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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1153/2022

ATA/502/2022 du 13.05.2022 sur JTAPI/386/2022 ( MC ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1153/2022-MC ATA/502/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 mai 2022

en section

 

dans la cause

 

COMMISSAIRE DE POLICE

contre

Monsieur A______
représenté par Me Arnaud Moutinot, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 avril 2022 (JTAPI/386/2022)


EN FAIT

1) Le 6 décembre 2015, une personne déclarant se nommer A______, né le ______ 1996 et originaire de Côte d'Ivoire, mais dépourvu de tout document d'identité, a déposé en Suisse une demande d'asile, laquelle a fait l'objet d'une décision de non-entrée en matière et de renvoi. La prise en charge et l'exécution du renvoi de l'intéressé ont été confiées au canton de Genève. M. A______ a été renvoyé deux fois en Italie en tant qu'État Dublin responsable (M. A______ y ayant déposé une demande d'asile le 9 mars 2015), à savoir les 11 juillet 2016 et 13 mai 2021. Il s'est par ailleurs vu notifier deux interdictions d'entrée en Suisse, dont la dernière, notifiée le 14 mars 2020, est valable jusqu'au 31 octobre 2022.

2) Entre le 28 juin 2016 et le 27 février 2021, M. A______ a été condamné à six reprises pour entrée illégale, séjour illégal, contravention et délit contre la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) (notamment pour trafic de cocaïne) et non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (en raison de la violation de l'interdiction de pénétrer au centre-ville de Genève prononcée par le commissaire de police le 5 janvier 2018 pour une durée de douze mois).

3) Le 6 avril 2022, M. A______ – en possession d'un titre de séjour de type « protezione speciale » délivré par les autorités italiennes – a été interpellé par la police genevoise. Entendu par les enquêteurs, il a prétendu vivre à Genève avec une femme avec laquelle il aurait eu un enfant, refusant toutefois de donner une quelconque précision à cet égard. Il a par ailleurs indiqué n'avoir aucun lieu de résidence fixe en Suisse, ni aucune source légale de revenu. Il a été prévenu d'infractions à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

4) Le 7 avril 2022, M. A______ a été condamné par ordonnance pénale du Ministère public pour les faits ayant donné lieu à son arrestation de la veille.

5) Le 7 avril 2022 à 15h10, le commissaire de police a ordonné la mise en détention administrative de M. A______ pour une durée de sept semaines, sur la base de l'art. 76a al. 1 let. a LEI.

6) Les démarches visant à informer le Secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) de la situation de l'intéressé en Suisse et à charger ladite autorité fédérale d'examiner la possibilité d'engager une procédure Dublin sont en cours d'organisation.

7) Par requête du 12 avril 2022, M. A______, a déposé par-devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) une demande d'examen de la légalité et de l'adéquation de la détention administrative en vue de renvoi « Dublin ». Il ne reconnaissait pas les faits qui lui avaient été reprochés.

8) À réception de ladite demande d'examen, le TAPI a invité le conseil de M. A______ à lui communiquer ses éventuelles observations écrites d’ici au 13 avril 2022 à 18h00.

9) Par courriel adressé dans le délai imparti, le conseil de l'intéressé a conclu en son nom à sa libération immédiate. Il était au bénéfice d'un titre de séjour italien de type « protezione speciale » valable du 2 novembre 2017 au 2 novembre 2022. Par conséquent, il ne relevait d'aucune procédure en vue de l'obtention d'une éventuelle protection internationale, puisqu'il était précisément déjà au bénéfice d'une telle protection. Les conditions légales d'une détention en vue de son renvoi dans l'État Dublin responsable n'étaient ainsi pas réalisées. Par ailleurs, il avait une compagne, Madame B______, mère de leur enfant commun, C______, résidant légalement tous deux au ______, 1212 Grand-Lancy.

10) Par courriel du 14 avril 2022, le TAPI a imparti au commissaire de police un délai au jour même à 11h30 pour répondre aux observations de M. A______ et pour se déterminer sur la question de savoir si le champ d'application du règlement (UE) 604/2013 s'étendait aux personnes bénéficiant d'un titre tel que la « protezione speciale » octroyée à M. A______ par l'Italie, en particulier sous l'angle de l'art. 18 ch. 1 let. a à d de ce règlement.

11) Par réponse transmise au TAPI par courriel à 11h22, le commissaire de police, joignant un courriel reçu du SEM à 11h12, a indiqué que le permis de séjour « protection spéciale » de M. A______ était remis dans certains cas, lorsque la demande d'asile était rejetée, mais que le renvoi ne pouvait pas être exécuté, par exemple si la personne présentait des problèmes de santé ou en raison de la situation dans le pays d'origine. Il ne s'agissait pas d'une protection internationale, au contraire d'un permis présentant la mention « protection subsidiaire » ou « asile ». Dès lors, la personne en question n'ayant pas reçu de protection internationale, le Règlement Dublin restait applicable, sous l'angle de son art. 18 ch. 1 let. d.

12) Invité à répliquer, le conseil de M. A______, par courriel transmis le 14 avril 2022 à 15h10, a relevé que le courriel du SEM avait été signé par un « stagiaire académique », ce qui, selon le site de l'administration fédérale, correspondait à un poste destiné aux étudiants et aux personnes titulaires d'un diplôme de degré tertiaire souhaitant acquérir une première expérience professionnelle dans leur domaine de spécialité. Par conséquent, un avis juridique émanant d'un stagiaire académique ne pouvait aller à l'encontre de la doctrine spécialisée, qui soutenait que la détention Dublin n'était pas applicable si l'étranger n'entendait pas requérir de protection internationale dans un État du système. S'agissant de la définition de la protection internationale, la même doctrine indiquait qu'en bénéficiaient notamment « les personnes qui peuvent bénéficier de la protection subsidiaire, celles qui ne peuvent être considérées comme réfugiés, mais pour lesquelles il y a des motifs sérieux et avérés de croire que si elles étaient renvoyées dans leur pays d'origine, elles couraient un risque réel de subir des atteintes graves ». Or dans son courriel du 14 avril 2022, le SEM indiquait que le permis de protection spéciale dont bénéficiait M. A______ était obtenu lorsque le renvoi n'était pas exécutable, notamment pour des raisons de santé ou en raison de la situation du pays d'origine. Par conséquent, dans la mesure où il n'entendait pas requérir de protection internationale puisqu'il en était d'ores et déjà bénéficiaire, M. A______ ne pouvait faire l'objet d'une détention Dublin.

13) Par jugement du 14 avril 2022, le TAPI a annulé l'ordre de mise en détention administrative et ordonné la libération immédiate de M. A______.

Il convenait de distinguer clairement, d'une part, les personnes pour lesquelles une procédure de protection internationale était en cours, c'est-à-dire au sujet desquelles l'État responsable n'avait pas encore statué, celles qui avaient retiré leur demande et celles dont la demande avait été refusée et, d'autre part, les personnes auxquelles la protection internationale avait été accordée, que ce soit sous la forme du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire.

Quant à la « protezione speciale » accordée par l'Italie, il s'agissait d'un permis de séjour accordé aux requérants d'asile qui ne pouvaient pas obtenir la protection internationale mais pour lesquels l'autorité compétente avait retenu un risque de persécution ou de torture dans le cas où ils rentreraient dans leur pays d'origine ; un site Internet (www.piemonteimmigrazione.it) était cité comme unique référence.

En l'espèce, M. A______ disposait d'un permis de séjour accordé par l'Italie au motif de la « protezione speciale ». Aucun élément au dossier n'indiquait que ce statut lui aurait été accordé pour d'autres raisons que celles de la protection subsidiaire prévue par l'art. 2 points a) et f) du Règlement (recte : de la directive) 2011/95/UE. Par conséquent, M. A______ devait donc être considéré comme une personne au bénéfice de la protection internationale, selon la définition qu'en donnait l'art. 2 point f) du Règlement (UE) n° 604/2013. Il échappait ainsi aux catégories de personnes pour lesquelles existait une obligation de prise ou de reprise en charge prévue par l'art. 18 du Règlement et, par conséquent, contre lesquelles pouvait être prononcée une rétention au sens de l'art. 28 du Règlement. L'argumentation extrêmement succincte développée par le SEM dans son courriel du 14 avril 2022, qui ne citait aucune disposition légale et ne procédait à aucune analyse des règlements européens susmentionnés, ne permettait pas de retenir une autre conclusion.

14) M. A______ a été remis en liberté.

15) Par acte posté le 2 mai 2022, le commissaire de police a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement du TAPI précité, concluant à son annulation et à ce qu'il soit dit que l'ordre de mise en détention était conforme au droit.

Le titre de séjour de M. A______ était le même depuis 2017, et les autorités italiennes ne l'auraient pas réadmis en 2021 si les conditions d'une telle réadmission n'étaient pas données.

Aucun enfant du nom de C______ n'était enregistré dans la base de données de l'OCPM.

Bien que l'intéressé eût été libéré, il convenait d'entrer en matière sur le recours dès lors que la contestation en lien avec le jugement attaqué était susceptible de se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques, et vu ce précédent ainsi que sa pratique en matière de libération immédiate des détenus administratifs, le TAPI ordonnerait systématiquement la libération de personnes en possession d'un titre de séjour de ce type. La contestation soumise à la chambre administrative ne pourrait ainsi jamais être tranchée.

M. A______, qui avait bien déposé une demande d'asile en Italie en mars 2015, n'était précisément pas au bénéfice d'une protection subsidiaire, le titre de séjour italien dont il bénéficiait n'étant pas délivré à ce titre.

En outre, il appartenait au TAPI, au besoin et en vertu de la maxime d'office (recte : de l'application d'office du droit) de substituer les bases légales applicables à celles par hypothèse faussement invoquées. En l'espèce, la détention de M. A______ aurait de toute façon dû être confirmée sur la base de l'art. 75 al. 1 let. b, c et g LEI.

16) Le 9 mai 2022, M. A______ a conclu à l'irrecevabilité du recours et subsidiairement à son rejet.

Le recourant n'avait plus d'intérêt actuel. Il n'existait pas de question juridique de principe en l'espèce. De plus, il était possible que le TAPI, dans une affaire future, maintienne un détenu administratif porteur du titre de séjour en question en détention, et que la question puisse être valablement soumise à la chambre administrative.

Le statut de « protezione speciale » italien était le même que celui de la protection subsidiaire en droit européen. Le fait que le droit national italien appelle ce permis protection spéciale plutôt que protection subsidiaire n'y changeait rien. Il s'agissait d'un permis accordé aux requérants d'asile ne pouvant obtenir la protection internationale, mais pour lesquels l'autorité compétente avait retenu un risque de persécution ou de torture en cas de retour dans leur pays d'origine. Cette figure juridique semblait comparable à celle de l'admission provisoire en droit suisse. L'on ne pouvait enfin rien tirer de ce que les autorités italiennes avaient accepté une réadmission en 2021.

À teneur des informations en possession du conseil de M. A______, ce dernier avait regagné l'Italie à la suite de sa libération.

17) Le 10 mai 2022, le commissaire de police a persisté dans ses conclusions.

Son argumentation ne consistait pas à dire que protection spéciale et subsidiaire s'excluaient l'une l'autre du seul fait qu'elles portaient un nom différent, mais que les titres de séjour italiens délivrés au titre de la protection subsidiaire étaient – précisément en application du droit européen – distincts de ceux octroyés du chef de la « protezione speciale ».

18) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2 ; ATA/1272/2017 du 12 septembre 2017 consid. 2b). Un intérêt purement théorique à la solution d'un problème est de même insuffisant (ATF 144 I 43 consid. 2.1). Le juge est appelé à trancher des cas concrets, et son rôle n’est pas de faire de la doctrine ou de trancher des questions de principe (ATA/293/2016 du 5 avril 2016 consid. 5 ; ATA/1259/2015 du 24 novembre 2015 consid. 2d).

b. Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation ou la modification de la décision attaquée (ATF 145 I 227 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_865/2019 du 14 avril 2020 consid. 3.2 ; ATA/706/2021 du 6 juillet 2021 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, p. 459 n. 1367 ; Jacques DUBEY/ Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, p. 734 n. 2084 ; Pierre MOOR/ Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 748 n. 5.7.2.3).

L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 145 I 227 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_9/2014 du 9 janvier 2014 consid. 4). Lorsqu'une demande en justice ne répond pas à un intérêt digne de protection de son auteur, elle est irrecevable (arrêt du Tribunal fédéral 4A_226/2016 du 20 octobre 2016 consid. 5). Si l’intérêt s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 ; ATA/610/2021 du 8 juin 2021) ou déclaré irrecevable si l’intérêt actuel faisait déjà défaut au moment du dépôt du recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/791/2021 du 28 juillet 2021).

Il est toutefois exceptionnellement renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_47/2021 du 21 juillet 2021 consid. 3.2 ; ATA/817/2021 du 10 août 2021 consid. 1 ; Jacques DUBEY/ Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, p. 734 n. 2086 ; François BELLANGER, La qualité pour recourir, in François BELLANGER/Thierry TANQUEREL, Le contentieux administratif, 2013, p. 121) ou lorsqu’une décision n’est pas susceptible de se renouveler mais que les intérêts des recourants sont particulièrement touchés avec des effets qui vont perdurer (ATF 136 II 101). Cela étant, l’obligation d’entrer en matière sur un recours, dans certaines circonstances, nonobstant l’absence d’un intérêt actuel, ne saurait avoir pour effet de créer une voie de recours non prévue par le droit cantonal (ATF 135 I 79 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_133/2009 du 4 juin 2009 consid. 3).

3) En l'espèce, l'intimé a été libéré, si bien que l'intérêt actuel au recours fait en principe défaut. Cela étant, la même question est susceptible de se reposer en tout temps, que ce soit à propos de l'intimé ou d'une autre personne au bénéfice du même titre de séjour italien. De plus, le TAPI ayant pour pratique de prononcer la libération immédiate des détenus administratifs dont il juge la détention non conforme au droit, et vu l'existence du précédent que constituerait le jugement présentement attaqué, on peut considérer que la chambre de céans ne pourrait jamais trancher la question ici litigieuse.

Il convient dès lors d'entrer en matière sur le recours.

4) La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 par. 1 let. f de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et de l'art. 31 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale. Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne soit prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (ATF 140 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_105/2016 du 8 mars 2016 consid. 5.1 ; 2C_951/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2.1).

5) Selon l'art. 28 par. 2 du Règlement (UE) n° 604/2013 (ou Règlement Dublin III du 26 juin 2013 ; ci-après : le Règlement), les États membres peuvent placer les personnes concernées en rétention en vue de garantir les procédures de transfert conformément audit règlement lorsqu'il existe un risque non négligeable de fuite de ces personnes, sur la base d'une évaluation individuelle et uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionnel et si d'autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées. À teneur du par. 3 du même article, le placement en rétention est d'une durée aussi brève que possible et ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnablement nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises avec toute la diligence voulue jusqu'à l'exécution du transfert au titre du Règlement.

6) a. À teneur de l'art. 76a al. 1 LEI, afin d'assurer son renvoi dans l'État Dublin responsable, l'autorité compétente peut mettre l'étranger en détention sur la base d'une évaluation individuelle lorsque les conditions suivantes sont remplies : a) des éléments concrets font craindre que l'étranger concerné n'entende se soustraire au renvoi ; b) la détention est proportionnée ; et c) d'autres mesures moins coercitives ne peuvent être appliquées de manière efficace (art. 28 par. 2 du Règlement).

b. À compter du moment où la détention a été ordonnée, l’étranger peut être placé ou maintenu en détention pour une durée maximale de sept semaines pendant la préparation de la décision relative à la responsabilité du traitement de la demande d’asile, les démarches y afférentes comprenant l’établissement de la demande de reprise en charge adressée à un autre État Dublin, le délai d’attente de la réponse à la demande ou de son acceptation tacite, la rédaction de la décision et sa notification (art. 76a al. 3 let. a LEI).

c. Un comportement en Suisse ou à l'étranger adopté par l'intéressé permettant « de conclure qu'il refuse d'obtempérer aux instructions des autorités » constitue un élément concret faisant craindre qu'il entende se soustraire à l'exécution du renvoi (art. 76a al. 2 let. b LEI). Il ressort du Message relatif à l'approbation et à la mise en œuvre des échanges de notes entre la Suisse et l'Union européenne concernant la reprise des règlements (UE) nos 603/2013 et 604/2013 (développements de l'acquis de Dublin/Eurodac) du 7 mars 2014 (FF 2014 2587, 2614) que l'art. 76a al. 2 LEI définit les critères relatifs au risque de passage à la clandestinité (cf. let. a à i). Il s'agit là d'indices concrets relevés au cas par cas justifiant de craindre que la personne concernée n'entende se soustraire à l'exécution du renvoi (non-observation des prescriptions des autorités, p. ex. violation de l'obligation de collaborer, dépôt de plusieurs demandes d'asile sous des identités différentes, etc.). Ces critères s'apparentent aux motifs déjà existants de détention en phase préparatoire ou de détention en vue du renvoi définis aux art. 75 et 76 LEI (Gregor CHATTON/Laurent MERZ, Code annoté de droit des migrations, vol. II – LEtr, 2017, n. 17 ad art. 76a p. 808).

7) a. Selon les définitions données par l'art. 2 du Règlement, par « demande de protection internationale », il faut entendre une demande de protection internationale au sens de l'art. 2 let. h) de la directive 2011/95/UE (art. 2 let. b) du Règlement). Par « demandeur » il faut entendre le ressortissant de pays tiers ou l'apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle il n'a pas encore été statué définitivement (art. 2 point c) du Règlement). Par « bénéficiaire d'une protection internationale », il faut entendre un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a obtenu la protection internationale au sens de l'art. 2 point a) de la directive 2011/95/UE (art. 2 point f) du Règlement). Par « titre de séjour », il faut entendre toute autorisation délivrée par les autorités d'un État membre autorisant le séjour d'un ressortissant de pays tiers ou d'un apatride sur son territoire, y compris les documents matérialisant l'autorisation de se maintenir sur le territoire dans le cadre d'un régime de protection temporaire ou en attendant que prennent fin les circonstances qui font obstacle à l'exécution de mesures d'éloignement, à l'exception des visas et des autorisations de séjour délivrés pendant la période nécessaire pour déterminer l'État membre responsable en vertu du présent règlement ou pendant l'examen d'une demande de protection internationale ou d'une demande d'autorisation de séjour (art. 2 point l) du Règlement).

b. Selon l'art. 18 ch. 1 du Règlement, l'État membre responsable envers du présent Règlement est tenu de : a) prendre en charge, dans les conditions prévues aux art. 21, 22 et 29, le demandeur qui a introduit une demande dans un autre État membre ; b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ; c) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 le ressortissant de pays tiers ou l’apatride qui a retiré sa demande en cours d’examen et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ; d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre.

c. Selon l'art. 2 point h) de la directive 2011/95/UE, par « demande de protection internationale », il faut entendre la demande de protection présentée à un État membre par ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, qui peut être comprise comme visant à obtenir le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur ne sollicitant pas explicitement un autre type de protection hors du champ d'application de la présente directive et pouvant faire l'objet d'une demande séparée. Par « protection internationale », il faut entendre le statut de réfugié le statut conféré par la protection subsidiaire définie aux points e) et f) (art. 2 let. a). Le « statut de réfugié » correspond à la reconnaissance, par un État membre, de la qualité de réfugié pour tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride (art. 2 point e).

Par « personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », il fallait entendre tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cadre d'un apatride, dans le pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'art. 15, l'art. 17 paragr. 1 et 2 n'étant pas applicables à cette personne, et cette personne ne pouvant pas, ou compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays (art. 2 point f).

d. Selon l'art. 15 de la directive 2011/95/UE, les atteintes graves sont : a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

e. Il ressort de ces différentes dispositions que la prise en charge ou la reprise en charge par l'État membre responsable selon le Règlement ne peut concerner que les personnes qui ont introduit une demande de protection internationale (art. 18 ch. 1 point a) du Règlement), celles dont la demande est en cours d'examen (art. 18 ch. 1 point b) du Règlement), celle qui a retiré sa demande en cours d'examen (art. 18 ch. 1 point c) du Règlement) et enfin celle dont la demande a été rejetée (art. 18 ch. 1 point d) du Règlement).

f. Quant à la rétention au sens de l'art. 28 du Règlement, elle ne peut être prononcée qu'en vue de garantir les procédures de transfert au sens de ce Règlement (art. 28 ch. 2 du Règlement). Par conséquent, si l'État sur le territoire duquel se trouve la personne concernée ne peut requérir d'un autre État membre la prise en charge ou la reprise en charge de cette personne, il n'est pas possible de prononcer la rétention de cette dernière.

g. Il ressort également de ces dispositions que le bénéficiaire de la protection internationale est non seulement la personne qui obtient le statut de réfugié (art. 2 points a) et e) du Règlement 2011/95/UE, mais aussi celle qui obtient une protection subsidiaire, c'est-à-dire pour laquelle il y a des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de renvoi dans son pays d'origine, elle courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'art. 15 de ce Règlement (art. 2 points a) et f) du Règlement 2011/95/UE).

8) Le litige porte en définitive sur la question de savoir si le titre de séjour de l'intimé, délivré au titre de la « protezione speciale », correspond à une mise au bénéfice de la protection internationale subsidiaire au sens du droit européen précité. Le TAPI cite à cet égard une unique source, au demeurant indirecte.

a. Le statut italien de « protezione speciale » est prévu par le Testo unico sull'immigrazione (ci-après : T.U.I), institué par le décret législatif n° 286/1998 du 25 juillet 1998. Ce texte prévoyait, avant 2018, en sus des statuts conférés par la protection internationale, à savoir l'asile et la protection subsidiaire, une protection dite humanitaire. Comme l'a rappelé en 2021 la Cour de cassation italienne dans un arrêt de principe, les dispositions en cause attribuaient à la protection humanitaire une configuration distincte et autonome par rapport aux deux formes de protection « majeure » qu'étaient l'asile et la protection subsidiaire ; il s'agit par ailleurs d'une protection nationale (arrêt Cass. SU n. 24413/2021 du 25 mai 2021 consid. 15).

b. Le décret-loi 113/18 du 4 octobre 2018, dit « décret Salvini », a amendé l'art. 19 T.U.I. en remplaçant le permis humanitaire par un permis de « protezione speciale ». Cette nouvelle disposition a fait l'objet d'un nouvel amendement lors de l'adoption du décret-loi n. 130/20 du 21 octobre 2020, dit « décret Conte II ». La version actuelle consolidée de l'art. 19 T.U.I., qui fait partie de la section consacrée aux dispositions à caractère humanitaire, prévoit en son ch. 1 que sont interdits l'expulsion ou le refoulement vers un État où l'étranger peut être persécuté en raison de sa race, de son sexe, de sa langue, de sa nationalité, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa situation personnelle ou sociale, ou risque d'être renvoyé dans un autre État où il n'est pas protégé contre les persécutions.

Le ch. 1.1 prévoit qu'il n'y a pas de refoulement, d'expulsion ou d'extradition d'une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants ; dans l'évaluation de ces motifs, l'existence de violations systématiques et flagrantes des droits de l'homme dans cet État est également prise en compte ; le refoulement ou l'expulsion d'une personne vers un État où il y a des motifs raisonnables de croire que son éloignement du territoire national entraînerait une violation de son droit au respect de la vie privée et familiale n'est pas non plus autorisé, à moins que cela ne soit nécessaire pour des raisons de sécurité nationale ou d'ordre et de sécurité publics. Aux fins de l'évaluation du risque de violation visé à la phrase précédente, il est tenu compte de la nature et de l'effectivité des liens familiaux de l'intéressé, de son intégration sociale en Italie, de la durée de son séjour sur le territoire national et de l'existence de liens familiaux, culturels ou sociaux avec son pays d'origine.

Enfin, selon le ch. 1.2, en cas de rejet d'une demande de protection internationale, lorsque les conditions prévues aux ch. 1 et 1.1 sont remplies, la Commission territoriale transmet les documents au Questore pour la délivrance d'un permis de séjour pour protection spéciale.

c. La procédure relative à la protection internationale est quant à elle prévue dans le décret législatif n° 25/2008 du 28 janvier 2008, dit de mise en œuvre de la directive 2005/85/CE relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres. La protection subsidiaire y est prévue dans les mêmes termes que dans la directive européenne.

9) Il résulte de ce qui précède que la « protezione speciale » est une protection nationale qui ne peut être accordée qu'en cas de rejet d'une demande de protection internationale. Quand bien même elle peut être accordée pour des motifs similaires à ceux permettant d'accorder la protection internationale subsidiaire, elle peut l'être également pour des motifs plus larges, et s'apparente ainsi davantage au permis parfois dit « humanitaire » pour cas d'extrême gravité qu'à l'institution de l'admission provisoire, étant rappelé qu'en l'espèce on ignore les motifs qui ont conduit à la reconnaissance d'une telle protection en faveur de l'intimé, mais que la demande de protection internationale déposée en Italie (demande d'asile du 9 mars 2015) a nécessairement été rejetée.

La « protezione speciale » ne saurait ainsi être assimilée, comme l'a fait le TAPI, à la protection subsidiaire du droit international, étant un permis de type humanitaire garantissant une protection nationale autonome. Dès lors, contrairement à ce qu'a retenu le TAPI, une procédure Dublin était possible afin de renvoyer l'intimé en Italie, étant rappelé par ailleurs – sans que cet élément soit en soi décisif – qu'un tel renvoi avait déjà eu lieu en 2021, sans être mis en cause par les autorités italiennes.

Le recours sera dès lors admis, le jugement attaqué annulé et l'ordre de mise en détention initial reconnu conforme au droit.

10) La procédure étant gratuite (art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03), aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 mai 2022 par le commissaire de police contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 avril 2022 ;

 

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 avril 2022 ;

dit que l'ordre de mise en détention du 7 avril 2022 était conforme au droit ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au commissaire de police, à Me Arnaud Moutinot, avocat de Monsieur A______, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Verniory et Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Marinheiro

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :