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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/536/2021

ATA/522/2022 du 17.05.2022 sur JTAPI/1278/2021 ( LCI ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/536/2021-LCI ATA/522/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 mai 2022

3ème section

 

dans la cause

 

Hoirie de feue Madame A______, soit Madame B______, Monsieur C______, Monsieur D______ et Monsieur E______,
représentés par Me François Bellanger, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 décembre 2021 (JTAPI/1278/2021)


EN FAIT

1) À teneur du registre foncier, Madame B______ et Messieurs C______, D______et E______sont propriétaires de la parcelle n° 139 de la Commune F______ (ci-après : la commune), sur laquelle est érigé un immeuble d’habitation de plusieurs logements (n° 1______) sis 77, rue G______.

2) Par plis des 18 et 25 mai 2020, se référant à la procédure I-2______, l’office des autorisations de construire du département du territoire (ci-après : le département) a informé les quatre personnes précitées qu’un collaborateur de l’office du patrimoine et des sites (ci-après : OPS) avait constaté que la quasi-totalité des fenêtres des deux façades de l’immeuble en question avaient été remplacées par des « fenêtres en bois-métal noir », sans aucune autorisation de construire.

3) Faisant usage du droit d'être entendus, M. D______ – indiquant représenter l’hoirie de feue Madame A______, composée de Mme B______, de MM. C______et E______et de lui-même (ci-après : l’hoirie) – a informé le département, par courrier du 5 juin 2020, que le remplacement des fenêtres constaté par l’OPS consistait en des travaux d’entretien réalisés entre 1996 et 2003, en même temps que ceux des deux façades et de la toiture. Ces travaux, exécutés en plusieurs étapes et durant plusieurs années, avaient été annoncés en son temps par une lettre d’avis de travaux d’entretien. Plusieurs séances s’étaient tenues sur place avec des responsables du service des monuments et des sites (ci-après : SMS), s’agissant du choix des teintes et des matériaux, en présence de feue Mme A______, propriétaire de ce bien immobilier jusqu’à son décès en 2012. Les premières fenêtres avaient été changées dès 1996, car celles existantes étaient en trop mauvais état pour être rénovées. Elles devaient améliorer l’isolation thermique et acoustique avec un abaissement phonique de 36 dB, optimal pour l’époque, au vu du bruit routier environnant.

4) Par décision du 15 janvier 2021, dont l'objet est «  Modification des fenêtres non conforme à l'art. 56 RCI », le département a ordonné à l’hoirie de Mme A______ de rétablir une situation conforme au droit d’ici au 31 juillet 2021 en procédant : « au remplacement des fenêtres existantes par des menuiseries en chêne sur le modèle de celles d’origine, comportant les partitions des fenêtres d’origine et dont les règles se basent sur le principe FEN.b (https://www.ge.ch/document/guide-bonnes-pratiques-assainissement-fenetres-batiments-proteges/telecharger) ».

Les détails d’exécution devraient être soumis à l’OPS pour approbation avant commande des travaux. La sanction administrative portant sur la réalisation des travaux sans droit ferait l’objet d’une décision séparée et restait par conséquent réservée.

5) Par acte du 15 février 2021, l’hoirie de Mme A______, composée de Mme B______ et MM. C______, D______ et E______, a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) à l’encontre de cette décision, concluant à son annulation.

Dans le cadre des travaux d’entretien de leur immeuble, intervenus entre 1996 et 2003, les anciennes fenêtres, en très mauvais état, avaient été peu à peu remplacées par des fenêtres en bois-métal, comme l’attestaient les factures jointes. Feue Mme A______ avait informé le département, par courrier du 16 avril 2002, que les travaux allaient débuter dans le courant du mois de mai 2003. Elle avait également informé le SMS, par pli du 9 septembre 2003, que la teinte retenue pour la façade de l’immeuble donnant sur la rue H______ était conforme à ce qui avait été convenu lors d’un rendez-vous qui s’était tenu le 17 juillet 2003. Elle avait informé le département de son intention d'effectuer les mêmes travaux, avec la même teinte, sur la façade donnant sur la rue G______. Ce courrier étant resté sans réponse, feue Mme A______ avait relancé le département, par courrier du 27 novembre 2003, en se référant à un appel téléphonique de début novembre lors duquel Monsieur I______ avait dit à l’un de ses fils qu’il se prononcerait défavorablement sur cette requête. Sans nouvelles du SMS, feue Mme A______ avait indiqué au département, par courrier du 16 décembre 2003, que les travaux, qui commenceraient à début 2004, seraient exécutés en teinte gris-clair. Par correspondance du 22 décembre 2003, le SMS avait invité Mme A______ à conserver côté rue une teinte proche de celle d’origine, dans la mesure où la différence de traitement entre les façades était typique de l’architecture d’îlot du XXème siècle, tout en lui suggérant de réaliser différents échantillons pour le choix de la couleur et en s’en remettant à l’avis des experts de la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS).

Le remplacement des fenêtres constituant des travaux d’entretien, il n’était pas soumis à autorisation et ne pouvait donc être qualifié de constructions illicites. Ces travaux, réalisés par rotation durant six ans, n’avaient pas été différés et n’avaient entraîné aucune modification du standing de l’immeuble ni augmentation des loyers. Ils avaient été annoncés au département qui, tout comme le SMS, n’avait nullement mentionné la nécessité de les soumettre à autorisation.

Les conditions de l’ordre de remise en état n’étaient pas remplies. Le département avait, à tort, ordonné la remise en état des fenêtres sur la base de la nouvelle directive d’application de l’art. 56A du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI - L 5 05.01), entrée en vigueur en 2015. De plus, 18, respectivement 25 ans, s’étaient écoulés depuis l’exécution des travaux litigieux et depuis que le département avait été informé de leur réalisation. Sa passivité alors qu’il en avait connaissance, ou aurait pu en avoir connaissance s’il avait agi avec diligence au vu des échanges intervenus en 2002 et 2003, pouvait être qualifiée de « tolérance active » et son comportement contraire au principe de la bonne foi et contradictoire. Le département n'avait pas été placé devant le fait accompli. Le bâtiment concerné avait été intégré au plan de site adopté en 2016, soit plus de dix ans après le remplacement des fenêtres qui n’avait pas empêché la reconnaissance de son intérêt patrimonial.

L’ordre de remise en état violait le principe de proportionnalité. Si une requête en autorisation de construire avait été déposée entre 1996 et 2003, ces éléments auraient vraisemblablement été autorisés. Même à requalifier ces travaux de transformation soumis à autorisation, les dérogations reprochées étaient mineures, à la lumière d’une nouvelle pratique adoptée en 2015 seulement. L'ordre de remise en état portait une atteinte importante à leur propriété et le but d’intérêt public n’apparaissait pas comme prépondérant.

Plusieurs pièces ont été jointes à ce recours, notamment :

- des factures établies à l’attention de feue Mme A______ entre avril 1996 et décembre 2004, portant notamment sur la fourniture, la fabrication et la pose de fenêtres dans l’immeuble sis rue G______ 77 ;

- des courriers adressés par feue Mme A______ au département les 9 avril 2002 et 16 avril 2003, par le biais desquels elle faisait état de « travaux de réfection de la façade de [s]on immeuble qui consist[ai]ent au nettoyage de la pierre de taille et peinture de la façade, ainsi que la réfection des volets » ;

- les correspondances de feue Mme A______ au SMS des 9 septembre, 27 novembre et 16 décembre 2003 ainsi que le courrier de ce service à la précitée du 22 décembre 2003, ce dernier mentionnant que l'immeuble en cause appartenait à un ensemble du début du XXème siècle.

6) Le département a conclu, le 26 avril 2021, au rejet du recours.

L’immeuble n°1______, construit en 1912 par l’architecte Monsieur J______ et contigu à d’autres bâtiments proposant une unité architecturale, appartenait à un ensemble au sens de l’art. 89 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) et bénéficiait de la protection y afférente. Selon la fiche de recensement architectural en projet relatif à l’immeuble sis rue G______ 91 (3______), cet immeuble – ainsi que ceux qui lui étaient contigus – s’inscrivait dans l’ensemble n° 4______, qui comprenait également les immeubles sis rue G______ 75, 79, 81, 83, 85 et 91. Au vu de la valeur patrimoniale des ensembles d’immeubles et des squares situés entre les rues K______, G______, L______ et l’avenue M______, la Ville de Genève (ci-après : la ville) avait initié un projet de plan de site, dont l’enquête avait eu lieu du 19 octobre au 18 novembre 2012 et qui avait été adopté par arrêté du Conseil d’État du 1er juin 2016 (plan de site n° 5______).

Dans le cadre de l’adoption et de la mise en œuvre de ce plan de site, un constat effectué par l’OPS avait permis de relever que la quasi-totalité des fenêtres d’origine (en chêne) avaient été remplacées par des fenêtres en bois-métal noir, sans partitions et avec un intercalaire en alu brillant, sans que cet office n’ait été consulté. De plus, le département n’avait reçu aucune annonce d’ouverture de chantier pour ces travaux.

Lesdits travaux, modifiant l’apparence extérieure du bâtiment, entraient dans le champ d’application de l’art. 1 al. 1 let. b LCI, disposition pertinente avant l’entrée en vigueur de l’art. 56A RCI dans sa teneur actuelle. Pour le surplus, la décision attaquée ne reprochait pas aux recourants de ne pas avoir déposé de demande d’autorisation de construire avant d’entreprendre les travaux contestés. Par conséquent, cet élément ainsi que le développement des recourants relatif au travaux d’entretien au sens de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) n’était pas pertinent. En effet, les structures porteuses et les autres éléments particulièrement dignes de protection – dont faisaient partie les fenêtres, dont le changement pouvait porter une atteinte irrémédiable au caractère architectural et urbanistique – devaient, en règle générale, être sauvegardés. Or, les travaux de changement des fenêtres avaient été effectués sans respecter les matériaux et la composition d’origine, en violation des art. 89 et 90 LCI, et sans avoir consulté préalablement l’OPS, ce qui constituait une infraction. Dans le même sens, l’art. 56A al. 4 RCI – qui constituait un cas particulier de l’art. 90 al. 1 LCI en reprenant les éléments de protection patrimoniale et en les concrétisant dans le cadre des travaux de mise aux normes énergétiques qu’il visait principalement – exigeait que les interventions soient réalisées dans les matériaux d’origine et le respect de l’architecture de l’immeuble.

Il ne pouvait être retenu que le changement des fenêtres avait été annoncé au département, par courrier du 9 avril 2002, postérieur aux premiers changements de fenêtres intervenus en 1996, se contentant d’annoncer des travaux de nettoyage de la pierre de taille, de peinture de la façade et de réfection des volets. En outre, le SMS avait clairement indiqué à feue Mme A______, dans son pli du 22 décembre 2003, que son immeuble faisait partie d’un ensemble protégé du début du XXème siècle.

L’ordre de remise en état était conforme au droit. Il ne pouvait être retenu de la part de l’OAC ou de l’OPS une quelconque connaissance, et donc tolérance, des travaux de modification des fenêtres, dans la mesure où ces travaux ne ressortaient pas des courriers adressés par feue Mme A______ à ces instances et qu’il n’avait pas été prouvé qu'ils auraient été admis. L'ordre de remise en état constituait le seul moyen de respecter la protection patrimoniale du bâtiment litigieux, du moment que les fenêtres d’origine avaient été délibérément éliminées. Par conséquent, l’intérêt public à la protection du patrimoine l’emportait sur l’intérêt privé, notamment financier, des recourants.

7) Par réplique du 20 mai 2021, l'hoirie a relevé que les travaux d’entretien, tel que le changement des fenêtres litigieux, ne pouvaient être considérés comme des rénovations ou des transformations prohibées par les art. 89 et 90 LCI. Le courrier adressé à feue Mme A______ par le SMS en décembre 2003 était postérieur à la majorité des travaux litigieux, de sorte qu'il ne pouvait appuyer la thèse selon laquelle ceux-ci avaient été réalisés en violation des art. 89 ss LCI.

Même à retenir que les travaux litigieux n’étaient pas de simples travaux d’entretien, le département ne tentait pas même de démontrer que les fenêtres actuelles violeraient une unité architecturale et urbanistique.

Les prescriptions d’une directive entrée en vigueur en 2015 ne pouvaient fonder le rétablissement de l’état antérieur aux travaux d’entretien intervenus entre 1996 et 2003.

Les travaux d’entretien dûment annoncés par feue Mme A______ avaient été exécutés en plusieurs étapes sur plusieurs années et le choix des teintes et des matériaux y relatifs avait été effectué lors de séances en présence de représentants du SMS. Ainsi, le comportement du département, resté passif durant plus de 18 ans alors qu’il aurait à tout le moins dû avoir connaissance des prétendues constructions illicites s’il avait agi avec diligence, devait être qualifié de « tolérance active », au vu des échanges intervenus entre 2002 et 2003.

Les installations concernées ayant été autorisées selon le droit en vigueur au moment de leur réalisation, l'hoirie pouvait se prévaloir du respect du principe de la bonne foi. Le département n’avait procédé à aucune pesée des intérêts avant le prononcé de la décision attaquée.

8) Par duplique du 14 juin 2021, le département a notamment relevé que le changement de la totalité des fenêtres d’un immeuble appartenant à un ensemble protégé, avec modification des matériaux et de leur aspect (sans partition), entrait dans la définition des structures et des éléments dignes de protection devant être protégés au sens de l’art. 90 LCI, dans la mesure où il constituait une atteinte au caractère architectural de l’immeuble et à la composition d’ensemble au sens de l’art. 89 et ss LCI. Il ressortait en outre de l’art. 56A al. 4 let. a RCI relatif à l’isolation des embrasures en façade que les fenêtres, notamment du point de vue du matériau utilisé, étaient des éléments qui devaient être protégés dans le cadre d’un ensemble. Si les fenêtres avaient été rénovées ou remplacées par d’autres dans le même matériau et la même partition, le département n’aurait probablement rien eu à redire. Enfin, les conditions d’une remise en état étaient remplies. Cet ordre était proportionné. Il était néanmoins possible, comme cela avait été fait pour un cas voisin, que son exécution soit différée dans le temps, afin de prendre en compte la durée de vie des fenêtres, estimée par la jurisprudence à une trentaine d’années.

9) Par jugement du 16 décembre 2021, le TAPI a partiellement admis le recours.

Il était établi que l'immeuble en cause appartenait à un ensemble protégé. La question était donc de savoir si, au vu des bases légales et de la jurisprudence, le département était légitimé à ordonner « le remplacement des fenêtres existantes par des menuiseries en chêne sur le modèle de celles d’origine, comportant les partitions des fenêtres d’origine et dont les règles se basent sur le principe FEN.b », de manière a priori erronée sur l'art. 56A RCI.

L'art. 1 al. 1 LCI, couplé avec ses al. 4 et 5, étendait largement la notion de travaux soumis à autorisation de construire. Dans un arrêt du 25 octobre 2015, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) avait confirmé une amende prononcée pour divers travaux effectués sans autorisation en zone 4B protégée, parmi lesquels le changement des fenêtres de l'immeuble concerné. Selon la note explicative « Recensement architecturale des immeubles formant des ensembles maintenus du XIXe siècle et du début du XXe siècle dans la commune de Genève », les ensembles protégés au sens des art. 89 et ss LCI pouvaient mériter cette protection notamment en raison de divers éléments de façade. Au vu de ces éléments, la modification de fenêtres, en particulier dans un immeuble protégé, était une opération devant faire l'objet d'une autorisation de construire.

Le propriétaire d'un immeuble protégé ne pouvait s'affranchir des obligations lui incombant à ce titre en se fondant sur sa propre opinion ou sur l'absence de mention de son immeuble sur les listes indicatives. Il était en l'espèce d'autant moins possible pour l'hoirie de soutenir que l'ancienne propriétaire n'avait pas à prendre de précautions particulières à ce sujet, qu'elle avait, à l'époque des travaux, été en contact régulier avec le SMS concernant différents aspects relatifs à la réfection des façades, notamment le choix des couleurs. En revanche, il n'apparaissait nulle part qu'elle aurait explicitement annoncé, en particulier au SMS, son intention de remplacer les fenêtres existantes.

En conséquence, le remplacement des fenêtres avait été effectué de manière illicite, de sorte que les quatre premières conditions d'un ordre de remise en état étaient réalisées, à savoir dirigé contre les perturbateurs par situation, concernant des travaux effectués sans autorisation, intervenus moins de 30 ans auparavant et n'ayant fait l'objet d'aucun engagement ni d'aucune attitude de l'autorité qui aurait pu laisser penser à l'ancienne propriétaire qu'elle était autorisée à procéder de la sorte.

Le département ne pouvait faire abstraction des normes en vigueur au moment où il rendait sa décision, En présence d'un immeuble protégé, l'obligation de répondre à certaines normes imposées par la réglementation en matière d'énergie se doublait, selon l'art. 56A RCI, d'une obligation de respecter, dans la mesure du possible, des normes de protection du patrimoine. Dans la mesure où il était retenu que les travaux avaient été réalisés illicitement à une époque antérieure à l'entrée en vigueur de l'art. 56A RCI, le propriétaire ne pouvait, au moment où l'ordre lui était donné de remédier à cette situation, échapper aux dispositions légales entrées en vigueur depuis ces travaux. À titre d'exemple, il paraîtrait inconcevable que la remise en état d'une construction illicite permette l'utilisation de matériaux proscrits, au motif qu'ils étaient autorisés à l'époque des travaux litigieux. Si les nouvelles dispositions entrées en vigueur depuis ces travaux avaient pour le propriétaire des conséquences plus sévères que cela n'aurait été le cas dans l'hypothèse où la situation aurait été découverte et réparée plus tôt, il ne pouvait en être fait grief à l'autorité chargée d'appliquer la loi. Seule l'application du principe de proportionnalité permettait d'atténuer des conséquences trop rigoureuses. En conséquence, le département était fondé à faire application de l'art. 56A RCI non pas pour constater que le remplacement des fenêtres avait été effectué contrairement à cette disposition légale, mais pour exiger que la remise en état de l'immeuble intervienne conformément aux dispositions actuelles en matière énergétique, ce qui impliquait le respect de l'art. 56A RCI.

Dans le jugement JTAPI/74/2021 du 28 janvier 2021 qui avait donné lieu à l'ATA/534/2021 du 18 mai 2021, le TAPI, faisant application du principe de proportionnalité, avait modifié l'ordre de remise en état des fenêtres en fixant au 31 décembre 2031 le délai d'exécution des travaux, ce qui permettait d'atteindre approximativement la durée de vie des fenêtres en PVC posées en 2001. Nonobstant l'annulation de ce jugement, la chambre administrative avait considéré que cette solution était empreinte de bon sens. Il se justifiait en l'espèce de procéder de la même manière. En effet, l'hoirie n'avait fait qu'hériter – littéralement – d'une situation irrégulière créée par l'ancienne propriétaire. Ensuite, les fenêtres litigieuses avaient été posées il y une vingtaine d'années, ce qui signifiait que non seulement les « dégâts » patrimoniaux causés par les fenêtres actuelles étaient passés inaperçus durant une assez longue période de temps, mais également que ces dernières, en bois-métal, avaient approximativement atteint la moitié de leur durée de vie (la durée d'amortissement de fenêtres à vitrages isolants en bois-métal étant de 25 ans : https://asloca-romande.ch/wp- content/uploads/2016/01/ Tabelle_avertissement.pdf consulté le 14 décembre 2021). Leur remplacement immédiat ne s'imposait pas par une urgence à remédier à un grave impact patrimonial. En outre, il impliquerait des frais très conséquents qui n'avaient pas pu être planifiés du point de vue comptable.

Aussi, il apparaissait plus conforme au principe de proportionnalité de fixer le délai d'exécution des travaux au 31 décembre 2030, correspondant à une moyenne approximative entre les travaux entamés en 1996 et ceux achevés en 2003. Il appartenait au département de veiller à l'inscription de cette obligation au Registre foncier, de sorte qu'elle s'impose à tout propriétaire futur de l'immeuble.

10) L'hoirie a formé recours contre ce jugement par acte déposé à la chambre administrative le 1er février 2022, concluant principalement à l'annulation dudit jugement, de même que de la décision du département du 15 janvier 2021 et subsidiairement renvoi de la cause au département pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Le TAPI avait tenu un raisonnement peu clair, décousu, pour parvenir à des conclusions relativement hâtives et non fondées. Il avait échoué à démontrer que le remplacement des fenêtres aurait dû faire l'objet d'une demande d'autorisation de construire et avait donc violé les art. 1 al. 1 et 89 ss LCI mais également, si par impossible il fallait une autorisation de construire, que l'ancienne propriétaire pouvait de bonne foi se fier à son ignorance de cette nécessité et à l'attitude de l'autorité.

En l'espèce et en substance, que ce soit sur la base de la LCI ou de la LDTR, certes non applicable en l'espèce, il ne faisait aucun doute que les travaux litigieux ne correspondaient pas à des travaux de transformation soumis à autorisation selon ces deux lois. L'ATA/1151/2015 mentionné par le TAPI ne pouvait s'appliquer au cas d'espèce puisqu'il concernait, outre les travaux non autorisés ayant justifié l'amende litigieuse, des travaux intérieurs, la réfection complète de la toiture, la mise en place de velux, le changement des fenêtres et l'installation de baies vitrées. Ainsi, le remplacement des fenêtres n'était pas soumis à autorisation.

La condition de la bonne foi n'était pas remplie et le département ne pouvait donc pas ordonner à l'hoirie de remplacer les fenêtres actuelles. La précédente propriétaire de l'immeuble avait en effet été en communication avec les autorités en lien avec les travaux sur la façade de son immeuble, avant qu'ils ne commencent, quand bien même le remplacement des fenêtres n'était pas expressément évoqué, référence étant faite à la correspondance échangée alors. Le département n'avait à aucun moment mentionné la nécessité de soumettre les travaux à autorisation et n'avait nullement été placé face au fait accompli. Si feue Mme A______ avait eu connaissance du fait qu'il fallait une autorisation de construire pour le remplacement des fenêtres et que de mauvaise foi, elle aurait décidé de ne pas en requérir une, on voyait mal pourquoi elle aurait insisté auprès de la police des constructions, lorsqu'elle était sans nouvelles de sa part, en l'informant être sur le point d'effectuer les travaux sur la façade. Il ne faisait aucun doute qu'en connaissance des travaux, la police des constructions devait procéder à des contrôles et aurait informé, si cela avait été nécessaire, la propriétaire de la prétendue nécessité de requérir une autorisation de construire. La bonne foi de feue Mme A______, et partant de l'hoirie, ne faisait aucun doute. Par ailleurs, entre 18 et 25 années s'étaient écoulées depuis l'exécution des travaux d'entretien litigieux, dont l'autorité, soit la police des constructions et le SMS, était informée entre 2002 et 2003, ou aurait dû à tout le moins avoir connaissance si elle avait agi avec diligence, de sorte que son absence de réaction devait être considérée comme une « tolérance active ». En estimant plus de 20 ans plus tard que ces travaux étaient en réalité des travaux soumis à autorisation, l'autorité adoptait un comportement contradictoire et contraire au principe de la bonne foi. Le manque de diligence du département dans le suivi du dossier ne pouvait être « réparé » une vingtaine d'années plus tard par un ordre de remise en état. Le TAPI avait donc violé le principe de la bonne foi, voire versé dans l'arbitraire en retenant que l'ordre de remise en état n'était pas en contradiction avec la condition de la bonne foi.

Le TAPI avait fixé un délai au 31 décembre 2030 pour le remplacement des fenêtres litigieuses. L'ordre de remise en état, tel que prononcé, était cependant toujours disproportionné. La tabelle sur laquelle cette instance s'était fondée pour retenir que la durée de vie des fenêtres, dans un contexte d'usure normale, était de 30 ans, n'était qu'une référence indicative, sans force contraignante et ne permettait pas à une partie d'en tirer un droit. Il découlait de la systématique des dispositions de la LCI que la remise en état n'avait pas un but punitif, mais le rétablissement d'une situation conforme au droit, la sanction devant faire l'objet d'une procédure distincte. Il semblait que le fait qu'un ordre de remise en état soit ordonné pour une date intervenant 30 ans après les travaux litigieux consistait en soi une preuve suffisante pour affirmer que l'intérêt public au rétablissement d’une situation conforme au droit, notamment de préservation de bâtiments dignes de protection, n'était de manière évidente, pas prépondérant. Par ailleurs, l'hoirie n'était pas responsable directement de la situation dont elle avait hérité, ce dont il devait être tenu compte dans la pesée des intérêts. La durée de vie moyenne prise en compte par le TAPI pour fixer au 31 décembre 2030 le délai de remise en état était critiquable, puisque la situation ne s'apparentait pas à celle jugée dans le JTAPI/74/2021 qui concernait des travaux effectués la même année.

Au vu de ces éléments, l'intérêt public au rétablissement d'une situation conforme au droit ne pouvait l'emporter sur l'intérêt privé de l'hoirie au maintien des installations litigieuses, même si la remise en état devait n'intervenir qu'en décembre 2030 au plus tard, ce qui reviendrait à leur imposer de payer deux fois pour des travaux d'entretien, soit des coûts excessifs et complètement disproportionnés, sans que les fenêtres à remplacer ne doivent l'être nécessairement à ce moment.

L'immeuble en cause avait été intégré au plan de site adopté en 2016, soit plus de dix ans après le remplacement des fenêtres, lesquelles n'avaient pas été un obstacle pour la reconnaissance de son intérêt patrimonial. Si une requête en autorisation avait été nécessaire et effectivement déposée entre 1996 et 2003, il était très vraisemblable que les éléments litigieux auraient été autorisés. La prolongation par le TAPI de près de 10 années du délai de remise en état démontrait que les dérogations à la règle, si par impossible établies, étaient mineures. Enfin, il était pour le moins étonnant que le TAPI ait mentionné l'art. 56A RCI dans le cadre de son analyse de la proportionnalité quand bien même cette disposition avait été utilisée comme fondement de l'ordre de remise en état. Ce seul élément aurait dû l'amener à annuler l'ordre, tout simplement infondé, plutôt que de simplement le modifier. Même modifié quant au délai d'exécution, il violait le principe de la proportionnalité.

11) Le département a conclu le 4 mars 2022 au rejet du recours.

Le courrier annonçant les travaux de nettoyage de la pierre de taille, de peinture de la façade et de réfection des volets datait du 9 avril 2002, soit bien après le premier changement de fenêtres intervenu en 1996. L'OPS avait souligné à l'attention de feue Mme A______ le 22 décembre 2003 l'intérêt patrimonial de l'immeuble.

L'hoirie admettait expressément que le remplacement des fenêtres n'avait jamais été annoncé au département par l'ancienne propriétaire, de sorte que l'on voyait mal comment le département aurait pu alerter celle-ci sur la nécessité de déposer la demande d'autorisation de construire nécessaire. Vu l'annonce à l'époque de seuls travaux de façade, et encore, il ne pouvait être retenu que le département aurait dû établir un contrôle sur place, étant relevé que s'il devait le faire pour chaque annonce de chantier dans le canton, il ne disposerait ni de l'effectif ni du temps suffisant.

Feue Mme A______, pour avoir été en contact à plusieurs reprises avec le SMS au sujet notamment de la façade de l'immeuble, avait parfaitement conscience de son caractère protégé. Malgré ses divers contacts avec les services du département, elle s'était gardée d'indiquer que les fenêtres seraient changées, alors qu'elle avait même mentionné la réfection des volets. Il ne pouvait être retenu que le département lui aurait donné des assurances, explicitement ou par son comportement, que les travaux litigieux pouvaient être réalisés sans autorisation.

L'intérêt public à la restitution à l'immeuble de son aspect d'origine, même de manière différée, s'agissant de ses fenêtres, quant au matériau et à la partition, et donc des caractéristiques entières de l'ensemble protégé auquel il appartenait, était important et prépondérant par rapport aux seuls intérêts financiers de l'hoirie. Renoncer à la remise en état dans un tel cas, d'une atteinte à l'immeuble qui n'avait rien de mineure, sous prétexte que cela engendrerait des frais conséquents, aurait pour conséquence d'inciter les administrés à effectuer des travaux d'envergure en infraction, puisque la remise en état ne pourrait pas leur être imposée au regard d'un prétendu principe de proportionnalité.

12) L'hoirie a répliqué le 14 avril 2022.

Elle s'est penchée sur l'historique du recensement architectural du canton de Genève et les caractéristique des fenêtres en bois-métal, utilisées dans les bâtiments construits entre 1850 et 1929, tout à fait adaptées au style architectural des anciens immeubles, et en PVC, dont l'utilisation, datant des années 1970, était très controversée dans les bâtiments anciens en raison de leur apparence massive, de l'absence de texture, de leur couleur blanche et de l'absence d'élégance du plastique qui contrastait fortement avec la noblesse des matériaux des bâtiments. Il ressortait des photos de son immeuble, selon notamment fiche de recensement disponible sur le site du système d'information du territoire genevois (SITG), que les fenêtres en bois-métal, de couleur sombre, avec intercalaire en alu brillant, étaient très similaires, voire identiques à la couleur des fenêtres en bois de l'immeuble voisin sis 79, rue G______. Il n'était pas démontré qu'elles porteraient atteinte à l'immeuble et à la protection dont il faisait l'objet. Il était curieux que les experts de la CMNS, lors du recensement effectué entre 2012 et 2014, nonobstant la présence de telles fenêtres alors bien visibles, ne les aient pas remarquées. On se demandait aussi pourquoi le département avait attendu le 25 mai 2020 pour se manifester et en demander la remise en état, alors qu'il avait connaissance d'une prétendue illicéité au plus tard en 2014 et avait l'obligation d'agir à l'encontre de constructions illicites. Le Tribunal fédéral avait rappelé à ce titre que le délai de prescription n'était pas à disposition de l'autorité, laquelle, dès la connaissance de constructions illicites, devait engager une procédure de rétablissement d'une situation conforme au droit dans les meilleurs délais.

L'hoirie a pour le surplus repris les arguments précédemment développés. Il y sera revenu ci-dessous dans la partie en droit dans la mesure nécessaire au traitement du litige.

13) Les parties ont été informées, le 19 avril 2022, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 142 I 155 consid. 4.4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_533/2020 du 25 juin 2020 consid. 3 ; ATA/563/2020 du 9 juin 2020 consid. 2a). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut pas s'étendre ou se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/369/2020 du 16 avril 2020 consid. 3b).

b. En l'espèce, l'objet du litige est l'ordre du département du 15 janvier 2021 de remplacer les fenêtres existantes de l'immeuble sis 77, rue G______, par des menuiseries en chêne sur le modèle d'origine. Le délai d'exécution n'est en revanche plus au 31 juillet 2021, comme retenu dans ladite décision, mais au 31 décembre 2030, selon le jugement du TAPI qui n'a pas été attaqué par l'autorité intimée.

La recourante ne remet, à juste titre, pas en cause que son immeuble ne jouirait pas d'une protection conférée par les art. 89 et ss LCI, protégeant les « ensembles du XIXe siècle et du début du XXe siècle » selon le titre de la section 2 du chapitre IX intitulé « zones protégées » de la LCI, ou loi Blondel.

Elle soutient en revanche que le changement des fenêtres de son immeuble entre 1996 et 2003 ne nécessitait pas d'autorisation et que, si tel était le cas, il était très vraisemblable que les éléments litigieux auraient été autorisés. L'art. 56A RCI dans sa nouvelle version ne s'appliquait pas à la situation.

3) Le Tribunal fédéral retient de jurisprudence constante que dans une procédure de régularisation, l'examen de la conformité au droit matériel d'une construction ou d'une installation s'examine en principe selon le droit applicable au moment où les travaux ont été effectués. Le nouveau droit n'est en principe appliqué que si, par économie de procédure, il permet, contrairement à l'ancien, la délivrance de l'autorisation (ATF 139 II 263 consid. 6 ; 127 II 209 consid. 2b ; 102 Ib 64 consid. 4 p. 69).

Pour les demandes ordinaires (et non les demandes de régularisation) d'autorisation de construire portées devant les instances recours, lorsque le droit change en cours de procédure, la jurisprudence considère que le nouveau droit doit être appliqué immédiatement lorsque cela répond à un intérêt public prépondérant (ATF 141 II 393 consid. 2.4 ; 139 II 243 consid. 11.1 ; 135 II 384 consid. 2.3). Il a été considéré que tel était en particulier le cas de la nouvelle loi sur la protection des eaux (ATF 141 II 393 consid. 2.4 ; 99 Ib 150 consid. 1 ; 99 Ia 113 consid. 9). Les critères pour déterminer si une application immédiate du nouveau droit s'impose sont les suivants. Par analogie avec les règles du Titre final du CC, il faut que la nouvelle règle réponde à un intérêt public majeur, dont l'application ne souffre aucun délai. Il convient ensuite de tenir compte du pouvoir d'examen de l'instance de recours auprès de laquelle la cause est pendante: un pouvoir d'examen complet en légalité peut déjà suffire à une application immédiate du nouveau droit (ATF 141 II 393 consid. 2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_379/2016 du 13 juin 2017 consid. 5).

4) a. Selon l'art. 1 al. 1 LCI, sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé, notamment élever en tout ou partie une construction ou une installation, notamment un bâtiment locatif, industriel ou agricole, une villa, un garage, un hangar, un poulailler, un mur, une clôture ou un portail (let. a); modifier même partiellement le volume, l'architecture, la couleur, l'implantation, la distribution ou la destination d'une construction ou d'une installation (let. b), démolir, supprimer ou rebâtir une construction ou une installation (let. c), modifier la configuration du terrain (let. d).

L'art. 1 al. 4 précise qu'en zone à bâtir, l’édification de constructions de très peu d’importance telles que définies par l’al. 5, n’est pas soumise à autorisation de construire. Demeurent réservées les dispositions relatives à la protection du patrimoine.

b. À teneur de l'art. 15 LCI, le département peut interdire ou n’autoriser que sous réserve de modification toute construction qui, par ses dimensions, sa situation ou son aspect extérieur nuirait au caractère ou à l’intérêt d’un quartier, d’une rue ou d’un chemin, d’un site naturel ou de points de vue accessibles au public (al. 1). La décision du département se fonde notamment sur le préavis de la commission d’architecture ou, pour les objets qui sont de son ressort, sur celui de la commission des monuments, de la nature et des sites. Elle tient compte également, le cas échéant, de ceux émis par la commune ou les services compétents du département (al. 2).

5) a. Les art. 89 ss LCI prévoient la préservation de l'unité architecturale et urbanistique des ensembles du XIXème siècle et du début du XXème siècle qui sont situés en dehors des périmètres de protection (art. 89 al. 1 LCI). Sont considérés comme ensemble les groupes de deux immeubles ou plus en ordre contigu, d'architecture identique ou analogue, ainsi que les immeubles séparés dont l'emplacement, le gabarit et le style ont été conçus dans le cadre d'une composition d'ensemble dans le quartier ou dans la rue (art. 89 al. 2 LCI).

b. À l'examen des travaux préparatoires à l'adoption de ces articles en 1983, il apparaît que le projet déposé par le député Denis BLONDEL, sous le titre « quartiers du XIXe siècle », visait à protéger ces quartiers d'une architecture assez homogène et qui méritaient d'être sauvegardés. Faisant l'historique du développement de la ville, il indiquait notamment, dans l'exposé des motifs, qu'au début du XXème siècle et jusqu'à la première guerre mondiale, le centre de la ville n'avait plus vu de réalisations nouvelles significatives sur le plan de l'urbanisme et de l'architecture, car il était entièrement occupé par les constructions alors récentes du siècle précédent.

L'apparition des premières constructions en béton armé dès 1920 marquait la rupture entre deux modes de construire fondamentalement différents. Le député ajoutait que des mesures de sauvegarde des bâtiments du XIXème siècle devaient donc logiquement prendre en considération cette date comme limite d'une époque de notre architecture. Il terminait en précisant que la loi visait à moduler les dispositions de la LCI en faveur d'une sauvegarde des quartiers qui nous avaient été légués par nos prédécesseurs du XIXème siècle. Le projet de loi précisait encore que l'unité architecturale des ensembles construits avant 1920 dans les secteurs de la première et deuxième zones de construction, devait être préservée afin de sauvegarder le caractère propre aux quartiers du XIXème siècle (MGC 1980/I p. 992- 995).

Selon la note explicative « Recensement architecturale des immeubles formant des ensembles maintenus du XIXe siècle et du début du XXe siècle dans la commune de Genève » précitée, les ensembles protégés au sens des art. 89 et ss LCI peuvent mériter cette protection notamment en raison de divers éléments de façade.

c. Selon l'art. 90 al. 1 LCI, les ensembles dont l’unité architecturale et urbanistique est complète sont maintenus. En cas de rénovation ou de transformation, les structures porteuses, de même que les autres éléments particulièrement dignes de protection doivent, en règle générale, être sauvegardés. L’art. 12 LCI est en outre applicable.

L'al. 2 de cette disposition prévoit qu'en cas de transformation ou de rénovation, des mesures de rationalisation énergétique doivent être entreprises. Des dérogations sont accordées lorsque le maintien d’éléments patrimoniaux de valeur l’exige. Des panneaux solaires thermiques ou photovoltaïques peuvent être autorisés en toiture.

Le département établit et publie sans tarder une liste indicative des ensembles visés à l’al. 1 (art. 90 al. 4 LCI). Sur cette base, le département a publié deux séries d’ensembles retenus, en novembre 1985, puis en octobre 1989. Cette liste indicative de quarante-six ensembles retient des immeubles construits en majorité entre la fin du XIXème siècle et les années 1920.

Le choix du législateur d’une liste indicative, laisse une grande marge d’appréciation au département chargé de l’application de ces dispositions. Au cas par cas, le département a fait bénéficier de la protection des art. 89 et ss LCI des ensembles ne figurant pas sur la liste indicative. Cette manière de faire a régulièrement été confirmée par la chambre de céans en raison du caractère indicatif de la liste (ATA/169/2016 du 23 février 2016 consid. 6d ; ATA/534/2021 du 18 mai 2021 consid. 3 c).

Par ailleurs, la qualification d’ensemble dépend d’une volonté d’unité et d’harmonie dans la conception de l’espace aménagé pour les différents éléments formant un tout projeté et cohérent. À cet égard, les préavis des instances spécialisées en matière de protection du patrimoine sont déterminants. L’art. 90 al. 4 LCI mentionne la compétence du département, notamment par le biais de ses instances spécialisées, tel que l’OPS (art. 6 al. 1 let. e du règlement sur l'organisation de l'administration cantonale du 1er juin 2018 - ROAC - B 4 05.10), lequel comprend notamment le SMS (ch. 3).

d. Selon la jurisprudence, la protection conférée par les art. 89 ss LCI constitue une mesure de protection du patrimoine. Elle implique une restriction au droit de propriété, garanti par l'art. 26 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), à l'instar des autres mesures de protection du patrimoine, le raisonnement relatif à ces dernières étant applicable mutatis mutandis. Pour être compatible avec cette disposition, l'assujettissement doit reposer sur une base légale, être justifié par un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 Cst. ; ATF 126 I 219 consid. 2a p. 221 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_386/2010 du 17 janvier 2011 consid. 3.1 ; ATA/1366/2015 du 21 décembre 2015).

e. Selon l'art. 93 LCI, les demandes d’autorisation, à l’exception de celles instruites en procédure accélérée, concernant des immeubles visés à l’art. 89 sont soumises, pour préavis, à la commission des monuments, de la nature et des sites (al. 1). Les demandes d’autorisation instruites en procédure accélérée ainsi que les travaux de réfection de façades et de toitures sont soumis, pour préavis, à l’office du patrimoine et des sites (al. 2).

Lors de l'adoption de la LCI en 1988, l'art. 93 al. 1 LCI prévoyait que « Les demandes d'autorisation, ainsi que les travaux de réfection de façade et de toiture concernant les immeubles visés à l'art. 89 sont soumis aux préavis de la commission d'architecture et de la commission des monuments, de la nature et des sites ». Cette disposition a été modifiée le 17 février 2006, prévoyant dès lors que « Les demandes d'autorisation, ainsi que les travaux de réfection de façades et de toitures concernant des immeubles visés à l'art. 89 sont soumis, pour préavis, à la commission des monuments, de la nature et des sites ». La dernière modification de cette disposition a été adoptée le 22 septembre 2017, donnant lieu au texte actuel.

f. Selon l’art. 56A al. 2 RCI en vigueur depuis le 4 novembre 2015, qui traite des constructions existantes, les embrasures en façade doivent être mises en conformité lorsque certaines conditions, décrites, sont remplies.

Ces travaux de mise en conformité doivent être réalisés dans les matériaux d'origine pour les bâtiments existants qui se situent dans les zones protégées au sens du chapitre IX du titre II de la LCI (art. 56A al. 4 let. a RCI).

Les dimensions des profils ainsi que la partition des vitrages (petits bois structurels) doivent respecter l'architecture du bâtiment. L'office chargé de la protection du patrimoine fournit sur demande des conseils (art. 56A al. 4 in fine RCI).

Selon l'art, 56A al. 5 et 6, des exceptions et des dérogations sont possibles. En particulier, des dérogations aux prescriptions fixées aux al. 2 et 4 peuvent être accordées pour les bâtiments à propos desquels ces exigences sont disproportionnées. Les dérogations et les prolongations de délai sont accordées sur demande écrite par l'office chargé de l'énergie, par voie de décision administrative, dans un délai de 3 mois, sur préavis des services concernés.

g. Dans l'arrêt ATA/534/2021 précité, la chambre de céans a retenu que la question du droit applicable devait être tranchée par l'instance inférieure, à laquelle le dossier était renvoyé, dans une situation similaire où le département reprochait en mars 2020 à la propriétaire de l'immeuble sis dans le même ensemble de la rue G______ d'avoir remplacé les fenêtres d'origine par des fenêtres en PVC blanc, sans autorisation de construire. La propriétaire avait indiqué que les fenêtres avaient été remplacées plus de vingt ans auparavant et qu'aucun document pouvant attester d'une quelconque autorisation de construire n'avait été retrouvé. L'OAC avait, en juin 2020, ordonné le rétablissement d'une situation conforme au droit, soit le remplacement des fenêtres existantes par des menuiseries en bois sur le modèle de celles d'origine, comportant répartition des fenêtres d'origine et dont les règles se basaient sur le principe FEN.b (https:// www.ge.ch/document/guide-bonnes-pratiques-assainissement-fenetres-batiments-proteges/telecharger), le délai d'exécution étant fixé à fin septembre 2020.

Le TAPI avait partiellement admis le recours de la propriétaire, soit maintenu la décision litigieuse sur le principe, tout en fixant le délai d'exécution des travaux au 31 décembre 2031. Le département devait veiller à l'inscription de cette obligation au Registre foncier. L'immeuble méritait en soi une protection conforme aux art. 89 et ss LCI.

Certes l'intérêt public à la préservation patrimoniale de l'immeuble était important. Cependant, la pose des fenêtres litigieuses avait intégralement eu lieu, de sorte que leur remplacement concernerait également leur totalité, pour un coût qui s'avérait très important. L'intérêt privé de la propriétaire à ne pas se voir imposer l'obligation de remplacer les fenêtres était donc lui aussi important, La disproportion entre une obligation légale et le coût qu'elle entraînait pour un administré pouvait apparaître bien avant que la stabilité financière de ce dernier ne soit mise en péril. Par ailleurs, les fenêtres litigieuses avaient été posées près de vingt ans plus tôt. Leur durée de vie pouvant être estimée à une trentaine d'année, environ dix ans pourraient s'écouler avant de devoir les remplacer. Dans ces conditions, dès lors que la société serait à terme de toute manière exposée aux coûts de remplacement des fenêtres de l'immeuble, il paraissait plus proportionné de lui permettre de continuer à amortir les fenêtres actuelles durant les dix prochaines années, tout en la maintenant dans l'obligation de les remplacer à cette échéance par des fenêtres conformes aux exigences en matière de protection du patrimoine.

La chambre de céans avait admis le recours de la propriétaire contre ce jugement et renvoyé la cause au TAPI. En particulier, quand bien même la solution adoptée d'une remise en l'état repoussée au 31 décembre 2031 était empreinte de bon sens et que la propriétaire ne remettait pas en cause le fait que son immeuble méritait en soi une protection au sens de l'art. 89 ss LCI, la question de savoir si cette protection portait déjà effet avant son inscription sur la liste des ensembles protégés, respectivement l'adoption du plan de site n° 5______-221 du 1er juin 2016, en particulier à l'égard de ses fenêtres, lors de leur remplacement en 2001, devait faire l'objet d'un examen approfondi des juges de première instance et d'un développement circonstancié.

La chambre administrative avait relevé que l'art. 56A RCI dans sa teneur au moment des travaux litigieux ne prévoyait aucune obligation en lien avec les fenêtres d'un immeuble protégé, ce qui était en revanche désormais le cas. Ainsi, s'il devait être retenu que l'ancien droit ne comportait aucune base légale pour exiger des propriétaires d'immeubles méritant certes protection au sens des art. 89 ss LCI qu'ils remplacent les fenêtres par des éléments du matériau d'origine et correspondant aux critères esthétiques d'antan, comme cela était expressément énoncé à l'art. 56A RCI en vigueur depuis le 4 novembre 2015, une condition de l'ordre de remise en état pourrait faire défaut en l'espèce, à savoir que « les installations en cause ne doivent pas avoir été autorisées en vertu du droit en vigueur au moment de leur réalisation ».

h. Dans un arrêt ATA/1151/2015 du 25 octobre 2015, la chambre administrative a confirmé une amende prononcée pour divers travaux effectués sans autorisation en zone 4B protégée, parmi lesquels le changement des fenêtres et porte-fenêtres du bâtiment concerné, nonobstant l'absence de disposition légale soumettant spécifiquement à autorisation de construire le changement de tels éléments en zone 4B protégée. Dans son préavis, la sous-commission architecture (SCA) de la CMNS, s'était déclarée résolument défavorable à la mise en œuvre réalisée et avait insisté pour que la mise devant le fait accompli n'apparaisse pas comme un blanc-seing validant des interventions inadaptées et réalisées en dehors de toute procédure officielle. L'avis d'ouverture de chantier était fallacieux et l'essentiel des travaux contrevenait aux principes habituellement appliqués dans la zone et sur le type de bâtiments anciens. Le site comportait de nombreux bâtiments d'intérêt patrimonial - classés, de valeur deux ou trois au recensement cantonal - et présentait un intérêt paysager évident. Selon l'inventaire des sites construits à protéger en Suisse (ISOS), le site présentait des qualités historico-architecturales de tout premier plan, fondées pour une grande part sur la présence de maisons de campagnes du XVIIIème siècle. Le bâtiment concerné, doté d'une très forte valeur patrimoniale, datait de la fin du XVIIIème siècle et son importance était renforcée par sa forte visibilité depuis le domaine public. Il comportait de nombreux détails soignés. Classé de valeur 3 au recensement architectural cantonal, il s'agissait d'un objet intéressant au niveau local ou régional, avec des qualités architecturales évidentes et représentatif d'une époque ou d'un style. Étaient notamment constatée la perte des menuiseries existantes pour la mise en place de fenêtres et portes-fenêtres neuves - dont l'exécution n'était pas adaptée aux qualités du bâtiment.

6) Lorsque l'état d'une construction, d'une installation ou d'une autre chose n'est pas conforme aux prescription de la LCI, des règlements qu'elle prévoit ou des autorisations délivrées en application de ces dispositions légales ou réglementaires, le département peu notamment en ordonner la remise en état, la réparation, la modification, la suppression ou la démolition (art. 129 let. e et 130 LCI).

Pour être valable, un ordre de mise en conformité doit respecter les conditions cumulatives suivantes :

- l'ordre doit être dirigé contre le perturbateur ;

- les installations en cause ne doivent pas avoir été autorisées en vertu du droit en vigueur au moment de leur réalisation ;

- l'autorité ne doit pas avoir créé chez l'administré concerné, que ce soit par des promesses, par des infractions, des assurances ou encore un comportement des conditions telles qu'elle serait liée par la bonne foi ;

- l'intérêt public au rétablissement d'une situation conforme au droit doit l'emporter sur l'intérêt privé de l'intéressé au maintien des installations litigieuses (ATA/1030/2018 du 2 octobre 2018 consid. 6c et les références citées).

- il ne doit pas s'être écoulé plus de trente ans depuis l'exécution des travaux litgieux.

7) Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

Un ordre de démolir une construction ou un ouvrage édifié sans permis de construire et pour lequel une autorisation ne pouvait être accordée, n’est pas contraire au principe de la proportionnalité. Celui qui place l’autorité devant un fait accompli doit s’attendre à ce qu’elle se préoccupe davantage de rétablir une situation conforme au droit, que des inconvénients qui en découlent pour le constructeur (ATF 108 Ia 216 consid. 4 ; ATA/1304/2020 du 15 décembre 2020 consid. 10a et les références citées). Dans la règle, l’intérêt public majeur à la préservation des zones agricoles et la distinction fondamentale entre espace bâti et non-bâti l’emporte (arrêt du tribunal fédéral 1C_60/2021 du 27 juillet 2021 consid. 3.4.2 confirmant l'ATA/1304/2020 précité ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_233/2014 du 23 février 2015 consid. 4).

L’autorité renonce à un ordre de démolition si les dérogations à la règle sont mineures, si l’intérêt public lésé n’est pas de nature à justifier le dommage que la démolition causerait au maître de l’ouvrage ou encore s’il y a des chances sérieuses de faire reconnaître la construction comme conforme au droit qui aurait changé dans l’intervalle. Même un constructeur qui n’est pas de bonne foi peut invoquer le principe de la proportionnalité (arrêt du Tribunal fédéral 1C_114/2011 du 8 juin 2011 consid. 4.1 et les références citées ; ATA/635/2018 du 19 juin 2018 consid. 9d).

8) En l'espèce, s'agissant de trancher la réalisation ou non des conditions de l'exigence d'une remise en état, comme le souligne à juste titre la recourante, il est nécessaire de déterminer si le remplacement des fenêtres de l'immeuble en cause était, entre 1996 et 2002, un acte soumis à autorisation.

S'il devait être retenu que l'ancien droit ne comportait aucune base légale pour exiger des propriétaires d'immeubles, méritant certes protection au sens des art. 89 ss LCI, qu'au moment du remplacement de leurs fenêtres ils doivent le faire par des éléments du matériau d'origine et correspondant aux critères esthétiques d'antan, une condition de l'ordre de remise en état querellé ferait défaut en l'espèce, à savoir que « les installations en cause ne doivent pas avoir été autorisées en vertu du droit en vigueur au moment de leur réalisation ».

Si désormais l'art. 56A RCI impose explicitement aux propriétaires immobiliers des obligations en la matière qui s’appliquent de manière autonome, indépendamment du type de procédure – ou de l’absence de procédure – conduisant au changement de fenêtres, ces obligations ne s’imposaient pas à la recourante sur cette base pour les travaux réalisés entre 1996 et 2003-2004. Certes, cette nouvelle règle répond à un intérêt public de protection du patrimoine, mais qui ne saurait être qualifié de majeur ou impératif, de sorte que son application ne souffrirait d'aucun délai, comme retenu dans la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée. Cette disposition ne produit donc pas d'effet rétroactif.

L'art. 1 al. 1 let. b LCI, déjà applicable à l'époque desdits travaux, soumet à autorisation la modification même partielle du volume, de l'architecture et de la couleur d'une construction ou d'une installation, étant relevé la teneur exemplative de son libellé consacrée par l'adjonction de l'adverbe notamment. Dans la mesure où la modification « même partielle » de la couleur d'une construction est soumise à autorisation, celle de l'ensemble des fenêtres de la façade d'un immeuble devrait également l'être, de même que la modification des volets/stores obturant, de leur couleur ou encore des balustrades de balcon. C'est d'ailleurs ce que la chambre de céans a retenu dans l'arrêt ATA/1151/2015 précité, concernant un bâtiment protégé, quand bien même la recourante doit être suivie lorsqu'elle soutient que la sanction litigieuse dans le cas en cause ne concernait pas seulement le changement de fenêtres et porte-fenêtre intervenu sans autorisation.

Ainsi, vu l'aspect visuel indéniable de l'apparence des fenêtres sur une façade, au même titre que la couleur de celle-ci, la chambre de céans retient que la délivrance d'une autorisation de construire était nécessaire sur la base de l'art. 1 al. 1 LCI, laquelle n'a en l'espèce ni été demandée ni a fortiori délivrée pour le remplacement des fenêtres litigieuses. À cet égard, la recourante ne saurait s'amender en soutenant que la précédente propriétaire avait averti le département des travaux en cause, puisqu'il ne ressort nullement des divers échanges intervenus entre avril 2002 et décembre 2003 que celle-là entendait procéder au changement des fenêtres, alors que la réfection des volets et de la façade était au contraire expressément annoncée.

Il est de plus constant que l'immeuble de la recourante mérite en soi une protection au sens de l'art. 89 ss LCI. La question de savoir si cette protection portait déjà effet avant son inscription sur la liste des ensembles protégés, respectivement l'adoption du plan de site n° 5______/221du 1er juin 2016, en particulier à l'égard de ses fenêtres, lors de leur remplacement entre 1996 et 2003-2004, doit être tranchée par l'affirmative. En effet, il n'a pu échapper à l'ancienne propriétaire de l'immeuble en question, que celui-ci faisait partie d'un ensemble, soit, selon l'art. 89 al. 2 LCI d'un groupe de plus de deux immeubles (du 75 au 85, puis le 91, rue G______) en ordre contigu, d'architecture identique ou analogue, laquelle ressort d'ailleurs fort bien des photographies produites par la recourante. Au demeurant, en l'espèce, son ancienne propriétaire a été avertie par le département le 22 décembre 2003 que l'immeuble appartenait à un ensemble, ce qui ne l'a pas plus conduite à signaler auprès du département, avant la réalisation des travaux, le remplacement des fenêtres apparemment intervenu postérieurement, selon facture du 10 décembre 2004.

Se pose donc ensuite la question de la délivrance d'une autorisation en vertu du droit en vigueur à l'époque. Entre 1996 et 2003-2004, l'art. 56A RCI n'existait pas et le département ne démontre pas qu'il aurait alors refusé de délivrer une autorisation pour des fenêtres en bois-métal telles que celles installées par l'ancienne propriétaire. La CMNS aurait dû être consultée sur cette question également et non seulement celle de la couleur de la façade et des volets (art. 93 al. 1 LCI). Rien ne dit toutefois, en tous les cas le dossier ne l'établit pas, que l'autorité intimée n'aurait pas à l'époque toléré ce type de fenêtres, répondant au demeurant à un autre impératif qu'est l'économie d'énergie thermique non renouvelable, dont le principe apparaît pour les immeubles protégés à l'art. 90 al. 2 LCI en termes de mesures de rationalisation de l'énergie, ce même en l'absence comme dans le cas présent de partition du vitrage, telle qu'apparaissant sur les photos produites.

Il n'en demeure pas moins qu'aucune autorisation n'a été délivrée à l'époque, de sorte que la seconde des cinq conditions d'un ordre de mise en conformité est réalisée.

S'agissant de la condition de l'intérêt public au rétablissement d'une situation conforme au droit qui doit l'emporter sur l'intérêt privé de l'hoirie au maintien des installations litigieuses il sera relevé ce qui suit.

Quand bien même l'autorité a été mise devant le fait accompli, dans la mesure où elle s'est vue privée de la possibilité de délivrer ou non l'autorisation nécessaire, et que la perturbatrice actuelle par situation ne devrait pas en tirer avantage, il apparaît qu'exiger le remplacement immédiat, voire à fin 2030, de fenêtres dont les propriétés permettent actuellement les économies d'énergie thermiques exigées par la législation en vigueur pourrait être disproportionné, quand bien même l'immeuble est protégé. Il n'est pas certain que l'usure des fenêtres litigieuses commande leur remplacement à fin 2030. L'autorité intimée n'a pas remis en cause le jugement du TAPI en cela qu'il a reporté à fin 2030 l'ordre de rétablissement d'une situation conforme au droit dont le délai était initialement fixé au 31 juillet 2021. Ainsi, l'intérêt public lésé en l'espèce, purement patrimonial, n’est pas de nature à justifier le dommage que la démolition causerait au maître de l’ouvrage. Une « tolérance », limitée dans le temps, est ainsi envisageable dans le cas spécifique d'espèce, dans la mesure où au prochain remplacement de fenêtres, soumis à autorisation, seuls des éléments respectant strictement les exigences de l'art. 56A RCI seront a priori autorisés. Cette « tolérance » pourrait en l'état du droit actuel trouver un fondement dans les possibilités de dérogations prévues à l'art. 56A al. 6 RCI.

À cet égard, l'attention de l'hoirie, ce qui vaut pour tout futur acquéreur de son immeuble, est expressément attirée en tant que de besoin sur le fait que le remplacement futur des fenêtres de son immeuble est soumis à autorisation et devra être opéré conformément à la LCI et à l'art. 56A RCI ou toute nouvelle règlementation applicable à ce moment-là. Le propriétaire de l’immeuble, quel qu’il soit, ne pourra d’aucune manière se prévaloir d'une situation acquise.

Ainsi le recours sera admis et la décision querellée annulée.

9) Vu son issue, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 2'000.- sera allouée à la recourante, qui y a conclu, à la charge de l'État (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er février 2022 par l' hoirie de Madame A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 décembre 2021 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 décembre 2021 ;

annule la décision du département du territoire du 15 janvier 2021 ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 2'000.- à l'hoirie de Madame A______, à la charge de l'État ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me François Bellanger, avocat de la recourante, au département du territoire-OAC, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Lauber, M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Poinsot

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :