religieuse souhaitant entretenir des relations avec l’État au sens des articles 5, 6, 8 et 9 de la loi doit remplir les conditions générales suivantes [posées aux let. a (être formellement organisée en association ou fondation), let. b (participer à la cohésion sociale) et let. c (avoir signé et respecter la déclaration d’engagement visée à l’art. 4 RLE)] ».

En vertu de l’art. 4 RLE, la déclaration d'engagement fixe les exigences en matière de respect des droits fondamentaux et de l’ordre juridique suisse par les organisations religieuses souhaitant entretenir une relation avec l’État. Ces exigences sont les suivantes : respecter et soutenir la paix religieuse (let. a) ; accepter la diversité des approches philosophiques, spirituelles ou religieuses (let. b) ; exclure tout acte de violence physique ou psychologique, tout acte d’abus spirituel, ainsi que tout propos incitant à la haine (let. c) ; rejeter toute forme de discrimination ou de dénigrement à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes, en raison notamment de leurs convictions, de leurs origines ethniques ou nationales, de leur sexe, de leur orientation ou de leur identité sexuelle, de leur identité ou de leur expression de genre (let. d) ; collaborer à la prévention des radicalisations (let. e) ; respecter la liberté de conscience de chaque individu, son droit à adhérer au système de croyance de son choix, ainsi que son droit à le quitter (let. f) ; respecter la liberté d'opinion et d'information, dans les limites posées par le droit, y compris le droit à la satire et à la critique (let. g) ; reconnaître la primauté de l’ordre juridique suisse sur toute obligation religieuse qui lui serait contraire, en particulier s'agissant du droit de la famille (let. h).

a. L’art. 3 RLE impose des obligations aux organisations religieuses intéressées par les objets régis aux art. 5, 6, 8 et 9 LLE, à savoir celles demandant au département compétent de percevoir une contribution religieuse volontaire (art. 5 LLE), celles souhaitant organiser une manifestation religieuse sur le domaine public (art. 6 al. 2 à 4 LLE), celles visant à collaborer à l’accompagnement philosophique, spirituel ou religieux de personnes accueillies dans certaines structures publiques telles qu’un établissement médical ou un lieu de privation de liberté (art. 8 LLE) et celles acquérant la propriété de certains biens ecclésiastiques de la part des communes (art. 9 LLE relatif aux biens incamérés). Ces obligations doivent respecter le principe de légalité et reposer sur une clause valable de délégation législative.

L’art. 4 LLE dispose que : « Dans le cadre de l’accomplissement des tâches publiques, l’État peut entretenir des relations avec des organisations religieuses » (al. 1) et que : « Le Conseil d’État fixe par voie réglementaire les conditions à ces relations, notamment sous l’angle du respect des droits fondamentaux et de l’ordre juridique suisse en général » (al. 2). Ainsi, la condition posée par l’art. 4 al. 1 LLE est que la relation de l’État avec l’organisation religieuse s’inscrive dans l’accomplissement d’une tâche publique. Cette disposition concrétise l’art. 3 al. 3 Cst-GE qui pose, comme évoqué plus haut, le principe d’un dialogue entre l’État et les communautés religieuses conçu de manière minimale.

b. Le présent cas concerne la question des manifestations religieuses réglée à l’art. 6 LLE. Si l’attribution des autorisations d’utiliser le domaine public relève de l’exercice de la puissance publique, la manifestation visée par ce type de demande ne consiste pas nécessairement en l’exécution d’une tâche publique, en particulier lorsqu’est concernée une manifestation religieuse comme en l’espèce. L’octroi de l’autorisation et la manifestation autorisée sont deux activités successives distinctes, bien qu’elles fassent suite à une même demande. Que celle-ci émane d’une organisation religieuse ou d’une autre entité, l’approche est la même en ce sens que le déroulement de la manifestation sollicitée est subordonné à l’octroi préalable de l’autorisation étatique. Il s’agit de l’approche courante en matière d’usage accru du domaine public, liée à la détention de la puissance publique sur la gestion de ce dernier. Ainsi, la demande de manifester sur le domaine public conduit de facto à établir une relation avec l’État et implique l’exécution d’une tâche publique, à savoir l’octroi ou non de l’autorisation sollicitée, même si la manifestation, objet de ladite autorisation, ne se confond pas avec l’exécution d’une tâche publique.

Dès lors, les autorisations visées à l’art. 6 LLE remplissent la condition précitée de l’art. 4 al. 1 LLE en ce sens que la relation de la recourante avec le département s’inscrit dans « le cadre de l’accomplissement des tâches publiques » lié à la détention de la puissance publique du canton sur son domaine public. Au surplus, il convient de préciser que l’autorisation d’utiliser le domaine public accordée par l’autorité ne signifie pas que cette dernière partage, rejette ou souhaite promouvoir les idées ou croyances exprimées lors de la manifestation en cause, mais uniquement que la tenue de celle-ci est admissible du point de vue juridique. À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’autorité doit rester neutre et impartiale face aux manifestations religieuses (cultuelles ou non) et ne pas porter de jugement sur la légitimité de la croyance ou ses modalités d’expression, conformément à la jurisprudence susmentionnée de la CourEDH.

Par conséquent, l’argument selon lequel la recourante ne souhaite pas avoir de relations avec l’État n’est pas déterminant. En effet, en déposant une demande d’utiliser le domaine public pour célébrer son rite, l’Église entre de fait en relation avec l’État, détenteur de la puissance publique sur le domaine public, même si l’objet de cette demande ne vise pas une collaboration étroite sur la durée avec lui mais l’accomplissement d’un acte ponctuel et relativement court, d’ordre privé.

c. Bien que cela n’apparaisse pas de manière très claire, l’interprétation du texte et de la systématique des art. 4 al. 1 et 2 et art. 6 LLE permet d’admettre, du point de vue de l’exigence de la base légale, la position du département, selon laquelle l’absence d’une des conditions de l’art. 3 RLE lui permet de ne pas examiner la demande d’autoriser une manifestation religieuse au sens de l’art. 6 LLE.

En effet, d’une part, cette autorisation intervient dans l’accomplissement d’une tâche publique (art.  4 al. 1 LLE) exercée par l’État pour les raisons précitées. D’autre part, l’art. 4 al. 2 LLE soumet l’exercice des relations entre ce dernier et les organisations religieuses à la réalisation de conditions fixées par le Conseil d’État. Ainsi et pour autant que celles-ci respectent la clause de délégation prévue à l’art. 4 al. 2 LLE, la combinaison des al. 1 et 2 de l’art. 4 LLE permet au département de ne pas entrer en relation avec une organisation religieuse ne remplissant pas les conditions posées par le Conseil d’État. En revanche, l’organisation religieuse est tenue de satisfaire à ces conditions pour voir sa demande au sens de l’art. 6 LLE traitée par le département. La forme potestative « peut » de l’art. 4 al. 1 LLE ne vise que l’État et ne se retrouve pas à l’art. 4 al. 2 LLE qui « fixe ( ) les conditions à ces relations ». De plus, l’art. 3 RLE, qui pose ces conditions, emploie le verbe « doit » à l’égard des organisations religieuses « souhaitant entretenir des relations avec l’État au sens [notamment de l’art. 6 LLE] ». Par conséquent, à teneur de cette réglementation, la recourante est tenue de respecter les conditions de l’art. 3 RLE, à condition que celles-ci reposent sur une base légale valable, pour contraindre le département à traiter sa demande visant une manifestation religieuse au sens de l’art. 6 LLE.

d. En l’espèce, parmi les trois conditions posées par l’art. 3 RLE, seule est litigieuse celle fixée à l’art. 3 let. c RLE, à savoir avoir signé et respecter la « déclaration d’engagement » dont le contenu est détaillé à l’art. 4 RLE. Cette condition s’inscrit dans le cadre légal de l’art. 4 al. 2 LLE qui vise expressément le respect des droits fondamentaux et de l’ordre juridique suisse en général, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté.

Il ne s’agit pas d’une obligation nouvelle vu que, même en l’absence d’une telle déclaration d’engagement, tout un chacun est tenu de respecter le droit. Sur ce point, la jurisprudence susmentionnée de la CourEDH soulignant l’importance de l’autonomie des organisations religieuses ne prive pas l’État d’un droit de regard sur la conformité du but et des activités de celles-ci avec les règles fixées par la législation. Elle le contraint cependant à fonder les éventuelles restrictions à la liberté de ces entités sur la base de raisons convaincantes, impératives, pertinentes et suffisantes ainsi que d’une appréciation acceptable des faits pertinents, rappelant que l’État n’a en principe pas à apprécier la légitimité des croyances religieuses ou leurs modalités d’expression. La condition posée à l’art. 3 let. c RLE et précisée par l’art. 4 RLE, qui motive la décision querellée, respecte donc le principe de la légalité et la condition de l’exigence de la base légale, susceptible de fonder une restriction à un droit fondamental au sens des art. 9 § 2 CEDH et 36 al. 1 Cst.

e. Quant à la procédure régie par les art. 5 et 6 RLE, elle formalise l’examen des trois conditions posées par l’art. 3 RLE. Elle peut se résumer, dans les grandes lignes, en trois étapes. D’abord, elle exige une demande écrite à cette fin, accompagnée de la déclaration d’engagement au sens de l’art. 4 RLE (art. 5 al. 1 RLE). Ensuite, l’art. 5 al. 4 RLE prévoit l’instruction de la demande et de ladite déclaration par le Conseil d’État, le cas échéant en sollicitant des informations auprès de tiers. Enfin, en cas de « décision » positive du Conseil d’État (art. 6 al. 1 à al. 3 RLE), une inscription intervient dans la liste des organisations religieuses « admises à des relations avec l’État au sens des art. 5, 6, 8 et 9 LLE », qui peut être consultée au département (art. 6 al. 5 LLE). Ainsi, à teneur de cette réglementation, l’inscription dans cette liste représente la conséquence juridique de la réalisation des trois conditions posées par l’art. 3 RLE. La question de savoir si cette procédure respecte le principe de la légalité peut en l’espèce demeurer indécise, car le cœur du problème porte en l’occurrence sur la condition de l’art. 3 let. c RLE, précisée par l’art. 4 RLE, dont la non-réalisation est seule, à l’origine de l’absence de la mention de la recourante dans la liste précitée.

16) Sous l’angle de l’exigence d’un intérêt public ou de la protection d’une liberté ou droit d’autrui au sens des art. 36 al. 2 Cst. et 9 § 2 CEDH, le département invoque essentiellement deux motifs, à savoir, d’une part, l’intérêt général à la paix religieuse et à la neutralité confessionnelle ainsi qu’à la préservation d’un climat de tolérance et de respect mutuel et, d’autre part, la protection des droits d’autrui ainsi que le respect de l’ordre juridique, notamment des « règles élémentaires du vivre ensemble ». Le département insiste sur le droit des personnes athées ou croyantes d’une autre religion à ne pas être heurtées, sans nécessité, par un acte cultuel public dans leur lien intime avec leur propre conviction ou croyance ainsi que le droit « à la différence » pour certains usagers de l’espace public comme les « membres de la communauté LGBT, des femmes, des athées [ou] des humanistes ».

Sous réserve des remarques préliminaires susmentionnées, ces deux motifs sont admissibles au regard des art. 9 § 2 CEDH et 36 al. 2 Cst. En effet, ils peuvent se rattacher à l’un des buts expressément mentionnés à l’art. 9 § 2 CEDH, notamment la protection de l’ordre public et des droits d’autrui, et sont pertinents au regard de la limitation litigieuse de la liberté religieuse conformément à la jurisprudence fédérale précitée.

17) Reste à examiner la troisième condition de restriction aux droits fondamentaux, à savoir si le refus litigieux respecte le principe de la proportionnalité dans les circonstances du cas d’espèce.

a. Parmi les motifs invoqués par le département, celui-ci attache une importance primordiale à s’assurer du respect des droits fondamentaux par les organisations religieuses avec lesquelles il entretient des relations au sens des art. 4 ss LLE, conformément au mandat de l’art. 35 al. 3 Cst., selon lequel les autorités veillent à ce que les droits fondamentaux, dans la mesure où ils s’y prêtent, soient aussi réalisés dans les relations qui lient les particuliers entre eux.

b. Selon l’exposé des motifs du 4 novembre 2015 relatif au projet de loi n° 11’764 de la LLE (ci-après : PL 11’764), concernant une disposition équivalente à l’art. 4 al. 2 LLE faisant notamment référence au respect de certains droits fondamentaux et de l’ordre juridique suisse, la liberté d’action des autorités ne devait pas fonder une pratique arbitraire, mais reposer sur des bases claires fixées dans un règlement. Les conditions que le Conseil d’État était invité à fixer devaient prendre en compte le respect des valeurs républicaines fondamentales, notamment la liberté de conscience et de croyance, la liberté d’opinion et d’information, la tolérance sous la forme du rejet d’une discrimination fondée entre autres sur l’orientation sexuelle, le rejet de toute forme de violence physique ou psychologique ainsi que le primat de l’ordre juridique suisse (p. 15 s).

Sur ce dernier aspect, le PL 11’764 précise que cette primauté de l’ordre juridique suisse signifie concrètement qu’une organisation religieuse ne doit pas tolérer en son sein des pratiques qui seraient contraires au droit. « Reconnaître le primat de la loi civile n’implique toutefois pas que l’on s’interdise de la questionner : les organisations religieuses doivent, comme toute autre organisation, conserver la possibilité d’intervenir dans le débat public pour influencer dans le sens de leurs convictions des normes légales. Ainsi, par exemple, reconnaître le primat de l’ordre juridique n’interdit pas à une Église de critiquer des mesures spécifiques dans le droit d’asile, ou à une organisation religieuse de manifester un avis divergent sur des dispositions légales. En résumé : il s’agit d’assurer que les organisations religieuses respectent la loi, sans leur interdire de la questionner ou de la critiquer » (p. 16).

Ainsi la condition posée aux art. 3 let. c et 4 RLE respecte non seulement la clause de délégation prévue à l’art. 4 al. 2 LLE mais également la volonté du législateur tenant à réaffirmer la primauté du droit en vigueur sur les prescriptions religieuses. Ce principe de la primauté de l’ordre juridique est la condition fondamentale d’un « plein effet de la liberté religieuse et de l’égalité de traitement à la faveur de toutes les options spirituelles », comme le relèvent Vincent MARTENET et David ZANDIRAD dans le commentaire susmentionné relatif à l’art. 15 Cst. Il facilite l’exercice de la liberté religieuse en évitant de placer les individus face à un dilemme résultant de la contradiction entre une règle légale et une prescription religieuse, ce que rappellent ces auteurs et le Tribunal fédéral soulignant, dans l’ATF 135 I 79 = JdT 2009 I 343 consid. 7.2, que les opinions religieuses ne dispensent pas de se soumettre aux obligations civiques, ce qui vaut à titre de principe fondamental. Ces considérations mettent en évidence le caractère essentiel du respect de l’ordre juridique, notamment des droits fondamentaux, dans un État démocratique fondé sur le droit et le principe de la neutralité philosophique et religieuse, quelle qu’en soit sa forme (neutralité confessionnelle ou laïcité ; ATF 148 I 160 consid. 7.4). Cet intérêt public est clairement poursuivi par la condition des art. 3 let. c et 4 RLE, contestée par la recourante.

À cela s’ajoute l’importante marge de manœuvre laissée par la CourEDH aux États sur des questions de politique générale, telles que les rapports entre l’État et la religion, susceptibles de constituer un choix de société. L’ampleur de cette marge d’appréciation peut être délimitée par référence à plusieurs aspects, tels que la nécessité de maintenir la paix civile et un véritable pluralisme religieux, indispensable pour la survie d’une société démocratique selon la CourEDH (ACEDH S.A.S., précité, § 129 s et 153 ; ACEDH Leyla Sahin, précité, § 109 s).

c. Face à cet intérêt public prépondérant, la recourante se plaint d’une restriction à sa liberté de conscience et de croyance, concrétisée ici par le refus d’accomplir un rite religieux sur le domaine public. Cette restriction est certes importante, mais elle découle in casu du refus de la recourante de signer et de s’engager à respecter la déclaration visée par l’art. 4 RLE.

Or, celle-ci constitue essentiellement un rappel des valeurs et règles découlant des droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique suisse, la recourante n’alléguant au demeurant pas que tel ne serait pas le cas. La seule contrainte pour elle découlant de l’art. 3 let. c RLE est de manifester sa volonté de se soumettre aux valeurs explicitées à l’art. 4 RLE et résultant de l’ordre juridique suisse, plus particulièrement des droits fondamentaux et, ce faisant, de leur reconnaître une primauté par rapport aux règles découlant de sa croyance. L’exigence des art. 3 let. c et 4 RLE n’interfère en revanche aucunement sur ses croyances ou pratiques religieuses, respectant ainsi la jurisprudence précitée selon laquelle les autorités n’ont pas à apprécier la légitimité des croyances ou les modalités d’expression de celles-ci. À cela s’ajoute la jurisprudence de la CourEDH admettant un droit de regard de l’État sur la conformité du but et des activités des communautés religieuses avec les règles fixées par la législation, tout en soumettant une éventuelle restriction de la liberté d’association à des motifs pertinents et suffisants, sur la base d’une appréciation acceptable des faits pertinents et à la lumière des effets sur l’exercice des libertés fondamentales en cause (ACEDH Metodiev, précité, § 35 ss).

Dans ces circonstances, on peine à voir l’atteinte qu’engendrerait la condition posée par les art. 3 let. c et 4 RLE à la liberté religieuse de la recourante, dans une société démocratique fondée sur le respect du droit et la neutralité religieuse.

d. Au contraire, comme relevé plus haut, le respect de cette condition favorise le plein exercice de cette liberté ainsi que la diversité religieuse. Le respect de cette diversité constitue l’un des défis les plus importants, selon la CourEDH qui invite les États à la percevoir comme une richesse et non une menace (ACEDH Izzettin Dogan, précité, § 109).

L’exigence de signer et de respecter la déclaration visée par l’art. 4 RLE, posée à l’art. 3 let. c RLE, est ainsi apte et nécessaire non seulement à l’objectif de primauté de l’ordre juridique poursuivi par le législateur genevois, mais également au respect de la liberté religieuse de tout un chacun. Dans la mesure où elle contribue à la garantie de cette liberté et qu’elle n’affecte pas le contenu des croyances de la recourante, on ne voit pas quelle atteinte à sa liberté religieuse cette dernière subirait en acceptant de signer et de respecter la déclaration visée par l’art. 4 RLE, tout au plus serait-elle minime. Dans ces circonstances, l’intérêt public à la protection de l’ordre juridique prime celui de la recourante de ne pas se soumettre à une telle exigence, ce d’autant plus que celle-ci revendique l’exercice de la liberté religieuse qu’elle refuse d’inscrire dans un rapport de subordination aux valeurs fondamentales de l’ordre juridique.

Certes, l’atteinte découlant du refus de la recourante de signer et respecter la déclaration de l’art. 4 RLE est grave, dans la mesure où elle se voit priver de son droit de manifester publiquement sa religion par l’accomplissement d’un rite. Néanmoins, l’intensité de cette atteinte résulte, par effet de miroir, de l’importance de la règle précitée que la recourante a volontairement refusé de respecter, en ne signant pas la déclaration d’engagement visée par l’art. 4 RLE. Cette atteinte se trouve ainsi dans un rapport raisonnable par rapport à l’intérêt public escompté, l’entrave subie par la recourante n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire à la réalisation de cet intérêt dont l’importance cardinale a déjà été soulignée. En outre, il ne tient qu’à la recourante d’accepter de signer et de respecter la déclaration de l’art. 4 RLE pour réduire l’atteinte qu’elle subit, de ce fait, dans l’exercice de sa liberté religieuse.

Par conséquent, le refus d’examiner le fond de la demande visant le déroulement du baptême en cause sur le domaine public, opposé par le département à la recourante en l’absence de signature et d’engagement à respecter la déclaration de l’art. 4 RLE, est conforme au principe de proportionnalité au sens des art. 36 al. 3 Cst et 9 § 2 CEDH. L’atteinte litigieuse portée à la liberté religieuse de la recourante est donc admissible in casu. Le recours est dès lors rejeté.

18) Il n’est ainsi pas nécessaire d’examiner les autres considérations soulevées par le département, notamment en lien avec la liberté de conscience et de croyance d’autrui et aux allégations relatives aux violations qui seraient subies par des personnes homosexuelles dans le milieu A______.

Néanmoins, il convient, d’une part, de rappeler que, conformément à ce qui a été exposé plus haut, l’art. 15 Cst. ne garantit ni de ne pas être confronté aux actes religieux d’autrui, tels que des chants religieux, ou à des convictions religieuses différentes, ni interdit de faire du prosélytisme pour autant que celui-ci soit exercé de manière admissible, ce qui n’est pas le cas s’il se fait trop insistant ou promeut un extrémisme sortant du cadre d’une société démocratique. Dès lors, tout au plus, le droit – dont bénéficierait autrui, selon le département, à ne pas être heurté sans nécessité dans l’intimité de sa foi ou de sa conviction – pourrait être mis dans la balance des intérêts à peser, lors de l’examen de la proportionnalité sur le fond de la demande d’autoriser une manifestation religieuse, étant précisé qu’il ne constitue pas en soi un motif de refus d’une telle demande.

D’autre part, concernant les graves allégations à l’encontre de la recourante, selon lesquelles il « exist[erait] des églises A______ qui estim[erai]ent que l’homosexualité [serait] un pêché et qui pratiqu[erai]ent des "conversions" qui [seraient] assimilées à de la torture et qui détrui[rai]ent mentalement les personnes homosexuelles tiraillées entre leur désir de satisfaire les dictats de leur croyance et de leur famille et le désir d’aimer ceux/celles qu’ils/elles désir[erai]ent », elles ne sont en l’état pas pertinentes, faute d’un lien direct, concret et plausible dûment établi avec la recourante, hormis son appartenance au milieu A______. L’article de presse produit par le département soulève l’existence potentielle d’un risque, à ce stade hypothétique, de pratiques abusives par cette communauté à l’égard des personnes homosexuelles. Or, seuls des motifs pertinents et dûment fondés sont susceptibles de fonder une éventuelle restriction de la liberté religieuse de la recourante. À cet égard, la CourEDH juge certes proportionné le refus d’enregistrer une communauté religieuse si celle-ci empêche les autorités de procéder à des mesures d’investigation appropriées afin d’instruire toute plainte crédible de pratiques abusives au sein de cette communauté. Elle exige toutefois qu’une telle démarche d’investigation respecte certaines garanties procédurales, telles que celle d’être dûment documentée et de dûment recueillir les échanges pertinents (ACEDH Ilyin, précité, § 66 s). Ceci n’a, en l’espèce, pas été fait par le département au regard du dossier produit.

19) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 juin 2022 par l’A______ contre la décision du département de la sécurité, de la population et de la santé du 27 juin 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de l’A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunlal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, indiqués comme moyens de preuve, doivent être joints au recours ;

communique le présent arrêt à l’A______ ainsi qu'au département de la sécurité, de la population et de la santé.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. Mazza

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 

 


 

OPINION SÉPARÉE

(art. 119 Cst-GE et 28 al. 4 et 5 du règlement de la Cour de Justice - RCJ - E 2 05.47)

Il ne m'est pas possible de souscrire à l'opinion majoritaire de la chambre administrative dans la présente affaire, pour les raisons qui suivent.

L'arrêt, après avoir – à juste titre – sursis à la condition de l'intérêt actuel au recours, présente de manière assez complète l'état de la jurisprudence et de la doctrine en matière de liberté religieuse, si bien qu'il n'y a pas lieu d'y revenir. Il met aussi en exergue, également à juste titre, le caractère biaisé, excessif et parfois même inconvenant des écritures du département.

Il retient néanmoins que l'interdiction litigieuse repose sur une base légale et un intérêt public et respecte le principe de la proportionnalité, en admettant, sur la base de l'art. 3 RLE, qu'une communauté religieuse doit être enregistrée au sens de l'art. 4 LLE pour pouvoir demander l'autorisation d'organiser une manifestation sur le domaine public, au sens de l'art. 6 LLE.

Dans l'ATF 148 I 160 qui a notamment vu cette dernière disposition partiellement annulée, le Tribunal fédéral a certes dit prendre en compte le fait que le canton de Genève attache une grande importance à la laïcité de l'État. Il ressort toutefois très clairement du consid. 5 de l'arrêt que ce vocable a trait aux rapports entre l'État et les communautés religieuses – il est incontestable à cet égard que le canton de Genève connaît depuis 1905 le principe de la séparation de principe de l'Église et de l'État – et non pas aux droits individuels des administrés tirés de leur liberté religieuse, laquelle vaut dans tout le pays et n'est pas susceptible d'être moindre dans un canton donné que dans un autre (même s'il existe des champs de tension, dont l'un est précisément le port de signes religieux par des agents publics au sens large, qui était l'objet du consid. 7 de l'arrêt). Du reste, selon la définition donnée par l'art. 2 al. 1 LLE, et qui m'apparaît correcte, la laïcité correspond au principe de neutralité de l’État dans les affaires religieuses. En d'autres termes, il s'agit pour l'État de ne pas s'immiscer dans les affaires des communautés religieuses (et de ne subventionner aucun culte), mais aussi de ne privilégier aucune croyance ou religion – et non, très clairement, de faire de l'athéisme une croyance ou une religion d'État.

Dans le consid. 11 de l'ATF 148 I 160 ayant pour objet l'art. 6 LLE, le Tribunal fédéral retient que « dans le contexte moderne actuel, il n'apparaît ( ) pas que l'organisation d'une manifestation religieuse cultuelle sur le domaine public puisse de manière générale causer en tant que telle des troubles à l'ordre public », et qu'une interdiction de principe des manifestations d'une part ne serait motivée par aucun intérêt public, et d'autre part constituerait une limitation tellement grave de la liberté de conscience et de croyance des citoyens qu'elle serait sans commune mesure avec le but de sauvegarde de la laïcité.

Le présent arrêt ne retient cela étant pas que les manifestations cultuelles doivent être interdites par principe, mais applique l'art. 3 RLE qui veut que seules les communautés religieuses « entretenant des relations avec l'État » au sens de l'art.  4 al. 1 LLE puissent jouir du droit de manifester prévu par l'art. 6 LLE. On peut à cet égard parler d'une procédure d'« enregistrement », car à rigueur de texte toute personne physique ou morale entretient nécessairement des relations avec l'État.

L'enregistrement par l'État des communautés religieuses a donné lieu à un important contentieux, notamment pour la CourEDH (quelques décisions sont citées dans l'arrêt). Dans certains cas, l'absence d'enregistrement ou de reconnaissance par l'État entraînait l'impossibilité pour la communauté religieuse de pratiquer son culte sans être en infraction (voir p. ex. l'ACEDH Église métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldova du 13 décembre 2001, req. n° 45701/99). Comme le mentionne l'arrêt en p. 38, le Rapporteur spécial des Nations Unies pour la liberté religieuse recommande de ne pas rendre obligatoire l’enregistrement d’une entité religieuse, en ce sens qu’avoir le statut d’entité religieuse enregistrée ne devrait pas être une condition préalable pour exercer sa religion. Il s'agit certes de « soft law », mais qui cristallise comme souvent une « bonne pratique ».

La question qui se pose est ainsi celle des rapports entre les art. 4 et 6 LLE. L'art. 4 al. 2 LLE délègue au Conseil d'État la possibilité de fixer par voie réglementaire les conditions aux relations entre les églises et l'État (c'est-à-dire à leur enregistrement), notamment sous l’angle du respect des droits fondamentaux et de l’ordre juridique suisse en général. L'art. 6 LLE, quant à lui, ne contient aucun renvoi à l'art. 4 LLE ni aucune référence à un enregistrement préalable pour pouvoir demander à organiser une manifestation ; c'est donc uniquement l'art. 3 RLE qui crée un lien entre ces deux articles, de même qu'entre l'art. 4 et les art. 5 (contribution religieuse volontaire), 8 (accompagnement philosophique, spirituel ou religieux) et 9 (biens incamérés) LLE.

Or si l'enregistrement préalable d'une communauté religieuse peut apparaître conforme au principe de la proportionnalité s'agissant de questions fiscales ou immobilières, ou pour se voir permettre de fournir des services d'aumônerie dans des institutions publiques, il n'en va pas de même pour la possibilité de manifester, laquelle apparaît comme une forme « primaire » du droit de pratiquer sa religion. Le fait que la majorité de la chambre administrative considère que la déclaration d'engagement de l'art. 4 LLE constitue essentiellement « un rappel des valeurs et règles découlant des droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique suisse » (alors même que ses let. e et h notamment peuvent receler des écueils non négligeables pour bon nombre de communautés religieuses, y compris les plus représentées au sein de la population) n'y change rien.

En effet, pour la liberté de manifester non religieuse au sens de la loi sur les manifestations sur le domaine public, du 26 juin 2008 (LMDPu - F 3 10), aucun enregistrement préalable n'est requis pour un quelconque groupe de citoyens, que ce groupe poursuive des fins politiques, syndicales, philosophiques ou autres. Seules donc les communautés religieuses seraient soumises à cet enregistrement préalable, discrimination que l'on peine à comprendre, et qui sous-entendrait que lesdites communautés et associations seraient intrinsèquement plus dangereuses ou moins dignes de confiance que n'importe quel groupe de citoyens.

L'art. 3 RLE, en ce qu'il renvoie à l'art. 6 LLE, me semble ainsi inconstitutionnel, que ce soit pour cause de violation de la séparation des pouvoirs – la clause de délégation de l'art. 4 al. 2 LLE ne prévoit nullement, même schématiquement, que l'absence d'enregistrement empêcherait le dépôt de toute demande de manifester au sens de l'art. 6 LLE – ou pour violation de la liberté religieuse, aucun intérêt public ne légitimant une telle condition préalable, laquelle est par ailleurs disproportionnée. La chambre administrative aurait dû le constater dans le cadre d'un contrôle concret des normes, ce qu'elle n'a malheureusement pas fait. Un autre problème de proportionnalité, d'ordre moins général, que pose la décision attaquée est que le département ne semble avoir à aucun moment proposé à la recourante de s'enregistrer entre le 23 mai 2022, date de la demande d'autorisation, et le 27 juin 2022, date du refus de l'autorisation.

En définitive, la demande d'autorisation de manifester aurait dû uniquement être examinée à l'aune de l'art. 6 LLE (et donc aussi de la LMDPu), en examinant en particulier les risques que la manifestation pouvait faire courir à la sécurité publique, à la protection de l’ordre public ou à la protection des droits et libertés d’autrui (art. 6 al. 4 LLE). En l'occurrence, on ne voit guère quel problème de sécurité ou d'ordre public aurait pu poser la cérémonie de baptême prévue ; tout au plus le département aurait-il pu limiter le nombre de participants ou poser l'une ou l'autre condition visant à tenir compte des droits des voisins ou des autres usagers de la plage.

Il s'ensuit que le recours aurait dû être admis.