Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/994/2020

ATA/463/2022 du 03.05.2022 sur JTAPI/567/2021 ( PE ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/994/2020-PE ATA/463/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 mai 2022

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______, agissant en son nom personnel et en qualité de représentante de ses enfants mineurs, B______ et C______
représentés par Me Gabriel Rebetez, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 juin 2021 (JTAPI/567/2021)


EN FAIT

1) a. Madame A______, née le ______, est ressortissante de République démocratique du Congo.

b. Elle est l'épouse de Monsieur D______

c. Mme A______ a six enfants :

- E______, né le ______ 1992,

- F______, née ______ 1993,

- G______, née ______ 1995,

- H______, né ______ 1997,

- B______, né ______ 2005,

- C______, né ______ 2008.

2) Mme A______ est arrivée en Suisse en 1994. Sa demande d'asile a été rejetée le 10 janvier 1997 par décision de l'office fédéral des réfugiés (devenu depuis lors le secrétariat d'État aux migrations ; ci-après : SEM).

Elle était toutefois admise provisoirement en Suisse en raison de la grave hydrocéphalie congénitale dont souffre sa fille G______.

3) Le 11 mai 2000, Mme A______ a été mise au bénéfice d’un permis de séjour pour cas de rigueur par la police des étrangers de la ville de Bienne, où la famille résidait.

4) Le 30 janvier 2018, l’office de la population et des migrations du canton de Berne a prolongé l’autorisation de séjour de l’intéressée et de ses deux enfants mineurs et a prononcé un avertissement.

Depuis sa venue en Suisse, elle n’avait travaillé que dans une faible mesure. Les montants cumulés de l’aide sociale de la ville de Bienne et de Nidau, pour elle-même et ses enfants, ainsi que pour son époux dès le 1er avril 2010, s’élevaient à CHF 973'961.85 pour la période du 26 mai 2000 au 30 janvier 2018, sous réserve de quelques mois où des prestations financières n’avaient pas eu besoin d’être versées.

L’extrait du registre des poursuites du 9 janvier 2018 indiquait que Mme A______ était redevable, envers ses créanciers, d’un montant de CHF 104'017.90 et avait des actes de défauts de biens pour le montant de CHF 60'783.-. Aucun des deux époux ne travaillait.

Mme A______ avait par ailleurs été avertie, le 5 novembre 2002, par la police des étrangers de la ville de Bienne en raison de plaintes pour conduite inconvenante, refus d’indiquer son nom, insoumission à une décision de l’autorité, opposition aux actes de l’autorité, menaces, discrimination raciale et pour diverses infractions à la loi fédérale sur la circulation routière.

Diverses ordonnances pénales figuraient au dossier, notamment une ordonnance du 7 novembre 2017 la condamnant à une amende de CHF 900.-, pour contravention à l’aide sociale, abus de biens sociaux, pour avoir indûment bénéficié de prestations de l’aide sociale depuis février 2011 en dissimulant une rentrée d’argent d’un montant total de CHF 5'445.-.

Afin de respecter le principe de la proportionnalité, Mme A______ était avertie. En cas d’augmentation de la dépendance de l’aide sociale et/ou si elle générait de nouvelles dettes, elle devrait « compter avec la non prolongation de son autorisation de séjour et un renvoi de Suisse. Mme A______ [devait] faire le maximum pour chercher à garder un emploi lui permettant sa totale autonomie financière. L’autorité attendait d’elle qu’elle rembourse ses dettes dans la mesure de ses possibilités ».

5) Le 17 août 2018, Mme A______ a quitté le canton de Berne et s’est établie à Genève avec ses deux enfants mineurs.

6) Le 11 septembre 2018, elle a déposé auprès de l’office cantonal de la population et des migrations du canton de Genève (ci-après : OCPM) une « demande d’attestation » formulaire B.

7) Le 6 décembre 2018, Mme A______ a informé, par courriel, l’OCPM de son arrivée dans le canton. Ses enfants étaient scolarisés à Genève depuis la rentrée scolaire. Ils s'étaient très bien adaptés à leur nouveau cadre, s'étaient fait de nouveaux amis et avaient de très bonnes notes à l'école. Elle vivait en concubinage avec Monsieur I______ (recte : I______). Elle était en instance de séparation avec M. A______. Compte tenu du revenu modeste de M. I______, elle était en recherche d'emploi. Les employeurs exigeaient toutefois un titre de séjour genevois, une attestation de domicile ne leur suffisant pas. Dans le canton de Berne, elle avait consacré tout son temps à sa fille G______, qui avait subi plusieurs opérations. Sa fille étant âgée de 23 ans, elle pouvait avoir une vie active.

8) Par courrier du 25 avril 2019, elle a relancé l'OCPM.

9) Par courrier du 11 juillet 2019, l’OCPM a informé Mme A______ de son intention de ne pas accepter sa demande de changement de canton et de refuser de lui délivrer, ainsi qu’à ses enfants mineurs, une autorisation de séjour sur le territoire genevois dans la mesure où elle ne remplissait pas les conditions de l’art. 37 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

Elle déclarait vivre dans le canton de Genève depuis le 16 août 2018, ce qu’elle n’avait annoncé que le 11 septembre 2018. Elle était inscrite au chômage et bénéficiait des prestations de l’Hospice général (ci-après : l’hospice) depuis le 1er novembre 2018 pour un montant de CHF 24'549.- au 11 juillet 2019. Elle dépendait donc de l’aide sociale, motif de révocation d’une autorisation de séjour.

10) Par décision du 19 février 2019 (recte : 2020), après que Mme A______ a pu exercer son droit d’être entendue, l'OCPM a rejeté sa demande de changement de canton.

En s'étant installée dans le canton de Genève dès le 16 août 2018 et en n'annonçant son arrivée que le 11 septembre 2018, elle n'avait pas respecté les dispositions légales applicables. De plus, elle ne générait aucun revenu par elle-même et avait perçu, depuis le 1er novembre 2018, les prestations d'aide publique pour un montant total de CHF 62'719.-. Elle était invitée à regagner sans délai son canton de provenance avec ses enfants. Cette décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

11) Par acte du 20 mars 2020, Mme A______ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI) en concluant principalement à son annulation. Préalablement, elle a sollicité la restitution de l'effet suspensif du recours.

12) L'OCPM ayant indiqué par courrier du 27 mars 2020 qu'il n'y était pas opposé, le TAPI a restitué l'effet suspensif au recours par décision du 31 mars 2020.

13) Une audience de comparution personnelle s’est tenue le 18 juin 2020.

Mme A______ a expliqué qu’elle avait subi des violences conjugales, qui s’étaient aggravées les deux dernières années. Depuis qu’elle était à Genève, il arrivait à M. A______ de venir voir les enfants. Il était venu la harceler dans l’appartement qu’elle occupait avec son nouveau compagnon, ce qui avait compliqué sa relation avec ce dernier. Elle avait été contrainte de quitter le domicile de son concubin avec ses enfants. Son mari avait toutefois retrouvé l’adresse du foyer où ils s’étaient rendus puis l’adresse de l’appartement qu’elle avait pu obtenir. Son mari avait été condamné pour une agression à son encontre le 4 août 2019. Depuis le 12 juin 2020, elle avait trouvé un emploi, auprès de J_____, à 60 %, pour un salaire mensuel de CHF 2'400.-.

Le compagnon de Mme A______ a précisé qu’ils se connaissaient depuis longtemps. Ils avaient commencé à se revoir lorsqu’elle avait eu des problèmes de couple. À sa venue à Genève, il avait été d’accord de l’héberger. La deuxième visite de M. A______ au domicile avait dégénéré en dispute pour le couple.

Au terme de l'audience, un délai a été imparti à Mme A______ pour se déterminer sur la proposition de l'OCPM de suspendre la procédure afin de vérifier si elle parvenait à conserver son emploi.

14) Le 23 juin 2020, Mme A______ s’y est opposée, une suspension risquant d’accroître ses problèmes d’anxiété.

15) J_____ a résilié le contrat de travail de Mme A______ au 30 juin 2020, la période d’essai n’ayant pas été concluante.

16) Par jugement du 3 juin 2021, le TAPI a rejeté le recours.

a. L’intéressée ne remplissait pas les conditions du droit au changement de canton selon l'art. 37 al. 1 et 2 LEI. Bien qu'elle ait tenté d'avoir une activité lucrative dans le canton de Genève, en qualité d’employée de J______, puis en se mettant à son compte en tant que coiffeuse dans le salon K______, elle n'avait pas été en mesure de dégager un véritable revenu et avait presque exclusivement dépendu de l'aide de l’hospice depuis son arrivée à Genève, pour ses besoins essentiels et ceux de ses deux garçons.

Par courrier du 7 décembre 2020, elle avait fait état de son incapacité de travail pour cause de maladie et des difficultés qu'elle avait rencontrées pour déployer pleinement son activité professionnelle en raison des restrictions liées à la pandémie de la Covid-19. La situation remplissait les conditions d’une révocation prévues par l'art. 62 al. 1 let. e LEI. Elle ne pouvait en conséquence pas prétendre à un droit au changement de canton (art. 37 al. 2 LEI).

Les raisons pour lesquelles elle était demeurée, durant de nombreuses années, au bénéfice des aides publiques dans le canton de Berne (à savoir principalement le handicap de sa fille G______ et ses cinq autres enfants dont elle avait dû s'occuper), étaient sans pertinence. Dans l’analyse d’un changement de canton, la dépendance à l'aide publique était considérée comme un fait objectif, indépendamment des raisons qui sous-tendaient cette situation. Cette dépendance entraînait ipso jure la perte du droit au changement de canton.

b. Mme A______ invoquait une problématique de violence conjugale dont elle était victime dans le canton de Berne de la part de son époux et, d'autre part, l'intégration de ses deux fils dans le canton de Genève. Elle considérait que ces éléments auraient dû conduire l'autorité intimée, par application du principe de la proportionnalité, à lui octroyer l'autorisation de changer de canton.

À la suite d’une interprétation des dispositions légales pertinentes, le TAPI considérait que la perte du droit au changement de canton, lorsque les conditions n'en étaient pas réunies, ne saurait empêcher l'autorité compétente de procéder malgré tout à une pesée des intérêts et, cas échéant, d'autoriser un tel changement lorsque les circonstances, prises dans leur ensemble, justifiaient une telle mesure. Or, quand bien même l'autorité intimée n'avait pas procédé à cette pesée des intérêts, il ne se justifiait pas, du point de vue de l'économie de procédure, de lui renvoyer le dossier en vue d'une nouvelle décision. L'instruction de la cause avait en effet montré que l'autorité intimée était éventuellement disposée à reconsidérer sa décision en fonction des éléments de violence domestique que l’intéressée alléguait et qu’elle parviendrait à démontrer, ce qu'elle n'avait finalement pas fait. Dans ces conditions, il apparaissait inutile de lui renvoyer le dossier.

Même si la situation de Mme A______ et de ses deux enfants pouvait être considérée comme un cas limite, elle pouvait légitimer un refus de changement de canton, sans que l'on puisse reprocher à l’autorité un abus du pouvoir d'appréciation.

Son arrivée dans le canton de Genève, près de trois ans auparavant, était relativement récente. Même si ses deux enfants s’étaient acclimatés à leur nouveau lieu de vie, rien n'indiquait qu'ils ne seraient plus capables de s'adapter à un nouveau changement en retournant dans le canton de Berne. La durée de leur séjour dans le canton de Genève représentait une période relativement courte dans leur enfance.

Elle avait par ailleurs placé l'autorité devant le fait accompli.

Enfin, son argumentation concernant la nécessité de s'éloigner de son mari en quittant le canton de Berne n'était pas réellement convaincante. Nonobstant ses explications sur les nombreuses interventions de la police au domicile conjugal dans le canton de Berne, il n’existait pas d'éléments suffisants pour retenir
qu'au-delà de la période de la séparation, son mari continuerait de la harceler ou d'user de violence. En outre, son installation dans le canton de Genève ne l'avait pas soustraite, selon ses déclarations, aux menaces de son mari, ce qui signifiait que c'était tout au plus l'écoulement du temps qui viendrait à bout de cette situation, davantage que l'écart géographique entre les deux conjoints, écart au demeurant assez faible entre le canton de Berne et le canton de Genève. Elle n'avait d’ailleurs pas signalé de nouvelles menaces ou violences de la part de son mari dans son courrier du 7 décembre 2020. Son retour dans le canton de Berne n'apparaissait pas de nature à l'exposer de manière probable à de nouvelles violences.

La décision attaquée ne violait pas le principe de la proportionnalité.

17) Par acte du 8 juillet 2021, Mme A______ a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement. Elle a conclu à son annulation et à être autorisée à séjourner dans le canton de Genève. Subsidiairement, le dossier devait être renvoyé au TAPI.

Il ressortait littéralement de l’art. 62 al. 2 LEI que l’autorité pouvait refuser une autorisation de changement de canton. C’était toutefois à tort que le TAPI avait considéré que la condition de l’indépendance publique à l’aide sociale entraînait ipso jure le refus de demande de changement de canton et que les circonstances personnelles du cas d’espèce ne devaient pas être prises en compte.

Le TAPI ne pouvait pas, par économie de procédure, procéder lui-même à la pesée des intérêts, faisant ainsi « perdre une instance » à la recourante.

De surcroît, le TAPI n’avait pas pris en compte l’ensemble des circonstances, notamment son parcours de vie difficile, étant originaire de la République démocratique du Congo, les soins apportés à sa fille atteinte d’une maladie congénitale, ses propres problèmes de santé psychologiques et cardiaques, la perte de son emploi due à la Covid-19 dont elle avait été atteinte, les difficultés en termes de surface nécessaire à cause à la Covid-19 dans le salon de coiffure où elle avait exercé en qualité d’indépendante, les conséquences de son absence d’autorisation de résider sur le territoire sur ses possibilités d’emploi, le contexte de violence domestique ayant motivé son arrivée à Genève, les effets psychiques de la présente procédure et, enfin, sa très bonne intégration ainsi que celle de ses deux enfants mineurs. L’art. 96 LEI avait été violé.

L’OCPM aurait dû donner un avertissement à la recourante en attirant son attention sur les conséquences de la dépendance à l’aide sociale, en application de l’art. 96 al. 2 LEI. Le principe de la proportionnalité avait été violé.

Les faits avaient été mal établis. Un retour dans le canton de Berne déracinerait totalement les enfants compte tenu de leur âge respectif. Ils n’avaient que peu de souvenirs de leur vie dans le canton de Berne. C’était par ailleurs à tort que le TAPI avait minimisé la distance entre les deux cantons. Chaque kilomètre entre la recourante et son « ex-mari » ainsi que les frais de déplacement en découlant, contribuaient à diminuer les risques de nouvelles violences à l’encontre de la recourante. Elle n’avait pas mis l’OCPM devant le fait accompli, s’étant présentée immédiatement au guichet de l’OCPM avec M. I______.

18) L’OCPM a conclu au rejet du recours.

19) Par plis des 17 août et 4 novembre 2021, la recourante a transmis copie d’un contrat de travail, en qualité de gardienne d’enfants à 50 %, et les fiches de salaire des mois de septembre et octobre 2021 indiquant un salaire brut mensuel de CHF 1’600.-. Son état de santé ne lui permettait pas d’augmenter son taux d’activité.

20) Lors de l’audience de comparution personnelle du 11 novembre 2021 devant la chambre de céans, Mme A______ a précisé qu’elle avait vu son mari la dernière fois en septembre 2021, date à laquelle il l’avait agressée. Elle avait déposé plainte pénale et avait pris contact avec le centre LAVI. Il n'y avait pas eu d'agression physique à son encontre depuis celle du 4 août 2019, mais des agressions verbales régulières par téléphone ou message. Il venait à Genève uniquement pour l'agresser. Des mesures protectrices de l’union conjugale
(ci-après : MPUC) avaient été prononcées au printemps 2021 par les tribunaux bernois.

Son fils E______ habitait à Genève, chez un ami. Il était étudiant et donnait des cours de basket. F______ habitait à Berne et étudiait à l'Université à Fribourg. G______ habitait à Renens, avec un ami. Elle était à l'assurance-invalidité
(ci-après : AI). H______ était à l'Université à Genève et habitait avec un ami. B______ vivait avec elle. Il était en dernière année du cycle, en R3, et devait passer en classe « sport, art et études ». Il faisait du football, en semi-professionnel, à ______ et allait rejoindre le Servette FC prochainement. C______ avait commencé le cycle en R3 et pratiquait le football à ______. Les études de ses deux cadets se déroulaient très bien.

Son état de santé était en amélioration progressive. Elle souhaitait reprendre son activité de coiffeuse indépendante en parallèle de la garde d’enfant.

Un délai lui a été accordé pour produire toutes pièces utiles, y compris en lien avec son activité professionnelle, la procédure pénale et la situation de ses enfants.

21) Dans le délai imparti, Mme A______ a fourni un certificat médical attestant d’une totale incapacité de travailler du 9 novembre 2021 au 7 février 2022 ainsi qu’une attestation du centre LAVI du 10 janvier 2022. Celle-ci précisait qu’ « au vu de la procédure pénale en cours à l’encontre de son mari, des violences dénoncées par Madame A______ comme ayant un impact important sur sa santé et sa sécurité, mais également dans l’absolue nécessité d’une continuité de ses soins psychiques, [il] priait de bien vouloir évaluer la possibilité d’une autorisation de séjour sur le canton de Genève pour Mme A______ et ses enfants. »

22) Le 2 février 2022, Mme A______ a produit copie du dossier de la procédure pénale P/1______/2021 à la suite de sa plainte pénale du 16 septembre 2021 à l’encontre de son époux.

Il ressort du rapport de police qu’au vu des déclarations contradictoires et des liens entre les personnes appelées à donner des renseignements et les prévenus, la police n’avait pas pu se prononcer sur le déroulement des faits et sur leur éventuelle proposition de qualification juridique de l’une ou l’autre des parties en cause concernant le conflit.

Mme A______ avait toutefois été prévenue pour enregistrement et diffusion d’une conversation confidentielle. Elle avait demandé qu’on lui relise les trois procès-verbaux d’auditions. Lors de la relecture, la police s’était aperçue qu’elle avait dissimulé son téléphone portable sous la table et effectuait une vidéoconférence en haut-parleur avec tous ses enfants, à l’insu des inspecteurs. Ce faisant, en qualité de plaignante, elle n’avait pas respecté l’obligation de garder le silence, comme stipulé dans les procès-verbaux d’audition.

23) Les parties n’ayant pas souhaité formuler d’observations complémentaires dans le délai qui leur avait été imparti, la cause a été gardée à juger.

24) Le dossier comprend notamment :

- des décomptes de prestations financières mensuelles de l’hospice en faveur de la recourante et de ses deux enfants mineurs à hauteur de quelques CHF 2’000.- en nature et CHF 2'000.- de prestations versées directement à des tiers (loyer au propriétaire ou primes d’assurance maladie), les montants variant légèrement selon les mois ;

- un certificat médical du Docteur L______ des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) du 7 juillet 2021 ; le centre ambulatoire de psychiatrie et de psychothérapie intégrée (ci-après : CAPPI) suivait Mme A______ depuis le mois de novembre 2020. Elle était connue, depuis 1993, pour un trouble dépressif récurrent. La patiente présentait une symptomatologie dépressive persistante, associée à des symptômes post-traumatiques, ce qui avait nécessité l’augmentation jusqu’à la dose maximum de son traitement antidépresseur et l’adaptation de son traitement anxiolytique. Le risque de rechute et de péjoration de ses symptômes dépressifs ou anxieux était élevé et nécessitait encore un suivi psychiatrique soutenu ;

- un certificat médical du Docteur M______ du 7 juillet 2021 ; il la suivait depuis le 7 janvier 2021. En raison de l’état de stress important qu’impliquerait un changement de domiciliation et ainsi l’aggravation de l’état de santé de la patiente concernant les diagnostics de cardiopathie rythmique, d’état anxieux, d’attaques de panique et syndrome de stress post-traumatique à la suite de violences conjugales ainsi que des céphalées de tension avec probable composante migraineuse, il était défavorable à un changement de canton ;

- une attestation du 29 octobre 2019 du service de protection des mineurs confirmant que les deux mineurs avaient trouvé leur place dans leur établissement scolaire respectif et y réussissaient honorablement. Ils avaient des amis, importants pour eux. Ils étaient également acceptés dans les clubs de football dans lesquels ils étaient essentiels pour la dynamique de l’équipe ;

- un extrait du registre des poursuites du canton de Genève, selon lequel Mme A______ avait des poursuites pour un montant total de CHF 10'060.- et quatre actes de défaut de biens représentant CHF 10'541.89.

25) Le contenu des pièces sera pour le surplus repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Est litigieux le bien-fondé de la décision de l’OCPM refusant la demande de la recourante de changer de canton de domicile.

Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la loi fédérale sur les étrangers (LEtr- RS 142.20) et de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées, comme en l'espèce, avant le 1er janvier 2019 sont régies par l’ancien droit, étant précisé que les dispositions pertinentes dans le cas d’espèce n’ont pas été modifiées.

3) a. L'art. 37 LEI dispose que le titulaire d’une autorisation de séjour a droit au changement de canton s’il n’est pas au chômage et qu’il n’existe aucun motif de révocation au sens de l’art. 62 LEI (al. 2).

Selon l'art. 62 al. 1 LEI, une autorisation de séjour peut être révoquée si l’étranger lui-même, son représentant légal ou une personne dont il a la charge dépend de l’aide sociale (let. e).

b. L'autorisation dans le premier canton prend fin lorsque l'étranger obtient une autorisation dans un autre canton (art. 61 al. 1 let. b LEI). Tant qu'il ne l'obtient pas, l'autorisation de séjour est maintenue à moins qu'elle ne soit révoquée
(art. 62 LEI).

Le refus du changement de canton n'a pour effet que de renvoyer le requérant dans le canton d'origine. Il n'implique pas la perte du titre de séjour en Suisse (art. 61 al. 1 let. b LEI ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_19/2014 du 2 octobre 2014 consid. 3.2).

c. Selon l'art. 67 OASA, l'étranger qui souhaite changer de canton doit requérir une autorisation de changement de canton. Le non-respect de cette obligation peut faire l’objet d’une amende en application de l’art. 120 al. 1 let. c LEI.

4) a. L'art. 37 al. 2 LEI concerne le titulaire d’une autorisation de séjour. Il prévoit l’existence d’un droit. Les Chambres fédérales ont suivi la proposition du Conseil fédéral, malgré la réticence d’une minorité qui a plutôt préféré une formulation potestative pour, dit-elle, éviter le tourisme de l’aide sociale (Minh SON NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, vol. II, loi sur les étrangers, 2017, p. 351).

b. Dans son message de 2002, le Conseil fédéral relève que la « mobilité répond aux besoins actuels de l’économie du pays et peut notamment contribuer à éviter le chômage. En outre, elle simplifiera considérablement les travaux des autorités et les démarches administratives des employeurs. Elle ne pourra être limitée que pour sauvegarder des intérêts publics qui le méritent ». Par ailleurs, « le droit au changement de canton dépend en outre du degré d’intégration professionnelle. De ce fait, ce droit n’existe que si la personne concernée peut prouver qu’elle a un emploi et que ses moyens financiers lui permettent de vivre, dans le nouveau canton également, sans avoir recours à l’aide sociale. Le chômeur titulaire d’une autorisation de séjour peut chercher un emploi sur tout le territoire de la Confédération. Néanmoins, il n’a le droit de prendre domicile dans un autre canton que lorsqu’il est engagé par un employeur. Il s’agit d’éviter que l’étranger dépendant de l’aide sociale ne se déplace sciemment dans un autre canton lui offrant de meilleures prestations sociales » (FF 2002, p. 3547).

5) Le nouveau canton est tenu d'examiner s'il existe un motif de révocation et (conditions cumulatives) si un renvoi de Suisse constituerait une mesure proportionnelle et raisonnablement exigible compte tenu de l'ensemble des circonstances (arrêt du Tribunal fédéral 2D_47/2015 du 4 décembre 2015 consid. 5.2 et les références citées ; Directives du SEM, domaine des étrangers, octobre 2013, actualisées le 1er mars 2022 [ci-après : Directives LEI] ch. 3.1.8.2).

6) En vertu de l'art. 96 LEI, les autorités compétentes tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d'appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger, ainsi que de son degré d'intégration. L'existence d'un motif de révocation de l'autorisation ne débouche sur un tel résultat que si celle-ci respecte le principe de la proportionnalité (arrêt du Tribunal fédéral 2C_793/2008 du 27 mars 2009 consid. 2.1 et les références). Le principe de la proportionnalité implique de prendre en considération notamment la gravité de l'éventuelle faute commise par l'étranger, le degré de son intégration, la durée du séjour en Suisse, le préjudice que l'intéressé et sa famille auraient à subir du fait de la mesure
(ATF 139 I 16 consid. 2.2.1.; 135 II 377 consid. 4.3).

7) a. En l’espèce, depuis son arrivée dans le canton de Genève, la recourante a obtenu un travail à temps partiel au titre de garde d’enfants quelques mois, un emploi de vendeuse dans une boutique pendant un mois et a tenté, quelques semaines, une activité d’indépendante en qualité de coiffeuse. Elle a présenté une incapacité de travail fluctuante en fonction de son état de santé, les derniers certificats médicaux produits faisant état d’une totale incapacité de travailler du 9 novembre 2021 au 7 février 2022. Elle indique souhaiter pouvoir travailler.

Il ressort toutefois du dossier que, depuis son arrivée à Genève, soit depuis bientôt quatre ans, la recourante et ses deux enfants mineurs ont dépendu de l’aide sociale. Si, certes, les montants ont probablement pu être moindres les quelques mois où elle a pu exercer une activité professionnelle, il n’a été ni allégué ni a fortiori prouvé que les revenus qu’elle avait obtenus lui auraient permis de ne plus solliciter l’aide sociale, étant rappelé que les besoins de la recourante et de ses deux enfants sont chiffrés à plus de CHF 4'000.- mensuellement. La recourante n’a jamais produit de fiches de salaire d’un tel montant, ni même d’un montant qui, cumulé avec des allocations familiales, aurait permis de l’atteindre.

La recourante a par ailleurs accumulé à Genève de nombreuses poursuites et plusieurs actes de défaut de biens ont été délivrés à son encontre.

À cela s’ajoute le fait que, avant de venir dans le canton de Genève, elle avait sollicité, dès le 26 mai 2000, des prestations d’aide sociale à Bienne et Nidau, pendant quelque dix-huit années, pour un montant dépassant
CHF 900'000.-.

La recourante dépendant de l’aide sociale, à l’instar de ses deux enfants dont elle a la charge, elle remplit la condition de l’art. 62 al. 2 let. e LEI d’une possible révocation de son autorisation de séjour et de celle de ses enfants.

b. Conformément toutefois à la jurisprudence du Tribunal fédéral, il convient d’analyser aussi si un renvoi de Suisse, de la recourante et de ses deux enfants, constituerait une mesure proportionnelle et raisonnablement exigible compte tenu de l’ensemble des circonstances.

Or, si l’OCPM a examiné le respect du principe de la proportionnalité en lien avec un renvoi dans le canton de Berne, il n’a pas procédé à l’analyse de l’exigibilité d’un renvoi en République démocratique du Congo de la recourante et de ses deux enfants mineurs, aujourd’hui âgés de presque quatorze ans et seize ans et demi, qui ont toujours vécu en Suisse et ont toute leur famille nucléaire, père, frères et sœurs sur le territoire helvétique.

Dans ces conditions, le dossier doit lui être renvoyé afin qu’il évalue les conséquences du refus d’autorisation sur la vie privée et familiale de la recourante et de ses enfants non seulement par rapport à la possibilité, pour eux, de vivre dans le canton de Berne, mais aussi par rapport à leur renvoi de Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2C_386/2013 du 13 septembre 2013 consid. 2.3 et les jurisprudences susmentionnées) et rende une nouvelle décision.

8) Vu l’issue du recours, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la recourante qui y a conclu et a bénéficié des services d’un mandataire (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 juillet 2021 par Madame A______, agissant en son nom personnel et en qualité de représentante de ses enfants mineurs, B______ et C______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 juin 2021 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

renvoie le dossier à l’office cantonal de la population et des migrations pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

 

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à Madame A______;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Gabriel Rebetez, avocat des recourants, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Lauber et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.