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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/103/2022

ATA/460/2022 du 03.05.2022 ( FORMA ) , ADMIS

Descripteurs : JONCTION DE CAUSES;FORMATION(EN GÉNÉRAL);INSTRUCTION(ENSEIGNEMENT);ÉCOLE OBLIGATOIRE;ÉCOLE SECONDAIRE DU DEGRÉ SUPÉRIEUR;COPIE;ÉMOLUMENT;CARACTÈRE ONÉREUX;LÉGALITÉ;RÉGIME DES CONTRIBUTIONS CAUSALES;PRINCIPE DE L'ÉQUIVALENCE(CONTRIBUTION CAUSALE);PRINCIPE DE LA COUVERTURE DES FRAIS
Normes : LPA.70.al1; Cst.5.al1; Cst.19; Cst.62; HarmoS.5.al1; HarmoS.6; Cst-GE.24; Cst-GE.194; LIP.1; LIP.4.al1; LIP.37; LIP.55.al1; LIP.56; LIP.60; LIP.67; LIP.84.al1.leta; LIP.87; LIP.53; LIP.54; LBPE.11.al1.letb.ch1; LIP.54
Résumé : Recourantes au collège qui contestent l'émolument forfaitaire de CHF 60.- demandé par leur établissement pour les frais de photocopies. La gratuité de la formation dispensée n'a pas un caractère absolu, de sorte que le canton de Genève est en droit de prévoir dans sa légalisation et dans sa réglementation un émolument au titre de frais de photocopies. Le montant demandé aux recourantes repose sur une base légale et est conforme à la Cst. et à la Cst-GE. Dans la mesure où l'établissement scolaire destine en réalité 70 % de ces émoluments à des fonds scolaires et non pas à des photocopies les principes de la couverture des frais et d'équivalence ne sont pas respectés. Recours admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/103/2022-FORMA ATA/460/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 mai 2022

 

dans la cause

 

Mesdames A______ et
B______,
enfant mineure, agissant par son père, Monsieur C______
représentées par Me Eric Beaumont, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE



EN FAIT

1) En août 2021, Mesdames A______, née le ______2003, et B______ (ci-après : les soeurs AB______ ou les étudiantes), née le ______2006, ont entamé respectivement leur troisième et première année gymnasiale au sein du collège D______(ci-après : le collège).

2) Le 20 octobre 2021, le collège a émis une facture de CHF 60.- au titre d'« émolument pour forfait photocopies, année scolaire 2021/2022 » pour chacune des soeurs AB______ (factures n°s 1______ et 2______).

3) Le 26 octobre 2021, les soeurs AB______, agissant par Monsieur C______, leur père, ont formé un recours hiérarchique auprès de la direction générale de l'enseignement secondaire II (ci-après : DGES II), concluant à l'annulation des émoluments pour forfait de photocopies, année scolaire 2021-2022 « (factures 2109-01 et 2109-2) du 23 septembre 2021 ».

Si la DGES II ne devait pas être l'autorité compétente pour traiter le recours, celui-ci devait être transmis à qui de droit.

Dans le canton de Genève, un mineur était contraint de poursuivre des études jusqu'à l'âge de 18 ans sous peine de sanction. Une telle obligation devait avoir pour corollaire la gratuité. Le Tribunal fédéral avait tenu un tel raisonnement en 2012 lorsqu'il avait constaté que le droit cantonal du canton de Schwytz rendait obligatoire la fréquentation du jardin d'enfants, de sorte que la gratuité s'y imposait.

Par ailleurs, la participation financière de CHF 60.- au titre de frais de photocopies ne reposait pas sur une base légale matérielle.

Enfin, ce montant ne correspondait à aucune réalité, puisque les enseignants mettaient les documents en ligne, sur la plateforme « Classroom », afin que chaque élève puisse les consulter et, s'il le désirait, les imprimer, à ses frais. Il n'y avait donc aucun lien entre la somme exigée et la prestation fournie, de sorte que le respect des principes de la couverture des frais et d'équivalence ne pouvait pas être admis.

Le dossier ne contient pas les factures prétendument datées du 23 septembre 2021.

4) Le 23 novembre 2021, la DGES II a répondu que l'autorité compétente pour un recours à l'encontre de la décision relative à l'« émolument pour forfait photocopies » était la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) et que si les intéressées souhaitaient toujours recourir contre cet émolument, elles étaient invitées à saisir cette juridiction dans un délai de trente jours à compter de la réception de son courrier.

5) a. Par acte du 12 janvier 2022, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre le courrier précité, concluant à son annulation ainsi qu'à l'annulation de la facture n° 2______ concernant les émoluments pour forfait photocopies, année scolaire 2021/2022, « sous suite de frais et dépens ».

Le recours a été enregistré sous le numéro de cause A/103/2022.

b. Par acte du même jour, B______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre le courrier précité, prenant les mêmes conclusions, mais concernant la facture n° 1______.

Le recours a été enregistré sous le numéro de cause A/105/2022.

c. Elles ont repris les arguments formulés dans leur recours hiérarchique du 26 octobre 2021, à savoir la violation du principe constitutionnel de la gratuité de l'enseignement de base suffisant, la violation du principe de la légalité et le principe de la couverture des frais et d'équivalence. La facture de Mme A______ devait au moins être réduite pro rata temporis, dans la mesure où elle avait atteint l'âge de 18 ans le 3 décembre 2021.

6) Le 15 février 2022, la DGES II, par écritures séparées, a conclu au rejet des recours.

Les soeurs AB______ étaient scolarisées au degré secondaire II, lequel n'entrait pas dans la définition de l'enseignement de base garanti par la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101).

La jurisprudence du Tribunal fédéral citée par les intéressées ne pouvait pas être appliquée par analogie dans la mesure où, selon le système éducatif du canton de Schwytz, le jardin d'enfants faisait partie intégrante du degré primaire, soit des dix années de scolarité obligatoire et donc de l'enseignement de base.

Le département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP ou le département) avait édicté une directive relative au forfait annuel de photocopies, entrée en vigueur le 27 août 2017 (ci-après : la directive), le fixant à CHF 60.- pour le collège. Cette directive était conforme à la délégation de compétence prévue par la loi.

La directive précisait que le 70 % des montants perçus pouvaient alimenter soit le fonds scolaire, soit le fonds social de l'école et que l'établissement devait disposer d'un règlement interne approuvé par la direction des finances du département. Le collège des soeurs AB______ disposait d'un fonds scolaire et d'un fonds social financés, selon le règlement interne, par 70 % du forfait photocopies. Pour l'année scolaire 2020-2021, le collège, fréquenté par huit cent quarante élèves, avait perçu environ CHF 50'400.- pour le forfait photocopies. Il avait dépensé pour environ CHF 40'000.- de photocopies. Ainsi, si CHF 37'800.- avaient été reversés dans les fonds scolaire et social de l'établissement, conformément à la loi, la directive et le règlement interne en découlant, les CHF 16'200.- (recte : 12'600.-) restants consacrés au paiement des photocopies ne couvraient pas la moitié de la somme déboursée par le collège à cet effet. Force était donc de constater que le montant demandé ne violait en aucune manière le principe de « la couverture des frais d'équivalence ».

7) Le 10 mars 2022, les soeurs AB______ ont répliqué dans des écritures séparées, persistant dans leurs conclusions.

Il était désormais admis que l'obtention d'un titre du secondaire II, et non celui du secondaire I, permettait aux jeunes d'accéder tant aux formations du degré tertiaire qu'au monde du travail. Cette certification était considérée comme le bagage de formation minimum pour une insertion réussie et durable dans la vie économique et sociale.

Le constituant genevois avait pris conscience que l'obtention d'un titre du secondaire I ne satisfaisait plus aux exigences requises pour admettre qu'une personne ait bénéficié d'un enseignement de base suffisant. Il avait donc augmenté sa durée, le scindant en deux, soit la scolarité obligatoire, telle que définie par l'accord intercantonal sur l'harmonisation de la scolarité obligatoire du 14 juin 2007 (HarmoS - C 1 06) puis, particularité genevoise, la formation obligatoire. Ainsi, dès lors que cette formation, suivie par les soeurs AB______, était obligatoire, elle devait être gratuite.

Le prélèvement d'un montant de CHF 42.- (70 % de CHF 60.-) pour alimenter des fonds scolaire et social ne pouvait à l'évidence être qualifié de taxe causale au sens du droit fiscal ; il ne s'agissait en effet ni d'un émolument, ni d'une charge de préférence, ni d'une contribution de remplacement. Dès lors, les principes de la couverture des frais et d'équivalence ne pouvaient pallier l'absence d'une base légale formelle, étant noté que faute d'une base de calcul de la contribution, la norme de délégation n'était pas suffisamment précise. En tout état, il était inadmissible que l'État « mélange » une taxe causale (frais de photocopies) et un impôt (prélèvement pour alimenter des fonds scolaire et social sans la moindre contre-prestation spécifique de la part du collège) et contourne le principe de la légalité en ce qui concernait l'impôt, qui se « taillait d'ailleurs la part du lion » du montant requis (70 %).

Au surplus, l'autorité intimée devait supporter le fardeau de la preuve en matière de respect du principe de la couverture des frais et démontrer « comptablement » que ce principe était respecté lors d'une contestation. Il n'était pas possible pour les autorités de se retrancher derrière des affirmations générales et des moyennes d'expérience. Or, la DGES II se contentait d'alléguer, sans étayer ses dires, que le collège avait dépensé CHF 40'000.- à titre de frais de photocopies. N'ayant pas été démontrée, cette allégation devait être écartée.

8) Sur ce, les causes ont été gardées à juger, ce dont les parties ont été informées par courriers du 10 mars 2022.

EN DROIT

1) Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a Selon l'art. 70 al. 1 LPA, l'autorité peut, d'office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune.

b. En l'espèce, les procédures A/103/2022 et A/105/2022 sont dirigées contre des décisions émises par la même autorité, à l'égard de deux sœurs fréquentant le même collège et comparaissant par le même conseil, et concernent le même complexe de faits, soit l'émolument de CHF 60.- demandé au titre de forfait de photocopies pour l'année scolaire 2021/2022.

Il se justifie ainsi de joindre les causes précitées sous le numéro A/103/2022.

3) Les recourantes soutiennent que l'émolument demandé violerait le principe constitutionnel de la gratuité de l'enseignement de base suffisant et le principe de la légalité.

a. À teneur de l’art. 5 al. 1 Cst., le droit est la base et la limite de l’activité de l’État. Toute activité étatique doit reposer sur une règle de droit générale et abstraite, les actes de rang inférieur devant respecter ceux qui sont de rang supérieur (ATA/606/2018 du 13 juin 2018 consid. 3 ; Jean François AUBERT/Pascal MAHON, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, 2003, p. 43).

Le principe de la légalité se compose de deux éléments : le principe de la suprématie de la loi et le principe de l’exigence de la base légale. Le premier signifie que l'autorité doit respecter l’ensemble des normes juridiques ainsi que la hiérarchie des normes. Le second implique que l’autorité ne peut agir que si la loi le lui permet ; son action doit avoir un fondement dans une loi (ATA/606/2018 précité consid. 3 ; ATA/383/2017 du 4 avril 2017 consid. 5a).

Le principe de la légalité exige donc que les autorités n'agissent que dans le cadre fixé par la loi. Il implique qu’un acte étatique se fonde sur une base légale matérielle qui est suffisamment précise et qui a été adoptée par l’organe compétent (ATF 141 II 169 consid. 3.1).

Sous son aspect de primauté de la loi, le principe de la légalité, signifie d’abord que l’administration doit respecter la loi, et s’en tenir à ses prescriptions (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd. 2018, n. 467 p. 163).

b. Selon l'art. 19 Cst., le droit à un enseignement de base suffisant et gratuit est garanti.

L'art. 62 Cst. prévoit que l'instruction publique est du ressort des cantons (al. 1). Les cantons pourvoient à un enseignement de base suffisant ouvert à tous les enfants. Cet enseignement est obligatoire et placé sous la direction ou la surveillance des autorités publiques. Il est gratuit dans les écoles publiques (al. 2). Les cantons pourvoient à une formation spéciale suffisante pour les enfants et adolescents handicapés, au plus tard jusqu'à leur vingtième anniversaire (al. 3). Si les efforts de coordination n'aboutissent pas à une harmonisation de l'instruction publique concernant la scolarité obligatoire, l'âge de l'entrée à l'école, la durée et les objectifs des niveaux d'enseignement et le passage de l'un à l'autre, ainsi que la reconnaissance des diplômes, la Confédération légifère dans la mesure nécessaire (al. 4). La Confédération règle le début de l'année scolaire (al. 5). Les cantons sont associés à la préparation des actes de la Confédération qui affectent leurs compétences ; leur avis revêt un poids particulier (al. 6).

c. Conformément à l'art. 5 al. 1 du Concordat HarmoS, l’élève est scolarisé dès l’âge de 4 ans révolus (le jour de référence étant le 31 juillet).

L'art. 6 du Concordat HarmoS précise la durée des degrés scolaires. Le degré primaire, école enfantine ou cycle élémentaire inclus, dure huit ans (al. 1). Le degré secondaire I succède au degré primaire et dure en règle générale trois ans (al. 2). Le passage au degré secondaire II a lieu après la 11ème année de scolarité. Le passage dans les écoles de maturité gymnasiale s’effectue dans le respect des dispositions arrêtées par le Conseil fédéral et la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique (ci-après : CDIP), en règle générale après la 10ème année (al. 4). Le temps nécessaire, à titre individuel, pour parcourir les différents degrés de la scolarité dépend du développement personnel de chaque élève (al. 5).

d. Au niveau cantonal, l'art. 24 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst - GE - A 2 00) précise que le droit à l'éducation, à la formation et à la formation continue est garanti (al. 1). Toute personne a droit à une formation initiale publique gratuite (al. 2). Toute personne dépourvue des ressources financières nécessaires à une formation reconnue a droit à un soutien de l’État (al. 3).

À teneur de l'art. 194 Cst-GE, la formation est obligatoire jusqu’à l’âge de la majorité au moins (al. 1). Après la scolarité obligatoire, elle peut avoir lieu sous forme d’enseignement ou en milieu professionnel (al. 2).

e. Selon les travaux préparatoires relatifs à la Cst-GE, la notion de formation initiale a été définie en substance, après de longues discussions, comme celle qui permet l’exercice d’une profession. Elle ne s’arrêtait donc pas à la maturité, mais comprenait la formation supérieure jusqu’au deuxième cycle, à savoir la maîtrise (le premier cycle correspondant au bachelor, le troisième cycle au doctorat). Dans le cadre de l’application des accords de Bologne, la Conférence universitaire suisse avait en effet établi que pour être utilisable sur le marché du travail, une formation universitaire devait aller jusqu’au deuxième cycle. La proposition « La formation initiale comprend l’enseignement primaire, secondaire et professionnel de base. » avait été rejetée par 11 voix contre 6. La majorité craignait que cette formulation ne soit par trop restrictive. En tout état, il était souligné que la gratuité, compte tenu de la proposition qui suivait, serait garantie exactement dans la même mesure qu’actuellement (Rapport sectoriel 102 « Droits fondamentaux » de la commission 1 chargée des « Dispositions générales et droits fondamentaux » p. 40).

La notion de formation obligatoire jusqu'à la majorité constituait une innovation non négligeable, dans la mesure où la formation n’était actuellement obligatoire que jusqu’à la fin du secondaire I (cycle d’orientation), soit jusqu’à l’âge de 15 ans. Elle avait fait l’objet de discussions approfondies. Le conseiller d’État en charge de l’instruction publique avait en outre été auditionné. Du point de vue de la majorité, il ressortait que la prolongation de l’obligation de se former jusqu’à l’âge de la majorité était non seulement conforme au droit supérieur, en particulier au Concordat Harmos, mais également pratiquement possible et souhaitable sur le fond. En effet, le droit à la formation n’était assorti d’aucune obligation pour les jeunes mineurs. Or, un jeune qui cessait de se former à 15 ans avait peu de chances de s’insérer par la suite sur le marché du travail. Pourtant, certains parents rencontraient des difficultés à convaincre leurs enfants de poursuivre leur formation alors que la loi ne prévoyait aucune obligation. Même si cela ne résolvait pas tous les problèmes, il s’agissait de donner un signal clair : chaque jeune devait poursuivre sa formation jusqu’à sa majorité, et l’État devait se donner les moyens d’offrir une formation à chaque jeune, que ce soit par un apprentissage ou en école.

La minorité considérait qu’il était inefficace et contre-productif de contraindre des jeunes qui ne souhaitaient pas poursuivre leur formation à le faire. Il était préférable de prévoir que l'État encourage la formation jusqu'à la majorité (Rapport sectoriel 102 « Droits fondamentaux » de la commission 1 chargée des « Dispositions générales et droits fondamentaux » p. 41).

Au cours de la session n° 44 du 19 janvier 2012 pendant laquelle
l'art. 24 Cst‑GE a été adopté, un constitutant a formulé une déclaration interprétative, formelle, sur l’intention de la Constituante en introduisant cette disposition, s'agissant de son al. 2, dès lors que des craintes avaient été exprimées quant à la portée de cette disposition sur la gratuité de la formation initiale. Il s'agissait de l'affirmation forte de la gratuité comme un principe général, sans donner à cette gratuité un caractère absolu et sans exception. À titre d'exemple, le matériel scolaire était alors gratuit jusqu'à la fin du cycle d'orientation, mais devait être acheté pour les élèves qui étaient au collège – ceux-là payaient des émoluments pour recevoir du papier. Les étudiants de l'Université devaient verser des taxes qui avaient d'ailleurs été augmentées à la suite d'une votation populaire. Ces achats de matériel, ces émoluments et ces taxes pourraient continuer à s’appliquer dans le cadre de cette nouvelle disposition constitutionnelle. Et l'importance de cet aspect de la formation leur paraissait justifier la mention expresse que ce droit à un enseignement gratuit au niveau constitutionnel n'empêchait pas que le système en vigueur puisse continuer à subsister (Bulletin officiel de l'Assemblée constituante, Tome XXI, p. 10667).

Un autre constituant est également revenu sur l’al. 2 de
l'art. 24 Cst‑GE et son interprétation, indiquant il s’agissait là d’un principe général de gratuité en ce qui concernait la formation initiale. Bien sûr, le système en vigueur devait être maintenu, système qui supportait donc certaines nuances, comme on l’avait vu au niveau du postobligatoire et des études universitaires. Pour les constituants, l’important était effectivement de préciser que c’était le statu quo ; mais tout en maintenant le statu quo dans la pratique, c’était la reconnaissance de ce principe de formation initiale publique gratuite qu'ils voulaient inscrire ici dans la constitution (Bulletin officiel de l'Assemblée constituante, Tome XXI, p. 10668-10669).

f. Selon son art. 1, la loi sur l'instruction publique du 17 septembre 2015
(LIP - C 1 10) régit l'instruction obligatoire, soit la scolarité et la formation obligatoires jusqu'à l'âge de la majorité pour l'enseignement public et privé (al. 1). Elle s'applique aux degrés primaire et secondaire I (scolarité obligatoire) et aux degrés secondaire II et tertiaire ne relevant pas des hautes écoles (ci-après : degré tertiaire B) dans les établissements de l'instruction publique (al. 3).

Aux termes de l'art. 4 al. 1 LIP, l’instruction publique comprend le degré primaire, composé du cycle élémentaire et du cycle moyen (let. a), le degré secondaire I, soit le cycle d’orientation (let. b), le degré secondaire II (let. c ch. 1).

L'art. 37 LIP prévoit que tous les enfants et jeunes en âge de scolarité obligatoire et habitant le canton de Genève doivent recevoir, dans les écoles publiques ou privées, ou à domicile, une instruction conforme aux prescriptions de la LIP et au programme général établi par le département conformément au Concordat HarmoS et à la convention scolaire romande (al. 1). Afin d’assurer le développement des compétences sociales des élèves, un enseignement dispensé exclusivement à distance n’est pas autorisé (al. 2). Les jeunes habitant le canton de Genève ont l’obligation jusqu’à l’âge de la majorité au moins d’être inscrits à une formation (al. 3). Il peut s’agir d’une formation qualifiante ou préqualifiante du degré secondaire II (al. 4).

La scolarité est obligatoire pour les enfants dès l’âge de 4 ans révolus au 31 juillet (art. 55 al. 1 LIP).

L'art. 56 LIP prévoit que la scolarité obligatoire comprend onze années scolaires complètes (al. 1). En règle générale, les enfants achèvent leur scolarité obligatoire à la fin de l’année scolaire au cours de laquelle ils ont atteint l’âge de 15 ans révolus (al. 2). Le temps nécessaire, à titre individuel, pour parcourir les différents degrés de la scolarité obligatoire dépend du développement personnel de chaque élève (al. 3).

Aux termes de l'art. 60 LIP, le degré primaire dure huit ans et comprend deux cycles d'une durée de quatre ans chacun, à savoir le cycle élémentaire (années 1 à 4) et le cycle moyen (années 5 à 8). Le degré secondaire I (cycle d’orientation) dure 3 ans. Il comprend les 9ème, 10ème et 11ème années de la scolarité obligatoire
(art. 67 LIP).

Le degré secondaire II est composé notamment des établissements scolaires du collège de Genève, du collège pour adultes, de l’école de culture générale et de l’école de culture générale pour adultes (art. 84 al. 1 let. a LIP). Le collège de Genève dispense la formation de culture générale permettant aux élèves d’obtenir, à l’issue des quatre années correspondant aux 12ème, 13ème, 14ème et 15ème années de scolarité, la maturité gymnasiale, conformément à l’ordonnance du Conseil fédéral/règlement de la CDIP sur la reconnaissance des certificats de maturité gymnasiale, des 16 janvier/15 février 1995 (ORM - RS 413.11) (art. 87 LIP).

g. À teneur de l'art. 53 LIP, les fournitures et le matériel scolaires mis à disposition des élèves de l’enseignement obligatoire sont gratuits, sous réserve de l’al. 2 (al. 1). Un émolument, dont le montant est fixé par le département en fonction du prix des fournitures du matériel considéré, peut être perçu en contrepartie de la valeur des fournitures et du matériel scolaire mis à disposition des élèves des établissements secondaires I et II ainsi que tertiaire B (al. 2). Une participation financière des élèves peut être demandée pour les frais de transport, d’hébergement et de repas, et pour le coût des billets permettant d’assister à une manifestation culturelle ou sportive, lors de sorties scolaires (al. 3). Un émolument pour l’établissement d’attestations particulières et de duplicatas peut être fixé par règlement du Conseil d’État (al. 4). Une participation aux frais d’inscription est demandée dans certaines filières du degré tertiaire B aux candidats et candidates qui se présentent au concours d’admission. Le montant est fixé par voie réglementaire (al. 5).

L'art. 54 LIP précise que chaque établissement de l’enseignement primaire, secondaire I et II ainsi que tertiaire B peut disposer d’un fonds scolaire (al. 1). Au degré secondaire II, ces fonds sont alimentés notamment par une somme forfaitaire versée annuellement par chaque élève (al. 2). Un règlement interne, approuvé par la direction des finances du département, fixe les modalités relatives à l’ouverture, l’alimentation, l’utilisation, la gestion et le contrôle de ces fonds (al. 3).

Selon la directive établie par le département, un montant forfaitaire annuel de CHF 60.- est perçu en début d'année scolaire pour financer les photocopies fournies aux élèves en formation gymnasiale.

h. Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a considéré que la gratuité de l'enseignement de base ne s'étendait en principe pas à l'enseignement prégymnasial, quand bien même celui-ci serait dispensé encore pendant la scolarité obligatoire. Le droit à un enseignement suffisant n'impliquait donc pas, pour les cantons, l'obligation de prendre entièrement à leur charge les frais de transport nécessaires à la fréquentation du prégymnase (ATF 133 I 156 = JdT 2008 I 407).

Dans la mesure où la participation des élèves était obligatoire, les excursions et les camps organisés par l'école faisaient partie de l'enseignement et devaient dès lors être gratuits. Les parents ne devaient prendre à leur charge que les coûts qu'ils économisaient en raison de l'absence de leurs enfants. Dans le même ordre d'idées, si l'école considérait un cours de langue comme étant nécessaire pour que l'enfant concerné puisse bénéficier d'une formation suffisante et prescrivait la fréquentation de ce type de cours, une participation aux frais des cours et d'éventuels services d'interprète ne pouvaient pas être mis à la charge des parents (ATF 144 I 1 = JdT 2018 I 173).

Ni l'art. 19, ni l'art. 62 al. 2 Cst. ne fixent de limites d'âge. Selon la jurisprudence, le droit garanti par l'art. 19 Cst. s'applique durant la scolarité obligatoire (ATF 129 I 35 consid. 7.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_638/2007 du 7 avril 2008 consid. 3.4), ce qui comprend le jardin d'enfants, dans la mesure où il est obligatoire, le degré primaire et le degré secondaire I (ATF 140 I 153 consid. 2.3.1). Les art. 19 et 62 al. 2 Cst. ne peuvent en revanche être invoqués après la majorité (ATF 145 I 142 consid. 5.4 ; Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, vol. II, 2018, § 46, n. 4668, p. 999 ; Jörg Paul MÜLLER/Markus SCHEFER, Grundrechte in der Schweiz, 4ème éd. 2008, p. 784 785 et p. 804, par référence à l'art. 11 Cst., que les art. 19 et 62 Cst. concrétisent).

i. La doctrine précise que l'art. 19 Cst. consacre un droit fondamental. Il s’agit d’un droit social justiciable, c’est-à-dire un droit constitutionnel individuel à une prestation positive de l’État, que l’on peut faire valoir devant les tribunaux (Message Cst., FF 1997 I 281). Cette prérogative individuelle est relativement rare dans la liste des droits fondamentaux de la Cst.

La titularité du droit à un enseignement de base appartient aux enfants et aux jeunes. Pour déterminer plus précisément les « écoliers » concernés, il convient de se référer à la jurisprudence du Tribunal fédéral. Sont ainsi visés les enfants dès leur entrée à l’école obligatoire (qui comprend le jardin d’enfants dans les cantons où celui-ci est obligatoire ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_433/2011 du 1er juillet 2012 consid. 3.3.) et jusqu’à la fin de l’école secondaire (secondaire I ; ATF 133 I 156, consid. 3.5.3 in JdT 2008 I 407 et ATF 140 I 153 consid. 2.3.1. Voir aussi l’ATF 145 I 142 consid. 5.4 et 5.5 pour une discussion autour des limites d’âge, de même que l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_892/2018 consid. 5 du 6 mai 2019 dans lequel l’âge de 16 ans est examiné).

Les adultes sont exclus du champ d’application de cette disposition, même s’ils n’ont pas pu bénéficier d’une formation de base ou qu’ils ont perdu certains acquis, à moins qu’il s’agisse de jeunes adultes ayant des besoins éducatifs particuliers (art. 62 al. 3 Cst.). Le fait que les parents puissent invoquer l’art. 19 Cst. au nom de leurs enfants, en tant que représentants légaux, ne les rend pas pour autant titulaires de ce droit.

Le terme « enseignement de base » (Grundschulunterricht) n’apparaissait pas dans l’ancienne Constitution fédérale qui parlait, à son art. 27 al. 2, d’« instruction primaire » (Primarunterricht). Cette expression était déjà interprétée de manière étendue pour aller au-delà de la seule école « primaire » et couvrir tout l’enseignement obligatoire avant la révision constitutionnelle de 1999. Elle n’a cependant pas été reprise dans la formulation de l’actuel art. 19 Cst.

Il apparaît que ni le terme « enseignement de base », ni celui d’« enseignement obligatoire » ne sont utilisés par les cantons dans leurs lois scolaires qui préfèrent, du moins dans les concordats qui les lient, les termes « école obligatoire » ou « scolarité obligatoire » (Schulpflicht, obligatorische Schule), sans cependant les définir explicitement. C’est donc avant tout la durée de la scolarisation obligatoire qui vient circonscrire cette notion.

La scolarité obligatoire comprend ainsi non seulement l’école primaire, mais également l’école secondaire I. Cette définition découle de la jurisprudence du Tribunal fédéral et des concordats en matière de coordination scolaire. Le Concordat scolaire, regroupant tous les cantons suisses à l’exception du Tessin, prévoit que l’école obligatoire dure au moins neuf ans (l’école enfantine n’étant pas prise en compte). Le Concordat HarmoS, applicable quant à lui dans quinze cantons (en janvier 2021), instaure l’école obligatoire dès quatre ans révolus et pour une durée de onze ans (huit ans pour le degré primaire et trois ans pour le degré secondaire I). Ce sont des durées minimales et les cantons sont libres de fixer des durées de scolarisation plus importantes. Par ailleurs, une limite d’âge n’est pas explicitement déterminée, mais certains auteurs estiment que le droit à un enseignement de base (en dehors des mesures spécialisées, art. 62 al. 3 Cst.) peut être invoqué jusqu’à 18 ans. Cette limite fixée à la majorité se déduit aussi de l’affirmation selon laquelle les adultes ne sont pas titulaires de ce droit.

Le droit à la formation « post-obligatoire » (par exemple gymnasiale, professionnelle), qui n’était pas non plus reconnu sous l’empire de l’ancienne Constitution fédérale, a été volontairement exclu par le constituant lors de la révision de 1999. Des droits spéciaux à la formation – applicables à toute personne – sont parfois reconnus en droit cantonal.

Le canton de Genève a ainsi prévu, à l’art. 194 de sa Constitution, que « la formation est obligatoire jusqu’à l’âge de la majorité au moins ». Cette disposition fixe donc un âge minimal (la majorité) sans empêcher que ce droit aille au-delà dans certains cas, ce qu’a fait le Parlement genevois dans le cadre des dispositions, de la loi sur l’instruction publique, applicables aux enfants et aux jeunes à besoins éducatifs particuliers ou handicapés. L’art. 194 Cst-GE porte donc la durée de la formation obligatoire à quatorze années, au lieu des onze prévues actuellement par le Concordat HarmoS.

Le contenu de l’enseignement de base doit, d’une part, permettre aux enfants d’acquérir la formation nécessaire pour pouvoir accéder aux formations supérieures (professionnelles ou générales) et, d’autre part, les préparer à s’intégrer dans la vie sociale et professionnelle. Ce double objectif, de formation au sens strict et au sens large, découle notamment de l’art. 29 de la convention relative aux droits de l'enfant du 2 novembre 1989 (CDE - RS 0.107), mais ressort aussi explicitement de l’art. 3 du Concordat HarmoS. Le Tribunal fédéral souligne la seconde fonction de la scolarité obligatoire dans une formule reprise régulièrement dans ses arrêts : l’enseignement « doit suffire à préparer les écoliers à une vie responsable dans un monde moderne » (ATF 145 I 142 consid. 5.3). Par ailleurs, pour qu’un enseignement soit suffisant, il faut également qu’il soit « approprié et adapté à chacun » (ATF 145 I 142 consid. 5.3), qu’il garantisse l’égalité des chances entre les élèves et que le contenu soit considéré comme indispensable selon les standards locaux (ATF 145 I 142 consid. 5.3). Toutefois, en raison des ressources financières limitées de l’État, l’enseignement ne doit pas être idéal ou optimal (ATF 144 I 1 consid. 2.2).

L’enseignement de base ne peut préparer les élèves à une vie autonome et, partant, être qualifié de suffisant que s’il a une durée minimale. La durée prévue dans la cadre du Concordat scolaire est de neuf ans. La durée s’élève toutefois à onze ans pour les enfants résidant dans un canton signataire du Concordat HarmoS.

L’art. 19 Cst. prévoit que l’enseignement de base est gratuit. Cette accessibilité économique vise deux objectifs : premièrement, la gratuité de l’école est le corollaire de son caractère obligatoire. En effet, il sera plus facile de rendre cette obligation effective si elle ne cause pas de frais à la personne « obligée ». Deuxièmement, la gratuité a pour but de garantir au mieux l’égalité des chances entre les enfants, favorisant ainsi l’accès à l’école de tous les groupes socio‑économiques de la population et permettant un bon fonctionnement de la démocratie.

Ainsi, l’obligation principale découlant du principe de gratuité implique qu’aucuns frais de scolarité ne peuvent être perçus. Cette exigence concerne en pratique essentiellement les écoles publiques. Le droit à obtenir un enseignement gratuit signifie en effet que les cantons – ou les communes lorsque cette tâche leur a été déléguée – ont l’obligation d’ouvrir des écoles pour les enfants habitant sur leur territoire. Si elles y renoncent exceptionnellement, au profit d’une école privée existante par exemple (sur la possibilité de déléguer à des privés ;
art. 62 Cst.), la fréquentation de cette école doit alors être gratuite, la prise en charge des frais d’écolage revenant à État. De la même manière, si une communauté scolaire prescrit une scolarisation spéciale pour un élève, les frais de scolarité qui peuvent en découler doivent être assumés par cette même communauté ou, du moins, par l'État.

Si la question de la gratuité de l’école ne pose pas de problème concernant les frais de scolarité et, dans une moindre mesure, les frais de transport pour se rendre à l’école, il n’en est pas toujours allé de même en ce qui concerne le matériel didactique. Initialement, la jurisprudence, ainsi qu’une partie de la doctrine, estimaient que le caractère gratuit de l’enseignement ne comprenait pas les obligations accessoires telles que ce matériel. Aujourd’hui, la doctrine majoritaire est d’avis que ces prestations sont directement nécessaires à l’enseignement et font partie du champ d’application de la gratuité (Fanny MATTHEY, in Vincent MARTENET/Jacques DUBEY [éd.], Commentaire romand de la Constitution fédérale, Préambule - art. 80 Cst., 2021, ad. art. 19 Cst. n. 1 et ss).

4) En l'espèce, il n'est pas contesté par les parties que le collège dans lequel sont scolarisées les recourantes fait partie du degré secondaire II (art. 84 al. 1 let. a LIP) et qu'une formation de culture générale y est dispensée permettant aux élèves d’obtenir, à l’issue des quatre années correspondant aux 12ème, 13ème, 14ème et 15ème années de scolarité, la maturité gymnasiale (art. 87 LIP).

Il n'est pas non plus contesté que les recourantes se trouvent, respectivement, en 12ème et 14ème année de leur scolarité et que l'aînée a atteint l'âge de 18 ans le 3 décembre 2021.

Quand bien même les recourantes se trouvaient toujours au stade de la formation obligatoire (art. 194 Cst-GE) lorsqu'elles ont reçu les factures de CHF 60.- émises par leur collège au titre d'« émolument pour forfait photocopies, année scolaire 2021/2022 », les travaux préparatoires relatifs à l'art. 24 al. 2 Cst-GE, lequel reprend le principe de la gratuité de l'art. 19 Cst., indiquent que la gratuité de la formation dispensée n'a pas un caractère absolu.

En effet et préalablement à l'adoption de l'art. 24 al. 2 Cst-GE, il a été clairement précisé que le matériel scolaire ou l'émolument relatif au papier devait rester à la charge des étudiants du secondaire II, contrairement aux élèves du cycle d'orientation (secondaire I ; art. 67 LIP). L'idée directrice étant de maintenir le statut quo, comme détaillé ci-dessus.

En outre et contrairement à ce que soutiennent les recourantes, l'art. 53
al. 2 LIP ne viole aucunement le principe de la légalité dans la mesure où l'art. 62 Cst. prévoit que l'instruction publique est du ressort des cantons et qu'en application de cette norme, les cantons sont libres de décider la manière dont ils entendent réglementer, organiser et financer l’enseignement public sur leur territoire (Eloi JEANNERAT/Fanny MATTHEY, op. cit., ad. art. 62 Cst. n. 7). Il en découle que le canton de Genève dispose d'une certaine marge de manœuvre s'agissant de sa réglementation, de son organisation et du financement de l'enseignement public sur son territoire.

C'est ainsi dans l'exercice de cette marge de manœuvre et en application de l'art. 53 al. 2 LIP que le département a émis la directive susmentionnée qui prévoit la perception auprès des élèves du secondaire II d'un montant forfaitaire annuel de CHF 60.- au titre de frais de photocopies.

En outre et contrairement à ce qu'estiment les recourantes, la jurisprudence du Tribunal fédéral citée à l'appui de leur argumentation ne leur est d'aucun secours.

Outre le fait qu'elles concernent des élèves du jardin d’enfants (arrêt du Tribunal fédéral 2C_433/2011 précité) et des élèves du secondaire I (ATF 144 I 1), alors que le présent dossier concerne des étudiantes du secondaire II, les considérations exposées ci-dessus démontrent que le canton de Genève est en droit de prévoir dans sa législation et dans sa réglementation un émolument au titre de frais de photocopies.

La chambre de céans relèvera enfin que les étudiants du secondaire II disposent, si nécessaire, de la possibilité de demander une aide financière/bourse en application de l'art. 11 al. 1 let. b ch. 1 de la loi sur les bourses et prêts d'études du 17 décembre 2009 (LBPE - C 1 20), disposition qui s'inscrit dans le respect de l'art. 24 al. 3 Cst‑GE.

Le montant demandé aux recourantes repose donc sur une base légale et est conforme à la Cst. et à la Cst-GE.

Ces premiers griefs sont mal fondés.

5) Les recourantes soutiennent que le montant de CHF 60.-, demandé au titre de frais de photocopies, violerait les principes de couverture des frais et d'équivalence.

a. Comme vu ci-dessus, l'art. 53 LIP prévoit que certains frais peuvent être mis à la charge des élèves. La LIP précise également que des fonds scolaires peuvent être mis en place par les établissements scolaires (art. 54 LIP).

b. Selon la directive établie par le département, 70 % des montants perçus peuvent alimenter soit le fonds scolaire, soit le fonds social de l'école ou du centre de formation professionnelle, comme le prévoit l'art. 54 al. 2 LIP. Pour cela, l'école ou le centre de formation professionnelle doit disposer d'un règlement interne qui fixe les modalités relatives à l'alimentation, l'utilisation, la gestion et le contrôle de chaque fonds. Il est approuvé par la direction des finances du département, sur préavis de la direction générale de l'enseignement secondaire II, et déposé sur l'intranet du département. Le 30 % des montants perçus sont comptabilisés en recettes dans les comptes des écoles et centres de formation professionnelle concernés.

À teneur du règlement du fonds scolaire établi par la direction générale de l'enseignement secondaire II post obligatoire (ci-après : DGPO), entré en vigueur le 1er septembre 2013, l'utilisation des 70 % du forfait photocopies payé par les élèves et leurs représentants légaux en début d'année vise le financement de projets d'animation sociale ou culturelle dans l'établissement.

Conformément au règlement du fonds social établi par la DGPO, entré en vigueur le 1er janvier 2013, les ressources proviennent notamment du pourcentage du forfait photocopies et leur utilisation vise une aide financière directe pour des activités en lien avec la formation (achat de matériel scolaire, financement de sorties scolaires, ou autre), en subsidiarité avec les autres aides sociales à disposition. Les bénéficiaires de ces prestations sont les élèves ou apprentis dans le besoin.

c. Pour financer les activités que la constitution ou la loi le chargent d'exercer, l'État perçoit des contributions publiques, venant s'ajouter à d'autres ressources que sont notamment les revenus générés par ses propres biens, le produit des sanctions pécuniaires et l'emprunt. Les contributions publiques sont des prestations en argent prélevées par des collectivités publiques et acquittées par les administrés sur la base du droit public. Elles sont subdivisées traditionnellement en impôts, en contributions causales et en taxes d'orientation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_768/2015 du 17 mars 2017 consid. 4.1 ; 2C_483/2015 du 22 mars 2016 consid. 4.1).

Les contributions publiques de nature causale sont des contre-prestations en argent que des justiciables doivent verser à des collectivités publiques pour des prestations particulières que celles-ci leur fournissent ou pour des avantages déterminés qu'elles leur octroient. Elles comportent les émoluments, les charges de préférence et les taxes de remplacement. Les émoluments eux-mêmes se subdivisent en plusieurs catégories, dont les émoluments de chancellerie, les émoluments administratifs, les taxes de contrôle, les émoluments d'utilisation d'un établissement public, les émoluments d'utilisation du domaine public. Les émoluments de chancellerie sont des contributions modiques exigées en contrepartie d'un travail administratif ne nécessitant pas un examen approfondi, essentiellement de secrétariat (ATF 138 II 70 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_439/2014 du 22 décembre 2014 consid. 6.1 ; ACST/12/2017 du 6 juillet 2017 consid. 3a et les références citées).

La perception de contributions publiques est soumise aux principes constitutionnels régissant toute activité étatique, en particulier aux principes de la légalité, de l'intérêt public et de la proportionnalité (art. 5 Cst.), de l'égalité de traitement (art. 8 Cst.), de la bonne foi et de l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.), ainsi que de la non-rétroactivité.

d. Le principe de la légalité en droit fiscal, érigé en droit constitutionnel indépendant à l'art. 127 al. 1 Cst. et qui s'applique à toutes les contributions publiques, tant fédérales que cantonales ou communales, y compris aux contributions de nature causale, prévoit que les principes généraux régissant le régime fiscal, notamment la qualité de contribuable, l'objet de l'impôt et son mode de calcul, doivent être définis par la loi au sens formel. Si cette dernière délègue à l'organe exécutif la compétence d'établir une contribution, la norme de délégation ne peut constituer un blanc-seing en faveur de cette autorité ; elle doit indiquer, au moins dans les grandes lignes, le cercle des contribuables, l'objet et la base de calcul de cette contribution. Sur ces points, la norme de délégation doit être suffisamment précise (exigence de la densité normative). Il importe en effet que l'autorité exécutive ne dispose pas d'une marge de manœuvre excessive et que les citoyens puissent cerner les contours de la contribution qui pourra être prélevée sur cette base (ATF 144 II 454 consid. 3.4 ; 143 I 227 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_80/2020 du 15 octobre 2020 consid. 6.1 ; ACST/12/2017 du précité consid. 3b et les références citées).

e. Ces exigences valent en principe pour les impôts comme pour les contributions causales. Si la qualité de contribuable et l'objet de l'impôt doivent toujours être définis dans une loi formelle, la jurisprudence a cependant assoupli cette exigence en ce qui concerne le mode de calcul de certaines de ces contributions. La compétence d'en fixer le montant peut ainsi être déléguée à l'exécutif lorsqu'il s'agit d'une contribution dont la quotité est limitée par des principes constitutionnels contrôlables, tels que ceux de la couverture des frais et de l'équivalence. Le principe de la légalité ne doit toutefois pas être vidé de sa substance ni, inversement, être appliqué avec une exagération telle qu'il entrerait en contradiction avec la réalité juridique et les exigences de la pratique. Tel est le cas pour les redevances causales dépendantes des coûts, dont les émoluments administratifs, auxquels s'appliquent les principes de la couverture des frais et de l'équivalence, qui sont tous deux l'expression du principe de la proportionnalité dans le domaine desdites contributions (ATF 143 I 227 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_80/2020 du 15 octobre 2020 consid. 6.2 et les références citées ; ACST/12/2017 précité consid. 3c).

L'assouplissement du principe de la légalité en matière fiscale ne se justifie à travers l'application des principes constitutionnels susmentionnés (couverture des frais et équivalence) que dans la mesure où la réglementation en cause vise à ou a pour effet de mettre la totalité des coûts d'une prestation de l'État à la charge de ses bénéficiaires. Tel n'est pas le cas lorsqu'une contribution ne permet de couvrir, conformément à la réglementation applicable, qu'une partie des dépenses effectives. Les principes de l'équivalence et de la couverture des frais ne permettent alors pas d'encadrer de manière suffisante la contribution en cause (ATF 143 I 227 consid. 4.2.2).

Lorsque les émoluments qui sont prélevés ne représentent qu'une contribution au coût de fonctionnement global de l'administration en cause, il appartient en principe au législateur de déterminer le montant desdits émoluments dans une loi formelle ou, au moins, d'imposer des limites à leur détermination par le pouvoir délégataire. A minima, ces limites prendront la forme d'un cadre ou d'un plafond, voire préciseront les bases de calcul des émoluments en cause (ATF 143 I 227 consid. 4.3.2).

f. Selon le principe de la couverture des frais, le produit global des contributions causales ne doit pas dépasser, ou seulement de très peu, l'ensemble des coûts engendrés par la subdivision concernée de l'administration (ATF 135 I 130 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_80/2020 du 15 octobre 2020 consid. 6.3 ; ACST/12/2017 précité consid. 3d et les références citées). Les dépenses à prendre en compte ne se limitent pas aux frais directs ou immédiats générés par l'activité administrative considérée ; elles englobent les frais généraux, en particulier ceux de port, de téléphone, les salaires du personnel, le loyer, ainsi que les intérêts et l'amortissement des capitaux investis et des équipements. La subdivision administrative concernée se définit par référence à toutes les tâches administratives matériellement liées les unes aux autres, formant un ensemble cohérent. Les émoluments perçus pour des prestations fournies dans une subdivision administrative ne doivent pas nécessairement correspondre exactement aux coûts de chacune de ces prestations. Certaines prestations, qui coûtent relativement peu cher à l'administration, peuvent être taxées plus lourdement que leur prix de revient, et inversement. La collectivité peut compenser par un émolument perçu sur des affaires importantes l'insuffisance des émoluments prélevés pour d'autres opérations qui, en raison du peu d'intérêt qu'elles présentent, ne permettent pas de réclamer des émoluments couvrant tous les frais qu'elles occasionnent. Un certain schématisme est par ailleurs inévitable, le calcul des coûts considérés ne relevant pas des sciences exactes, mais comportant une part d'appréciation. Les excès que cela pourrait impliquer sont, le cas échéant, corrigés par l'application du principe de l'équivalence (ACST/12/2017 précité consid. 3d et les références citées).

g. Le principe de l'équivalence veut que le montant de la contribution causale exigée d'une personne déterminée se trouve en adéquation avec la valeur objective de la prestation fournie qu'elle rétribue. Il doit y avoir un rapport raisonnable entre le montant concrètement demandé et la valeur objective de la prestation administrative (rapport d'équivalence individuelle ; ATF 143 I 227 consid. 4.2.2). Cette valeur se mesure à l'utilité (pas nécessairement économique) qu'elle apporte à l'intéressé, ou d'après les dépenses occasionnées à l'administration par la prestation concrète en rapport avec le volume total des dépenses de la branche administrative en cause. Autrement dit, il faut que les contributions causales soient répercutées sur les contribuables proportionnellement à la valeur des prestations qui leur sont fournies ou des avantages économiques qu'ils en retirent. Le principe d'équivalence n'exclut pas une certaine schématisation ou l'usage de moyennes d'expérience, voire des tarifs forfaitaires (ACST/12/2017 précité consid. 3e et les références citées).

6) En l'occurrence, les factures n° 1______ et n° 2______ du 20 octobre 2021 pour l'année scolaire 2021/2022 indiquent qu'elles se fondent sur l'art. 53 LIP, à savoir la disposition consacrée aux frais pouvant être mis à la charge des élèves pour les fournitures et le matériel scolaires.

La directive précise le principe selon lequel l'émolument forfaitaire de CHF 60.- est basé sur l'art. 53 al. 2 LIP qui permet la perception de ce montant en vue du financement des photocopies fournies aux élèves.

Selon les explications du département, le collège dans lequel sont scolarisées les recourantes, a perçu CHF 50'400.- (huit cent quarante élèves x CHF 60.-) de forfait photocopies pour l'année scolaire 2020-2021. Il dit avoir dépensé environ CHF 40'000.- pour les frais de photocopies, sans fournir de quelconques pièces à l'appui de ces montants.

Toujours selon le département, en application de l'art. 54 LIP et des règlements des fonds scolaire et social du collège, 70 % du forfait photocopies est en réalité versé dans ces deux fonds, à hauteur de CHF 35'280.- (70 % de CHF 50'400.-) pour le fonds scolaire et vraisemblablement CHF 2'520.- pour le fonds social (CHF 37'800.- selon la réponse au recours du département, sous déduction de CHF 35'280.-), étant relevé par ailleurs que le règlement du fonds social du collège n'indique pas le pourcentage exact du forfait photocopies consacré à son alimentation.

Ce procédé pose problème par rapport aux principes de la couverture des frais et de l'équivalence.

En effet, comme le rappelle le Tribunal fédéral, si la loi délègue à l'exécutif la compétence d'établir une contribution, la norme de délégation, doit indiquer, au moins dans les grandes lignes, le cercle des contribuables, l'objet et la base de calcul de cette contribution et doit être suffisamment précise pour que les citoyens puissent cerner les contours de la contribution en cause (ATF 143 I 227 consid. 4.2).

Or, force est de constater, d'une part, que le produit global des taxes réglées par les élèves ou leurs représentants au début de l'année scolaire (CHF 50'400.-) dépasse, dans une mesure qui va au-delà du « très peu » retenu par la jurisprudence, les frais effectifs supportés par le collège pour les photocopies d'environ CHF 40'000.-.

Même s'il est vrai que l'art. 54 al. 1 LIP laisse la possibilité au collège d'instaurer des fonds scolaires, alimentés notamment par une somme forfaitaire versée annuellement par chaque élève (art. 54 al. 2 LIP), les factures envoyées aux recourantes indiquent clairement que le montant réclamé de CHF 60.- a pour but la contrepartie de la valeur des fournitures et du matériel scolaire mis à disposition des élèves des établissements secondaires II (art. 53 LIP), soit des photocopies, et non pas l'alimentation de ces fonds (art. 54 LIP).

La directive qui prévoit que 70 % des montants perçus peuvent alimenter soit le fonds scolaire, soit le fonds social de l'école ou du centre de formation professionnelle, comme le prévoit l'al. 2 de l'art. 54 LIP est problématique à cet égard. Il en est de même de l'absence de mention de l'art. 54 LIP sur les factures en cause.

Le fait que les élèves du collège puissent être les bénéficiaires des activités sociales et culturelles organisées dans leur collège au moyen du fonds scolaire ou de l'éventuelle aide financière ponctuelle dont ils pourraient bénéficier au moyen du fonds social ne modifie en rien ce qui précède. En effet, l'émolument perçu au titre du forfait photocopies ne se trouve pas être en rapport avec la valeur objective de ces autres prestations fournies par le collège.

Au vu de ces éléments, l'émolument de CHF 60.- perçu au titre de forfait photocopies ne respecte pas les principes de couverture des frais et d'équivalence et contrevient ainsi au principe de la légalité.

Les recours sont admis. Les décisions du 23 novembre 2021 et les factures n° 1______ et n° 2______ seront annulées.

7) Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée aux recourantes, prises solidairement, qui y ont conclu, à la charge du département (art. 87 al. 2 LPA)

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

préalablement :

ordonne la jonction des causes nos A/103/2022 et A/105/2022 sous le no A/103/2022 ;

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés par Mesdames A______ et B______, enfant mineure, agissant par son père, Monsieur C______, contre les décisions du 23 novembre 2021 et les factures n° 1______ et n° 2______ concernant les émoluments pour forfait photocopies, année scolaire 2021/2022, émises par le département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse ;

au fond :

les admet ;

annule les décisions du 23 novembre 2021 et les factures n° 1______ et n° 2______ concernant les émoluments pour forfait photocopies, année scolaire 2021/2022, émises par le département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à Mesdames A______ et B______, prises solidairement, à la charge du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral :

- par la voie du recours en matière de droit public ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, s'il porte sur le résultat d'examens ou d'autres évaluations des capacités, en matière de scolarité obligatoire, de formation ultérieure ou d'exercice d'une profession (art. 83 let. t LTF) ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Eric Beaumont, avocat des recourantes, ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mme Lauber et M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :