Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3266/2021

ATA/479/2022 du 03.05.2022 ( PRISON ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3266/2021-PRISON ATA/479/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 mai 2022

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ est incarcéré à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) depuis le 18 août 2021, en exécution de peine. Le terme de celle-ci est fixé au 11 mai 2022.

2) Le 1er septembre 2021, M. A______ a fait l'objet d'une sanction de deux jours de placement en cellule forte, pour attitude incorrecte envers le personnel et trouble à l'ordre de l'établissement.

Selon le rapport établi le 1er septembre 2021 par un appointé membre du personnel de l'établissement, au moment de sortir avec M. A______ vers 13h40 pour sa promenade, ce dernier lui avait dit que son masque facial était cassé. Pendant que le surveillant était allé chercher un masque de remplacement, un autre surveillant avait passé au magnétomètre M. A______, qui lui avait alors dit : « Votre collègue c'est vraiment un gros bouffon ». M. A______ avait alors été raccompagné en cellule, et le gardien-chef adjoint opérationnel avait été informé de l'incident.

3) M. A______ a exécuté la sanction du 1er septembre 2021 à 14h45 au 3 septembre 2021 à 14h45.

4) Par acte posté le 24 septembre 2021, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la sanction précitée, sans prendre de conclusions formelles.

Contrairement à ce qui était indiqué dans le formulaire de notification de sanction, il n'avait pas eu le droit de s'exprimer sur sa version des faits. Au sortir de la cellule de mise en quarantaine, où il avait passé dix jours, il avait salué le gardien, qui ne lui avait pas répondu, mais demandé froidement de mettre son masque, en le tutoyant. Il s'était alors rendu compte que l'élastique en était brisé, et l'avait signalé. Le gardien l'avait immédiatement accusé d'avoir endommagé le masque volontairement, toujours en le tutoyant, et en insistant pour dire qu'il l'avait fait exprès d'une manière très désagréable.

Après lui avoir proposé de visionner les images de vidéosurveillance, le gardien était parti chercher un nouveau masque, et en quittant les lieux l'avait traité de bouffon. Il avouait qu'à la suite de cette insulte il lui avait « renvoyé le même mot à la figure », ce qu'il regrettait, mais il avait été attaqué dans son honneur de manière irrespectueuse.

Après être retourné en cellule, il avait été emmené en cellule forte par une douzaine de gardiens, puis fouillé à nu. À 18h30 le gardien-chef adjoint était venu avec plusieurs autres gardiens lui remettre la notification de sanction, sans lui donner la possibilité de s'exprimer, raison pour laquelle il avait refusé de signer le formulaire.

5) Le 28 septembre 2021, M. A______ a fait l'objet d'une sanction de trois jours de suppression des promenades collectives, pour trouble à l'ordre de l'établissement.

6) Le 21 octobre 2021, la prison a conclu au rejet du recours.

M. A______ avait été vu et entendu à 16h25, et s'était vu notifier ensuite, soit vers 18h30, le formulaire de notification de sanction.

Le rapport avait été établi par un agent assermenté. Il ne ressortait pas du dossier de M. A______ qu'il ait eu auparavant de conflit avec l'agent en question. Le recours n'apportait pas d'éléments permettant de s'écarter de la constatation des faits opérée dans le rapport.

Il avait tenu des propos irrespectueux à l'encontre d'un agent de détention, comportement qui contrevenait au règlement. Quant à la proportionnalité de la mesure, s'il était vrai que le placement en cellule forte était la sanction la plus sévère, à la lecture du rapport d'incident la sanction se devait de l'être, dans la mesure où il était inadmissible qu'une personne détenue se montre irrespectueuse à l'encontre du personnel pénitentiaire.

7) Le 2 novembre 2021, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 19 novembre 2021 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

8) Aucune des parties ne s'est manifestée.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Bien que la sanction de deux jours de cellule forte ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celle-ci, dès lors qu'il ne ressort pas du dossier que sa peine aurait pris fin et qu'il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire (ATA/63/2021 du 19 janvier 2021 consid. 1 ; ATA/774/2020 du 18 août 2020 consid. 3b).

2) a. Selon l'art. 65 al. 1 LPA, applicable à la réclamation, l'acte contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions. En outre, il doit contenir l'exposé des motifs. À défaut, un bref délai pour satisfaire à ces exigences est fixé à la personne recourante, sous peine d'irrecevabilité (art. 65 al. 2 LPA).

b. Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions. Le fait que ces dernières ne ressortent pas expressément de l'acte de recours n'est pas en soi un motif d'irrecevabilité, pourvu que le tribunal et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins de la personne recourante. Une requête en annulation d'une décision doit par exemple être déclarée recevable dans la mesure où la personne recourante a de manière suffisante manifesté son désaccord avec la décision, ainsi que sa volonté qu'elle ne développe pas d'effets juridiques (ATA/306/2021 du 9 mars 2021 consid. 2b).

c. En l'occurrence, le recourant n'a pas pris de conclusions formelles, mais on peut inférer de son acte de recours qu'il conteste, sinon le principe, du moins la quotité de la sanction. Il peut donc être entré en matière sur le recours.

3) Le recourant se plaint matériellement d’une violation de son droit d’être entendu.

a. Tel qu’il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 142 II 218 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_157/2018 du 28 mai 2018 consid. 3.1 et les références citées ; ATA/723/2018 du 10 juillet 2018 et les arrêts cités).

b. En l’espèce, il ressort du dossier que le recourant a été entendu oralement par le gardien-chef adjoint le 1er septembre 2021 à 16h25, suite aux faits qui lui étaient reprochés, et avant qu’une sanction ne soit ne lui soit « signifiée » à 16h30 et notifiée par formulaire à 18h30. Le recourant mentionne dans son acte de recours qu'en fait il ne lui aurait pas été donné l'occasion de s'exprimer. Ce faisant, il se contente de donner une version des faits qui va à l'encontre du rapport rédigé, sans donner aucun élément concret permettant de douter de la véracité de celui-ci.

La chambre de céans doit donc considérer que le recourant s'est vu donner l'occasion de s'exprimer avant que la sanction lui soit notifiée. Le temps donné était certes bref mais vu les faits en cause, on ne voit pas qu'une explication orale de plus de cinq minutes eût été nécessaire. Son droit d'être entendu a ainsi été respecté, et le grief sera écarté.

4) Le recourant conteste le bien-fondé de la sanction, notamment en se plaignant en substance d'une constatation inexacte des faits pertinents.

a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le RRIP ; art. 1 al. 3 de la loi sur l'organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50).

Un détenu doit respecter les dispositions du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), les instructions du directeur général de l'office cantonal de la détention, ainsi que les ordres du directeur et du personnel pénitentiaire (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l'égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP).

Il est interdit aux détenus, notamment, d’une façon générale, de troubler l’ordre et la tranquillité de l’établissement (art. 45 let. h RRIP).

c. Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer la suppression de visite pour quinze jours au plus (let. a), la suppression des promenades collectives (let. b), la suppression des activités sportives (let. c), la suppression d’achat pour quinze jours au plus (let. d), la suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour quinze jours au plus (let. e), la privation de travail (let. f), le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g). Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

Le placement d'une personne détenue en cellule forte pour une durée supérieure à cinq jours est impérativement prononcé par le directeur ou, en son absence, par son suppléant ou un membre du conseil de direction chargé de la permanence (art. 47 al. 8 RRIP).

d. En procédure administrative, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n’est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/1198/2021 du 9 novembre 2021 consid. 3b).

De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/63/2021 précité consid. 3d), sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 LOPP), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers.

e. Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

f. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c ; ATA/888/2015 du 1er septembre 2015 consid. 7b).

5) En l'espèce, le recourant ne fait qu'opposer sa propre version des faits à celle retenue dans le rapport d'incident, sans donner d'élément qui permettrait de s'écarter de ce dernier – succinct mais complet, et établi par un agent de détention assermenté. Il ne peut donc être retenu qu'il ait été lui-même injurié au préalable, et donc provoqué – ce qui permettrait du reste tout au plus d'atténuer sa faute, et non de la supprimer.

Le recourant reconnaît par ailleurs lui-même avoir traité l'agent de détention de « bouffon », ce qui constitue un manque de respect à un membre du personnel, et par là même une infraction à l'art. 44 RRIP.

L’existence d’une infraction objective au règlement est établie, si bien que les griefs de constatation inexacte des faits et, le cas échéant, d'inexistence d'un comportement illicite seront écartés.

6) S'agissant de la proportionnalité de la sanction, force est de constater que la violation du RRIP ne revêt pas un caractère de grande gravité. De plus, au moment du prononcé de la sanction attaquée, le recourant n'avait aucun antécédent disciplinaire.

Dès lors, la sanction choisie apparaît trop sévère pour une première infraction de ce type au règlement. Si le choix d'un placement en cellule forte pouvait se justifier, seule une sanction d'un jour de cellule forte apparaît proportionnée à la faute commise en l'espèce.

Le recours sera dès lors partiellement admis, et l'illicéité de la sanction prononcée constatée.

7) Vu la nature et l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, le recourant n'y ayant pas conclu et n'ayant pas exposé de frais pour sa défense (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 septembre 2021 par Monsieur A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 1er septembre 2021 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

constate le caractère illicite de la décision de la prison de Champ-Dollon du 1er septembre 2021, au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Ravier

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :