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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/487/2022

ATA/642/2022 du 20.06.2022 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/487/2022-PRISON ATA/642/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 juin 2022

2ème section

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Milena Peeva, avocate

contre

PRISON B______



EN FAIT

1) M. A______, né le ______ 1995, est incarcéré à la prison B______ (ci-après : la prison) depuis le 14 novembre 2021, en détention provisoire puis en exécution anticipée de peine.

2) Depuis le 19 janvier 2022, il occupe la cellule n° 1______ de l’unité 1 Nord.

3) Le 4 février 2022, il partageait sa cellule avec trois détenus albanais et un détenu kosovar.

4) Selon un rapport établi le 4 février 2022 à 12h00, les occupants de la cellule procédaient le même jour au nettoyage de celle-ci, lorsqu’un agent de détention avait, vers 11h30, observé que de l’eau coulait sous la porte depuis l’intérieur de la cellule. Il avait alors ouvert la porte et constaté que les détenus avaient inondé la cellule d’eau « avec la volonté de la nettoyer ». Il avait immédiatement informé le responsable d’étage, lequel avait appelé le gardien-chef adjoint et le « chef feu », lequel avait décidé d’employer un aspirateur.

Les détenus, dont M. A______, avaient été entendus par le gardien-chef adjoint à 11h40 et s’étaient vu signifier à 11h45 une sanction de sept jours de suppression des promenades collectives pour dégradation des locaux.

5) Les sanctions ont été exécutées du 5 au 11 février 2022 et les promenades en commun ont repris le 12 février 2022.

6) Par un courrier manuscrit daté du 4 février 2022 et reçu par la direction de la prison le 7 février 2022, les cinq occupants de la cellule ont contesté la sanction prise à leur encontre.

Ils utilisaient depuis plusieurs années la méthode consistant à verser des seaux d’eau pour pouvoir nettoyer la cellule de fond en comble.

Cela faisait plus de deux semaines que la chasse d’eau était hors service. Ils refusaient de vivre dans l’insalubrité et avaient d’un commun accord décidé d’entamer une grève de la faim et prévenu leurs avocats de la situation.

7) Le 7 février 2022, le gardien-chef « sécurité dynamique » a accusé réception du courrier et indiqué à chacun des codétenus que la sanction était exécutoire et qu’ils avaient la possibilité de former un recours par écrit dans les trente jours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

8) Le 9 février 2022, le conseil de M. A______ a indiqué à la prison qu’aucune notification formelle de la sanction n’était intervenue et a réclamé dans les plus brefs délais la notification de la décision ainsi que la communication du dossier détenu.

9) Le 9 février 2022 toujours, il a informé la chambre administrative avoir appris le jour même de son client lors d’une visite à la prison que celui-ci avait fait l’objet d’une sanction le 5 février 2022 et était depuis lors placé avec ses codétenus en isolement. Aucune notification n’était intervenue, étant précisé que M. A______ était albanophone et ne parlait pas le français, de sorte que l’exercice de son droit d’être entendu exigeait la présence d’un interprète lors de la notification. M. A______ avait demandé la notification de la décision et une copie du dossier le concernant. Il sollicitait un délai pour compléter son recours.

10) Le 11 février 2022, la prison a transmis au conseil de M. A______ une copie du rapport d’incident et de la sanction.

M. A______ s’était bien vu notifier la sanction le 4 février 2022 mais avait refusé de la signer.

Il n’était pas et n’avait pas été placé à l’isolement.

La prison joignait une copie du courrier des codétenus du 4 février 2022 et de la réponse de la prison du 7 février 2022.

11) Par acte déposé au greffe le 7 mars 2022, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative contre la sanction, concluant à la constatation de la violation de son droit d’être entendu, du principe de proportionnalité et du droit au respect de la vie privée et à l’annulation de la sanction. Subsidiairement, la prison devait produire toute directive ou document interne concernant le nettoyage des cellules, un état des lieux de la cellule n° 1______ et notamment de l’état de ses sanitaires, du 15 janvier au 11 février 2022, tout ordre de service au sujet des modalités de délégation de la compétence pour prononcer les sanctions, la preuve qu’un interprète en langue albanaise était présent lors de la notification de la sanction ainsi que les informations sur les conditions de promenade en cas de suppression des promenades collectives ; ses codétenus devaient être identifiés et entendus, de même que les agents de détention qui avaient assisté aux événements et le gardien chef adjoint qui avait prononcé la sanction. Une indemnité pour tort moral de CHF 500.- devait lui être allouée. L’assistance juridique devait lui être accordée et il devait être dispensé d’avance de frais.

Le rapport et la sanction ne portaient que le timbre humide de la prison. Sous la rubrique « visa et tampon du responsable » ne figuraient ni visa ni tampon et il n’y avait aucune case ou espace consacré à la signature des destinataires des sanctions. Aucune mention n’était faite de la présence d’un interprète ou d’une traduction.

La sanction était invalide, faute de précisions sur la délégation de compétences à son signataire, dont il résultait que celui-ci n’était pas compétent pour l’ordonner.

Son droit d’être entendu avait été violé car le rapport ne faisait pas mention de la présence d’un interprète, ce qui confirmait qu’il n’avait pu comprendre les faits et infractions qui lui étaient reprochés. Le délai de cinq minutes pour se déterminer était insuffisant, même pour un détenu francophone et disposant de compétences juridiques. La violation était d’autant plus grave que la sanction constituait une restriction supplémentaire de sa liberté de détenu.

La sanction était disproportionnée. Aucun élément du dossier ne démontrait un dommage, condition indispensable pour le prononcé d’une sanction. Rien n’indiquait que la présence d’eau « aurait concrètement impacté la valeur de l’immeuble du pénitencier ». Aucune réparation n’avait été exigée des détenus. Il ne pouvait s’agir d’une dégradation.

Le dossier ne contenait par ailleurs aucun indice d’une intention ou d’une négligence grave des détenus.

Un tel acte était d’autant plus justifié que la chasse d’eau était hors service depuis deux semaines et les toilettes susceptibles de déborder à tout moment sur le sol de la cellule.

La manière de faire relevait d’une pratique approuvée de longue date par le personnel pénitentiaire de la prison.

Le toit où avaient eu lieu les promenades durant la sanction était très probablement celui dédié aux personnes placées en isolement.

La sanction n’était pas propre à atteindre son but, soit l’entretien et la sécurité de l’établissement. Elle avait été exécutée immédiatement alors qu’elle aurait pu être prononcée avec sursis.

Son intérêt privé à bénéficier de promenades collectives prévalait sur l’intérêt public à l’entretien et la sécurité de l’établissement.

La sanction violait l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. L’espace dans lequel il avait effectué ses promenades quotidiennes durant la sanction était probablement réservé aux détenus à l’isolement, était probablement plus petit et dépourvu d’abri contre les intempéries, et rien n’indiquait qu’il permettait de pratiquer des activités sportives. Ses contacts avaient été restreints à quelques personnes durant les promenades. Suite à la sanction, il avait entamé une grève de la faim et son état de santé s’était dégradé. Les sanitaires de sa cellule étaient hors d’état d’usage depuis plus de deux semaines et l’étaient peut-être encore.

La sanction violait son droit à la liberté. Aucun dommage n’avait été constaté et les exigences de forme n’avaient pas été respectées.

La sanction attaquée avait eu plusieurs impacts sur sa santé physique et psychique, justifiant le versement d’une indemnité pour tort moral.

12) Le 31 mars 2022, la direction de la prison a conclu au rejet du recours.

Le détenu était responsable du bon entretien de sa cellule. Il recevait un balai, une serpillère et un seau ainsi que du produit de nettoyage. Le nettoyage avait lieu tous les deux jours. Le chef de feu, appelé sur les lieux, avait été contraint d’aspirer l’eau au moyen d’un appareil conçu à cet effet. Les codétenus avaient été entendus ensemble à 11h40. M. A______ avait refusé de signer la notification de la sanction. L’heure de promenade était maintenue mais se déroulait de manière individuelle dans les promenades dites de haute sécurité. Il ressortait du courrier du 4 février 2022 rédigé en français que les codétenus contestaient les motifs de la sanction.

C’était à tort que M. A______ soutenait que la pratique de nettoyage objet de sa sanction était tolérée.

M. A______ avait été entendu avant le prononcé de la sanction. Les détenus avaient pu donner leur version des faits. Ils avaient rédigé et signé un courrier en français. À tout le moins l’un d’eux maîtrisait le français et avait pu traduire aux autres. Le recourant avait ainsi pu comprendre la sanction et sa motivation et s’exprimer à son sujet, et son droit d’être entendu n’avait pas été violé.

Le rapport d’incident et la sanction avaient été signés par le personnel mais leurs signatures avaient été caviardées. Le rapport d’incident n’était pas destiné à être signé par les détenus.

Les modalités de délégation du pouvoir de prononcer des sanctions par le directeur étaient réglées par l’ordre de service B24.

L’eau en grande quantité risquait de causer des dégâts sérieux à la cellule. L’eau stagnante avait dû être évacuée en urgence au moyen d’un matériel approprié afin d’éviter tout dommage. Le comportement reproché avait souillé le sol de la cellule et troublé fortement l’ordre et l’organisation de l’établissement. La sanction était proportionnée.

13) Le 4 mai 2022, M. A______ a persisté dans ses conclusions.

L’ordre de service B24 produit pas la prison avait été presque entièrement caviardé, de sorte qu’il n’était pas possible de connaître les droits et obligations qu’il contenait et de se déterminer en connaissance de cause.

Il n’avait jamais admis avoir inondé sa cellule, mais procédé au nettoyage d’une manière approuvée depuis de nombreuses années par la prison. La prison, qui évoquait des risques, admettait qu’aucun dommage n’avait été causé. La prison ne démontrait pas que le prévenu maîtrisait le français, ni qu’il était qualifié pour agir comme interprète.

La surpopulation carcérale invoquée par la prison en lien avec la nécessité de faire respecter le règlement ne pouvait être imputée aux détenus.

La durée de sept jours était la durée maximale pour la sanction infligée.

14) Le 6 mai 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recourant conclut à l’audition de ses codétenus, des agents de détention qui avaient assisté aux événements et du gardien chef adjoint qui avait prononcé la sanction, à ce que la prison produise toute directive ou document interne concernant le nettoyage des cellules, un état des lieux de la cellule n° 1______ et notamment de l’état de ses sanitaires, du 15 janvier au 11 février 2022, tout ordre de service concernant la délégation de la compétence pour prononcer les sanctions, la preuve qu’un interprète de langue albanaise était présent lors de la notification de la sanction ainsi que des informations sur les conditions de promenade en cas de suppression des promenades collectives.

a. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes (ATF 137 IV 33 consid. 9.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_265/2016 du 23 mai 2016 consid. 5.1 et les arrêts cités), de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_58/2018 du 29 juin 2018 consid. 3.1 et les arrêts cités). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_487/2017 du 5 juillet 2018 consid. 2.1.).

b. En l’espèce, la prison a produit le passage pertinent de l’ordre de service B24 concernant la délégation de compétences. L’éventuelle réglementation de détail sur le nettoyage des cellules n’apparaît pas nécessaire pour juger l’affirmation de la prison selon laquelle l’inondation n’est pas une technique admise et est susceptible de causer des dommages. L’état des sanitaires est, comme il sera vu, sans rapport avec le comportement incriminé et la sanction prononcée. Les conditions de promenade ont été suffisamment décrites par la prison pour que puissent être jugés les griefs du recourant à son sujet. La question de la notification de la sanction et de l’exercice du droit d’être entendu peut être résolue sans qu’il y ait lieu de déterminer si un interprète a été mis en œuvre, ni identifier lequel des codétenus maîtrisait le français. L’audition des codétenus, des gardiens et du gardien chef adjoint n’apparaissent pas nécessaires, les pièces figurant au dossier étant suffisantes pour résoudre le litige.

Il ne sera pas donné suite aux actes d’instruction demandés.

3) Le recours porte sur la conformité au droit de la sanction de sept jours de privation de promenade collective prononcée contre le recourant par la prison le 4 février 2022.

La conclusion en condamnation de l’État à verser au recourant une indemnité pour tort moral de CHF 500.- est exorbitante au présent litige, qui n’examine que le bien-fondé de la sanction, et n’entre de surcroît pas dans la compétence de la chambre de céans, si bien qu’elle est irrecevable.

L’assistance juridique est octroyée par la présidence du tribunal civil, et les demandes d’assistance juridique doivent notoirement être adressées au service compétent en complétant et documentant un formulaire spécifique. La demande du recourant é, au demeurant, été partiellement admise.

4) Dans un premier grief, le recourant se plaint de la violation de son droit d’être entendu.

a. Le droit d'être entendu implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Il suffit que l’autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 III 65 consid. 5.2). L'autorité n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 142 II 154 consid. 4.2). La motivation peut pour le reste être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_409/2021 du 3 janvier 2022 consid. 3).

Le droit d'être entendu comprend par ailleurs le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 133 I 270 consid. 3.1 ; 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 III 576 consid. 2c ; 127 V 431 consid. 3a ; 124 II 132 consid. 2b et la jurisprudence citée).

b. En l’espèce, le recourant ne conteste pas s’être vu offrir l’occasion de s’exprimer puis s’être vu notifier la sanction et avoir refusé d’en accuser réception par sa signature. Il se plaint toutefois de ne pas avoir été assisté d’un interprète et d’avoir disposé d’un temps insuffisant pour se déterminer.

Il ne saurait être suivi. Sa signature manuscrite figure, avec celle des autres détenus de sa cellule, au bas d’un courrier manuscrit rédigé dans un français plus qu’acceptable et formant opposition à la sanction. Il ressort de ce courrier que ses signataires ont eu connaissance de la sanction et en ont compris la nature, la quotité ainsi que la motivation, étant précisé que le même comportement – collectif – leur était reproché à tous et que la même sanction leur a été infligée à chacun. Les auteurs ne se plaignent pas de ne pas avoir pu s’exprimer avant le prononcé de la sanction. Ils font valoir les mêmes arguments que le recourant a développés par la suite dans ses écritures devant la chambre de céans. Le recourant admet avoir participé au lavage et ne soutient pas que son comportement se serait distingué de celui de ses codétenus. Il résulte de ce qui précède que le recourant a eu l’occasion de s’exprimer, a pris connaissance de la sanction et en a compris la motivation, sans qu’il y ait lieu dans ces circonstances de déterminer si certains détenus en ont aidé d’autres dans la compréhension ou la rédaction, ni de décider si la présence d’un interprète d’imposait.

Le grief sera écarté.

5) Dans un second grief, le recourant se plaint de ce que son comportement ne constituait pas une contravention au RRIP et que la sanction est disproportionnée.

6) a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le RRIP, dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 RRIP). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus, notamment, d'une façon générale, de troubler l'ordre et la tranquillité de l'établissement (art. 45 let. h RRIP).

c. Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer, notamment, la privation de travail (let. f) et le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g). Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé (art. 47 al. 7 RRIP). L'art. 47 al. 7 RRIP prévoit que le directeur peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions prévues à l'al. 3 à d'autres membres du personnel gradé. Les modalités de la délégation sont prévues dans un ordre de service. L'ordre de service B 24 de la prison prévoit une telle délégation pour le placement en cellule forte de un à cinq jours en faveur du membre « consigné » de la direction, et pour la suppression de travail en faveur du gardien-chef adjoint (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

d. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).

e. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation, le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limitant à l'excès ou l'abus de ce pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/97/2020 précité consid. 4f et les références citées).

f. Deux semaines de privation de télévision ont été confirmées par arrêt de la chambre de céans (ATA/10701/2021 du 12 octobre 2021) à l’encontre d’un détenu qui avait modifié l’alimentation électrique de son téléviseur de manière à mettre en danger des personnes, ce qui avait entraîné l’évacuation de la cellule et la coupure de l’électricité pour faire cesser le danger.

Deux jours de cellule forte ont été confirmés par la chambre de céans pour un détenu ayant écrit sur les murs de sa cellule des propos menaçants puis insulté un gardien (ATA/1486/2019 du 8 octobre 2019).

La chambre de céans a confirmé une sanction de six jours d’arrêts disciplinaires pour un détenu de l’établissement Curabilis qui avait cassé sa télévision, craché sur un agent et l’avait insulté (ATA/1484/2019 du 8 octobre 2019).

g. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés, sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/284/2020 précité consid. 4f et les références citées).

7) En l’espèce, le recourant soutient que l’inondation ne remplirait pas la condition du dommage et ne réaliserait pas un cas de dégradation. Il perd de vue qu’une intervention urgente avec des moyens spéciaux a dû être ordonnée afin d’éviter des dommages. En soi, le déploiement de moyens pour juguler une inondation constitue déjà un dommage. L’inondation elle-même est susceptible à terme de créer des dommages. Enfin, elle met en danger immédiatement le bâtiment et ses occupants – limités dans leur liberté – par la création de risques de glissade et de chute, de court-circuit ou d’électrocution, ou encore d’endommagement d’objets. Il n’est ainsi pas douteux qu’elle correspond à une dégradation, quand bien même la prison n’aurait chiffré aucun dommage matériel ni déploré aucun dommage corporel.

Le recourant prétend qu’on ne pourrait lui reprocher ni intention ni négligence grave. Il ne peut être suivi, dès lors qu’il revendique et justifie cette manière de procéder, ce qui dénote que son intention porte tant sur l’acte que sur ses conséquences.

Il soutient que la pratique était admise par la prison de longue date. Cette dernière a toutefois démenti que tel fût le cas, et le recourant n’indique pas pour quels motifs il faudrait s’écarter de ses affirmations. Il sera encore observé que la technique de l’inondation revendiquée par le recourant est pour le moins inorthodoxe et que les détenus reçoivent un balai, un seau et une serpillière, soit autant d’accessoires propres à un nettoyage classique des sols.

Le recourant fait valoir que ses agissements étaient justifiés par l’état défectueux de la chasse d’eau. Il n’indique toutefois pas en quoi l’inondation de la cellule aurait été rendue nécessaire par le nettoyage des toilettes ou par un risque de débordement de celles-ci, étant observé qu’il doit être possible de verser un seau d’eau dans un WC à des fins de rinçage sans inonder toute une pièce.

Selon le recourant, son intérêt privé à pouvoir bénéficier de promenades collectives primerait l’intérêt général à l’entretien et la sécurité de l’établissement. Le recourant perd de vue que les sanctions poursuivent en réalité l’objectif, d’intérêt public, que les détenus respectent le règlement de la prison et que soit ainsi assurée une cohabitation aussi harmonieuse et pacifique que possible au sein de l’établissement.

Le recourant fait enfin valoir le peu de gravité de son comportement, qui n’aurait engendré aucun dégât. Tel n’est pas le cas. Il a été vu que l’inondation a requis des mesures urgentes de prévention ou de limitation de dégâts. Les désagréments et les risques créés par l’inondation ne permettant par ailleurs pas de qualifier le comportement de peu de gravité.

La chambre de céans parvient ainsi à la conclusion que la sanction prononcée par la prison repose sur une base légale, poursuit un intérêt public, est apte par sa nature et sa quotité à produire l’effet recherché (le respect du règlement et des modalités de nettoyage usuelles) et proportionnée à la faute commise par le recourant, dont l’intérêt privé ne saurait prévaloir sur l’intérêt public au respect du règlement et au maintien de relations apaisées au sein de la prison.

Le grief sera écarté.

Le grief de violation du droit à la liberté, reposant sur une violation du RRIP, que le recourant échoue à établir, suivra partant le même sort.

8) Dans un dernier grief, le recourant se plaint de la violation de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants.

a. Selon l'art. 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

L’art. 3 CEDH fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine et que les modalités d’exécution de la mesure en cause ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (ACEDH Enoaie c. Roumanie du 4 novembre 2014, req. n° 36513/12, § 46 ; Kuda c. Pologne [GC] du 26 octobre 2000, req. n° 30210/96, rec. 2000-XI, § 94).

b. Le recourant n’expose pas en quoi la réduction, au titre d’une sanction disciplinaire, non de la promenade quotidienne elle-même, mais de ses modalités, soit son emplacement, son espace et le nombre de personnes pouvant y être rencontrées, et ce pour une durée de sept jours atteindrait le seuil de gravité nécessaire pour admettre un traitement inhumain ou dégradant.

L’état des toilettes de la cellule ainsi que le nombre des détenus occupant celle-ci, en ce qu’ils constitueraient en eux-mêmes des cas de mauvais traitement, sont par ailleurs exorbitants à l’objet du litige.

La grève de la faim entamée par le recourant est le résultat d’un choix personnel et ses effets ne sauraient être imputés aux événements qui l’ont motivée, parmi lesquels la sanction objet du litige.

Le grief sera écarté.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

9) La procédure est gratuite (art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, il n'y a pas lieu d’allouer une indemnité de procédure
(art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, dans la mesure de sa recevabilité, le recours interjeté le 9 février 2022 par M. A______ contre la décision de la prison B______ du 4 février 2022 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Milena Peeva, avocate du recourant, ainsi qu'à la prison B______.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. Specker

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :