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Décisions | Chambre civile

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C/8383/2021

ACJC/197/2023 du 09.02.2023 sur JTPI/5455/2022 ( OO ) , RENVOYE

Normes : CPC.59.al2.lete; LP.80.al1; LP.81.al1; CPC.336.al1.leta
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/8383/2021 ACJC/197/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du jeudi 9 fevrier 2023

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ (France), appelante d'un jugement rendu par la 20ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 6 mai 2022, comparant par Me Olivier SEIDLER, avocat, KULIK SEIDLER, rue du Rhône 116, 1204 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______ [GE], intimé, comparant par
Me Nicolas MOSSAZ, avocat, OA Legal SA, Place de Longemalle 1, 1204 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1975, de nationalité britannique, et B______, né le ______ 1973, de nationalité roumaine, se sont mariés le ______ 2011 à C______ (Etats-Unis).

L'enfant D______, né le ______ 2011 à C______, est issu de cette union.

b.a. Le 21 janvier 2015, B______ a formé devant le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) une requête de mesures protectrices de l'union conjugale, concluant notamment à ce que la question du versement par lui-même d'une contribution à l'entretien de son épouse et/ou de son fils soit réservée.

Lors de l'audience du Tribunal du 20 mai 2015, les parties ont indiqué avoir trouvé un accord provisoire depuis le 15 avril 2015, aux termes duquel B______ s'engageait à payer "toutes les factures" de son épouse et de son fils, ainsi qu'à verser à celle-ci, en sus, un montant mensuel de 1'500 fr.

Lors de l'audience du Tribunal du 9 novembre 2016, B______ s'est engagé à prendre en charge les "charges incompressibles" de son épouse et de son fils et de verser à celle-ci une somme additionnelle de 1'500 fr. par mois. De son côté, A______ a conclu au paiement d'une contribution à l'entretien de la famille de 22'000 fr. par mois, dès le 21 janvier 2015 et "sous déduction des montants versés".

b.b. Par jugement JTPI/2598/2017 du 24 février 2017, le Tribunal, statuant sur mesures protectrices de l'union conjugale, a, notamment :

- condamné B______ à verser à A______ par mois et d'avance, allocations familiales non comprises, à titre de contribution à l'entretien de D______, "sous déduction des montants déjà versés", une somme de 3'000 fr. du 21 janvier 2015 au 31 décembre 2016 (ch. 15 du dispositif);

- condamné B______ à verser à A______, par mois et d'avance, allocations familiales non comprises, à titre de contribution à l'entretien de D______, "sous déduction des montants déjà versés", une somme de 5'615 fr. (comprenant 3'000 fr. d'entretien convenable et 2'615 fr. de contribution de prise en charge) dès le 1er janvier 2017 (ch. 16);

- condamné B______ à verser à A______, par mois et d'avance, à titre de contribution à son entretien, "sous déduction des montants déjà versés", une somme de 7'000 fr. du 21 janvier 2015 au 31 décembre 2016 (ch. 17) et

- condamné B______ à verser à A______, par mois et d'avance, à titre de contribution à son entretien, "sous déduction des montants déjà versés", une somme de 4'385 fr. dès le 1er janvier 2017 (ch. 18).

Ni l'état de fait, ni les considérants de ce jugement ne font mention des montants que B______ aurait versés au titre de l'entretien de son fils et/ou de son épouse et qu'il conviendrait de porter en déduction des contributions d'entretien sus indiquées.

b.c Statuant sur les appels formés par les deux parties, la Cour de justice a, par arrêt ACJC/984/2017 du 9 août 2017, confirmé les ch. 15 à 18 du dispositif du jugement JTPI/2598/2017 susmentionné.

Dans son arrêt (cf. EN FAIT, let. B. cc.), la Cour a retenu que les extraits des comptes bancaires suisse et américain de A______, ainsi que les extraits de ses cartes de crédit suisse et américaine, faisaient "apparaître des crédits mensuels de 1'500 fr. de B______, ainsi que des dépenses courantes et des soldes de peu d'importance". Pour la surplus, l'arrêt ne fait aucune mention des montants que B______ aurait versés au titre de l'entretien de son fils et/ou de son épouse et qu'il conviendrait de porter en déduction des contributions d'entretien mises à sa charge.

L'arrêt ACJC/984/2017 du 9 août 2017 n'a fait l'objet d'aucun recours devant le Tribunal fédéral.

c.a Le 4 octobre 2017, B______ a formé devant le Tribunal une demande unilatérale en divorce.

Dans sa réponse du 9 avril 2018, A______ a conclu au paiement de la somme de 100'000 fr. à titre de liquidation du régime matrimonial, en relation avec la vente d'une maison aux Etats-Unis et de divers objets mobiliers. Le 11 mars 2020, elle a amplifié ses conclusions sur ce point à 400'000 fr., afin d'y inclure des arriérés de contributions d'entretien.

Par pli du 5 mai 2020, le Service cantonal d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires (SCARPA) a informé le Tribunal que, par convention du 19 décembre 2017, A______, agissant à son nom et à celui de son fils, avait mandaté ledit Service en vue du recouvrement des contributions d'entretien dues par B______ à compter du 1er janvier 2018.

A l'audience de plaidoiries finales du 25 novembre 2020, A______ a conclu, sur liquidation du régime matrimonial, à ce que son époux soit condamné à lui verser la somme de 656'261 fr., comprenant notamment des arriérés de contributions d'entretien en 218'877 fr. jusqu'au 31 décembre 2017 et en 307'584 fr. dès le 1er janvier 2018.

c.b Par jugement JTPI/1575/2021 du 2 février 2021, le Tribunal a prononcé le divorce des parties. Sur la question de la liquation du régime matrimonial, il a déclaré les conclusions de A______ irrecevables, notamment en tant que celles-ci concernaient les arriérés de contributions d'entretien antérieurs au 27 juin 2018 (ch. 14 du dispositif), et l'a déboutée de ses autres conclusions pour le surplus (ch. 15).

Le Tribunal a considéré que A______ avait amplifié ses conclusions postérieurement à l'ouverture des débats principaux, intervenue le 27 juin 2018, alors que les conditions de l'art. 230 CPC n'étaient pas remplies. En particulier, elle s'était prévalue tardivement des arriérés de contributions d'entretien antérieurs au 27 juin 2018 et, en l'absence de faits nouveaux, l'amplification de ses conclusions était irrecevable sur ce point. S'agissant des arriérés de contributions postérieurs au 27 juin 2018, il ressortait du dossier que, par convention de cession du 19 décembre 2017, A______, agissant tant pour elle-même qu'en sa qualité de représentante légale de son fils D______, avait mandaté le SCARPA en vue du recouvrement des contributions dues par B______. Le mandat du SCARPA avait débuté le 1er janvier 2018 et portait sur l'entier des pensions dues. Dès lors, le titulaire des créances d'arriérés de contributions d'entretien dès le 1er janvier 2018 était le SCARPA, de sorte que A______ devait être déboutée de ses prétentions sur ce point.

c.c Par arrêt ACJC/365/2022 du 11 mars 2022, statuant sur les appels formés par les deux parties, la Cour a, notamment, confirmé les ch. 14 et 15 du dispositif du jugement JTPI/1575/2021 susvisé. L'appel formé par A______ ne portait pas sur la question des arriérés de contributions d'entretien.

d. Le 10 mai 2019, parallèlement à la procédure de divorce, A______ a fait notifier à B______ un commandement de payer, poursuite n° 1______, pour un montant de 232'122 fr. 62 avec intérêts à 5% dès le  31 juillet 2016, réclamé au titre de la "[c]ontribution d'entretien du 21 janvier 2015 au 31 décembre 2017, déduction faite de l'estimation des montants d'ores et déjà payés par le débiteur, Jugement du Tribunal de première instance du 24 février 2017 et Arrêt de la Cour de justice du 9 août 2017".

B______ a formé opposition totale à ce commandement de payer.

B. a. Par demande du 23 avril 2021, déclarée non conciliée le 24 novembre 2021 et introduite devant le Tribunal le 2 décembre 2021, A______ a assigné son ex-époux en paiement de la somme de 126'364 fr. 20, avec intérêts à 5% l'an dès le 31 juillet 2016, à titre d'arriérés de contributions à son entretien et à celui de leur fils D______, pour la période du 21 janvier 2015 au 31 décembre 2017, sous suite de frais judiciaires et dépens, ceux-ci devant être fixés à 13'818 fr.

Dans sa demande, A______ a allégué que la somme recherchée de 126'364 fr. 20 correspondait au montant total des contributions d'entretien dues sur la période concernée (353'548 fr. 30), sous déduction des sommes déjà versées par B______, soit 132'584 fr. 10 (loyers, primes d'assurance-maladie, factures E______ [opérateur téléphonie], versements en espèces, de janvier 2015 à décembre 2017) et 94'600 fr. (loyers de janvier 2018 à juillet 2020).

Par réponse du 23 mars 2022, B______ a conclu à ce qu'il lui soit donné acte de ce qu'il se reconnaissait débiteur envers A______ de la somme de 74'578 fr., la demande devant être rejetée pour le surplus, sous suite de frais judiciaires et dépens.

A l'issue de l'audience du 4 mai 2022, les parties ont renoncé à plaider, après quoi le Tribunal a gardé la cause à juger.

b. Par jugement JTPI/5455/2022 du 6 mai 2022, reçu le 10 mai 2022 par les parties, le Tribunal, statuant par voie de procédure ordinaire, a déclaré la demande formée par A______ irrecevable (ch. 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 1'000 fr., laissés à la charge de A______ sous réserve des décisions de l'assistance juridique (ch. 2), et dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 3).

Le Tribunal a considéré que A______ fondait ses prétentions sur une décision de mesures protectrices de l'union conjugale entrée en force, de sorte qu'elle détenait déjà un titre de mainlevée définitive lui permettant de faire valoir sa créance en poursuite. Il n'y avait donc pas lieu d'entrer en matière sur la demande, qui était irrecevable, étant précisé qu'il appartiendrait à B______ de démontrer, le cas échéant, qu'il s'était acquitté d'une partie de la dette.

C. a. Par acte expédié le 9 juin 2022 au greffe de la Cour de justice, A______ a formé appel de ce jugement, concluant à son annulation, sous suite de frais judiciaires et dépens de première instance et d'appel. Cela fait, elle a conclu, principalement, à la condamnation de B______ au paiement de la somme de 126'364 fr. 20, avec intérêts à 5% l'an dès le 31 juillet 2016, à titre d'arriérés des contributions d'entretien pour elle-même et leur fils D______, pour la période du 21 janvier 2015 au 31 décembre 2017, et de la somme de 13'818 fr. à titre de dépens. Subsidiairement, elle a conclu au renvoi de la cause au Tribunal pour instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants.

Elle a produit une pièce nouvelle, soit une décision de l'assistance juridique du 24 mai 2022 (pièce C).

b. Par réponse du 14 juillet 2022, B______ a conclu, principalement, au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris, et, subsidiairement, à ce qu'il lui soit donné acte de ce qu'il reconnaissait devoir la somme de 74'578 fr. à A______, à titre d'arriérés de contributions d'entretien pour la période du 21 janvier 2015 au 31 décembre 2017, et au déboutement de la précitée pour le surplus, le tout sous suite de frais judiciaires et dépens. Plus subsidiairement, il a conclu au renvoi de la cause au Tribunal pour instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants.

Il a produit un bordereau d'une vingtaine de pièces déjà soumises au premier juge.

c. Par réplique du 5 septembre 2022 et duplique du 6 octobre 2022, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

B______ a produit une pièce nouvelle, soit une lettre de licenciement datée du 29 août 2017 (pièce n° 20).

d. Les parties ont été avisées le 27 octobre 2022 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC), dans les causes non patrimoniales et dans les causes patrimoniales dont la valeur litigieuse est, comme en l'espèce, supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).

Le jugement qui admet l'irrecevabilité de la demande est une décision finale mettant fin au procès (Jeandin, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 9 ad art. 308 CPC).

Interjeté dans le délai et selon la forme prévus par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1 et 3 et 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.2 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), dans la limite des griefs motivés qui sont formulés (ATF
142 III 413 consid. 2.2.4).

2. Les parties ont produit des pièces nouvelles devant la Cour. Il n'est toutefois pas nécessaire de trancher la question de la recevabilité de ces pièces, celles-ci n'ayant pas d'incidence sur l'issue de la procédure.

3. L'appelante reproche au Tribunal d'avoir violé l'art. 59 al. 2 let. d et e CPC en considérant que le jugement de mesures protectrices de l'union conjugale du 24 février 2017, confirmé par arrêt de la Cour du 9 août 2017, valait titre de mainlevée définitive, quand bien même les montants déjà versés par l'intimé n'étaient pas déterminables à teneur de ces décisions.

3.1.1 Le tribunal n'entre en matière que sur les demandes et les requêtes qui satisfont aux conditions de recevabilité de l'action (art. 59 al. 1 CPC). En particulier, le tribunal n'entrera en matière sur la demande que si le litige ne fait pas l'objet d'une décision entrée en force (art. 59 al. 2 let. e CPC).

Une décision a l'autorité de chose jugée (ou la force de chose jugée au sens matériel) lorsqu'elle est obligatoire, c'est-à-dire qu'elle ne peut plus être remise en discussion ni par les parties, ni par les tribunaux. L'autorité de la chose jugée a deux effets. Un effet négatif : le tribunal saisi d'une nouvelle action ne peut pas entrer en matière lorsque l'objet du litige a déjà fait l'objet d'une décision ayant l'autorité de chose jugée (art. 59 al. 2 let. e CPC); et un effet positif : tout tribunal saisi d'une autre cause et appelé à statuer à titre préjudiciel sur la question tranchée par la décision ayant l'autorité de chose jugée est lié par le dispositif de celle-ci (HOHL, Procédure civile, Tome I, 2016, n. 2323 ss). Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il y a autorité de la chose jugée lorsque la prétention litigieuse est identique à celle qui a déjà fait l'objet d'un jugement passé en force (identité de l'objet du litige). Tel est le cas lorsque, dans l'un et l'autre procès, les mêmes parties ont soumis au juge la même prétention en se basant sur les mêmes faits (ATF 144 III 452 consid. 2.3.2; 142 III 210 consid. 2.1; 140 III 278 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_224/2017 du 27 juin 2017 consid. 2.3.1).

Le Tribunal examine d'office si les conditions de recevabilité sont remplies (art. 60 CPC).

3.1.2 Selon l'art. 336 al. 1 let. a CPC une décision est exécutoire lorsqu'elle est entrée en force et que le tribunal n'a pas suspendu l'exécution (art. 325 al. 2 et 331 al. 2 CPC).

Pour être exécutoire au sens de l'art. 336 CPC, la décision doit décrire l'obligation à exécuter avec une précision suffisante sous l'angle matériel, local et temporel, de façon à ce que le juge chargé de l'exécution n'ait pas à élucider lui-même ces questions (arrêts du Tribunal fédéral 5A_70/2021 du 18 octobre 2021 consid. 4.1; 4A_287/2020 du 24 mars 2021 consid. 2.2; 5A_880/2015 du 3 juin 2016 consid. 2). Une décision peu claire doit faire l'objet d'une interprétation ou d'une rectification (art. 334 al. 1 CPC). Si le vice ne peut pas être levé par cette voie et que la décision n'est donc toujours pas exécutoire, une nouvelle action doit être intentée. Le principe de l'autorité de chose jugée ne s'y oppose pas, puisqu'une décision non exécutable ne déploie pas d'autorité de chose jugée (arrêts du Tribunal fédéral 4A_287/2020 du 24 mars 2021 consid. 2.2; 4A_640/2016 du 25 septembre 2017 consid. 2.2 et les références citées).

3.1.3 Les décisions portant sur le versement d'une somme d'argent sont exécutées selon les dispositions de la LP (art. 335 al. 2 CPC).

Selon l'art. 80 al. 1 LP, le créancier qui est au bénéfice d'un jugement exécutoire peut requérir du juge la mainlevée définitive de l'opposition.

Selon l'art. 81 al. 1 LP, lorsque la poursuite est fondée sur un jugement exécutoire rendu par un tribunal ou une autorité administrative suisse, le juge ordonne la mainlevée définitive de l'opposition, à moins que l'opposant ne prouve par titre que la dette a été éteinte ou qu'il a obtenu un sursis, postérieurement au jugement, ou qu'il ne se prévale de la prescription.

Seul un jugement condamnatoire constitue un titre de mainlevée (ATF 134 III 656 consid. 5.4). La mainlevée ne peut donc être octroyée que si le jugement condamne le débiteur à payer une somme d'argent déterminée ou aisément déterminable (ATF 143 III 564 consid. 4.3.2; 138 III 583 consid. 6.1.1; 134 III 656 consid. 5.3.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_123/2021 du 23 juillet 2021 consid. 4.1.2.1, 5A_276/2020 du 19 août 2020 consid. 5.2.2, in RSPC 2002 p. 590).

Saisi d'une requête de mainlevée définitive à l'appui de laquelle le poursuivant produit un jugement, le juge doit notamment vérifier si la créance en poursuite résulte de cet acte. Il n'a cependant pas à se déterminer sur son existence matérielle ni sur le bien-fondé du jugement la constatant, car cela reviendrait à examiner matériellement l'obligation de payer. Si le jugement est peu clair ou incomplet, il appartient au juge du fond de l'interpréter (ATF 143 III 564 consid. 4.3.2;
138 III 583 consid. 6.1.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_335/2021 du 19 juillet 2022 consid. 3, 5A_123/2021 du 23 juillet 2021 consid. 4.1.2.2). En effet, le juge de la mainlevée n'a ni à revoir ni à interpréter le titre qui lui est soumis (arrêts du Tribunal fédéral 5A_123/2021 du 23 juillet 2021 consid. 4.1.2.2; 5A_416/2019 du 11 octobre 2019 consid. 4.2.1, in SJ 2020 I 102).

Cette limitation du pouvoir d'examen du juge de la mainlevée ne signifie pas que celui-ci doive se fonder exclusivement sur le dispositif du jugement invoqué pour déterminer si le titre vaut titre de mainlevée définitive au sens de l'art. 80 al. 1 LP, notamment s'il est condamnatoire. Il peut aussi se référer aux considérants du jugement; ce n'est que si le sens du dispositif est douteux et que ce doute ne peut être levé à l'examen des motifs que la mainlevée doit être refusée (ATF 143 III 564 consid. 4.3.2; 138 III 583 consid. 6.1.1; 134 III 656 consid. 5.3.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_123/2021 du 23 juillet 2021 consid. 4.1.2.2, 5D_21/2020 du 26 mai 2020 consid. 4.1.2 et les références citées). Le juge peut aussi prendre en considération à cette fin d'autres documents, dans la mesure où le jugement y renvoie (ATF 138 III 583 consid. 6.1.1; 135 III 315 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_891/2019 du 5 juin 2020 consid. 4.2 et les références citées).

3.1.4 Selon la jurisprudence, lorsque le dispositif d'un jugement condamne le débiteur au paiement de contributions d'entretien d'un montant déterminé, tout en réservant néanmoins les prestations d'entretien déjà versées, le jugement ne vaut pas titre de mainlevée, faute d'une obligation de payer claire (ATF 138 III 583 consid. 6.1.1; 135 III 315 consid. 2.4; arrêts du Tribunal fédéral 5A_454/2017 du 17 mai 2018 consid. 5.3; 5A_80/2015 du 10 mai 2016 consid. 3.6; 5A_860/2011 du 11 juin 2012 consid. 6.3).

Il en découle que, si le débirentier prétend avoir déjà versé des prestations d'entretien au crédirentier depuis la séparation, il est nécessaire que le juge du fond statue sur les montants qui doivent être déduits de l'arriéré, sur la base des allégués et des preuves offertes en procédure. Il ne peut pas se contenter de réserver dans sa décision l'imputation des prestations déjà versées sans en chiffrer le montant, sinon le jugement rendu ne sera pas susceptible d'exécution forcée (ATF 138 III 583 consid. 6.1; 135 III 315 consid. 2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_454/2017 du 17 mai 2018 consid. 5.3; 5A_860/2011 du 11 juin 2012 consid. 6.3). En effet, le juge aura fixé le montant de la créance d'entretien, mais non pas le montant à payer par le débirentier (ATF 135 III 315 consid. 2.4).

En revanche, lorsque le dispositif du jugement condamne sans réserve le débiteur au paiement de contributions d'entretien d'un montant déterminé, pour une période rétroactive, et qu'il ressort des motifs que c'est faute de preuve que le juge du fond n'a pas arrêté le montant déjà versé pendant ladite période, ce jugement vaut titre de mainlevée définitive pour le montant total de l'arriéré de pensions, cette dette étant claire et chiffrée (ATF 138 III 583 consid. 6.1.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_454/2017 du 17 mai 2018 consid. 5.3; 5A_780/2015 du 10 mai 2016 consid. 3.6; 5D_201/2013 du 2 avril 2014 consid 4.1). Dans un tel cas, le débirentier ne peut pas faire valoir, à titre d'exception de l'art. 81 al. 1 LP, que la créance en paiement de l'arriéré de pensions était déjà éteinte lorsque le jugement au fond a été rendu. En effet, selon le texte clair de cette norme, le débiteur ne peut faire valoir que l'extinction de la dette survenue postérieurement au jugement valant titre de mainlevée. L'extinction survenue avant ou durant la procédure au fond ne peut donc pas être prise en compte dans la procédure de mainlevée, car cela reviendrait, pour le juge de la mainlevée, à examiner matériellement l'obligation de payer, examen auquel il appartient au juge du fond de procéder (ATF 138 III 583 consid. 6.1.2).

3.2 En l'espèce, il est constant que l'intimé a été condamné, par jugement sur mesures protectrices du 24 février 2017, confirmé par arrêt de la Cour du 9 août 2017, à verser en mains de l'appelante, par mois et d'avance, allocations familiales non comprises, une contribution à l'entretien de son fils mineur de 3'000 fr. du 21 janvier 2015 au 31 décembre 2016, puis de 5'615 fr. dès le 1er janvier 2017, "sous déduction des montants déjà versés" (ch. 15 et 16 du dispositif), ainsi qu'une contribution à l'entretien de l'appelante de 7'000 fr. du 21 janvier 2015 au 31 décembre 2016, puis de 4'385 fr. dès le 1er janvier 2017, "sous déduction des montants déjà versés" (ch. 17 et 18 du dispositif).

Contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, ce jugement, en tant qu'il condamne l'intimé à contribuer à l'entretien de son fils et de son ex-épouse "sous déduction des montants déjà versés", n'est pas exécutoire et, partant, ne vaut pas titre de mainlevée au sens de l'art. 80 al. 1 LP, dès lors qu'il ne chiffre pas les déductions qui doivent être opérées sur les contributions d'entretien fixées (de surcroît, ces déductions portent sur une période antérieure au prononcé du jugement, de sorte que le juge de la mainlevée ne pourrait quoi qu'il en soit pas en tenir compte en application de l'art. 81 al. 1 LP). En effet, si ce jugement a fixé la quotité des pensions mises à la charge de l'appelant, il n'a en revanche pas arrêté les montants déjà versés par celui-ci qu'il y aurait lieu d'imputer sur les pensions dues. Dans la mesure où le jugement est muet sur cette question, avec pour conséquence qu'une demande en rectification ou en interprétation (art. 334 ss CPC) n'entre pas en considération, les ch. 15 à 18 de son dispositif ne sont pas exécutoires, de sorte qu'une nouvelle demande doit être intentée le cas échéant. Le principe de l'autorité de la chose jugée ne s'y oppose pas, puisqu'une décision non exécutable ne déploie pas d'autorité de chose jugée (cf. supra consid. 3.1.2).

Il est par ailleurs constant que, dans le cadre du procès en divorce, ni le Tribunal ni la Cour n'ont statué au fond sur les arriérés de contributions litigieux, puisque les conclusions de l'appelante y relatives ont été déclarés irrecevables. Le jugement de divorce n'a donc pas autorité de la chose jugée sur ce point.

Il s'ensuit que l'appelante, qui ne dispose pas d'une décision exécutoire au sens de l'art. 336 CPC concernant les arriérés de pensions dus par l'intimé pour la période concernée (i.e. du 21 janvier 2015 au 31 décembre 2017), est fondée à déposer une demande en paiement devant le Tribunal, afin d'obtenir une décision statuant définitivement, avec autorité de la chose jugée, sur le solde de 126'364 fr. 30 qu'elle réclame à ce titre à son ex-époux, tant pour son propre entretien que pour celui de leur fils. Il sera encore relevé que la demande du 2 décembre 2021 n'a pas pour finalité de revoir la quotité des contributions fixée par le juge des mesures protectrices, mais de statuer sur le solde des prétentions de l'appelante, après déduction des montants déjà versés par l'intimé, sur la base de faits qui n'ont été pris en compte ni par le juge des mesures protectrices ni par le juge du divorce.

Partant, le Tribunal n'aurait pas dû déclarer la demande en paiement de l'appelante irrecevable, mais entrer en matière sur ladite demande.

L'appel est fondé, de sorte que le ch. 1 du dispositif du jugement attaqué sera annulé, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs soulevés par l'appelante.

4. 4.1 Selon l'art. 318 al. 1 let. c CPC, l'instance d'appel peut renvoyer la cause à la première instance lorsqu'un élément essentiel de la demande n'a pas été jugé (ch. 1) ou lorsque l'état de fait doit être complété sur des points essentiels (ch. 2).

En vertu du principe du double degré de juridiction, le tribunal cantonal supérieur ne peut pas trancher un litige avant que le tribunal inférieur n'ait statué (ATF
99 Ia 317 consid. 4a). En effet, le justiciable peut exiger que le cours normal des instances, tel qu'il a été prévu par la loi, soit suivi. L'autorité supérieure n'est donc pas habilitée à se saisir d'un litige qui doit d'abord être tranché par une autorité inférieure (ATF 99 Ia 317 consid. 4a; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1016/2018 du 5 juin 2019 consid. 3.4).

4.2 En l'espèce, en déclarant l'action en paiement de l'appelante irrecevable, le premier juge n'est pas entré en matière sur le fond du litige. La cause sera dès lors renvoyée au Tribunal pour qu'il statue sur les prétentions de l'appelante s'agissant des arriérés de pension dus à elle-même et à son fils, pour la période du 21 janvier 2015 au 31 décembre 2017, compte tenu des montants déjà versés par l'intimé, respectivement des montants que celui-ci reconnaît devoir à l'appelante.

Dès lors que la cause sera renvoyée au premier juge pour nouvelle décision, il se justifie d'annuler entièrement le jugement entrepris. Le Tribunal sera invité à statuer sur l'ensemble des frais judiciaires et dépens de première instance dans le jugement qu'il rendra au terme de la procédure de renvoi.

5. Vu les circonstances du cas d'espèce, la Cour renoncera à la perception de frais judiciaires d'appel, lesquels seront laissés à la charge de l'Etat de Genève (art. 107 al. 2 CPC).

L'art. 107 al. 2 CPC ne s'appliquant pas en matière de dépens, l'appelante conservera à sa charge ses dépens d'appel (ATF 140 III 385 consid. 4.1). Il ne se justifie pas de condamner l'intimé au paiement de dépens, dès lors qu'il n'est pas à l'origine du jugement entrepris (art. 107 al. 1 let. f CPC).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 9 juin 2022 par A______ contre le jugement JTPI/5455/2022 rendu le 6 mai 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/8383/2021.

Au fond :

Annule le jugement entrepris.

Renvoie la cause au Tribunal de première instance pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Déboute les parties de toutes autres conclusions d'appel.

Sur les frais :

Renonce à la perception de frais judiciaires d'appel.

Dit que chaque partie supportera ses propres dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Sylvie DROIN, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.