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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1718/2022

ATAS/186/2023 du 21.03.2023 ( AI ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1718/2022 ATAS/186/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 21 mars 2023

8ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié c/o B______, à TROINEX, représenté par le SERVICE DE PROTECTION DE L'ADULTE

 

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après: l'assuré ou le recourant), né le ______ 1964 et d'origine polonaise, est entré en Suisse en 1982. Il a une formation d'électricien.

b. Par ordonnance du 9 mars 2015, le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant a instauré une curatelle de représentation avec gestion en faveur de l'assuré.

c. En octobre 2015, l'assuré a requis les prestations de l'assurance-invalidité en raison de troubles mentaux et troubles du comportement liés à l'utilisation d'alcool, syndrome de dépendance, et d'un état dépressif récurrent.

d. Dans son expertise du 28 juin 2018, le docteur C______, psychiatre-psychothérapeute FMH, a posé les diagnostics de trouble dépressif récurrent, actuellement subclinique, trouble de l'usage de l'alcool, actuellement en rémission précoce, et d'état limite avec défenses narcissiques, non décompensé. Ces diagnostics étaient sans répercussion sur la capacité de travail. Quant à la dépendance à l'alcool, elle était primaire. La capacité de travail était entière.

e. Par décision du 1er octobre 2018, l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après: OAI) a refusé ses prestations.

B. a. En novembre 2021, l'assuré a formé une nouvelle demande de prestations de l'assurance-invalidité.

b. Par courrier du 16 décembre 2021, la doctoresse D______ des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après: HUG) a informé l'OAI qu'elle suivait l'assuré depuis 2012. Depuis 2018, celui-ci avait alterné les périodes d'abstinence de quelques mois et des rechutes importantes accompagnées de troubles du comportement. Depuis une année, les consommations augmentaient et les périodes d'abstinence avaient presque disparues dans un contexte avec différents facteurs de crises (déménagement dans un hôtel, vieillissement de sa mère avec problèmes de santé), étant précisé que les périodes d'abstinence avaient surtout lieu dans le cadre de la cohabitation avec sa mère. Les rechutes affectaient de plus en plus le fonctionnement psychique de l'assuré et provoquaient un état dépressif. Cela étant, ce médecin a constaté une aggravation depuis 2018.

c. Dans son avis du 15 février 2022, le service médical régional de l'assurance-invalidité pour la Suisse romande (ci-après: SMR) a rappelé que l'assuré ne présentait pas d'atteinte psychiatrique incapacitante et que le syndrome de dépendance à l'alcool était primaire. Le descriptif de la problématique actuelle de la psychiatre traitante était superposable à celui de l'expert, à savoir une histoire de consommation d'alcool ancienne, influencée par les évènements de la vie, faite de période d'abstinences et de rechutes. Partant, il n'y avait pas d'aggravation objective.

d. Le 22 février 2022, l'OAI a informé l'assuré qu'il avait l'intention de ne pas entrer en matière sur sa nouvelle demande, en l'absence d'aggravation.

e. Le 25 mars 2022, le Service de protection de l'adulte a contesté ce projet de décision, en se prévalant en particulier du changement de jurisprudence quant à la prise en compte des dépendances, lesquelles étaient désormais considérées comme une maladie.

f. Par décision du 25 avril 2022, l'OAI a confirmé son projet de décision, en relevant qu'un changement de jurisprudence n'était pas un motif suffisant pour adapter une décision administrative entrée en force ni pour entrer en matière sur une nouvelle demande.

C. a. Par acte du 24 mai 2022, l'assuré, représenté par ses curateurs, a interjeté recours contre cette décision, en concluant à son annulation et à l'octroi d'une rente entière, en se prévalant de l'aggravation de sa dépendance à l'alcool et du changement de jurisprudence.

b. Dans sa réponse du 20 juin 2022, l'intimé a conclu au rejet du recours, en l'absence d'une aggravation objective de l'état de santé et de nouveaux diagnostics, tout en répétant que la nouvelle jurisprudence du Tribunal fédéral ne constituait ni un motif pour une nouvelle demande ni un motif de révision.

c. Par réplique du 26 juillet 2022, le recourant a maintenu ses conclusions. La Dresse D______ avait bel et bien constaté une aggravation, dès lors que les périodes d'abstinence étaient actuellement quasiment inexistantes (28 hospitalisations entre 2021 et 2022), alors qu'il avait été abstinent depuis peu au moment de l'expertise. Par ailleurs, c'était à tort que le SMR avait fait une distinction entre dépendance primaire et secondaire, au lieu d'analyser sa dépendance à l'alcool au même titre qu'une maladie psychique.

d. Par écritures du 16 août 2022, l'intimé a persisté dans ses conclusions.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Le délai de recours est de trente jours (art. 56 et 60 LPGA; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme (art. 61 let. b LPGA) et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

3.             Le litige porte sur le bien-fondé du refus de l'intimé d'entrer en matière sur la nouvelle demande déposée par le recourant en novembre 2020.

4.              

4.1 Selon l'art. 87 du règlement sur l'assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI - RS 831.201), dans sa teneur en vigueur dès le 1er janvier 2012, lorsqu'une demande de révision est déposée, celle-ci doit établir de façon plausible que l'invalidité, l'impotence ou l'étendue du besoin de soins ou du besoin d'aide découlant de l'invalidité de l'assuré s'est modifiée de manière à influencer ses droits (al. 2). Lorsque la rente, l'allocation pour impotent ou la contribution d'assistance a été refusée parce que le degré d'invalidité était insuffisant, parce qu'il n'y avait pas d'impotence ou parce que le besoin d'aide ne donnait pas droit à une contribution d'assistance, la nouvelle demande ne peut être examinée que si les conditions prévues à l'al. 2 sont remplies (al. 3).

4.2 La jurisprudence développée sous l'empire de l'art. 87 al. 3 et 4 RAI, en vigueur jusqu'au 31 décembre 2011, reste applicable à l'art. 87 al. 2 et 3 RAI modifié dès lors que la demande de révision doit répondre aux mêmes critères (ATAS/81/2023 du 6 février 2023 consid. 4.1).

4.3 L’exigence de l’art. 87 al. 3 RAI (ATF 109 V 262 consid. 3) doit permettre à l'administration, qui a précédemment rendu une décision de refus de prestations entrée en force, d'écarter sans plus ample examen de nouvelles demandes dans lesquelles l'assuré se borne à répéter les mêmes arguments, sans alléguer une modification des faits déterminants (ATF 125 V 410 consid. 2b; 117 V 198 consid. 4b et les références). Lorsqu'elle est saisie d'une nouvelle demande, l'administration doit commencer par examiner si les allégations de l'assuré sont, d'une manière générale, plausibles. Si tel n'est pas le cas, l'affaire est liquidée d'entrée de cause et sans autres investigations par un refus d'entrée en matière. À cet égard, l'administration se montrera d'autant plus exigeante pour apprécier le caractère plausible des allégations de l'assuré que le laps de temps qui s'est écoulé depuis sa décision antérieure est bref. Elle jouit sur ce point d'un certain pouvoir d'appréciation que le juge doit en principe respecter. Ainsi, le juge ne doit examiner comment l'administration a tranché la question de l'entrée en matière que lorsque ce point est litigieux, c'est-à-dire quand l'administration a refusé d'entrer en matière en se fondant sur l'art. 87 al. 4 RAI et que l'assuré a interjeté recours pour ce motif. Ce contrôle par l'autorité judiciaire n'est en revanche pas nécessaire lorsque l'administration est entrée en matière sur la nouvelle demande (ATF 109 V 108 consid. 2b).

4.4 L'exigence du caractère plausible de la nouvelle demande selon l'article 87 RAI ne renvoie pas à la notion de vraisemblance prépondérante usuelle en droit des assurances sociales. Les exigences de preuves sont, au contraire, sensiblement réduites en ce sens que la conviction de l'autorité administrative n'a pas besoin d'être fondée sur la preuve pleinement rapportée qu'une modification déterminante est survenue depuis le moment auquel la décision refusant les prestations a été rendue. Des indices d'une telle modification suffisent alors même que la possibilité subsiste qu'une instruction plus poussée ne permettra pas de l'établir (Damien VALLAT, La nouvelle demande de prestations AI et les autres voies permettant la modification de décisions en force, RSAS 2003, p. 396 ch. 5.1 et les références; arrêt du Tribunal fédéral 8C_596/2019 du 15 janvier 2020 consid. 3.2).

4.5 Lors de l'appréciation du caractère plausible d'une modification déterminante des faits influant sur le droit aux prestations, on compare les faits tels qu'ils se présentaient au moment de la décision administrative litigieuse et les circonstances prévalant à l'époque de la dernière décision d'octroi ou de refus des prestations (ATF 130 V 64 consid. 2; 109 V 262 consid. 4a). L'examen du juge est limité au point de savoir si les pièces déposées en procédure administrative justifiaient ou non l'entrée en matière sur la nouvelle demande, sans prendre en considération les documents médicaux déposés ultérieurement à la décision administrative, notamment au cours de la procédure cantonale de recours (arrêt du Tribunal fédéral 9C_629/2020 du 6 juillet 2021 consid. 4.3.1).

5.             Selon la jurisprudence applicable jusqu’ici, un syndrome de dépendance primaire à des substances psychotropes (dont l’alcool) ne pouvait conduire à une invalidité au sens de la loi que s’il engendrait une maladie ou occasionnait un accident ou s’il résultait lui-même d’une atteinte à la santé physique ou psychique ayant valeur de maladie. Cette jurisprudence reposait sur la prémisse que la personne souffrant de dépendance avait provoqué elle-même fautivement cet état et qu'elle aurait pu, en faisant preuve de diligence, se rendre compte suffisamment tôt des conséquences néfastes de son addiction et effectuer un sevrage ou à tout le moins entreprendre une thérapie par (cf. notamment ATF 124 V 265 consid. 3c).

Dans un arrêt du 11 juillet 2019 (ATF 145 V 215), le Tribunal fédéral est parvenu à la conclusion que sa pratique en matière de syndrome de dépendance ne peut plus être maintenue. D’un point de vue médical, les syndromes de dépendance et les troubles liés à la consommation de substances diagnostiqués lege artis par un spécialiste doivent également être considérés comme des atteintes (psychiques) à la santé significatives au sens du droit de l’AI (consid. 5.3.3 et 6).

Le caractère primaire ou secondaire d’un trouble de la dépendance n’est plus décisif pour en nier d’emblée toute pertinence sous l’angle du droit de l’AI (arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 précité consid. 8.1.1). Par conséquent, il s’agit, comme pour tous les autres troubles psychiques, de déterminer selon une grille d’évaluation normative et structurée (à cet égard, ATF 141 V 281) si, et le cas échéant, dans quelle mesure un syndrome de dépendance diagnostiqué par un spécialiste influence dans le cas concret la capacité de travail de l’assuré. La gravité de la dépendance dans un cas particulier peut et doit être prise en compte dans la procédure de preuve structurée (ATF 145 V 215 consid. 6.3).

Toutefois, cette nouvelle jurisprudence ne constitue pas un motif suffisant pour déroger au principe selon lequel il n'y a pas à adapter une décision administrative entrée en force à une modification de jurisprudence ni à entrer en matière sur une nouvelle demande (ATF 147 V 234 p. 241 consid. 6).

6.             En l'occurrence, le Dr C______ n'avait pas uniquement constaté une dépendance éthylique, mais également retenu d'autres atteintes psychiatriques, à savoir un trouble dépressif récurrent et un trouble de la personnalité d'état limite non décompensé.

Depuis cette expertise, un changement majeur est survenu dans la vie du recourant. En effet, celui-ci avait apparemment habité avec sa mère, ce qui lui avait permis d'être abstinent à l'alcool à certaines périodes et de recouvrir une capacité de travail, comme cela ressort du rapport du 16 décembre 2021 de la Dresse D______. Au moment du rapport de ce médecin, le recourant vivait dans un hôtel, sa mère étant vieillissante et probablement hospitalisée ou placée dans un établissement médico-social, et cela a complètement perturbé le recourant, dans la mesure où il n'a plus du tout réussi à maitriser sa consommation d'alcool et a dû être hospitalisé pour cette raison 28 fois entre 2021 et 2022.

Certes, la dépendance éthylique ne peut pas être considérée comme une maladie psychique, dès lors que, selon l'expert, elle est primaire et que la nouvelle jurisprudence n'est pas applicable lors d'une nouvelle demande fondée sur cette atteinte. Toutefois, il ne peut être exclu que, parallèlement, le trouble dépressif du recourant se soit aggravé et que le trouble de la personnalité ait été décompensé, suite à la perte de l'appui que le recourant avait trouvé dans la présence de sa mère. Il paraît vraisemblable que les alcoolisations permanentes constituent aujourd'hui une automédication pour la dépression du recourant et le trouble de la personnalité, de sorte que cette dépendance doit être considérée, en partie au moins, également comme secondaire à une atteinte psychique.

Quoi qu'il en soit, il paraît hautement probable que les troubles psychiques se soient décompensés, indépendamment de la dépendance éthylique.

Partant, une aggravation de l'état psychique du recourant est plausible.

7.             En conséquence, le recours sera admis, la décision querellée annulée et la cause renvoyée à l’intimé pour entrer en matière sur la demande de prestations déposée par le recourant en novembre 2021, instruction et nouvelle décision.

8.             Un émolument de CHF 200.- sera mis à la charge de l'intimé (art. 69 al. 1bis LAI).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision de l’intimé du 25 avril 2022.

4.        Renvoie la cause à l’intimé pour entrer en matière sur la demande de prestations de l’assurance-invalidité déposée en novembre 2021 par le recourant, instruction et nouvelle décision.

5.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

La présidente suppléante

 

 

 

 

Maya CRAMER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le