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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/2187/2022

DCSO/454/2022 du 10.11.2022 ( PLAINT ) , ADMIS

Normes : lp.276.al1; lp.277; lp.97.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2187/2022-CS DCSO/454/22

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 10 NOVEMBRE 2022

 

Plainte 17 LP (A/2187/2022-CS) formée en date du 4 juillet 2022 par A______, élisant domicile en l'étude de Me Philippe Grumbach, avocat.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du à :

-       A______

c/o Me GRUMBACH Philippe

Grumbach Sàrl

Rue Saint-Léger 6

Case postale 181

1211 Genève 4.

- B______

c/o Me BAIER Florian

BAIER & SAGER Avocats

Cours de Rive 2

Case postale 3131

1211 Genève 3.

- Office cantonal des poursuites.

 

 


EN FAIT

A. a. Statuant le 9 décembre 2021 sur requête de A______, le Tribunal de première instance a ordonné le séquestre, à hauteur de 115'871'422 fr. plus intérêts au taux de 5% l'an à compter du 17 août 2020, de divers actifs supposés appartenir à B______, débiteur, localisés dans les cantons de Genève, Berne et Zürich. Parmi les actifs à séquestrer localisés dans le canton de Genève figuraient un immeuble sis à C______ ainsi que le mobilier et les œuvres d'art (tableaux, sculptures) se trouvant dans la villa édifiée sur cet immeuble.

L'ordonnance de séquestre a été communiquée le 9 décembre 2021 à l'Office cantonal des poursuites (ci-après : l'Office), qui l'a exécutée le jour même, procédant notamment à l'inventaire des biens meubles se trouvant dans la villa de C______.

b. Un procès-verbal de séquestre (N° 1______) a été établi le 3 février 2022 par l'Office et envoyé le même jour aux créancière et débiteur, en l'étude de leurs conseils respectifs. Selon un extrait du système "track&trace" de la Poste suisse, cet envoi a été distribué le 4 février 2022 au conseil de A______.

Selon ce procès-verbal, le séquestre exécuté par l'Office sur les actifs localisés dans son ressort avait porté sur l'immeuble de C______ – dont la valeur estimée n'était pas indiquée – et les objets mobiliers s'y trouvant, pour une valeur estimée totale de 36'510 fr. Parmi ces objets figuraient trois tapis (rubriques N° 2______, 3______ et 4______ du procès-verbal d'inventaire; ci-après : les tapis) dont l'Office avait évalué la valeur à 100 fr. chacun.

Aucune plainte n'a été déposée contre le procès-verbal de séquestre.

c. Par lettre de son conseil du 20 juin 2022, B______ a demandé à l'Office que les tapis soient laissés à sa libre disposition moyennant fourniture de sûretés, conformément à l'art. 277 LP. Il a simultanément versé à l'Office, au titre de sûretés, un montant de 300 fr. correspondant à la valeur d'estimation des tapis selon le procès-verbal d'inventaire du 3 février 2022.

d. Par décision du 20 juin, communiquée le même jour à A______ et reçue le 22 juin 2022 par le conseil de cette dernière, l'Office a fait droit à cette requête, accepté la garantie de 300 fr. fournie sous forme d'espèces par B______ et libéré les tapis en faveur de celui-ci.

B. a. Par acte déposé le 4 juillet 2022 au greffe universel du Pouvoir judiciaire, A______ a formé une plainte au sens de l'art. 17 LP contre la décision du 20 juin 2022, concluant à son annulation. Elle a fait valoir pour l'essentiel que la valeur réelle des tapis était largement supérieure (plus de cent fois) à l'estimation qu'en avait faite l'Office, avec pour conséquence que le montant des sûretés fixé par l'Office était trop faible pour garantir ses droits en cas de saisie, ce d'autant plus que la valeur globale des actifs séquestrés ne suffisait pas à couvrir les prétentions pour lesquelles le séquestre avait été ordonné.

Elle a produit à l'appui de cette argumentation deux pièces nouvelles rédigées en langue étrangère (vraisemblablement en finlandais), expliquant qu'il s'agissait de certificats d'authenticité établissant que deux des trois tapis (rubriques 2______ et 3______ du procès-verbal de séquestre) avaient été confectionnés en D______.

b. Par ordonnance du 5 juillet 2022, la Chambre de surveillance a octroyé l'effet suspensif à la plainte.

c. Dans ses observations du 2 août 2022, l'Office a conclu à l'irrecevabilité de la plainte dans la mesure où les critiques de la plaignante ne portaient que sur le montant des sûretés exigées, alors que celui-ci correspondait à l'estimation de la valeur des tapis figurant dans le procès-verbal de séquestre, lequel ne pouvait plus être contesté.

Il résulte pour le surplus des observations de l'Office que la valeur des objets mobiliers séquestrés avait été estimée par l'un de ses collaborateurs disposant d'une expérience en matière de réalisation aux enchères publiques.

d. B______ ne s'est pas déterminé.

e. En l'absence de réplique spontanée de la part de la plaignante, la cause a été gardée à juger le 26 août 2022.

 

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de la LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre des mesures prises par l'office qui ne peuvent être attaquées par la voie judiciaire (art. 17 al. 1 LP). A qualité pour former une plainte toute personne lésée ou exposée à l'être dans ses intérêts juridiquement protégés, ou tout au moins touchée dans ses intérêts de fait, par une décision ou une mesure de l'office (ATF 138 III 628 consid. 4; 138 III 219 consid. 2.3; 138 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3). La plainte doit être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP).

1.2 La plainte, qui respecte les exigences de forme résultant de la loi, a en l'occurrence été formée en temps utile par une personne susceptible de subir une atteinte à ses intérêts juridiquement protégés contre une décision – libération d'actifs séquestrés contre fourniture de sûretés en application de l'art. 277 LP – pouvant être remise en cause par cette voie.

Contrairement à ce que soutient l'Office, il ne peut être considéré que la plainte serait exclusivement dirigée contre l'estimation des tapis résultant du procès-verbal de séquestre et serait donc tardive. On comprend en effet de l'argumentation, certes sommaire, de la plaignante qu'en faisant valoir que la valeur réelle de ces tapis serait en réalité supérieure elle s'en prend non seulement à l'estimation qu'en a faite l'Office dans le cadre du procès-verbal de séquestre, son procédé étant à cet égard effectivement irrecevable pour cause de tardiveté, mais également à la prise en compte sans autre examen de cette estimation dans le cadre de l'application de l'art. 277 LP.

La plainte est donc recevable.

2. 2.1 L'estimation de la valeur des biens et son indication dans le procès-verbal de séquestre (cf. art. 276 al. 1 LP) est une condition de validité de l'exécution du séquestre (ATF 113 III 104 consid. 4). Le fonctionnaire procède à cette estimation, au besoin en s'adjoignant des experts (art. 97 al. 1 LP applicable par analogie en vertu du renvoi de l'art. 275 LP).

L'estimation a pour but de déterminer l'étendue de la garantie, l'office étant tenu de ne séquestrer que les biens nécessaires pour satisfaire le créancier séquestrant en capital, intérêts et frais (art. 97 al. 2 LP applicable par analogie en vertu du renvoi de l'art. 275 LP). Elle permet aussi de vérifier qu'il ne s'agit pas de biens sans valeur de réalisation au sens de l'art. 92 al. 2 LP (par analogie sur renvoi de l'art. 275 LP). Elle sert en outre à fixer le montant des sûretés à fournir par le débiteur pour recouvrer la libre disposition des droits patrimoniaux séquestrés (art. 277 LP; arrêt du Tribunal fédéral 5A_530/2019 du 3 décembre 2019 consid. 3.1.2; Stoffel/Chabloz, in CR LP, N 14 ad art. 276 LP). 

L'estimation doit déterminer la valeur vénale présumée des biens à réaliser, à savoir le produit prévisible de la vente, mais sans devoir être "la plus élevée possible". Elle doit tenir compte de tous les éléments qui pourraient influer sur l'adjudication ainsi que des frais de poursuite, lesquels comprennent notamment les frais d'enlèvement et d'entreposage ainsi que les frais d'une éventuelle expertise (ATF 145 III 487 consid. 3.1.2 et 3.1.3). L'office doit s'adjoindre un expert si l'estimation des biens exige des connaissances spéciales qu'il ne possède pas (ATF 145 III 487 consid. 3.1.3), ce qui est notamment le cas en présence d'oeuvres d'art, tel que des tableaux ou statues (ATF 93 III 20 consid. 4). Le recours à un expert peut toutefois, dans certaines circonstances, apparaître inutile, voire déraisonnable (arrêt du Tribunal fédéral 5A_230/2019 précité consid. 3.1.3), comme par exemple lorsque l'expertise considérée engendre des coûts disproportionnés (ATF 145 III 487 consid. 3.1.3).

 

2.2 L'art. 277 LP prévoit que les biens séquestrés sont laissés à la libre disposition du débiteur à charge de les représenter en nature ou en valeur en cas de saisie ou de déclaration de faillite et de fournir à cet effet des sûretés.

 

Le but des sûretés selon l'art. 277 LP est de garantir que soit les biens séquestrés soit des valeurs équivalentes pourront être saisis dans la poursuite consécutive au séquestre ou tomberont dans la masse de l'actif en cas de faillite. Par le séquestre, le créancier veut seulement s'assurer que plus tard, lorsqu'il poursuivra son débiteur, il trouvera des biens à réaliser. Ainsi, la loi laisse au débiteur la libre disposition de ses biens, du moment que plus tard, des moyens suffisants pour payer la créance ayant fondé le séquestre ne manqueront pas (ATF 116 III 35 consid. 3b p. 40 et les arrêts cités).

 

Compte tenu du but des sûretés, il importe que les actifs soient individualisés et dûment estimés, car le montant des sûretés fixé par l'office des poursuites doit correspondre à la valeur estimée des biens séquestrés (arrêt du Tribunal fédéral 7B.77/2006 du 22 août 2006 consid. 2).

 

Pour fixer le montant des sûretés, l'office des poursuites se fonde en principe sur l'estimation faite lors de l'exécution du séquestre (art. 275 et 97 al. 1 LP). Il ne saurait toutefois s'en contenter purement et simplement si elle est imprécise, faute de reposer sur des éléments bien déterminés, ou si la restitution des biens séquestrés moyennant fourniture de sûretés est requise plusieurs mois, voire plusieurs années, après l'exécution du séquestre, et surtout s'il s'agit de biens dont le cours est variable ou qui prennent de la valeur nominale en période de dépréciation monétaire; dans ces cas, l'office est appelé à procéder à une nouvelle estimation (arrêt du Tribunal fédéral 7B.77/2006 précité, consid. 2 et références citées). La nécessité de procéder à une nouvelle estimation des biens dont le débiteur sollicite la libération contre versement de sûretés a ainsi été admise dans un cas où l'Office n'avait procédé, lors de l'établissement du procès-verbal de séquestre, qu'à une estimation approximative que le créancier séquestrant n'avait alors pas de raison de contester dans la mesure où, la valeur globale des biens séquestrés étant inférieure au montant de la créance et des accessoires, la question d'une couverture excessive ne se posant donc pas (ATF 82 III 119 consid. 3).

 

2.3 Dans le cas d'espèce, les biens dont le débiteur a sollicité la libération moyennant fourniture de sûretés sont des tapis, soit des objets dont la valeur est notoirement susceptible de varier considérablement selon les caractéristiques (dimensions, matériaux, provenance, date et qualité de la confection, motifs, rareté, etc.). Quand bien même il ne s'agit pas d'œuvres d'art à proprement parler, leur estimation peut dans certains cas, à l'instar par exemple de meubles anciens, requérir des connaissances particulières justifiant le recours à un expert.

 

Dans le procès-verbal de séquestre, les tapis ne sont décrits que par leurs dimensions et leurs couleurs. Leur valeur a été estimée par un collaborateur de l'Office disposant certes d'une expérience en matière de vente aux enchères d'objets mobiliers, mais dont rien ne permet d'admettre qu'il serait au bénéfice de connaissances étendues en matière de tapis. Les critères pris en considération en vue de l'estimation ne résultent pas du procès-verbal de séquestre, et l'on ignore si le collaborateur de l'Office ayant procédé à cette estimation a eu l'occasion d'examiner directement les biens séquestrés ou s'est déterminé sur la base de photographies. Il y a donc lieu d'admettre que l'estimation retenue dans le procès-verbal de séquestre revêt un caractère approximatif.

 

Comme c'était le cas dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt ATF 82 III 119 précité, une telle estimation approximative pouvait se justifier en l'espèce au vu des coûts qu'aurait entraînés une évaluation plus précise, par exemple par expertise, alors qu'il apparaissait d'emblée que la créance pour laquelle le séquestre avait été ordonné n'était pas couverte par les actifs séquestrés, de telle sorte que l'hypothèse d'une couverture excessive au regard de l'art. 97 al. 2 LP n'entrait pas en considération. Cette même situation de sous-couverture avait pour conséquence que la plaignante, créancière séquestrante, n'avait, à ce moment, a priori pas d'intérêt particulier à obtenir la réévaluation de l'estimation par hypothèse trop basse des tapis par la voie d'une plainte contre le procès-verbal de saisie.

 

Il résulte de ce qui précède que l'Office ne pouvait, lorsqu'il s'est agi de fixer les sûretés devant être fournies par l'intimé pour obtenir la libération des tapis, se contenter de reprendre purement et simplement l'estimation approximative figurant dans le procès-verbal de séquestre, sous peine de courir le risque que les sûretés versée ne soient pas équivalentes à la valeur des biens libérés.

 

La plainte est donc bien fondée. La décision contestée sera en conséquence annulée et l'Office invité à procéder, en vue de l'application de l'art. 277 LP, à une nouvelle estimation des tapis. Conformément à l'art. 68 LP, il pourra demander à la plaignante d'avancer les frais relatifs à cette nouvelle estimation, y compris les frais d'expertise au cas où l'Office, en vertu de son pouvoir d'appréciation, considérerait que le recours à un expert se justifie.

 

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

 

 

 

 

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 4 juillet 2022 par A______ contre la décision rendue le 20 juin 2022 par l'Office cantonal des poursuites dans la procédure de séquestre N° 1______.

Au fond :

L'admet.

Annule en conséquence la décision contestée.

Invite l'Office cantonal des poursuites à fixer nouvellement le montant des sûretés devant être fournies par B______ pour recouvrer la libre disposition des biens figurant sous rubriques N° 2______, 3______ et 4______ du procès-verbal de séquestre du
3 février 2022, après avoir procédé à une nouvelle estimation de la valeur de ceux-ci.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Madame Natalie OPPATJA et
Monsieur Anthony HUGUENIN, juges assesseurs; Madame Christel HENZELIN, greffière.

 

Le président :

Patrick CHENAUX

 

La greffière :

Christel HENZELIN

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.