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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1268/2022

ATA/540/2022 du 24.05.2022 sur JTAPI/452/2022 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1268/2022-MC ATA/540/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 24 mai 2022

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Magali Buser, avocate

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

_________



Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 mai 2022 (JTAPI/452/2022)


EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1980, est originaire de Tunisie. Il est connu des autorités suisses sous plusieurs autres identités, la dernière étant celle d'B______, né le ______ 1987, algérien.

2) M. A______ a été renvoyé de Suisse à destination de la Tunisie les 14 mai 2008 et 11 octobre 2012.

3) Depuis 2004, il a aussi fait l'objet de trois interdictions d'entrée en Suisse, la dernière interdiction ayant été valable jusqu’au 21 décembre 2017.

4) Entre 2011 et 2017, M. A______ a été condamné à de nombreuses reprises par les instances pénales lucernoises, bernoises et neuchâteloises, principalement pour des vols au sens de l'art. 139 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), violation de domicile au sens de l'art. 186 CP et contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121).

5) Le 5 mars 2019, le commissaire de police a notifié à M. A______ une interdiction de pénétrer sur l'ensemble du territoire genevois pour une durée de douze mois, à laquelle il ne s’est pas opposé.

6) Le 29 avril 2019, M. A______ a été interpellé par la police genevoise.

7) Le 27 juin 2019, le Tribunal de police (ci-après : TP) a déclaré M. A______, sous le nom d’B______, coupable de vol (art. 139 ch. 1 CP), de dommages à la propriété (art. 144 al. 1 CP), d'entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 - LEI - RS 142.20), de séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI), d'exercice d'une activité lucrative sans autorisation (art. 115 al. 1 let. c LEI) et de non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une autre interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 al. 1 LEI) et l'a condamné à une peine privative de liberté de huit mois sous déduction de soixante-trois jours de détention avant jugement. Simultanément, l’expulsion de l’intéressé de Suisse pour une durée de trois ans a été prononcée (art. 66abis CP).

8) Par arrêt du 16 septembre 2019, la chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice (ci-après : CPAR) a pris acte du retrait de l’appel de M. A______ contre le jugement précité.

9) Le 22 février 2020, M. A______ a été libéré de la prison de
Champ-Dollon.

10) Le même jour, le commissaire de police l'a assigné au territoire de la commune de Carouge pour une durée de douze mois conformément à l'art. 74 LEI, dans l'attente de l'arrêt de la chambre pénale de recours de la Cour de justice
(ci-après : CPR) relatif au recours interjeté contre la décision de non-report de son expulsion judiciaire.

11) Le 10 mars 2021, la CPR a rejeté le recours de M. A______, considérant en droit ce qui suit : « Le recourant s'opposait à son expulsion pour des motifs liés à sa maladie et à ses liens avec sa fille. Or, dans son jugement, le Tribunal de police a statué, s'agissant de ces derniers, qu'ils étaient ponctuels et que de tels contacts – qui n'étaient pas assimilables à une vie de famille ne pouvant être maintenue ailleurs qu'en Suisse – pourraient continuer si l'intéressé devait retourner dans son pays d'origine. Sous l'angle médical, il a également relevé que le suivi médical obtenu à Genève ne paraissait pas indispensable à sa survie et que rien n'indiquait qu'il ne pourrait pas bénéficier d'un traitement approprié dans un autre pays ». Le recourant ne pouvait, au détour de sa contestation de l'exécution de son expulsion, faire réexaminer ces questions, définitivement tranchées. Le système de santé tunisien permettait de s'y faire traiter médicalement (arrêt du Tribunal fédéral 2C_411/2015 du 24 juin 2015 consid. 5.2). L'avis contraire de son médecin n'y changeait donc rien, de sorte que son audition était inutile. Enfin, il n’était pas démontré que l’intéressé n’avait pas les ressources financières pour recevoir les soins nécessaires en Tunisie.

Sa nationalité tunisienne était établie. La Tunisie l'avait reconnu comme étant l'un de ses ressortissants et était disposée à lui délivrer un laissez-passer, de sorte qu'il n'y avait aucun obstacle matériel à son renvoi dans ce pays. Enfin, son renvoi ou son expulsion n'étant pas impossible, il ne pouvait continuer à séjourner en Suisse. La mesure n'avait pas à être différée.

12) Les services de police ont demandé à swissREPAT, en date du 12 mai 2021, de prévoir un vol avec escorte policière à destination de la Tunisie afin de permettre le refoulement de M. A______. Une place sur un vol à destination de la Tunisie a été réservée et confirmée pour le 9 juin 2021 à 12h20 au départ de Genève.

13) Le 19 mai 2021, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de six semaines. Au commissaire de police, l'intéressé a déclaré qu'il s'opposait à son renvoi en Tunisie.

14) Par jugement du 21 mai 2021, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) a rejeté le recours interjeté par M. A______ contre l’ordre de mise en détention administrative.

L’intéressé avait été reconnu par les autorités tunisiennes sous le nom de A______, lesquelles avaient délivré, à deux reprises, un laissez-passer en sa faveur pour son renvoi en Tunisie en 2008 et 2012, sans qu’il s’y soit opposé. Lors de son audition par la police le 4 mars 2019, il avait reconnu que son véritable nom était A______ et l’utilisation d’alias.

M. A______ faisait l'objet d'une mesure d'expulsion pénale et avait été condamné pour vols par le TP le 27 juin 2019 et le Ministère public de Berne le 5 janvier 2021, soit des infractions qualifiées de crimes. Sa détention administrative se justifiait donc sous l'angle de l’art. 75 al. 1 let. h LEI par le renvoi de l’art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI, ce motif permettant à lui seul le prononcé d'une telle mesure. Le principe de la légalité était donc respecté.

La CPR avait retenu que le renvoi était possible, après avoir analysé les situations médicale et personnelle de l’intéressé, notamment ses relations avec sa fille. Aucun nouvel élément n’avait été apporté dans la procédure en cours.

15) Par arrêt du 11 juin 2021, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a rejeté le recours.

16) La détention de M. A______ a été régulièrement demandée par l’autorité compétente et prolongée par jugements du TAPI des 4 août, 6 octobre, 7 décembre 2021 et 2 mars 2022.

Par arrêts de la chambre de céans des 27 août, 23 décembre 2021, les recours interjetés par M. A______ ont été rejetés.

Dans le cadre de la procédure ayant abouti à l’arrêt du 27 août 2021, le commissaire avait précisé que M. A______ s’était adressé à l’ambassade en indiquant être désespéré de devoir se séparer définitivement de sa fille qu’il aimait profondément et en implorant l’ambassade de bien vouloir l’aider à faire suspendre ou annuler son expulsion. Les efforts qu’il avait déployés avaient amené les autorités de son pays à ne pas respecter leurs obligations conventionnelles envers la Suisse et à retarder la délivrance du laissez-passer. Des clarifications étaient en cours. Si M. A______ se montrait coopératif, rien ne s’opposerait à l’établissement de documents de voyage. Il ne s’agissait dès lors pas d’une impossibilité mais seulement d’un retard dans le processus, exclusivement imputable au recourant et contrevenant aux obligations de la République de Tunisie envers la Confédération helvétique. Cette situation constituait une première dans le cadre du partenariat migratoire liant les deux pays.

17) Le 25 avril 2022, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a sollicité la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de deux mois, soit jusqu’au 6 juillet 2022.

18) Lors de l'audience du 3 mai 2022 devant le TAPI, M. A______ a refusé de se présenter. Il a été représenté par son conseil.

Le représentant de l'OCPM a indiqué que le vol DEPA avait été annulé du fait que le laissez-passer n’avait pas pu être délivré. Les discussions étaient toujours en cours entre l’Ambassade et le Consulat de Tunisie à Berne et le secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM). Depuis une année, les autorités tunisiennes souhaitaient faire des vérifications s’agissant des ressortissants tunisiens qui ne souhaitaient pas rentrer volontairement et qui avaient des relations en Suisse. Pour les volontaires, un laissez-passer devrait pouvoir être délivré facilement. Les discussions entre la Tunisie et la Suisse ne concernaient pas uniquement M. A______. Il existait un autre cas de Tunisien à Genève, identique, ainsi que d’autres cas dans d’autres cantons. S’agissant du Tunisien à Genève, le cas en était au même stade et il ignorait ce qu’il en était dans les autres cantons.

Selon un courriel du 6 avril 2022 du SEM, une réunion s’était déroulée à Berne le 28 mars 2022. Les délégations des deux pays, composées de représentants des différents ministères, avaient discuté de la problématique générale de l’émission des laissez-passer pour les ressortissants tunisiens, sous le coup d’une décision de renvoi de Suisse, qui n’étaient pas disposés à rentrer volontairement. Sur le principe, les autorités tunisiennes demeuraient disposées à émettre des laissez-passer pour toute personne préalablement identifiée. S’agissant de cas plus complexes, notamment de personnes disposant de liens de parenté en Suisse, les autorités tunisiennes requéraient un examen plus approfondi du dossier. Dans le cadre du suivi de cette rencontre, la division retour du SEM planifiait une discussion technique au cours des semaines à venir avec le responsable de la Section consulaire de l’Ambassade de Tunisie afin de discuter des modalités de l’établissement d’un laissez-passer pour le retour de l’intéressé.

19) Par jugement du 4 mai 2022, le TAPI a prolongé la détention administrative de M. A______ jusqu’au 6 juillet 2022.

Les autorités suisses ne pouvaient se voir reprocher une violation de leur devoir de diligence, dans la mesure où elles avaient jusqu'ici fait ce qui était en leur pouvoir pour obtenir la délivrance d'un laissez-passer des autorités tunisiennes. Ainsi, le 24 janvier 2022, le SEM avait saisi la Ministre plénipotentiaire chargée des affaires consulaires de l'ambassade de Tunisie à Berne dans le but de faire avancer le dossier de M. A______. Le 18 février 2022, une demande de réservation de vol DEPA en faveur de M. A______ avait été déposée par l'OCPM mais le vol avait dû être annulé à défaut d'obtention de laissez-passer. Le 28 mars 2022, les autorités suisses et tunisiennes s’étaient entretenues pour discuter de la problématique générale de l'émission des laissez-passer pour les ressortissants tunisiens, sous le coup d'une décision de renvoi de Suisse qui n'étaient pas disposés à rentrer volontairement et qui disposaient de liens de parenté en Suisse, tel que M. A______. Enfin, l'OCPM avait indiqué en audience le 3 mai 2022 que les discussions étaient toujours en cours entre l’Ambassade et le Consulat de Tunisie à Berne et le SEM.

Il ressortait de ces discussions que sur le principe, les autorités tunisiennes demeuraient disposées à émettre des laissez-passer. Si, certes, les autorités suisses étaient dans l’attente d’un laissez-passer pour plusieurs ressortissants tunisiens, il n’en demeurait pas moins que les autorités tunisiennes n’avaient, jusqu’alors, jamais refusé la délivrance de ces laissez-passer et en particulier celui en faveur de M. A______. Rien ne permettait enfin à ce stade de considérer que les autorités tunisiennes ne respecteraient pas la convention entre leur pays et la Confédération suisse portant sur le rapatriement de ressortissants tunisiens.

Le renvoi de M. A______ n’était pas impossible (art. 80 al. 6 let. a LEI), les autorités tunisiennes ne s'étant pas formellement opposées à la délivrance d’un laissez-passer et donc au renvoi de M. A______. Si les autorités tunisiennes devaient finalement formellement s’opposer à la délivrance d’un laissez-passer, seul l’accord de ce dernier permettrait son renvoi, situation qui devrait faire l’objet d’une nouvelle analyse. Par ailleurs, s'il contactait l'ambassade pour l'informer être volontaire au départ, il obtiendrait certainement un laissez-passer plus rapidement. Au vu de ces éléments, des démarches en cours auprès des autorités tunisiennes et de l’existence d’une convention entre la Tunisie et la Confédération suisse, il convenait de retenir que le renvoi de M. A______ restait, en l’état, possible et réalisable dans un délai prévisible.

La durée de la détention, qui atteindrait un peu plus de treize mois en cas de prolongation telle que sollicitée par l'OCPM, n’était pas disproportionnée, compte tenu du comportement répréhensible de M. A______ durant ses nombreuses années de séjour en Suisse et de l'intérêt public consistant à procéder à son renvoi.

20) Par acte du 16 mai 2022, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre ce jugement. Il a conclu à l’annulation de celui-ci et à sa libération immédiate.

Les faits devaient être complétés. L’expulsion prononcée à son encontre était facultative, ce qui prouvait que les infractions commises avaient été considérées comme insuffisantes pour justifier une expulsion obligatoire. Les vols avaient été annulés non en raison de son opposition mais à la suite du refus des autorités tunisiennes de délivrer un laissez-passer, et ce depuis plus de douze mois. Son absence à l’audience devant le TAPI avait été excusée.

L’art. 80 al. 4 et 6 LEI avait été violé. La détention devait être levée, l’exécution du renvoi s’avérant impossible. Il n’entendait pas revenir sur des éléments déjà plaidés devant la chambre de céans et écartés, à savoir son état de santé et l’absence de traitement en Tunisie ainsi que sa relation avec sa fille. Son renvoi était toutefois devenu impossible au vu de l’attitude des autorités tunisiennes, lesquelles ne délivreraient pas de laissez-passer. Depuis plus de douze mois les autorités suisses étaient en négociation. De surcroît le problème survenu n’était pas isolé. Une pratique des autorités tunisiennes de ne pas délivrer de laissez-passer semblait s’être développée. La situation était aujourd’hui bloquée, indépendamment de toute faute de sa part. Il n’avait jamais refusé de prendre un vol mais ceux-ci avaient été annulés, en l’absence de laissez-passer. Ce n’était pas son comportement qui était problématique mais l’absence de documents de voyage. Sa détention n’était pas fondée sur l’art. 78 LEI mais sur l’art. 76 LEI.

21) L’OCPM a conclu au rejet du recours. La position officielle de la Tunisie consistait à procéder à des vérifications supplémentaires lorsque ses ressortissants semblaient avoir des attaches familiales en Suisse. Elles étaient toujours en cours. S’il était vrai qu’il existait objectivement des retards dans le processus de délivrance de laissez-passer, ils n’étaient pas imputables aux autorités suisses qui avaient relancé l’ambassade de Tunisie à de multiples occasions.

Le recourant ne s’était pas présenté aux deux dernières audiences devant le TAPI et avait réaffirmé, en décembre 2021, qu’il ne retournerait pas en Tunisie et était prêt à subir la détention administrative qui s’imposait. Son comportement réticent n’était donc pas de nature à fonder une impossibilité d’exécuter le refoulement au sens de l’art. 80 al. 6 LEI.

22) Dans sa réplique, le recourant a relevé l’absence de pièces attestant d’une avancée dans la délivrance du laissez-passer. La dernière était datée du 6 avril 2022, soit il y avait plus de six semaines. Aucun document ne prouvait les démarches entreprises par les autorités suisses pendant ce délai. Celles-ci n’étaient pas diligentes. Le fait que le laissez-passer n’ait pas été délivré n’était pas du fait du recourant, qui n’était pas en mesure d’établir un tel document. Le renvoi n’était, à tout le moins, pas prévisible au sens de la jurisprudence.

23) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

24) Le contenu des pièces sera repris, en tant que de besoin, dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 17 mai 2022 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

En outre, à teneur dudit art. 10 LaLEtr, elle est compétente pour apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle en cette matière (al. 2 2ème phr.) ; elle peut confirmer, réformer ou annuler la décision attaquée ; le cas échéant, elle ordonne la mise en liberté de l'étranger (al. 3 1ère phr.).

3) a. La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101 ; ATF 135 II 105 consid. 2.2.1) et de l'art. 31 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale. Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne soit prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (arrêts du Tribunal fédéral 2C_256/2013 précité consid. 4.1 ; 2C_478/2012 du 14 juin 2012 consid. 2.1).

b. En vertu de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI en lien avec l'art. 75 al. 1 LEI, après notification d'une décision de première instance d'expulsion au sens de la LEI ou des art. 66a ou 66abis CP, l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, notamment si des éléments concrets font craindre que la personne concernée entende se soustraire à son renvoi ou à son expulsion, en particulier parce qu'elle ne se soumet pas à son obligation de collaborer ou si son comportement permet de conclure qu'elle refuse d’obtempérer aux instructions des autorités (art. 76 al. 1 let. b ch. 4), mettre en détention la personne concernée, notamment si elle a été condamnée pour crime (art. 75 al. 1 let. h LEI). Les chiffres 3 et 4 de l'art. 76 LEI décrivent tous deux les comportements permettant de conclure à l'existence d'un risque de fuite ou de disparition (arrêt du Tribunal fédéral 2C_128/2009 du 30 mars 2009 consid. 3.1).

4) En l'espèce, les conditions d'une détention administrative sont remplies, notamment vu la condamnation du recourant pour vol, soit un crime au sens de l'art. 10 al. 2 CP. Il ne conteste d’ailleurs pas que les conditions des art. 75 al. 1 let. h et 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI sont remplies.

5) a. La détention administrative doit respecter le principe de la proportionnalité.

Ce principe, garanti par l'art. 36 al. 3 Cst. se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

b. En l’espèce, la détention est nécessaire pour assurer le renvoi, en temps voulu de l’intéressé. Elle est apte à atteindre ce but et est proportionnée au sens étroit, l’intérêt du recourant à être libéré devant céder le pas à l’intérêt public à son renvoi au vu de ses nombreuses condamnations, par les instances pénales lucernoises, bernoises et neuchâteloises, notamment pour des vols, violation de domicile et contravention à la LStup commises entre 2011 et 2017 et, plus récemment, ses condamnations pour vols, par le TP le 27 juin 2019 et par le Ministère public de Berne le 5 janvier 2021.

Pour le surplus, la durée de la détention, qui a commencé le 19 mai 2021, reste compatible avec la durée maximale prévue par l’art. 79 LEI et s’avère proportionnée au vu de l’ensemble des circonstances.

Quant à la célérité des autorités suisses, elle ne prête pas flanc à la critique. Si certes, les démarches semblent prendre du temps, elles progressent et s’avèrent d’autant plus délicates qu’elles concernent plusieurs personnes et posent un problème nouveau, entre les deux États, et porte sur l’application d’une convention internationale.

Pour ce type de problématique, un délai de six semaines sans nouvelle pièce au dossier ne témoigne pas d’une absence de célérité. Pour le surplus, comme l’a relevé le TAPI en les détaillant, les démarches des autorités suisses ont été entreprises auprès de l’Ambassade et du Consulat tunisiens sans discontinuer. Enfin, une réunion sur le dossier spécifique du recourant est en train d’être planifiée avec l’Ambassade de Tunisie pour les modalités de l’établissement du laissez-passer.

6) Le recourant allègue que son renvoi ne serait pas possible.

a. La détention doit être levée notamment si l'exécution du renvoi ou de l'expulsion s'avère impossible pour des raisons juridiques ou matérielles (art. 80 al. 6 let. a LEI). Dans ce cas, la détention dans l'attente de l'expulsion ne peut en effet plus être justifiée par une procédure d'éloignement en cours; elle est, de plus, contraire à l'art. 5 par. 1 let. f CEDH (ATF 130 II 56 consid. 4.1.1.; 122 II 148 consid. 3). Les raisons juridiques ou matérielles doivent être importantes (« triftige Gründe »), l'exécution du renvoi devant être qualifiée d'impossible lorsque le rapatriement est pratiquement exclu, même si l'identité et la nationalité de l'étranger sont connues et que les papiers requis peuvent être obtenus (arrêt du Tribunal fédéral 2C_672/2019 du 22 août 2019 consid. 5.1 et les arrêts cités). Il s'agit d'évaluer la possibilité d'exécuter la décision de renvoi en fonction des circonstances de chaque cas d'espèce. Le facteur décisif est de savoir si l'exécution de la mesure d'éloignement semble possible dans un délai prévisible respectivement raisonnable avec une probabilité suffisante (arrêt du Tribunal fédéral 2C_597/2020 du 3 août 2020 consid. 4.1). La détention viole l'art. 80 al. 6 let. a LEI, ainsi que le principe de proportionnalité, lorsqu'il y a de bonnes raisons de penser que tel ne pourra pas être le cas (ATF 130 II 56 consid. 4.1.3 et les arrêts cités). Sous l'angle de l'art. 80 al. 6 let. a LEI, la détention ne doit être levée que si la possibilité de procéder à l'expulsion est inexistante ou hautement improbable et purement théorique, mais pas s'il y a une chance sérieuse, bien que mince, d'y procéder (ATF 130 II 56 consid. 4.1.3 ; arrêt 2C_597/2020 du 3 août 2020 consid. 4.1).

b. Selon l’art. 80 al. 4 LEI, l’autorité judiciaire qui examine la décision de détention administrative, de maintien ou de levée de celle-ci, tient compte de la situation de la personne détenue et des conditions d’exécution de la détention. Celle-là doit en particulier être levée lorsque son motif n’existe plus ou si, selon l’art. 80 al. 6 LEI précité, l’exécution du renvoi ou de l’expulsion s’avère impossible pour des raisons juridiques ou matérielles, ou qu’elle ne peut être raisonnablement exigée, cette dernière disposition légale renvoyant à l’art. 83 al. 1 à 4 LEI.

Selon cette disposition, l'exécution n'est pas possible lorsque l'étranger ne peut pas quitter la Suisse pour son État d'origine, son État de provenance ou un État tiers, ni être renvoyé dans un de ces États (al. 2). L'exécution n'est pas licite lorsque le renvoi de l'étranger dans son État d'origine, dans son État de provenance ou dans un État tiers est contraire aux engagements de la Suisse relevant du droit international (al. 3). L'exécution de la décision peut ne pas être raisonnablement exigée si le renvoi ou l'expulsion de l'étranger dans son pays d'origine ou de provenance le met concrètement en danger, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale (al. 4).

c. Dans son précédent arrêt du 27 août 2021, la chambre de céans avait relevé que s’il ne pouvait être reproché au recourant d’avoir contacté son ambassade, les clarifications demandées par l’ambassade portant alors sur la relation qu’il entretient avec sa fille, il lui était loisible de coopérer, ce qu’il n’indiquait pas avoir fait. Rien au dossier n’indiquait qu’en collaborant, le recourant ne pourrait pas mettre fin à la détention. Il pouvait, sur une base volontaire, quitter la Suisse et rejoindre son État d'origine ; le renvoi était donc possible. Le recourant s’opposant fermement à son renvoi, il pouvait en être déduit que ses démarches auprès de son ambassade visaient à ce que celle-ci ne délivre pas le laissez-passer. Ainsi, faute pour lui de collaborer, le recourant ne pouvait se prévaloir d’une impossibilité d’exécuter son renvoi.

Si certes le recourant n’a pas refusé de vol, ceux-ci ayant été annulés en l’absence de délivrance de laissez-passer en sa faveur, il n’allègue pas, ni a fortiori ne démontre, avoir sollicité un laissez-passer qui lui aurait été refusé. Le SEM indique, sans que le recourant ne démontre le contraire, que les ressortissants tunisiens qui souhaitent rentrer au pays se voient délivrer un laissez-passer. Ainsi, contrairement à ce que soutient le recourant, il n’est pas établi que les autorités tunisiennes ne lui délivreraient pas un titre de voyage.

Les discussions ministérielles entre la Suisse et la Tunisie prévues en janvier ou février 2022, se sont finalement tenues le 28 mars 2022. Les discussions sont toujours en cours. Une réunion spécifique sur le cas du recourant doit être agendée ces « prochaines semaines » selon un courriel du 6 avril 2022. Les discussions entre les autorités suisses et tunisiennes étant toujours en cours, il n’est pas prouvé que le refoulement de l’intéressé serait pratiquement exclu. Par ailleurs, le recourant ne conteste pas l’existence d’une convention entre la Tunisie et la Confédération suisse portant sur le rapatriement de ressortissants tunisiens, La détention ne peut en conséquence pas être levée, la possibilité de procéder à l'expulsion n’étant pas inexistante ou hautement improbable et purement théorique, au sens de la jurisprudence.

Le grief est infondé.

En tous points mal fondé, le recours doit être rejeté.

7) La procédure étant gratuite (art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03), aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 mai 2022 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 mai 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Magali Buser, avocate du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, au secrétariat d'État aux migrations ainsi qu'à la direction de l’Établissement de Flughafengefängnis, pour information.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Mascotto, Mme Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :