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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2032/2020

ATA/510/2022 du 17.05.2022 sur JTAPI/792/2021 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2032/2020-PE ATA/510/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 mai 2022

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Rémy Asper, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 août 2021 (JTAPI/792/2021)


EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1984, est ressortissant d’Égypte.

2) Par courrier du 16 février 2013, Madame B______, ressortissante italienne titulaire d’un permis d’établissement, a requis de l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) la régularisation de M. A______ en vue de préparer leur mariage.

Elle était divorcée et mère de deux filles nées d’un premier mariage : C______, née le ______ 2001, et D______, née le ______ 2005. Elle ne travaillait pas, mais percevait l’aide de l’hospice général, car l’une de ses filles avait « besoin de beaucoup d’attention et de soins ».

3) À la suite de son mariage avec Mme B______ le 22 août 2013, M. A______ s’est vu accorder une autorisation de séjour au titre de regroupement familial, régulièrement renouvelée.

4) Du 17 juin 2014 au 31 mars 2016, M. A______ a travaillé en qualité de collaborateur en nettoyage à temps partiel pour le compte de la société E______ SA. En parallèle à cette activité, il a travaillé sur appel en qualité de barman à la société F______ d’octobre 2015 à janvier 2017 pour un salaire horaire brut de CHF 20.50.

5) De juin 2016 à avril 2018, M. A______ a bénéficié de prestations de l’assurance-chômage.

6) Le 9 mai 2017, M. A______ a subi une intervention chirurgicale en raison d’une hernie discale.

7) Le 5 mars 2018, M. A______ a pris la gérance d’un café-bar. Il a toutefois résilié la convention de gérance le 1er juin 2018, faisant valoir que les bailleurs avaient empêché irrémédiablement toute exploitation de l’établissement. La demande d’indemnisation formée par M. A______ devant le Tribunal des baux et loyers a été retirée, les bailleurs s’étant engagés à lui verser la somme de CHF 7'000.- pour solde de tous comptes, et la cause a été rayée du rôle le 23 janvier 2020.

8) Par courrier du 25 juillet 2019, M. A______ a informé l’OCPM que, « suite à sa demande de permis C en août 2018 », il s’était inscrit auprès de la société G______ pour y travailler comme collaborateur indépendant. Il lui a remis une copie de son inscription auprès de cette société.

9) Le 10 décembre 2019, l’OCPM a informé M. A______ de son intention de refuser de lui délivrer une autorisation d’établissement, au motif que les conditions d’intégration n’étaient pas remplies, l’intéressé et son épouse ayant touché un montant de CHF 115'366.- à titre de prestations d’aide sociale depuis le 1er septembre 2013.

10) Par courrier du 15 décembre 2019, Mme B______ a confirmé à l’OCPM faire ménage commun avec son mari et ne pas avoir l’intention de se séparer. À la suite de leur mariage, ce dernier avait travaillé auprès de l’entreprise E______ SA, ainsi qu’à la F______ durant deux ans, avant de se faire opérer d’une hernie discale. Il s’était ensuite retrouvé au chômage, puis avait repris la gérance d’un bar en mars 2018. Deux mois plus tard, après avoir investi de l’argent dans cette affaire, le propriétaire du bar avait mis fin, sans raison, au contrat. Il avait alors entamé une procédure judiciaire. Il était activement à la recherche d’un emploi, mais cela s’avérait difficile. En attendant, il travaillait pour G______.

11) Le 30 décembre 2019, M. A______ a conclu un contrat de mission avec la société H______ Sàrl pour une activité de livreur pour la société I______ SA, avec entrée en fonction le jour même. De décembre 2019 à juin 2020, il a touché un salaire mensuel brut de respectivement CHF 389.55 (décembre 2019), CHF 1'700.65 (janvier 2020), CHF 2'040.70 (février 2020), CHF 2'360.95 (mars 2020), CHF 2'377.35 (avril 2020) et CHF 2'249.50 (mai 2020).

12) Par courrier du 2 janvier 2020, M. A______ a informé l’OCPM de son nouvel emploi pour le compte de H______ Sàrl.

13) Par décision du 3 juin 2020, l’OCPM a refusé de délivrer une autorisation d’établissement à M. A______. Malgré l’emploi qu’il avait commencé le 30 décembre 2019, il continuait à émarger à l’aide sociale et cela depuis le 1er septembre 2013 pour un montant de plus de CHF 132'610.-. En conséquence, les conditions d’intégration au sens de l’art. 58a de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) n’étaient pas remplies. L’OCPM a précisé qu’il était en droit de refuser de renouveler son autorisation de séjour, mais compte tenu de ses attaches personnelles, il y renonçait. Sa situation financière serait examinée attentivement à l’échéance de son autorisation de séjour. L’autorisation de séjour renouvelée de l’intéressé lui parviendrait par pli séparé.

14) Par acte du 6 juillet 2020, M. A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant à son annulation dans la mesure où la délivrance d’une autorisation d’établissement lui était refusée et à l’octroi d’une telle autorisation. La décision n’était pas remise en cause en ce qu’elle renouvelait son autorisation de séjour.

Il contestait émarger à l’aide sociale pour un montant de CHF 123'610.- [recte : CHF 132'610.-]. Ce montant paraissait exagéré et semblait inclure les aides versées en faveur des filles de Mme B______, lesquelles n’étaient pas à sa charge. De plus, les sommes perçues découlaient principalement du fait que son épouse était en incapacité de travail totale depuis l’infarctus dont elle avait été victime en 2019. Cette situation devait être bientôt résolue.

Malgré les difficultés rencontrées, il avait toujours cherché à être indépendant financièrement. De juin 2014 à la fin mars 2016, il avait été employé par l’entreprise de nettoyage E______ SA. En raison de fortes douleurs au dos, il avait dû mettre un terme à cet emploi et avait perçu des indemnités de chômage de juin 2016 à avril 2018. Il avait néanmoins continué à travailler en qualité de barman sur appel à la F______ d’octobre 2015 à janvier 2017, avant de se faire opérer en juin 2017 d’une hernie discale. La reprise de la gérance d’un café-restaurant au début de 2018 était prometteuse, mais s’était terminée prématurément en raison de la mauvaise foi des bailleurs. Depuis fin 2019, il travaillait en qualité de livreur pour H______ Sàrl et réalisait des revenus réguliers.

Tous ces éléments mettaient en évidence sa participation à la vie économique et son respect de l’ordre public suisse. L’aide sociale reçue par son groupe familial n’enlevait rien à cela.

15) Par complément à son recours du 6 août 2020, M. A______ a relevé qu’après consultation du dossier en mains de l’OCPM, il n’était toujours pas en mesure de comprendre comment ce dernier était parvenu au total de CHF 132'610.-. Le seul élément chiffré figurant au dossier était une attestation de l’Hospice général du 27 novembre 2018 faisant état d’une aide financière de CHF 3'775.- par mois depuis le 1er septembre 2018. Ce dernier montant ne reflétait pas non plus la réalité, mais devait vraisemblablement inclure notamment les aides en faveur des filles de son épouse, qui n’étaient pourtant pas à sa charge. Par conséquent, il maintenait que les chiffres fournis étaient largement exagérés et que l’autorité intimée avait mal établi les faits.

16) Le TAPI a prononcé la suspension de l’instruction du recours par décision du 14 septembre 2020, M. A______ ayant déposé une demande en reconsidération de la décision du 3 juin 2020.

Après avoir été informé par l’OCPM de son intention de ne pas entrer en matière sur sa demande de reconsidération, M. A______ a sollicité la reprise de l’instruction.

17) Par courriel du 20 novembre 2020, l’hospice général a indiqué qu’il ne lui était pas possible de fournir une attestation d’aide financière concernant uniquement M. A______. L’hospice général était dans l’obligation de prendre en considération le groupe familial et non la situation individuelle.

18) Dans ses observations du 9 février 2021, l’OCPM a conclu au rejet du recours.

L’épouse du recourant était sans emploi et dépendait avec ses deux enfants de l’aide sociale depuis le 1er avril 2009. Le recourant, quant à lui, ne remplissait pas la condition de l’absence de dépendance à l’aide sociale. La famille était devenue temporairement autonome financièrement entre août 2014 et août 2018, mais à ce jour, elle avait perçu de la part de l’hospice général une somme totale de CHF 261'983.50, comme cela ressortait de l’attestation de l’hospice général du 1er février 2021.

Compte tenu de l’importance de cette somme, du fait que le recourant n’avait pas encore intégré de manière stable le marché de l’emploi et du montant des actes de défauts de biens de son épouse (environ CHF 40'000.- selon l’attestation de l’office des poursuites du 8 février 2021), l’OCPM refusait de lui octroyer « pour le moment » une autorisation d’établissement.

19) Par réplique du 11 mars 2021, M. A______ a conclu à l’admission de son recours.

Sur la base des pièces du dossier et abstraction faite des aides sociales en faveur des deux filles de son épouse, le couple ne pouvait pas être considéré comme dépendant de l’aide sociale, puisqu’entre août 2014 et août 2018 il n’avait bénéficié d’aucune prestation financière de l’hospice général. Ce n’était qu’à la suite des graves problèmes de santé de son épouse et des difficultés rencontrées, sans faute de sa part, lors de la reprise de la gérance d’un café-restaurant que les aides sociales leur avaient à nouveau été versées. Depuis fin 2019, il était en mesure de générer des revenus pouvant couvrir les besoins du couple. Pour juger de son intégration professionnelle, l’OCPM n’avait nullement tenu compte des efforts qu’il avait fournis pour développer son activité économique malgré les obstacles rencontrés, notamment ses ennuis de santé.

20) Par jugement du 9 août 2021, le TAPI a rejeté le recours.

L’attestation de l’hospice général du 1er février 2021 indiquait qu’il lui avait versé un total de CHF 261'983.- durant la période du 1er avril 2009 au 31 janvier 2021. Ce montant devait être toutefois relativisé, afin de ne tenir compte que de la période à partir de laquelle le recourant avait épousé Mme B______, soit depuis septembre 2013, ce qui représentait une somme cumulée de CHF 118'329.65 au 31 janvier 2021, d’après les tableaux détaillés par l’hospice général. Du fait de son mariage, le recourant ne pouvait valablement soutenir qu'il n’avait pas lui-même bénéficié de cette aide financière et que ses revenus avaient toujours été suffisants pour subvenir aux besoins vitaux de la famille. Il alléguait s’être efforcé de développer son activité économique malgré ses problèmes de dos, ses déboires lors de la reprise de la gérance d’un bar et les sérieux ennuis de santé de son épouse. La famille s’était certes affranchie de l’aide sociale d’août 2014 à août 2018, mais le fait qu’elle ait dû la solliciter à nouveau tendait à démontrer que leur situation financière restait précaire et que le recourant n’était pas encore intégré de manière stable dans le marché du travail. Dans ces circonstances, il y avait lieu de considérer que l’OCPM n’avait nullement mésusé de son pouvoir d’appréciation en la matière, en refusant de mettre le recourant au bénéfice d'une autorisation d'établissement. Enfin, l’autorisation de séjour de l’intéressé avait été renouvelée et sa situation serait examinée à l’échéance de celle-ci.

21) Par acte expédié le 14 septembre 2021 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), M. A______ a recouru contre ce jugement, concluant à son annulation. Il a conclu à l'octroi d'une autorisation d'établissement.

En retenant un montant de CHF 118'329.45 d’aides versées au groupe familial de Mme B______ entre septembre 2013 et janvier 2021, le TAPI avait tenu compte des subsides d’assurance-maladie versés par le service de
l’assurance-maladie (ci-après : le SAM), qui n’avaient pas à être inclus dans la notion d’aide sociale. Le montant des aides versées devait, par ailleurs, être relativisé pour tenir compte des aides versées en faveur des filles de son épouse, qui n’étaient pas à sa charge. C’était tout au plus un montant de CHF 47'716.45 qui pouvait être pris en compte dans l’évaluation de son droit à obtenir une autorisation d’établissement. L’autorité intimée n’avait pas tenu compte de sa bonne intégration malgré les obstacles rencontrés. Il n’avait jamais relâché ses efforts pour disposer d’un emploi permettant de pourvoir à son entretien et s’était investi de manière constante dans la vie économique, et cela même lorsqu’il avait connu des problèmes de santé importants. Actuellement, tant son épouse que lui-même réalisaient des revenus.

À l’appui de son recours, M. A______ a notamment produit un « contrat de travail pour travailleur avec horaires irréguliers » conclu le 20 août 2021 avec la société J______ SA portant sur une activité de coursier à vélo pour un salaire brut horaire de CHF 23.14, ainsi qu’une attestation fiscale de l’hospice général faisant état d’un montant mensuel de CHF 1'586.60 versé à Mme B______ à titre de prestations.

22) L’OCPM a conclu le 11 octobre 2021 au rejet du recours.

Contrairement à ce que semblait alléguer M. A______, les montants figurant sur l’attestation d’aide financière de l’hospice général du 1er février 2021 constituaient exclusivement des montants d’aide sociale au sens strict et n’incluaient pas des subsides d’assurance-maladie.

23) Les parties ont été informées, le 15 octobre 2021, que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Est litigieux le refus de l’OCPM de délivrer une autorisation d’établissement au recourant.

a. Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la loi sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr), qui a alors été renommée LEI, et de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Conformément l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées, comme en l’espèce, avant le 1er janvier 2019 sont régies par l'ancien droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1075/2019 du 21 avril 2020 consid. 1.1).

b. La LEI n’est applicable aux ressortissants des États membres de l’Union européenne (UE), aux membres de leur famille et aux travailleurs détachés par un employeur ayant son siège ou son domicile dans un de ces États que dans la mesure où l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681) n’en dispose pas autrement ou lorsque la présente loi prévoit des dispositions plus favorables.

Selon l’art. 5 de l’ordonnance sur la libre circulation des personnes du 22 mai 2022 (OLCP - RS 142.203), les ressortissants de l’UE et de l’Association européenne de libre-échange (AELE) ainsi que les membres de leur famille reçoivent une autorisation d’établissement UE/AELE de durée indéterminée sur la base de l’art. 34 LEI et des art. 60 à 63 OASA ainsi qu’en conformité avec les conventions d’établissement conclues par la Suisse.

L’art. 63 LEI est applicable lors de la délivrance d’une autorisation d’établissement UE/AELE (art. 23 al. 2 OLCP).

c. Aux termes de l’art. 43 LEI, le conjoint étranger du titulaire d’une autorisation d’établissement ainsi que ses enfants célibataires étrangers de moins de 18 ans ont droit à l’octroi d’une autorisation de séjour et à la prolongation de la durée de validité aux conditions énumérées à l’al. 1. Après un séjour légal ininterrompu de cinq ans, le conjoint a droit à l’octroi d’une autorisation d’établissement si les critères d’intégration définis à l’art. 58a sont remplis (al. 5).

À teneur de l’art. 51 al. 2 let. b LEI, les droits prévus à l’art. 43 LEI s’éteignent s’il existe des motifs de révocation au sens des art. 62 ou 63 al. 2 LEI.

Selon l’art. 62 al. 1 let. e LEI, l’autorité compétente peut révoquer une autorisation, à l’exception de l’autorisation d’établissement si l’étranger lui-même ou une personne dont il a la charge dépend de l’aide sociale.

Cette disposition suppose qu'il existe un risque concret de dépendance de l'aide sociale, de simples préoccupations financières ne suffisant pas. Pour évaluer ce risque, il sied non seulement de tenir compte des circonstances actuelles, mais aussi de considérer l'évolution financière probable à plus long terme. Il convient en outre de tenir compte des capacités financières de tous les membres de la famille sur le plus long terme (ATF 137 I 351 consid. 3.9 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_139/2013 du 11 juin 2013 consid. 6.2.4 ; 2C_685/2010 du 30 mai 2011 consid. 2.3.1). Une révocation entre en considération lorsqu'une personne a reçu des aides financières élevées et qu'on ne peut s'attendre à ce qu'elle puisse pourvoir à son entretien dans le futur (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1041/2018 du 21 mars 2019 consid. 4.2). À la différence de l'art. 63 al. 1 let. c LEI, qui concerne les autorisations d'établissement, l'art. 62 al. 1 let. e LEI n'exige en revanche pas que l'étranger lui-même ou une personne dont il a la charge dépende « durablement et dans une large mesure » de l'aide sociale (arrêts du Tribunal fédéral 2C_95/2019 du 13 mai 2019 consid. 3.4.1 ; 2C_1041/2018 du 21 mars 2019 consid. 4.2 ; 2C_633/2018 du 13 février 2019 consid. 6.2 ; 2C_923/2017 du 3 juillet 2018 consid. 4.2 ; 2C_1053/2017 du 13 mars 2018 consid. 4.2 ; 2C_547/2017 du 12 décembre 2017 consid. 3.1 ; 2C_834/2016 du 31 juillet 2017 consid. 2.1).

La notion d'aide sociale doit être interprétée dans un sens technique. Elle comprend l'aide sociale traditionnelle et les revenus minima d'aide sociale, à l'exclusion des prestations d'assurances sociales, comme les indemnités de chômage ou les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI (ATF 141 II 401 consid. 6.2.3 ; 135 II 265 consid. 3.7 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1018/2016 du 22 mai 2017 consid. 3.1).

d. Pour être valable, le refus d’autorisation ou la révocation de celle-ci ne se justifie que si elle constitue une mesure proportionnée aux circonstances du cas d'espèce, au sens des art. 96 LEI et 8 par. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950
(CEDH - RS 0.101) à l'issue d'une pesée des divers intérêts en jeu (ATF 135 II 377 consid. 4.3). La pesée des intérêts accomplie sous l'angle de la LEI se confond largement avec celle que le juge doit effectuer lors de la mise en œuvre de
l'art. 8 § 2 CEDH (ATF 135 II 377 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_139/2013 précité consid. 7.1).

3) En l’espèce, en sa qualité d’époux d’une ressortissante italienne, le recourant peut se prévaloir de l’ALCP (art. 2 al. a ab initio LEI). Cet accord ne régit toutefois pas l’autorisation d’établissement (art. 2 al. 2 in fine LEI ; art. 5 et 23 al. 2 OLCP ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_308/2017 du 21 février 2018 consid. 4.2), de sorte qu’il convient d’appliquer la LEI, en particulier les art. 43 al. 5, 51 al. 2 let. b et 62 al. 1 let. e.

Il ressort du dossier que le recourant s’est marié le 22 août 2013 et a eu son premier emploi, à temps partiel, à compter du mois de juin 2014. Jusque-là, il a vécu grâce à l’aide sociale touchée par son épouse. Certes, cet emploi, cumulé avec celui de barman sur appel, a permis au groupe familial de s’affranchir de l’aide sociale d’août 2014 à août 2018, étant précisé que de juin 2016 à avril 2018, le recourant a bénéficié de prestations de l’assurance-chômage. Il n’en reste pas moins que, depuis son mariage en août 2013 jusqu’au 31 janvier 2021, le groupe familial des époux a cumulé plus de CHF 115'000.- de prestations sociales. Contrairement à ce que soutient le recourant, les subsides d’assurance-maladie sont déjà déduits de ce montant. Cela ressort en effet des décomptes de l’hospice général, selon lesquels les primes d’assurance-maladie sont prises en compte « subsides déduits ». L’aide financière est ainsi importante, quoi qu’en pense le recourant. Il relève certes à raison que ces prestations ont été versées sur la base d’une famille composée de quatre personnes, dont les deux filles de son épouse, nées d’un premier mariage. La question de savoir si, comme le prétend l’intéressé, il y a lieu de réduire le montant des prestations d’aide sociale au motif que les filles de son épouse ne seraient pas à sa charge au sens de l’art. 62 al. 1 let. e LEI peut toutefois rester ouverte. En effet, même à admettre la déduction sollicitée de CHF 43'349.30, le montant des prestations déjà versées reste élevé (soit plus de CHF 70'000.-) et suppose un risque concret de dépendance de l'aide sociale, étant pour le surplus rappelé que contrairement à ce que prévoit l’art. 63 al. 1 let. c LEI, l’art. 62 al. 1 let. e LEI n’exige pas que la dépendance de l’aide sociale soit durable et significative.

Devant la chambre de céans, le recourant se prévaut de sérieux soucis de santé de son épouse. Toutefois, hormis un avis de sortie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) attestant d’un bypass gastrique subi en juin 2020 en raison d’une obésité de grade III, il ne produit aucun document médical attestant d’une incapacité de travail de l’intéressée. Quant à sa propre situation médicale, le recourant a certes produit un rapport attestant d’une intervention chirurgicale en raison d’une hernie discale en mai 2017. Ce document ne permet toutefois pas de justifier l’absence de travail dès juillet 2017, étant précisé que son incapacité de travail en lien avec l’intervention n’a duré que jusqu’au 22 juin 2017. Enfin, le recourant se prévaut du litige qui a entouré sa prise de gérance d’un café-bar pour démontrer sa volonté de développer son activité économique. Force est toutefois de constater que cette activité a duré trois mois, soit jusqu’à la résiliation du contrat de gérance en juin 2018. Depuis lors, et jusqu’à la conclusion du contrat de livreur le 30 décembre 2019, il ne ressort pas du dossier que le recourant aurait effectué des recherches d’emploi pour s’affranchir de l’aide sociale.

Le recourant affirme que la situation s’est améliorée et que sa femme exerce actuellement une activité lucrative. Il n’apporte toutefois aucune pièce à l’appui de cette allégation. Quant à l’activité de livreur qu’il exerce depuis décembre 2019, il ressort des pièces produites par l’intéressé que les revenus réalisés, soit en moyenne CHF 2’000.- nets par mois, ne lui ont, jusque-là, pas permis de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Les décomptes de l’hospice général afférant aux mois de janvier à juin 2020 attestent en effet de prestations d’aide sociale d’environ CHF 1'500.- par mois, en tenant compte des revenus du recourant. La chambre de céans relèvera d’ailleurs que, contrairement à ce que prétend le recourant, de tels revenus ne suffisent même pas à subvenir aux besoins d’un couple sans enfants (soit CHF 1’494.- à titre d’entretien de base pour deux personnes [CHF 977 x 1.53, selon l’ancienne teneur, applicable en l’occurrence, de l’art. 2 al. 1 du règlement d’exécution de la loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle du 25 juillet 2007 ; RIASI - J 4 04.01] + CHF 1'035.95 de loyer + CHF 380.- d’assurances maladie, subsides déduits). Enfin, l’hospice général a confirmé qu’en date du 2 février 2021, la famille était toujours au bénéfice de l’aide sociale. Eu égard à ces éléments, l’autorité précédente pouvait considérer qu’il existait un risque concret de dépendance à l’aide sociale. La décision litigieuse apparaît en outre proportionnée aux circonstances, l’intérêt privé du recourant à obtenir une autorisation d’établissement devant céder le pas à l’intérêt public à préserver les finances publiques, étant rappelé que son autorisation de séjour a été renouvelée. C’est partant à bon droit que le TAPI a confirmé le refus de délivrer une autorisation d’établissement au recourant. Il est, toutefois, loisible au recourant de solliciter à nouveau la délivrance d’une telle autorisation après amélioration et stabilisation de la situation financière de sa famille.

Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours.

4) Le recourant plaidant au bénéfice de l’assistance juridique, aucun émolument ne sera mis à sa charge (art. 87 al. 1 LPA ; art. 13 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 -
RFPA - E 5 10.03), et, vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 septembre 2021 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 août 2021 ;


 

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Rémy Asper, avocat du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Lauber et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Poinsot

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.