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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1171/2022

ATA/531/2022 du 19.05.2022 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1171/2022-FPUBL ATA/531/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 19 mai 2022

sur effet suspensif et mesures provisionnelles

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Romain Jordan, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE LA POPULATION ET DE LA SANTÉ

 



Attendu, en fait, que :

1) Madame A______, née le ______ 1993, a effectué l'école de police du 1er avril 2018 au 31 mars 2019. Elle a été engagée au sein de la police genevoise à titre d'épreuve le 1er avril 2019, dans la fonction de policière 1.

La décision d'engagement, du 20 mars 2019, indiquait qu'elle était engagée pour deux ans à titre d'épreuve. Elle serait soumise à des évaluations durant cette période. Au terme de cette période probatoire de deux ans, celle-ci pouvait être prolongée d'au maximum un an.

2) Mme A______ a effectué un premier stage au sein de la police de proximité, au poste de B______, du 28 avril 2019 au 30 septembre 2019, puis un deuxième au sein de « C______ » (sic), à la section D______, à partir du 23 mars 2020.

Lors d'un entretien s'étant tenu le 3 mars 2021, Mme A______ a été informée par sa hiérarchie de ce que sa période probatoire était prolongée d'une année, soit jusqu'au 31 mars 2022.

À partir du 21 avril 2021, au vu de la baisse des activités dans le domaine D______, Mme A______ a été à nouveau affectée au poste de B______. Toutefois, à partir du 4 mars 2021 elle a été en arrêt de travail, d'abord pour cause de maladie, puis de maternité.

Mme A______ a été en arrêt de travail, certificats médicaux à l'appui : du 16 octobre au 10 novembre 2019 ; du 24 janvier au 4 février 2020 ; du 18 février au 29 mars 2020 (à 50 % du 9 au 29 mars 2020) ; du 2 au 5 juillet 2020 ; du 30 septembre au 4 octobre 2020 ; du 25 au 28 janvier 2021. Elle a été absente pour cause de maladie, vacances et maternité du 4 mars 2021 au 31 mars 2022 au plus tôt.

3) Par courrier du 8 mars 2022, la direction des ressources humaines (ci-après : RH) de la police a communiqué à Mme A______ que ses rapports de service prendraient fin le 31 mars 2022.

Au vu de ses absences pour raisons médicales, puis de son congé maternité, il n'avait pas été possible à sa hiérarchie de l'évaluer sur une période suffisante, notamment sur les différents points à améliorer.

La période probatoire ne pouvant être prolongée qu'une seule fois, et sur décision de sa hiérarchie, il lui était communiqué que les termes de son contrat s'appliquaient et qu'en conséquence, conformément à l'art. 24 al. 2 du règlement général sur le personnel de la police du 16 mars 2016 (RGPPol - F 1 05.07), les rapports de service prendraient fin le 31 mars 2022.

4) Par acte posté le 8 avril 2022, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le courrier précité, concluant préalablement à ce que l'effet suspensif soit « notifié », et préalablement à l'annulation de la « décision » querellée, à ce que soient ordonnées la prolongation de sa période probatoire ainsi que sa réintégration, et à ce que soit constatée une discrimination au sens de l'art. 3 de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes du 24 mars 1995 (loi sur l’égalité, LEg - RS 151.1) à son encontre.

L'acte attaqué était une mesure individuelle et concrète qui la touchait directement et portait atteinte à ses droits et obligations. Cette décision n'avait pas été déclarée exécutoire nonobstant recours, si bien que le recours déployait effet suspensif de plein droit. Elle lui portait un grave préjudice en termes financiers et de santé, cette dernière s'étant détériorée en raison de la fin abrupte qui avait été donnée à sa formation pour des raisons indépendantes de sa volonté, étant rappelé qu'elle se trouvait toujours en congé maternité. Ce préjudice était irréparable, en ce qu'aucune décision finale ne permettrait de réparer le préjudice subi dans l'intervalle.

À l'inverse, il n'existait aucun intérêt public prépondérant à l'exécution immédiate de la décision. Par ailleurs, le recours présentait des chances manifestes de succès sur le fond, si bien que l'effet suspensif devait être restitué.

5) Le 27 avril 2022, la direction des RH de la police, pour le département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : le département) a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif.

Le recours devait être déclaré irrecevable, l'acte attaqué n'étant pas une décision mais un simple rappel des termes du contrat d'engagement du 20 mars 2019, qui portait de surcroît sur la création initiale des rapports de service.

Si par impossible l'acte attaqué devait être qualifié de décision susceptible de recours, il s'agirait d'une décision négative ne pouvant emporter effet suspensif. Accorder à Mme A______ par voie de mesures provisionnelles la poursuite des rapports de service reviendrait à lui accorder ce qu'elle réclamait au fond, ce qui était prohibé.

Considérant, en droit, que :

1) Selon l'art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative de la Cour de justice du 26 mai 2020, les décisions sur effet suspensif sont prises par la présidente de ladite chambre ou par le vice-président, ou en cas d'empêchement de ceux-ci, par un juge.

2) a. Aux termes de l'art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsqu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3).

b. L’autorité peut d’office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (art. 21 al. 1 LPA).

c. Selon la jurisprudence, un effet suspensif ne peut être restitué lorsque le recours est dirigé contre une décision à contenu négatif, soit contre une décision qui porte refus d'une prestation. La fonction de l'effet suspensif est de maintenir un régime juridique prévalant avant la décision contestée. Si, sous le régime antérieur, le droit ou le statut dont la reconnaissance fait l'objet du contentieux judiciaire n'existait pas, l'effet suspensif ne peut être restitué car cela reviendrait à accorder au recourant d'être mis au bénéfice d'un régime juridique dont il n'a jamais bénéficié (ATF 127 II 132 ; 126 V 407 ; 116 Ib 344).

Lorsqu'une décision à contenu négatif est portée devant la chambre administrative et que le destinataire de la décision sollicite la restitution de l'effet suspensif, il y a lieu de distinguer entre la situation de celui qui, lorsque la décision intervient, disposait d'un statut légal qui lui était retiré de celui qui ne disposait d'aucun droit. Dans le premier cas, il peut être entré en matière sur une requête en restitution de l'effet suspensif, aux conditions de l'art. 66 al. 2 LPA, l'acceptation de celle-ci induisant, jusqu'à droit jugé, le maintien des conditions antérieures. En revanche, il ne peut être entré en matière dans le deuxième cas, vu le caractère à contenu négatif de la décision administrative contestée. Dans cette dernière hypothèse, seul l'octroi de mesures provisionnelles, aux conditions cependant restrictives de l'art. 21 LPA, est envisageable (ATA/70/2014 du 5 février 2014 consid. 4b ; ATA/603/2011 du 23 septembre 2011 consid. 2 ; ATA/280/2009 du 11 juin 2009 ; ATA/278/2009 du 4 juin 2009).

d. Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1112/2020 du 10 novembre 2020 consid. 5 ; ATA/1107/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265).

e. L'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405).

3) Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

4) Pour effectuer la pesée des intérêts en présence qu’un tel examen implique, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

5) Aux termes de l'art. 30 de la loi sur la police du 9 septembre 2014 (LPol - F 1 05), intitulé « conditions d'admission », le département fixe les conditions d’entrée dans la police.

À l’issue de l’école de police, les policiers sont engagés par le Conseil d’État pour deux ans à titre d’épreuve ; durant cette période, ils sont soumis à des évaluations (art. 24 al. 1 RGPPol). Au terme de la période probatoire de deux ans, celle-ci peut être prolongée d’au maximum un an (art. 24 al. 2 RGPPol). Si la nomination n’est pas demandée au terme de la période probatoire, l’engagement prend fin d’office (art. 24 al. 3 RGPPol).

6) En l'espèce, la recevabilité du recours sera examinée dans l'arrêt à venir de la chambre de céans, mais est d'ores et déjà contestée par l'intimé. Quoi qu'il en soit, on ne peut pas d'ores et déjà retenir, comme le souhaiterait la recourante, que l'acte attaqué est bien une décision, et donc que le recours déploierait ex lege un effet suspensif en l'absence de mention du caractère exécutoire de l'acte. De plus, quand bien même il s'agirait d'une décision, cette dernière serait négative puisqu'elle refuserait à la recourante à la fois la prolongation de sa période probatoire et un engagement de durée indéterminée au sein de la police genevoise. Seules des mesures provisionnelles sont dès lors envisageables ; la recourante n'y conclut toutefois pas, demandant uniquement la constatation de l'effet suspensif que déploierait son recours (« notifier l'effet suspensif du présent recours à l'autorité intimée »).

De plus, ordonner la prolongation de la période probatoire ou la réintégration de la recourante à titre provisoire reviendrait à lui accorder pendant une certaine période ses conclusions au fond, ce que la jurisprudence prohibe, étant précisé que les chances de succès du recours – abstraction faite de la question de sa recevabilité – n'apparaissent prima facie pas si importantes qu'elles justifieraient de telles mesures.

La demande de « notification » de l'effet suspensif, même considérée comme une demande de restitution de ce dernier ou de mesures provisionnelles, doit donc être rejetée.

7) Le sort des frais sera réservé jusqu'au prononcé de l'arrêt final de la chambre de céans.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse de constater ou de restituer l’effet suspensif au recours et d'octroyer des mesures provisionnelles ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Romain Jordan, avocat de la recourante ainsi qu'au département de la sécurité, de la population et de la santé.

 

 

Le vice-président :

 

 

 

C. Mascotto

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

 

Genève, le 

 

 

la greffière :