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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1044/2021

ATA/492/2022 du 10.05.2022 sur JTAPI/1023/2021 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1044/2021-PE ATA/492/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 mai 2022

2ème section

 

dans la cause

 

Mme A______
et
M. B______

représentés par Me Pierre Ochsner, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

_________


 

Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 7 octobre 2021 (JTAPI/1023/2021)


EN FAIT

1) Mme A______ et M. B______, ressortissants de C______ nés respectivement le ______ 1969 et le ______ 1969, sont mariés.

2) Le 21 décembre 2018, ils ont formé auprès de l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) une demande d'autorisation de séjour dans le cadre de l'« opération Papyrus ».

Ils étaient arrivés à Genève en 2009 et y avaient depuis lors toujours travaillé. Selon le formulaire M de demande d'autorisation de séjour accompagnant leur courrier, M. B______ occupait un emploi de nettoyeur à raison de quatre heures par semaine pour un salaire mensuel de CHF 400.- auprès de M. D______ à E______.

3) Le 6 novembre 2020, l'OCPM a informé Mme A______ et M. B______ de son intention de refuser de soumettre leur dossier avec un préavis positif au secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) et de prononcer leur renvoi de Suisse.

Durant l'instruction de leur dossier, M. B______ avait produit une attestation d'achats d'abonnement des transports publics genevois (ci-après : TPG) pour les années 2010 à 2019 et un extrait du registre des poursuites affichant au 27 septembre 2019 des dettes pour CHF 27'910.67 et des actes de défaut de bien pour CHF 14'012.30. Selon un extrait du registre des poursuites du 14 octobre 2020 concernant Mme A______, le montant total de ses poursuites s'élevait à CHF 568.25. Ainsi, les poursuites à l'encontre du couple dépassaient très largement CHF 10'000.-. Quant à Mme A______, elle n'avait fourni aucun document démontrant son séjour en Suisse pendant l'année 2010. Son séjour n'était démontré à satisfaction que pour les années 2011 à 2020. En outre, Mme A______ n'avait pas fourni l'attestation de réussite à l'examen de français niveau A2 CECR.

4) Le 9 décembre 2020, Mme A______ et M. B______ ont sollicité un délai au 31 janvier 2021 pour faire parvenir à l'OCPM un plan de désendettement.

Le même jour, l'OCPM a accordé le délai demandé.

Il ressort du dossier que le document n’a pas été produit.

5) Par décision du 15 février 2021, l'OCPM a refusé de soumettre le dossier de Mme A______ et M. B______ avec un préavis positif au SEM et prononcé en outre leur renvoi de Suisse.

La décision reprenait les motifs de sa lettre d'intention du 6 novembre 2020.

Ils étaient tenus de quitter le territoire des États membres de l'Union européenne et des États associés à Schengen, à moins qu'ils ne soient titulaires d'un permis de séjour valable émis par l'un de ces États et que celui-ci consente à les réadmettre sur son territoire.

6) Le 18 mars 2021, Mme A______ et M. B______ ont recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision concluant à son annulation. Préalablement, leur audition personnelle ainsi que celle de deux autres personnes devaient être ordonnées.

Ainsi qu'en attestaient différentes personnes, notamment au sein de leur communauté religieuse, de même que différents documents tels que leurs abonnements TPG et les relevés de compte cumulus Migros, ils étaient arrivés à Genève en 2009 et y avaient depuis lors résidé sans interruption. Mme A______ avait immédiatement travaillé en tant que cuisinière et aide-ménagère. Son travail étant à l'époque proche de son domicile, elle n'avait pas immédiatement souscrit d'abonnement TPG. Quant à M. B______, il avait commencé à travailler pour des particuliers, notamment dans le quartier de F______, en les aidant dans les tâches ménagères. Actuellement, il travaillait pour M. D______ en tant qu'aide à domicile, de même que pour Mme G______ et M. H______. En raison de la crise sanitaire, il ne gagnait plus qu'en moyenne environ CHF 1'200.- par mois. Mme A______ se trouvait actuellement dans une situation similaire et son revenu était d'environ CHF 1'200.- par mois. De mémoire, ils n'avaient bénéficié de subsides de l'assurance-maladie qu'à une seule reprise depuis leur arrivée à Genève. Leur loyer mensuel se montait à CHF 550.- et ils payaient ensemble CHF 900.- de primes d'assurance-maladie par mois. Leurs casiers judiciaires étaient vierges et ils n'avaient jamais bénéficié de l'aide sociale. Quant aux poursuites dont ils faisaient l'objet, elles concernaient à plus de 95 % des dettes résultant de primes d’assurance-maladie impayées. Ils maîtrisaient le français, ainsi que le démontraient une attestation de l’école-club Migros du 20 décembre 2018 indiquant que M. B______ avait atteint un niveau de français A2, et une attestation délivrée à Mme A______ par la Croix-Rouge genevoise, indiquant qu'elle avait participé à un cours de français pour débutants du 12 septembre 2013 au 10 février 2014, à raison de 42 heures au total, et que son niveau à l'oral et à l'écrit était en voie d'acquisition. Enfin, ainsi que le montraient diverses lettres de recommandation qu'ils produisaient, leur intégration à Genève était parfaitement réussie.

Les conditions de l'« opération Papyrus » étaient applicables, la demande de régularisation ayant été déposée le 21 décembre 2018. Leur intégration était avérée. Malgré l'épidémie de Covid-19, ils avaient systématiquement pu subvenir à leurs besoins sans solliciter aucune aide. Le montant total des dettes contractées par M. B______ ne devait pas faire perdre de vue que la plupart d'entre elles étaient en lien avec les primes d'assurance-maladie impayées. Compte tenu de leurs revenus durant toute cette période, ils auraient pu cependant obtenir des subsides de l'assurance-maladie s'ils avaient eu connaissance de leurs droits. S'il en avait été ainsi, leurs dettes vis-à-vis de l'assurance-maladie ne dépasseraient pas CHF 10'000.-. L'équité et le sentiment de justice commandaient de ne pas retenir comme rédhibitoire le montant de celles-ci. Le Tribunal fédéral avait d'ailleurs considéré que les subsides de l'assurance-maladie ne pouvaient être assimilés à de l'aide sociale.

7) Le 20 mai 2021, l'OCPM a conclu au rejet du recours.

Les conditions restrictives d'une autorisation de séjour sous l'angle du cas individuel d'extrême gravité n'étaient pas réalisées. Il en allait de même sous l'angle de l'« opération Papyrus », « si l'on admet qu'une demande de régularisation a bien été déposée par l'intermédiaire de Swiss Immigration Consulting le 21 décembre 2018, sans avoir été enregistrée par l'OCPM ». Mme A______ et M. B______ n'avaient pas démontré avoir séjourné de manière ininterrompue en Suisse durant les dix dernières années, en particulier pour ce qui concernait les années 2009 à 2011. D'autre part, le montant total de leurs dettes s'élevait à plus de CHF 37'000.-, ce qui était bien supérieur au montant admis par le SEM.

8) Le 16 juillet 2021, Mme A______ et M. B______ ont répliqué.

Les éléments du dossier permettaient d'établir indiscutablement leur présence continue en Suisse dès l'origine. Concernant leurs dettes, une écrasante majorité des étrangers en situation illégale en Suisse ne concluaient aucune assurance-maladie, de sorte qu’il serait totalement inique de considérer celles-ci, provoquées par une affiliation volontaire, comme un obstacle à l'obtention d'un titre de séjour. L'OCPM tentait de retourner contre eux leur volonté d'intégration. Ils étaient par ailleurs en train d'assainir la situation financière, comme le démontrait une attestation établie le 2 juillet 2021 par la Fondation genevoise de désendettement, certifiant que leur dossier était actuellement en cours d'instruction.

9) Par lettre du 10 août 2021, l'OCPM a indiqué n'avoir pas d'observations complémentaires à faire.

10) Le 7 octobre 2021, le TAPI a rejeté le recours et refusé de procéder aux auditions demandées.

La demande de régularisation dans le cadre de l’« opération Papyrus » avait été déposée le 21 décembre 2018, soit en temps utile. Quand bien même ils auraient démontré leur présence continue à Genève depuis 2019, Mme A______ et M. B______ ne rempliraient pas la condition de l’indépendance financière en raison de leurs dettes s’élevant à plus de CHF 37'000.-. Mme A______, qui avait suivi un seul cours de français de niveau débutant plusieurs années auparavant, ne semblait par ailleurs pas remplir la condition de la maîtrise du français.

Sous l’angle du cas de rigueur, et outre les dettes contractées, l’intégration des intéressés était au mieux bonne. Leur casier judiciaire était vierge et ils n’avaient jamais demandé d’aide sociale, mais les emplois occupés dans l’économie domestique ne constituaient pas des activités pour lesquelles ils auraient acquis des compétences ou un savoir-faire tels qu’ils ne pourraient le mettre en valeur à leur retour dans leur pays d’origine. Le comportement irréprochable et les qualités humaines rapportés par les attestations produites ne traduisaient pas non plus une intégration sociale exceptionnelle.

En quittant la Suisse, ils perdraient principalement leur entourage social proche, et leur situation ne serait pas différente de celle de toute personne qui quitte un pays et son entourage après quelques années de séjour. Ils n’étaient pas impliqués dans la vie de la cité à un point tel qu’ils y auraient profondément implanté leur existence.

Ils ne s’étaient pour ainsi dire pas prononcés sur les conséquences pour eux d’un retour en C______.

11) Par acte remis à la poste le 11 novembre 2021, Mme A______ et M. B______ ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation et à l’octroi d’autorisations de séjour. Préalablement, leur comparution personnelle ainsi que l’audition de Mme I______ et M. J______ devaient être ordonnées.

Les faits avaient été établis de manière incorrecte. Le niveau de français de Mme A______ devait être examiné compte tenu de la durée de son séjour et après l’avoir entendue. Elle fournirait ultérieurement une attestation de langue. Le TAPI avait par ailleurs admis tacitement le niveau de langue de M. B______.

Le TAPI avait commis un abus de son pouvoir d’appréciation en retenant qu’ils n’étaient pas indépendants puisque leurs les dettes dépassaient CHF 10'000.-. Ce montant était arbitraire. Aucune raison objective et valable ne justifiait de se limiter à un montant si faible, qui ne correspondait pas au niveau de vie élevé de la Suisse. Les dettes, de CHF 37'000.- au total, avaient été contractées uniquement en lien avec l’assurance-maladie obligatoire. La couverture des risques pour la santé constituait un besoin fondamental, au même titre que l’alimentation de base. On ne pouvait leur reprocher d’avoir contracté des dettes pour assurer un besoin fondamental.

12) Le 13 janvier 2022, l’OCPM a conclu au rejet du recours.

Les recourants avaient soulevé les mêmes arguments que devant le TAPI et n’avaient pas produit de nouvelles pièces déterminantes, ni allégué avoir remboursé tout ou partie de leurs dettes.

13) Le 18 mars 2022, les recourants ont persisté dans leurs conclusions.

Ils avaient proposé à leurs assurances d’acquitter 20% de leur dette, soit CHF 6'515.10, contre l’abandon des poursuites.

14) Le 12 avril 2022, les recourants ont produit une attestation de travail d’un restaurant concernant M. B______, ainsi que deux courriers de leurs assurances indiquant qu’il ne leur était pas possible de renoncer à leurs créances.

Ils avaient fait tout leur possible pour solder leurs dettes.

15) Le 13 avril 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Les recourants sollicitent leur comparution personnelle, pour établir notamment la maîtrise du français par Mme A______, ainsi que l'audition de deux témoins, susceptibles de confirmer leur arrivée à K______ dans le quartier des L______ en 2009.

a. Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comprend notamment le droit de produire des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite aux offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1). L'art. 29 al. 2 Cst. n'exclut pas une appréciation anticipée des preuves. L'autorité peut ainsi refuser une mesure probatoire lorsque celle-ci ne serait pas de nature à modifier le résultat des preuves déjà administrées, qu'elle tient pour acquis (ATF 145 I 167 consid. 4.1. ; 140 I 285 consid. 6.3.1). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_51/2018 du 17 janvier 2019 consid. 4.1).

b. En l'espèce, les recourants ont eu l'occasion d'exposer leurs arguments et de produire des pièces, tant devant l'OCPM que le TAPI et la chambre de céans. Ils n’exposent pas en quoi leur audition serait de nature à apporter des éléments complémentaires à ceux déjà au dossier.

Le TAPI n’a pas exclu que les recourants soient arrivés en Suisse en 2009 et y séjournent depuis plus de dix ans, étant précisé que même si cette durée était retenue, cet élément ne serait pas de nature à modifier l'issue du litige.

Il ne sera donc pas donné suite à la demande d’actes d’instruction.

3) a. Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la loi fédérale sur les étrangers (LEtr - RS 142.20) et de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Conformément à l'art. 126 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI), les demandes déposées, comme en l'espèce, avant le 1er janvier 2019 sont régies par l'ancien droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1075/2019 du 21 avril 2020 consid. 1.1).

b. L'art. 30 al. 1 let. b LEI permet de déroger aux conditions d'admission en Suisse, telles que prévues aux art. 18 à 29 LEI, notamment aux fins de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.

L'art. 31 al. 1 OASA, dans sa teneur au moment des faits, prévoit que pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant (let. a), du respect de l'ordre juridique suisse (let. b), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière ainsi que de sa volonté de prendre part à la vie économique et d'acquérir une formation (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f) ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g). Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse (directives LEI, état au 1er janvier 2021, ch. 5.6.12).

Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel, et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/38/2019 du 15 janvier 2019 consid. 4c ; directives LEI, ch. 5.6).

c. La reconnaissance de l'existence d'un cas d'extrême gravité implique que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'un cas d'extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d'origine ou une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2).

La question est ainsi de savoir si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de la situation personnelle, professionnelle et familiale de l'intéressé, seraient gravement compromises (arrêts du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1 ; 2C_369/2010 du 4 novembre 2010 consid. 4.1).

d. L'« opération Papyrus » développée par le canton de Genève a visé à régulariser la situation des personnes non ressortissantes UE/AELE bien intégrées et répondant à différents critères, à savoir, selon le livret intitulé « Régulariser mon statut de séjour dans le cadre de Papyrus » disponible sous https://www.ge.ch/regulariser-mon-statut-sejour-cadre-papyrus/criteres-respecter), avoir un emploi ; être indépendant financièrement ; ne pas avoir de dettes ; avoir séjourné à Genève de manière continue sans papiers pendant cinq ans minimum (pour les familles avec enfants scolarisés) ou dix ans minimum pour les autres catégories, à savoir les couples sans enfants et les célibataires ; faire preuve d'une intégration réussie ; absence de condamnation pénale (autre que séjour illégal).

Dans le cadre du projet pilote « Papyrus », le SEM a procédé à une concrétisation des critères légaux en vigueur pour l'examen des cas individuels d'extrême gravité dans le strict respect des dispositions légales et de ses directives internes. Il ne s'agit pas d'un nouveau droit de séjour en Suisse ni d'une nouvelle pratique. Une personne sans droit de séjour ne se voit pas délivrer une autorisation de séjour pour cas de rigueur parce qu'elle séjourne et travaille illégalement en Suisse, mais bien parce que sa situation est constitutive d'un cas de rigueur en raison notamment de la durée importante de son séjour en Suisse, de son intégration professionnelle ou encore de l'âge de scolarisation des enfants (ATA/1000/2019 du 11 juin 2019 consid. 5b et les arrêts cités).

L'« opération Papyrus » n'emporte en particulier aucune dérogation aux dispositions légales applicables à la reconnaissance de raisons personnelles majeures justifiant la poursuite du séjour en Suisse (art. 30 al. 1 let. b LEI), pas plus qu'à celles relatives à la reconnaissance d'un cas individuel d'extrême gravité (art. 31 al. 1 OASA), dont les critères peuvent entrer en ligne de compte pour l'examen desdites raisons personnelles majeures (ATA/584/2017 du 23 mai 2017 consid. 4c). L'« opération Papyrus » a pris fin le 31 décembre 2018.

e. En l’espèce, le TAPI, par une substitution de motifs que les recourants ne critiquent pas en tant que telle, a retenu que quand bien même ceux-ci rempliraient la condition de la durée du séjour, il n’en allait pas de même de celle de l’indépendance financière, compte tenu du total de leurs dettes, ni, en ce qui concernait Mme A______, de la maîtrise du français.

Dans un premier grief, les recourants reprochent au TAPI d’avoir incorrectement établi les faits au sujet des compétences linguistiques de Mme A______. Celles-ci auraient dû être appréciées compte tenu de la durée de son séjour et par son audition.

La question de la compétence linguistique de la recourante pourra être laissée ouverte, vu ce qui suit.

Dans un second grief, les recourants reprochent au TAPI d’avoir abusé de son pouvoir d’appréciation en retenant que les dettes du couple constituaient un obstacle à son indépendance. Ils ne sauraient être suivis.

Le total de leurs dettes, supérieur à CHF 37'000.-, est important. Il résulte de l’obligation légale de s’assurer pour toute personne domiciliée en Suisse dans les trois mois qui suivent sa prise de domicile, telle que prévue par l’art. 3 al. 1 de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10). Les recourants ne peuvent se prévaloir du respect de leurs obligations légales, qui peut être attendu de tout étranger (arrêt du Tribunal fédéral 2C_352/2014 du 18 mars 2015 consid. 4.5). Leur incapacité à faire face à une obligation financière légale, qu’il s’agisse d’ailleurs de primes d’assurance ou d’impôts, constitue un indice important du défaut d’indépendance économique. Les recourants font valoir que le seuil de CHF 10'000.- de dettes retenu par le TAPI serait arbitraire, compte tenu notamment du coût de la vie en Suisse et de la cherté des primes d’assurance maladie. Si élevés que ces derniers puissent être, le fait de ne pouvoir y faire face avec son revenu peut être tenu sans abus du pouvoir d’appréciation pour un indice de défaut d’indépendance. En l’occurrence, les primes représentent apparemment une charge à laquelle les ressources des recourants ne leur permettent pas de faire face, et ce de manière durable. Il ne peut être tenu compte de remboursements pour conclure que l’endettement des recourants n’est pas un élément suffisant pour nier l’intégration réussie (arrêt du Tribunal fédéral 2C_352/2014 précité consid. 4.6) : les recourants n’allèguent pas qu’ils auraient commencé à rembourser leurs dettes, et admettent que leurs assureurs ne peuvent renoncer à leurs créances contre eux. Il peut ainsi être retenu sans abus du pouvoir d’appréciation que la dette des recourants les empêche, compte tenu de leurs ressources, de faire la preuve qu’ils remplissent la condition de l’indépendance financière, nécessaire, sous l’angle de l’intégration réussie, à la reconnaissance aussi bien d’un cas « Papyrus » que d’un cas d’extrême gravité.

Au vu de ce qui précède, le TAPI n’a ni violé la loi ni commis un abus de son pouvoir d’appréciation en retenant, par substitution de motifs, que les recourants ne remplissaient pas, sous l’aspect de l’indépendance financière, les conditions d’un cas de rigueur, étant rappelé que l’« opération Papyrus » se contentait de concrétiser les critères légaux fixés par la loi pour un tel cas.

4) a. Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, l'autorité compétente rend une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger auquel l'autorisation de séjour est refusée ou dont l'autorisation n'est pas prolongée. Elle ne dispose à ce titre d'aucun pouvoir d'appréciation, le renvoi constituant la conséquence du rejet d'une demande d'autorisation (ATA/1798/2019 du 10 décembre 2019 consid. 6). Le renvoi d'une personne étrangère ne peut être ordonné que si l'exécution de celui-ci est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 LEI).

b. En l'espèce, dès lors qu'il a, à juste titre, refusé l’octroi d’une autorisation de séjour aux recourants, l'intimé devait prononcer leur renvoi. Pour le surplus, aucun motif ne permet de retenir que leur renvoi ne serait pas possible, licite ou ne pourrait raisonnablement être exigé ; ceux-ci ne le font d'ailleurs pas valoir.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

5) Les recourants plaidant au bénéfice de l’assistance juridique, aucun émolument ne sera mis à leur charge (art. 87 al. 1 LPA et art. 13 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03) . Vu l’issue du litige, ils ne peuvent se voir allouer d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 novembre 2021 par Mme A______ et M. B______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 7 octobre 2021 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pierre Ochsner, avocat des recourants, à l’office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.