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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3909/2021

ATAS/139/2023 du 02.03.2023 ( LCA ) , REJETE

Recours TF déposé le 02.05.2023, rendu le 22.06.2023, REJETE, 4A_218/2023
En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3909/2021 ATAS/139/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 2 mars 2023

5ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à GENÈVE, comparant avec élection de domicile en l’étude de Maître Samir DJAZIRI

 

 

demandeur

contre

HELSANA ASSURANCES COMPLÉMENTAIRES SA, sise Zürichstrasse 130, DÜBENDORF, représentée par HELSANA ASSURANCES SA

défenderesse

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le demandeur), né en ______ 1965, a travaillé dès 2006 comme agent de sécurité pour l’entreprise
B______ SA. Il était assuré à titre collectif par son employeur auprès de Helsana assurances complémentaires SA (ci-après : Helsana ou la défenderesse) via une assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie, soumise à la loi sur le contrat d’assurance et prévoyant le versement d’indemnités journalières durant 730 jours, à l’issue d’un délai d’attente de 30 jours.

b. Le 30 septembre 2018, l’assuré a été licencié avec effet au 31 décembre 2018 en raison du non-renouvellement du contrat de bail auquel la B______ SA était partie, ce qui avait motivé la suppression de tous les postes au sein de l’entreprise.

B. a. Le 10 janvier 2019, par l’intermédiaire de son employeur, l’assuré a annoncé à Helsana une incapacité de travail, dès le 24 décembre 2018.

b. L’assuré a transmis à Helsana divers certificats d’arrêt de travail établis par le docteur C______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, valables dès le 24 décembre 2018 et renouvelés de mois en mois. Il a également adressé à Helsana la copie d’un certificat daté du 24 décembre 2018, émanant du docteur D______, médecin établi au Kosovo.

c. Par la suite, Helsana a reçu un bref rapport du Dr C______ daté du 14 février 2019, retenant les diagnostics de trouble de l’adaptation (F43.2) et de trouble panique (F41.0). Ce médecin a exposé que l’assuré développait des troubles neurovégétatifs dus à l’anxiété, une insomnie, ainsi que des soucis pour son avenir professionnel en raison de son âge. Il présentait un retrait social. Il souhaitait toutefois poursuivre son activité professionnelle. Le Dr C______ a confirmé une incapacité de travail, dès le 24 décembre 2018, tout en répondant par l’affirmative à la question de savoir si la profession actuelle était raisonnablement exigible auprès d’un autre employeur.

d. Helsana a mandaté le docteur E______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, expert médical SIM, en vue de réaliser un examen psychiatrique de l’assuré. Dans son rapport du 23 mars 2019, consécutif à un examen réalisé le 19 mars 2019, ce psychiatre a retenu le diagnostic non incapacitant de trouble de l’adaptation, réaction dépressive prolongée. En revanche, il n’a retenu aucun diagnostic avec effet sur la capacité de travail. À l’issue de son examen, le Dr E______ a conclu que, sous l’angle psychiatrique, la capacité de travail avait été nulle du 24 décembre 2018 au 24 mars 2019, mais que, depuis le 25 mars 2019, on pouvait raisonnablement exiger de l’assuré qu’il exerçât à 100% son activité professionnelle habituelle auprès d’un autre employeur.

e. Le 26 avril 2019, Helsana a informé l’assuré que, sur la base du rapport du Dr E______, elle mettait fin au versement des indemnités journalières avec effet au 30 avril 2019.

f. Par l’intermédiaire de son assurance de protection juridique, l’assuré a requis
la mise en œuvre d’une nouvelle expertise et la poursuite du versement des indemnités journalières, par plis des 11 décembre 2019, 19 juin et 19 août 2020, en transmettant diverses pièces médicales à l’appui de ses objections.

g. Par courrier du 19 août 2020, Helsana a confirmé sa détermination de mettre fin aux indemnités journalières, après que le Dr E______ eut maintenu sa position, par courriel du 31 juillet 2020.

C. a. Le 2 octobre 2020, l’assuré, toujours représenté par son assurance de protection juridique, a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la CJCAS ou la chambre de céans) d’une demande à l’encontre d’Helsana. Il a conclu, sous suite de frais et dépens, principalement à ce qu’Helsana soit condamnée à lui verser des indemnités journalières à concurrence de 90% de son salaire annuel, durant 730 jours, dès le 1er mai 2019 et jusqu’à épuisement de son droit, subsidiairement à ce qu’une expertise judiciaire soit mise en œuvre en vue de déterminer sa capacité de travail au-delà du 1er mai 2019, plus subsidiairement à ce que le dossier soit renvoyé à Helsana afin qu’elle diligente elle-même une expertise.

En substance, l’assuré a fait valoir que l’expertise du Dr E______ ne revêtait pas valeur probante, dès lors que si cet expert avait conclu à une reprise du travail à 100% dès le 1er mai 2019, son psychiatre, le Dr C______, avait retenu le contraire. Compte tenu de la divergence notable entre les conclusions des médecins, le demandeur se voyait contraint de saisir la CJCAS et de solliciter la reprise du versement des indemnités journalières dès le 1er mai 2019, jusqu’à épuisement complet de son droit.

Cette demande a été enregistrée sous le numéro de cause A/3102/2020.

b. Par réponse du 13 novembre 2020, Helsana a rétorqué que l’avis du
Dr C______ – dont il ressortait une amélioration de l’état de santé – n’était pas propre à remettre en question celui du Dr E______, lequel reposait sur l’ensemble du dossier et son entretien avec l’assuré. L’expertise effectuée par le Dr E______ était probante et le Dr C______ n’avait pas fait état d’éléments objectivement vérifiables qui auraient été ignorés par l’expert et qui seraient suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions rendues par ce dernier. Faute d’avis médical propre à mettre en doute le point de vue de l’expert, il convenait de retenir qu’une incapacité de travail au-delà du 24 mars 2019 n’était pas démontrée, de sorte que la demande en paiement devait être rejetée.

c. À la demande de l’assuré, la CJCAS a tenu une audience le 4 février 2021. Par l’intermédiaire de son avocat, l’assuré a indiqué qu’il souhaitait chiffrer ses conclusions. En relation avec le dépôt de la demande du 2 octobre 2020, l’assuré a fait valoir qu’un éventuel vice entachant la demande aurait été réparé, dès lors qu’il était représenté par un avocat. Il offrait de prouver que sa capacité de travail était nulle de décembre 2018 jusqu’à ce jour. Le cas échéant, il demandait à
la chambre de céans d’ordonner une expertise judiciaire et sollicitait l’audition du Dr C______.

De son côté, Helsana a précisé qu’elle contestait intégralement les prétentions du demandeur et n’avait pas d’offre de preuve à formuler. En outre, elle a déclaré s’opposer à la mise en œuvre d’une expertise judiciaire, arguant qu’il figurait déjà au dossier une expertise réalisée par le Dr E______. Dans l’hypothèse où la CJCAS décidait d’entendre le Dr C______, Helsana l’invitait également à entendre le Dr E______.

Interrogé par la CJCAS sur le point de savoir si son expertise avec le
Dr E______ s’était bien passée, l’assuré a répondu qu’il n’avait rien à reprocher à l’expert, hormis la durée de l’entretien, qui n’avait pas dépassé une heure. Il semblait ressortir de l’expertise qu’il avait paru un peu trop tranquille et qu’il n’avait pas suffisamment montré ses sentiments. L’assuré a rappelé qu’après avoir subi un premier problème cardiovasculaire en novembre 2019, il s’était retrouvé en arrêt cardio-respiratoire en avril 2020 et portait désormais un pacemaker. Il continuait à prendre chaque jour des antidépresseurs et consultait deux fois par mois le Dr C______. En parallèle, il consultait régulièrement des cardiologues.

d. Helsana a répliqué le 30 avril 2021, persistant dans ses conclusions.
Il ressortait du dossier de l’assurance-invalidité que l’incapacité de travail alléguée par l’assuré résultait de ses problèmes cardiaques et non de troubles psychiatriques dès le 3 novembre 2019 au plus tard. Les médecins traitants avaient confirmé plusieurs fois à l’assurance-invalidité que, depuis cette date, l’incapacité de travail était d’ordre somatique. Or, le cas qui était en cours à la fin du contrat de travail était une incapacité de travail d’ordre psychiatrique. Conformément à ses conditions générales d’assurance, l’obligation d’Helsana de verser des indemnités journalières avait pris fin avant la survenue des troubles cardiaques, le 3 novembre 2019.

D. a. Le 23 juin 2021, l’assuré a saisi la CJCAS d’une nouvelle demande en justice contre Helsana, ayant le même objet que celle du 2 octobre 2020, mais qui s’en distinguait par la prise de conclusions chiffrées, en ce sens que le demandeur concluait à ce que la défenderesse soit condamnée à lui verser un montant mensuel de CHF 7’640.- dès le 1er mai 2019 et jusqu’à épuisement complet de son droit de 730 jours, soit un montant total de CHF 183’360.- avec intérêts à 5% dès le 1er mai 2019. Pour le surplus, le demandeur a réitéré sa réquisition de mise en œuvre d’une expertise judiciaire avant qu’il soit statué sur le fond.

Cette seconde demande a été enregistrée sous le numéro de cause A/3909/2021.

b. Par arrêt ATAS/1178/2021, rendu dans la cause A/3102/2020 le 18 novembre 2021, la CJCAS a déclaré irrecevable la demande du 2 octobre 2020, motif pris que les conclusions de celle-ci n’avaient pas été chiffrées.

c. Le 17 novembre 2021, la CJCAS a informé la défenderesse de l’enregistrement de la demande du 23 juin 2021. Aussi l’a-t-elle invitée à produire sa réponse.

d. Par réponse du 2 décembre 2021, la défenderesse a conclu à ce que la CJCAS déclare la demande du 23 juin 2021 irrecevable, cas échéant la rejette et déboute le demandeur de toutes autres ou plus amples conclusions, notamment en matière d’expertise judiciaire ou de jonction des causes.

À l’appui de ses conclusions au fond, elle a fait valoir en synthèse qu’il convenait de s’en tenir aux conclusions du rapport du 23 mars 2019 du Dr E______, Ainsi, en l’état des pièces du dossier, une incapacité de travail ayant duré au-delà du 25 mars 2019 n’était pas établie, de sorte que l’octroi d’indemnités journalières au demandeur, allant au-delà de celles qu’il avait déjà perçues jusqu’au 30 avril 2019 n’était pas justifié. À partir de cette date, en effet, le demandeur, qui n’avait pas demandé son transfert dans l’assurance individuelle, ne faisait plus partie du cercle des assurés. Partant, l’incapacité de travail alléguée, qu’il aurait présentée plus tard dans l’année, n’était de toute manière pas assurée. En toute hypothèse, les prétentions du 1er mai au 23 juin 2019 étaient prescrites.

e. Le 21 janvier 2022, le demandeur a axé sa réplique sur la recevabilité de sa demande et la non-prescription de ses prétentions pour la période du 1er mai au 23 juin 2019.

f. Par duplique du 28 février 2022, la défenderesse a persisté dans ses conclusions, tout en précisant que si la CJCAS admettait une incapacité de travail à sa charge au-delà du 30 avril 2019, il conviendrait alors de constater que l’incapacité de travail du demandeur avait débuté après qu’il eut reçu sa lettre de licenciement, de sorte qu’il était manifeste que sa relation de travail ne se serait pas poursuivie même sans la survenance d’une maladie. Ainsi, il se serait retrouvé au chômage même s’il n’était pas tombé malade. Étant donné qu’en l’espèce, la suspension du délai de congé pour cause de maladie avait conduit à la prorogation du terme du contrat de travail au 30 avril 2019, le dommage résultant d’une incapacité de travail au-delà du 30 avril 2019 devait être calculé non pas en fonction du salaire versé par l’employeur mais en fonction des indemnités de chômage (correspondant à 70% de ce salaire), auxquelles le demandeur aurait pu prétendre s’il s’était inscrit au chômage et si la maladie, persistant au-delà de la fin des rapports de travail, n’avait pas fait obstacle à son aptitude au placement.

g. Entendu le 3 mars 2022 par la CJCAS, le demandeur a déclaré qu’il n’avait
pas retrouvé d’emploi et ne s’était pas inscrit au chômage. Il avait toujours des troubles sur le plan psychique et sur le plan cardiaque. Il avait à présent 57 ans et attendait toujours une détermination de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI) deux ans après y avoir déposé une demande de prestations. Aucune expertise n’avait été ordonnée par cet office.

Le représentant de la défenderesse a mentionné, pour sa part, que l’édition du dossier AI et son apport à la procédure pouvaient être utiles et qu’il prenait note de ce qu’un délai lui était imparti pour annoncer à la CJCAS s’il demandait l’audition du Dr E______.

De son côté, le représentant du demandeur a indiqué qu’il souhaitait se déterminer au sujet de la duplique de la défenderesse, tout en prenant note qu’une éventuelle décision ordonnant une expertise judiciaire n’interviendrait qu’ultérieurement.

Entendu à titre de témoin, le Dr C______ a tout d’abord remis à la CJCAS les documents suivants, précédemment communiqués à l’OAI :

-          un rapport du 23 janvier 2020 dans lequel le Dr C______ indiquait pour l’essentiel que le demandeur présentait un trouble de l’adaptation, réaction dépressive prolongée (F43.21) et un trouble panique (F41.0). Ces troubles étaient survenus en décembre 2018, suite à son licenciement. Actuellement,
il était toujours sans emploi et très découragé face à sa situation, surtout en raison de son âge et des doutes de retrouver un nouvel emploi. En novembre 2019, il avait été hospitalisé en raison d’une insuffisance cardiaque qui était, vraisemblablement, en lien avec le stress que lui causait cette situation. D’un point de vue strictement psychiatrique, la capacité de travail était nulle depuis le 24 décembre 2018. Les limitations fonctionnelles liées à l’atteinte à la santé se manifestaient par une anxiété qui restait très envahissante, des difficultés de concentration et à gérer le stress ainsi qu’une fatigabilité. Interrogé sur le point de savoir quelle serait, d’un point de vue strictement psychiatrique, la capacité de travail dans une activité strictement adaptée aux limitations fonctionnelles évoquées, le Dr C______ a répondu qu’il ne pouvait pas se prononcer ;

-          un rapport du 10 novembre 2020 du Dr C______, précisant que le demandeur avait été hospitalisé une seconde fois pour raisons cardiaques en avril 2020, vraisemblablement en lien avec le stress que lui causait sa situation. Les limitations fonctionnelles découlant de l’atteinte à la santé consistaient en une fatigabilité et une intolérance au stress. Sur le plan psychique, le demandeur était capable d’exercer une activité adaptée à son état de santé. Sur le plan somatique, le Dr C______ n’était pas en mesure de se prononcer ;

-          un rapport du 26 août 2021 du Dr C______, évoquant une amélioration thymique depuis novembre 2020, qui restait fluctuante et très dépendante des situations qu’il vivait ou des nouvelles qu’il recevait. Au titre des limitations fonctionnelles, il présentait toujours de la fatigabilité et une intolérance au stress. Le Dr C______ a précisé que s’il pouvait attester, d’un point de vue psychique, que le demandeur était capable d’exercer une activité adaptée à son état de santé, il n’était pas en mesure de se prononcer à ce sujet sur le plan somatique.

Invité à prendre position sur son rapport du 26 août 2021, dans lequel il notait
une amélioration thymique fluctuante, le Dr C______ a indiqué que la santé psychique du demandeur était très liée à son anxiété et à son environnement. On devait comprendre cela au sens large, à savoir l’âge, les perspectives de retrouver un travail, les soucis financiers et la santé physique, notamment au niveau cardiaque. On pouvait avoir l’impression que tout allait bien, alors qu’il y avait tout de même un versant dépressif. C’était seulement depuis six mois environ, autour de l’été 2021, que les troubles psychiques s’étaient atténués de manière à lui permettre de travailler. Sa capacité de travail avait été nulle, sur le plan psychique, pendant toute l’année 2019 et toute l’année 2020. En 2021, il n’aurait pas pu reprendre tout de suite à plein temps, mais à 50% dans un premier temps.

Prenant position au sujet de l’expertise du Dr E______, le Dr C______ a indiqué qu’en une heure, son confère avait fait une photographie de la situation mais peut-être sous-estimé l’impact du licenciement. En effet, le demandeur avait du mal à identifier ses émotions et les difficultés qui en résultaient à telle enseigne qu’il ne s’était pas rendu compte qu’il avait fait une attaque de panique due notamment à l’angoisse, ce qui faisait qu’il avait du mal à parler de ses émotions et de son ressenti, et qu’il était possible qu’il ne les ait pas suffisamment exprimés devant l’expert E______. Contrairement à ce dernier, il avait pu constater des troubles neurovégétatifs. Il était possible que son confrère ne les ait pas remarqués sur une durée de soixante minutes, contrairement à lui. Ces troubles neurovégétatifs étaient bien connus. Il y avait tout d’abord une sécrétion d’adrénaline, puis un effet vasoconstricteur au niveau des vaisseaux sanguins et une impression d’oppression dans la cage thoracique. Il s’agissait en fait d’un déséquilibre entre le système sympathique et parasympathique. Lorsque le demandeur avait fait sa première crise de panique, il n’avait pas fait le lien entre les symptôme physiques et l’origine psychique de la crise. Pour lui, il s’agissait de symptômes purement physiques. Le Dr C______ a ajouté qu’à sa connaissance, le demandeur n’avait pas de problèmes cardiaques préexistants. Comme il l’avait déjà expliqué, il faisait un lien entre les problèmes psychiques et les problèmes cardiaques.

h. Par pli du 24 mars 2022, la défenderesse a indiqué renoncer à l’audition de l’expert E______, tout en versant à la procédure les extraits suivants du dossier AI du demandeur :

-          un « avis de sortie » établi le 11 novembre 2019 par un stagiaire médecin, Madame F______, contresigné par la doctoresse G______, du service de médecine interne générale des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), relatant le séjour du 3 au 7 novembre 2019 que le demandeur y avait effectué suite à son admission, motivée par des dyspnées paroxystiques nocturnes, en péjoration depuis quelques jours. Ce rapport faisait en outre mention d’une dysfonction ventriculaire gauche sévère dans un contexte de fibrillation auriculaire et de dysélectrolytémies. À ces troubles s’ajoutait une comorbidité, à savoir une hépatite B. Une optimisation du traitement médicamenteux de l’insuffisance cardiaque avait été prescrite à la sortie ;

-          un rapport du 2 novembre 2020 de la doctoresse H______, cheffe de clinique auprès du service de cardiologie des HUG, indiquant que le demandeur avait été pris en charge en cardiologie pour la première fois en novembre 2019 avec découverte d’une cardiomyopathie probablement d’origine génétique avec initialement une FEVG (NDR : fraction d’éjection ventriculaire gauche) de 25%. Il avait été mis sous traitement d’insuffisance cardiaque, avec une amélioration progressive de la clinique et de sa FEVG jusqu’à 45%. Après avoir présenté un arrêt cardio-respiratoire sur probable fibrillation ventriculaire le 26 avril 2020, il avait été équipé d’un défibrillateur. Il s’agissait, par ailleurs, d’un patient anciennement dépressif, chez qui l’arrêt cardio-respiratoire avait eu un impact psychologique important. Interrogée sur le point de savoir si d’un point de vue strictement médical, le demandeur était capable d’exercer une activité professionnelle adaptée à son état de santé, la Dresse H______ a répondu « a priori oui, du point de vue cardiologique », sans qu’il faille nécessairement adapter le taux d’activité. Mais ceci était à confronter à l’état psychologique/psychiatrique.

i. Par triplique du 24 mars 2022, le demandeur a relevé que le fait d’avoir reçu sa lettre de licenciement avant de tomber en arrêt maladie ne changeait rien au fait que son incapacité de travail était intervenue avant la fin des rapports de travail. Par ailleurs, si son état de santé ne l’avait pas empêché de s’inscrire à l’office cantonal de l’emploi (ci-après : l’OCE), les indemnités journalières d’assurance-chômage se seraient élevées à 80%, vu l’obligation d’entretien qu’il assumait envers deux enfants en formation âgés de moins de 25 ans.

j. Par quadruplique du 30 mars 2022, la défenderesse a contesté l’allégation selon laquelle le demandeur aurait pu bénéficier de prestations d’assurance-chômage à 80% de son salaire si son état de santé ne l’avait pas empêché de s’inscrire à l’OCE. De son point de vue, le demandeur ou la CJCAS pouvait également simplement demander à la caisse de chômage de confirmer si le demandeur remplissait les conditions pour percevoir des indemnités de chômage, définir leur taux, ainsi que la durée d’indemnisation.

k. Par courrier du 29 avril 2022, le demandeur a informé la CJCAS qu’il ne s’opposait pas à la requête d’édition du dossier AI formulée par la défenderesse. En outre, au vu des avis médicaux divergents, une expertise judiciaire apparaissait indispensable.

l. Par pli du 12 mai 2022, la défenderesse a annoncé à la CJCAS avoir requis à deux reprises, sans succès, une mise à jour du dossier AI. Dès réception de ce complément, elle serait en mesure de se déterminer définitivement sur la nécessité d’une expertise.

m. Par envoi spontané du 13 juin 2022, la défenderesse a versé au dossier un avis médical du 14 février 2022 du service médical régional de l’assurance-invalidité (ci-après : SMR) dans lequel ce service estimait, après réception du dossier de la défenderesse – en particulier du rapport d’expertise du Dr E______ – et de l’ensemble des pièces médicales du dossier AI, incluant notamment le rapport du 2 novembre 2020 de la Dresse H______, qu’il pouvait retenir une incapacité de travail entière du 24 décembre 2018 au 24 mars 2019, puis une capacité de travail entière sur le plan psychiatrique. Après quoi, il y avait lieu de retenir une nouvelle incapacité de travail, dans toute activité, du 13 novembre 2019 jusqu’au 30 juin 2020, puis une capacité de travail entière dans une activité adaptée, sans contraintes physiques importantes, avec un port de charges limité à 10 kg et sans stress soutenu, dès le 1er juillet 2020. Enfin, le SMR a précisé que ces conclusions étaient valables sous réserve de l’arrêt rendu par la chambre de céans dans la procédure A/3102/2020.

Tirant argument de ces récents développements du dossier AI, la défenderesse a soutenu que l’OAI s’était rallié aux conclusions de l’expertise psychiatrique du
Dr E______ et que la CJCAS pouvait donc en faire de même, ce qui signifiait qu’une expertise judiciaire n’était pas utile.

n. Le 15 juillet 2022, le demandeur s’est déterminé au sujet de l’envoi du 13 juin 2022 de la défenderesse en faisant valoir que l’avis du 14 février 2022 du SMR ne préjugeait pas de la décision de l’OAI à venir et que, pour le surplus, il maintenait son point de vue quant à la nécessité d’une expertise judiciaire.

o. Le 21 décembre 2022, la CJCAS a invité les parties à bien vouloir l’informer de l’état actuel du dossier AI et, par la même occasion, à actualiser leurs éventuelles demandes d’actes d’instruction et/ou d’offres de preuve.

p. Par courrier du 9 janvier 2023, la défenderesse a maintenu qu’une expertise judiciaire ne lui semblait pas nécessaire compte tenu de la valeur probante de l’expertise du Dr E______. Par ailleurs, dans la mesure où le Dr C______ avait indiqué qu’il n’y avait plus d’incapacité de travail pour raisons psychiques depuis novembre 2020, une expertise psychiatrique examinant rétrospectivement la situation à partir du 1er mai 2019 semblait difficilement envisageable, d’autant que le demandeur ne souffrait actuellement plus suffisamment pour justifier une incapacité de travail au-delà du mois de novembre 2020 de l’avis de ses médecins traitants. Du reste, l’hospitalisation à partir du 5 novembre 2019 pour raisons somatiques (cardiologiques) n’entrainait pas d’obligation de prester à charge de la défenderesse puisque l’incapacité pour cause psychiatrique avait manifestement été interrompue.

q. Le 27 janvier 2023, le demandeur a informé la CJCAS que la procédure par-devant l’OAI était toujours en cours et qu’il n’avait pas reçu de communication récente, ni de décision en lien avec cette procédure. Il persistait, en définitive, dans ses conclusions. Dans ce contexte, il convenait de rappeler notamment que le
Dr C______ avait constaté l’existence de troubles neurovégétatifs et retenu un lien de causalité entre les troubles psychiques et les troubles cardiaques, étant relevé que ces éléments n’avaient pas été constatés par le Dr E______. De ce fait, une expertise judiciaire était indispensable.

r. Le 30 janvier 2023, la chambre de céans a transmis, pour information, une copie du courrier du 9 janvier 2023 au demandeur, respectivement une copie du courrier du 27 janvier 2023 à la défenderesse.

s. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

t. Les autres faits seront exposés, en tant que de besoin, dans la partie « en droit » du présent arrêt.

 

EN DROIT

1.              

1.1 Conformément à l’art. 7 du Code de procédure civile suisse du 19 décembre 2008 (CPC – RS 272) et à l’art. 134 al. 1 let. c de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ – E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations relatives aux assurances complémentaires à l’assurance-maladie sociale prévue par la LAMal, relevant de la loi fédérale sur le contrat d’assurance, du 2 avril 1908 (loi sur le contrat d’assurance, LCA – RS 221.229.1).

L’assurance en cause dans le litige déféré à la chambre de céans est une assurance collective d’indemnités journalières soumise à la LCA, comme cela ressort de la police d’assurance conclue par Cité du Temps SA et des conditions générales d’assurance (ci-après : CGA) d’Helsana.

La chambre de céans est donc compétente à raison de la matière pour statuer sur la demande.

1.2 S’agissant de la compétence à raison du lieu, l’art. 46a LCA prescrit que le for se définit selon la loi du 24 mars 2000 sur les fors (LFors) qui a été abrogée au
1er janvier 2011 par l’entrée en vigueur du CPC, auquel il convient désormais de se référer. Sauf disposition contraire de la loi, pour les actions dirigées contre les personnes morales, le for est celui de leur siège (art. 10 al. 1 let. b CPC), étant précisé que l’art. 17 al. 1 CPC consacre la possibilité d’une élection de for écrite.

En l’occurrence, le demandeur étant domicilié dans le canton de Genève, la chambre de céans est compétente à raison du lieu pour connaître de la demande.

1.3 Selon l’art. 59 al. 1 CPC, le tribunal n’entre en matière que sur les demandes et les requêtes qui satisfont aux conditions de recevabilité de l’action. L’art. 59 al. 2 CPC précise que ces conditions supposent notamment que le litige ne fait pas l’objet d’une litispendance préexistante.

Il y a litispendance préexistante lorsque le même objet du litige oppose les mêmes parties devant un tribunal saisi au préalable (François BOHNET, in Commentaire romand du Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 46 ad art. 59).

Le dépôt de l’acte introductif d’instance (requête de conciliation, demande ou requête en justice notamment) marque le début de la litispendance (art. 62 al. 1 CPC). Selon l’art. 64 al. 1 let. a CPC, la litispendance a pour effet que la même cause, opposant les mêmes parties, ne peut être portée en justice devant une autre autorité (effet négatif de la litispendance [Sperrwirkung] ). L’art. 59 al. 2 let. d CPC range l’absence d’une litispendance préexistante parmi les conditions de recevabilité de l’action. À l’instar du principe de l’autorité de chose jugée, le principe de la litispendance tend en particulier à éviter qu’il existe, dans un ordre juridique déterminé, deux décisions judiciaires contradictoires sur la même action et entre les mêmes parties, qui seraient également et simultanément exécutoires (ATF 127 III 279 consid. 2b p. 283). Plus généralement, il s’agit de prévenir les procédés inutiles de nature à surcharger les tribunaux, en empêchant qu’une contestation identique fasse l’objet de plusieurs procès distincts et simultanés entre les mêmes parties. Le tribunal examine d’office si la condition de l’absence de litispendance est remplie (art. 60 CPC ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_141/2013 du 22 août 2013 consid. 2.2 et les références). Selon l’art. 64 al. 1 let. a CPC, la litispendance déploie son effet à l’égard d’une procédure subséquente ouverte « devant une autre autorité » (« anderweitig » et « altrove », dans les versions allemande, respectivement italienne). Cette formulation, qui correspond au cas se présentant le plus fréquemment, ne se retrouve pas à l’art. 59 al. 2 let. d CPC, lequel mentionne simplement une « litispendance préexistante » ; elle ne doit pas être prise au pied de la lettre et n’exclut pas que l’exception de litispendance soit invoquée à l’égard d’une procédure introduite ultérieurement devant le même tribunal. En effet, le risque de décisions contradictoires n’est pas totalement exclu dans les tribunaux comportant de nombreuses chambres, comme le Tribunal
de première instance du canton de Genève. Mais surtout, l’effet négatif de la litispendance à l’égard d’une seconde procédure introduite devant le même tribunal correspond au but général de ce principe, qui est précisément d’éviter la conduite de deux procès dans le même litige opposant les mêmes parties (arrêt du Tribunal fédéral 4A_141/2013 du 22 août 2013 consid. 2.2.1).

1.4 En l’espèce, la cause A/3102/2020, qui opposait les mêmes parties, était certes encore pendante devant la CJCAS lorsque le demandeur a déposé, le 23 juin 2021, une nouvelle demande se distinguant de celle du 2 octobre 2020 par la prise de conclusions chiffrées. Cela étant, sachant que la demande du 2 octobre 2020 était irrecevable précisément en raison du vice auquel les conclusions de la demande du 23 juin 2021 avaient pour but de remédier, il serait contraire à l’interdiction du formalisme excessif de déclarer la demande du 23 juin 2021 irrecevable à son tour, motif pris qu’au moment de son dépôt, la litispendance créée par la première cause subsistait encore, ce d’autant qu’il n’existait pas, dans le cas concret, de risque de plusieurs procès distincts et simultanés entre les mêmes parties. On constate en effet, d’une part, que le demandeur a requis, dès le 23 juin 2021, la jonction des causes A/3102/2020 et A/3909/2021 et, d’autre part, que cette requête du demandeur est devenue sans objet par l’écoulement du temps, sachant que la CJCAS a différé au 17 novembre 2021 – soit jusqu’à la veille de l’arrêt ATAS/1178/2021 déclarant irrecevable la demande du 2 octobre 2020 – le moment choisi pour informer les parties de l’enregistrement de la cause A/3909/2021 et s’atteler au traitement de cette dernière. Sur le plan du risque de plusieurs procès distincts et simultanés entre les mêmes parties, la situation est
par conséquent assimilable à l’hypothèse dans laquelle le demandeur aurait attendu l’issue de la cause A/3102/2020 avant de déposer une nouvelle demande comportant des conclusions chiffrées.

Pour le reste, la demande respecte les conditions formelles prescrites par les
art. 130 et 244 CPC ainsi que les autres conditions de recevabilité prévues par l’art. 59 CPC, de sorte qu’elle est recevable.

2.             Les litiges relatifs aux assurances complémentaires à l’assurance-maladie ne sont pas soumis à la procédure de conciliation préalable de l’art. 197 CPC lorsque les cantons ont prévu une instance cantonale unique selon l’art. 7 CPC (ATF 138 III 558 consid. 4.5 et 4.6 ; ATAS/577/2011 du 31 mai 2011), étant précisé que le législateur genevois a fait usage de cette possibilité (art. 134 al. 1 let. c LOJ).

3.              

3.1 La procédure simplifiée s’applique aux litiges portant sur des assurances complémentaires à l’assurance-maladie sociale au sens de la LAMal (art. 243 al. 2 let. f CPC) et la chambre de céans établit les faits d’office (art. 247 al. 2 let. a CPC).

La jurisprudence applicable avant l’introduction du CPC, prévoyant l’application de la maxime inquisitoire sociale aux litiges relevant de l’assurance-maladie complémentaire, reste pleinement valable (ATF 127 III 421 consid. 2). Selon cette maxime, le juge doit établir d’office les faits, mais les parties sont tenues de lui présenter toutes les pièces nécessaires à l’appréciation du litige. Ce principe n’est pas une maxime officielle absolue, mais une maxime inquisitoire sociale. Le juge ne doit pas instruire d’office le litige lorsqu’une partie renonce à expliquer sa position. En revanche, il doit interroger les parties et les informer de leur devoir de collaboration et de production des pièces ; il est tenu de s’assurer que les allégations et offres de preuves sont complètes, uniquement lorsqu’il a des motifs objectifs d’éprouver des doutes sur ce point. L’initiative du juge ne va pas au-delà de l’invitation faite aux parties de mentionner leurs moyens de preuve et de les présenter. La maxime inquisitoire sociale ne permet pas d’étendre à bien plaire l’administration des preuves et de recueillir toutes les preuves possibles (ATF 125 III 231 consid. 4a).

La maxime inquisitoire sociale ne modifie pas la répartition du fardeau de la preuve (arrêt du Tribunal fédéral 4C.185/2003 du 14 octobre 2003 consid. 2.1). Pour toutes les prétentions fondées sur le droit civil fédéral, l’art. 8 du Code civil suisse, du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), en l’absence de règles contraires, répartit le fardeau de la preuve et détermine, sur cette base, laquelle des parties doit assumer les conséquences de l’échec de la preuve (ATF 133 III 323 consid. 4.1 non publié ; ATF 130 III 321 consid. 3.1 ; ATF 129 III 18 consid. 2.6 ; ATF 127 III 519 consid. 2a). Cette disposition ne prescrit cependant pas quelles sont les mesures probatoires qui doivent être ordonnées (cf. ATF 122 III 219 consid. 3c ; ATF 119 III 60 consid. 2c). Elle n’empêche pas le juge de refuser une mesure probatoire par une appréciation anticipée des preuves (ATF 121 V 150 consid. 5a). L’art. 8 CC ne dicte pas comment le juge peut forger sa conviction (ATF 122 III 219 consid. 3c ; ATF 119 III 60 consid. 2c ; ATF 118 II 142 consid. 3a). En tant que règle sur le fardeau de la preuve, il ne s’applique que si le juge, à l’issue de l’appréciation des preuves, ne parvient pas à se forger une conviction dans un sens positif ou négatif (ATF 132 III 626 consid. 3.4 et ATF 128 III 271 consid. 2b/aa). Ainsi, lorsque l’appréciation des preuves le convainc de la réalité ou de l’inexistence d’un fait, la question de la répartition du fardeau de la preuve ne se pose plus (ATF 128 III 271 consid. 2b/aa).

3.2 En vertu de l’art. 8 CC, chaque partie doit, si la loi ne prescrit le contraire, prouver les faits qu’elle allègue pour en déduire son droit. En conséquence, la partie qui fait valoir un droit doit prouver les faits fondant ce dernier, tandis que le fardeau de la preuve relatif aux faits supprimant le droit, respectivement l’empêchant, incombe à la partie, qui affirme la perte du droit ou qui conteste son existence ou son étendue. Cette règle de base peut être remplacée par des dispositions légales de fardeau de la preuve divergentes et doit être concrétisée dans des cas particuliers (ATF 128 III 271 consid. 2a/aa avec références). Ces principes sont également applicables dans le domaine du contrat d’assurance (ATF 130 III 321 consid. 3.1).

La partie qui n’a pas la charge de la preuve a le droit d’apporter une contre-preuve. Elle cherchera ainsi à démontrer des circonstances propres à faire naître chez le juge des doutes sérieux sur l’exactitude des allégations formant l’objet de la preuve principale. Pour que la contre-preuve aboutisse, il suffit que la preuve principale soit ébranlée, de sorte que les allégations principales n’apparaissent plus comme les plus vraisemblables (ATF 130 III 321 consid. 3.4). Le juge doit procéder à une appréciation d’ensemble des éléments qui lui sont apportés et dire s’il retient qu’une vraisemblance prépondérante a été établie (ATF 130 III 321 consid. 3.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_61/2011 du 26 avril 2011 consid. 2.1.1).

3.3 La preuve de la survenance d’un sinistre et de l’étendue de la prétention incombe à son prétendu ayant droit (ATF 130 III 321 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_193/2008 du 8 juillet 2008 consid. 2.1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4D_73/2007 du 12 mars 2008 consid. 2.2 ; ATAS/325/2019 du 15 avril 2019 consid. 9).

En principe, un fait est tenu pour établi lorsque le juge a pu se convaincre de la vérité d’une allégation. La loi, la doctrine et la jurisprudence ont apporté des exceptions à cette règle d’appréciation des preuves. L’allégement de la preuve est alors justifié par un « état de nécessité en matière de preuve » (Beweisnot), qui se rencontre lorsque, par la nature même de l’affaire, une preuve stricte n’est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée, en particulier si les faits allégués par la partie qui supporte le fardeau de la preuve ne peuvent être établis qu’indirectement et par des indices (ATF 132 III 715 consid. 3.1 ; ATF 130 III 321 consid. 3.2). Tel peut être le cas de la survenance d’un sinistre en matière d’assurance-vol (ATF 130 III 321 consid. 3.2) ou de l’existence d’un lien de causalité naturelle, respectivement hypothétique (ATF 132 III 715 consid. 3.2). Le degré de preuve requis se limite alors à la vraisemblance prépondérante (die überwiegende Wahrscheinlichkeit), qui est soumise à des exigences plus élevées que la simple vraisemblance (die Glaubhaftmachung). La vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ou hypothèses envisageables ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération (ATF 133 III 81 consid. 4.2.2 ; ATF 132 III 715 consid. 3.1 ; ATF 130 III 321 consid. 3.3).

En ce qui concerne la survenance d’un sinistre assuré, le degré de preuve nécessaire est en principe abaissé à la vraisemblance prépondérante (en lieu et place de la règle générale de la preuve stricte) (ATF 130 III 321 consid. 3.2
et 3.3). Le défendeur conserve toutefois la possibilité d’apporter des contre-
preuves ; il cherchera ainsi à démontrer des circonstances propres à faire naître chez le juge des doutes sérieux sur l’exactitude des allégations formant l’objet de la preuve principale (ATF 130 III 321 consid. 3.4).

Cependant, dans un arrêt du 31 août 2021, le Tribunal a modifié la jurisprudence précitée, en ce sens que l’existence d’un cas d’assurance constitué par une incapacité de travail est désormais soumise au degré de preuve de la preuve stricte (ATF 148 III 105 consid. 3.3.1 in fine). Cette précision de jurisprudence concerne le droit matériel et est donc directement applicable (ATF 146 I 105 consid. 5.2.1 ; ATF 140 IV 154 consid. 5.2.1), y compris au présent litige.

4.              

4.1 Aux termes de l’art. 168 al. 1 CPC, les moyens de preuve sont le témoignage (let. a) ; les titres (let. b) ; l’inspection (let. c) ; l’expertise (let. d) ; les renseignements écrits (let. e) ; l’interrogatoire et la déposition de partie (let. f).

L’expertise, en tant que moyen de preuve admis au sens de l’art. 168 al. 1 let. d CPC, ne vise que l’expertise judiciaire au sens de l’art 183 al. 1 CPC. Une expertise privée n’est en revanche pas un moyen de preuve mais une simple allégation de partie (ATF 141 III 433 consid. 2.5.2 et 2.5.3). Lorsqu’une allégation de partie est contestée de manière circonstanciée par la partie adverse, une expertise privée ne suffit pas à prouver une telle allégation. En tant qu’allégation de partie, une expertise privée peut, combinée à des indices dont l’existence est démontrée par des moyens de preuve, amener une preuve. Toutefois, si elle n’est pas corroborée par des indices, elle ne peut être considérée comme prouvée en tant qu’allégation contestée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_626/2015 du 24 mai 2016 consid. 2.5). Les déclarations orales d’un expert privé entendu comme témoin ne sauraient conférer une valeur de preuve aux allégations contenues dans son rapport (arrêt du Tribunal fédéral 5D_59/2018 du 31 août 2018 consid. 4.2.3 et les références).

4.2 Le principe de la libre appréciation des preuves s’applique lorsqu’il s’agit de se prononcer sur des prestations en matière d’assurance sociale. Rien ne justifie
de ne pas s’y référer également lorsqu’une prétention découlant d’une assurance complémentaire à l’assurance sociale est en jeu (arrêt du Tribunal fédéral 4A_5/2011 du 24 mars 2011 consid. 4.2). Le principe de la libre appréciation des preuves signifie que le juge apprécie librement les preuves, sans être lié par des règles formelles, en procédant à une appréciation complète et rigoureuse des preuves. Dès lors, le juge doit examiner de manière objective tous les moyens
de preuve, quelle qu’en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de statuer sur le droit litigieux (arrêt du Tribunal fédéral 4A_253/2007 du 13 novembre 2007 consid. 4.2). En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l’affaire sans apprécier l’ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il convient que les points litigieux importants aient fait l’objet d’une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu’il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l’expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3).

Par ailleurs, le juge doit avoir égard au fait que la relation de confiance unissant un patient à son médecin traitant peut influencer l’objectivité ou l’impartialité de celui-ci ; cela ne justifie cependant pas en soi d’évincer tous les avis émanant des médecins traitants. Il faut effectuer une appréciation globale de la valeur probante du rapport du médecin traitant au regard des autres pièces médicales (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_12/2012 du 20 juillet 2012 consid. 7.1).

5.             La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanant d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel la CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; ATF 141 V 281 consid. 2.2 et 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_841/2016 du 30 novembre 2017 consid. 4.5.2).

En règle générale, toutes les affections psychiques doivent faire l’objet d’une procédure probatoire structurée au sens de l’arrêt ATF 141 V 281 (ATF 143 V 418). Ainsi, la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d’une procédure d’établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant de mettre en regard les facteurs extérieurs incapacitants d’une part et les ressources de compensation de la personne d’autre part (ATF 141 V 281 consid. 3.6 et 4 ; ATAS/700/2021 du 29 juin 2021 consid. 14 ; voir également : ATF 143 V 409 consid. 4.5.2). Dans ce cadre, il convient d’évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée en tenant compte, d’une part, des facteurs contraignants extérieurs limitant les capacités fonctionnelles et, d’autre part, les potentiels de compensation (ressources). Les indicateurs pertinents sont notamment l’expression des constatations et des symptômes, le recours aux thérapies, leur déroulement et leurs effets, les efforts de réadaptation professionnelle, les comorbidités, le développement et la structure de la personnalité, le contexte social de la personne concernée ainsi que la survenance des restrictions alléguées dans les différents domaines de la vie (travail et loisirs ; cf. ATAS/676/2019 du 26 juillet 2019 consid. 10a ; ATAS/856/2019 du 12 septembre 2019 consid. 6).

Le diagnostic émanant d’un expert (psychiatre) doit être justifié médicalement de telle manière que les personnes chargées d’appliquer le droit puissent vérifier que les critères de classification ont été effectivement respectés. Les médecins doivent en outre prendre en considération les critères d’exclusion de ce diagnostic retenus par la jurisprudence (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1. et 2.2).

Un expert psychiatre doit se voir reconnaître une certaine marge d’appréciation dans l’appréciation de l’incapacité de travail dès lors qu’une telle appréciation médicale est par essence en partie une question d’appréciation (ATF 145 V 361 consid. 4.1.2 ; ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.3 ; ATF 130 V 352 consid. 2.2.4).

6.             Sur le plan matériel, le point de savoir quel droit s’applique doit être tranché à la lumière du principe selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminant se sont produits (ATF 130 V 229 consid. 1.1 et les références).

En l’espèce, le litige porte sur le point de savoir si le demandeur peut bénéficier d’indemnités journalières au-delà du 30 avril 2019. Ainsi, les modifications de la LCA du 19 juin 2020, entrées en vigueur le 1er janvier 2022 (RO 2020 4969 ; FF 2017 4767), ne sont pas applicables au présent litige.

 

 

6.1 En matière d’assurances complémentaires, les parties sont liées par l’accord qu’elles ont conclu dans les limites de la loi, les caisses-maladies pouvant en principe édicter librement les dispositions statutaires ou réglementaires dans les branches d’assurances complémentaires qui relèvent de la liberté contractuelle des parties hormis quelques dispositions impératives en matière d’indemnités journalières (ATF 124 V 201 consid. 3d). Étant donné que l’art. 100 al. 1 LCA renvoie à la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220) pour tout ce qu’elle ne règle pas elle-même, la jurisprudence en matière de contrats est applicable. D’après celle-ci, les conditions générales font partie intégrante du contrat. Les dispositions contractuelles préformulées sont en principe interprétées selon les mêmes règles que les clauses contractuelles rédigées individuellement (ATF 133 III 675
consid. 3.3). La LCA ne comporte pas de dispositions particulières à l’assurance d’indemnités journalières en cas de maladie ou d’accident, de sorte qu’en principe, le droit aux prestations se détermine exclusivement d’après la convention des parties (ATF 133 III 185 consid. 2). Le droit aux prestations d’assurance se détermine donc sur la base des dispositions contractuelles liant l’assuré et l’assureur, en particulier des conditions générales ou spéciales d’assurance (arrêt du Tribunal fédéral 5C.263/2000 du 6 mars 2001 consid. 4a).

6.2 En l’occurrence, la police d’assurance perte de gain conclue en 2016 par l’employeur auprès de la défenderesse prévoit le versement d’une indemnité journalière pour le personnel en cas de maladie, à hauteur de 90% du salaire effectif durant 730 jours par cas, le délai d’attente étant de 30 jours par cas.

Selon l’édition 2014 des CGA, à laquelle renvoie la police d’assurance, on entend par maladie toute atteinte à la santé physique, mentale ou psychique qui n’est pas due à un accident et qui exige un examen ou un traitement médical, ou provoque une incapacité de travail (art. 3.1 CGA).

Est réputée incapacité de travail toute perte, totale ou partielle, de l’aptitude de l’assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d’activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d’une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique. En cas d’incapacité de travail de longue durée, l’activité qui peut être raisonnablement exigée de lui peut aussi relever d’une autre profession ou d’un autre domaine d’activité (art. 3.4 CGA).

L’assurance s’éteint pour chaque personne assurée si elle quitte le cercle des assurés ou si ses rapports de travail avec le preneur d’assurance prennent fin
(art. 9.3 let. a CGA).

S’agissant des personnes assurées qui, à la fin de l’assurance, sont frappées d’une incapacité de travail ou d’une incapacité de gain, le droit aux prestations pour le cas en cours est maintenu dans le cadre des dispositions contractuelles (prestation complémentaire). Le droit à la prestation complémentaire s’éteint lorsque la personne assurée recouvre sa pleine capacité de travail (art. 9.4 CGA).

L’art. 9.5 des CGA précise que la prestation complémentaire selon le ch. 9.4 n’est pas applicable : si le contrat est repris par un autre assureur qui, en vertu d’un accord de libre passage, doit poursuivre les versements au titre des indemnités journalières (let. a) ; si le contrat de travail a été résilié pendant la période d’essai (let. b) ; s’il s’agissait d’un contrat de travail de durée limitée (let. c) ; en cas de rechute selon le ch. 17.2 (let. d).

La personne qui quitte le cercle des assurés a le droit d’être transférée dans l’assurance indemnités journalières individuelle LCA de l’assureur dans les trois mois suivant le départ, et ce, sans examen de son état de santé. Les personnes assurées bénéficient du même droit en cas de dissolution du contrat collectif
(art. 11.1 CGA).

Les personnes ayant fait l’objet du transfert ont droit à une protection d’assurance dans le cadre des prestations assurées à ce jour (art. 11.4, 1ère phr., CGA).

L’obligation de verser des prestations commence après écoulement du délai d’attente mentionné dans la police. Ce délai d’attente commence le premier jour de l’incapacité attestée médicalement, au plus tôt cependant 5 jours avant le début du traitement médical (art. 15.1 CGA).

L’assureur verse l’indemnité journalière par cas de prestations, mais au plus pendant la durée des prestations mentionnées dans la police d’assurance, moins le délai d’attente convenu. Les jours d’incapacité de travail partielle sont considérés comme jours entiers (art. 17.1 CGA).

La réapparition d’une maladie ou des suites d’un accident est considérée comme un nouveau cas de prestations du point de vue de la durée des prestations et du délai d’attente si la personne assurée n’a pas subi d’incapacité de travail ou fait l’objet d’un traitement médical du fait de cette maladie ou de ces suites d’accident durant au moins 365 jours consécutifs. En cas de rechute dans les 365 jours, le délai d’attente déjà entamé est supprimé et les indemnités journalières déjà octroyées sont prises en compte pour le calcul de la durée maximale des prestations (art. 17.2 CGA).

7.              

7.1 En l’espèce, il est constant que le demandeur présentait des troubles psychiques incapacitants du 24 décembre 2018 au 24 mars 2019 – de même que des troubles cardiovasculaires à partir du mois de novembre 2019 – et que sur la base du rapport d’expertise psychiatrique du 23 mars 2019 du Dr E______, concluant au retour d’une capacité de travail entière le 25 mars 2019, la défenderesse a accepté de verser des indemnités journalières du 24 décembre 2018 au 30 avril 2019, date coïncidant avec la fin du contrat de travail du demandeur.

Il n’est pas non plus contesté que faute d’avoir requis son transfert dans l’assurance individuelle pour la période postérieure à la fin des rapports de travail, le demandeur ne faisait plus partie du cercle des personnes assurées après le 30 avril 2019. Les parties s’opposent en revanche sur le point de savoir si pour le cas survenu avant la fin de la protection d’assurance (cf. art. 9.4 CGA), à savoir l’incapacité de travail due à des troubles psychiques, cette dernière a persisté au-delà du 30 avril 2019 ou a pris fin le 25 mars 2019.

7.2 Il convient par conséquent d’examiner s’il existe des motifs suffisants pour considérer que le demandeur avait recouvré une capacité de travail entière dans l’activité habituelle et dans toute autre activité à partir du 25 mars 2019.

7.2.1 Il ressort en synthèse du rapport du 23 mars 2019 du Dr E______ que le demandeur a présenté, en décembre 2018, un trouble de l’adaptation avec réaction dépressive prolongée (selon la nomenclature de la CIM-10), prenant la forme d’un épisode dépressif léger. Étant donné que ce trouble avait évolué de manière très favorable avec les soins et le temps et que les critères diagnostiques d’un épisode dépressif, même d’intensité légère, n’étaient actuellement plus réunis, la capacité de travail dans l’activité habituelle, qui avait été nulle du 24 décembre 2018 au 24 mars 2019, était entière dès le 25 mars 2019, sans diminution de rendement.

Pour le reste, le Dr E______ ne s’en tient pas strictement aux standards usuels d’une expertise psychiatrique réalisée selon la procédure probatoire structurée au sens de l’arrêt ATF 141 V 281 (ATF 143 V 418) mais requiert, de la part du lecteur, qu’il recherche dans l’expertise les différents indicateurs (qui, en l’espèce, sont néanmoins traités de façon complète), et en fasse la synthèse lui-même. Ces remarques d’ordre formel sont également valables pour l’anamnèse qui, bien que retracée comme il se doit (cf. notamment la p. 5 du rapport), est traitée non pas sous une rubrique qui lui serait spécifiquement dédiée mais abordée dans le
cadre de l’examen psychiatrique. La même remarque concerne les plaintes du demandeur (cf. p. 2 du rapport). Ceci étant précisé, il résulte de l’inventaire de tous les points pertinents, en particulier des informations qu’il y a lieu de classer sous l’indicateur « atteinte à la santé », que le trouble de l’adaptation avec réaction dépressive prolongée – qui ne s’accompagne d’aucune comorbidité (trouble de la personnalité, notamment) ni d’aucun antécédent psychiatrique – a évolué très favorablement à la faveur de l’écoulement du temps et du succès du traitement prescrit (antidépresseur et suivi psychothérapeutique à raison d’une séance tous les 15 jours). Quant à l’axe « personnalité », les constatations faites, éclairées notamment par le parcours du demandeur (enfance, scolarité, formation, parcours professionnel et famille) et le status psychiatrique conduisent l’expert à retenir que les ressources du demandeur apparaissent bonnes et que celui-ci ne présente aucun trouble de la personnalité. S’agissant de l’axe « contexte social », soit la recherche d’un éventuel retentissement des troubles psychiques sur la vie sociale, les constatations de l’expert ne révèlent aucune particularité, celui-ci notant que le demandeur s’est acheté une canne à pêche (dont il ne se sert pas encore), qu’il fait de la marche trente à quarante minutes occasionnellement avec son épouse, qu’il fait aussi de la musique, occasionnellement de la batterie, participe « à l’entretien », aux courses et à la cuisine avec son épouse. Enfin, les indicateurs de la catégorie « cohérence » révèlent que l’allégation de troubles psychiques qui motiveraient subjectivement une incapacité de travail totale de trois mois ne résiste pas à l’examen de cohérence, d’une part en l’absence de séances de psychothérapie à un rythme plus soutenu (une fois par semaine au lieu d’une fois tous les 15 jours), et d’autre part en l’absence d’un retentissement des troubles invoqués sur la vie sociale, le demandeur participant à la vie de famille normalement et conduisant sans difficulté. Il s’ensuit, en synthèse, que le degré fonctionnel de l’atteinte à la santé ne se répercutait pas, au moment de l’expertise, sur la capacité de travail du demandeur dans son activité habituelle d’agent de sécurité, cette appréciation étant également corroborée par l’examen de la cohérence, que ce soit en termes d’options thérapeutiques ou d’une limitation uniforme de l’activité dans tous les domaines de la vie.

Tenant compte des plaintes de l’intéressé, comportant une anamnèse détaillée, des diagnostics motivés et des conclusions claires et cohérentes à la lumière des indicateurs jurisprudentiels, le rapport d’expertise du Dr E______ remplit en principe les réquisits permettant de lui reconnaître valeur probante. On ajoutera que bien qu’une telle expertise privée ne soit qu’une allégation de partie, elle
peut néanmoins amener une preuve (in casu : la preuve des faits qui entrainent l’extinction ou la perte du droit de l’assuré ; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.1) lorsque celle-ci est combinée à des indices dont l’existence est démontrée par des moyens des preuves (cf. ci-dessus : consid. 4.1). Au titre de ces indices, il sied
de rappeler que dans son avis du 14 février 2022 figurant dans le dossier AI du demandeur, le SMR a estimé, après réception du dossier de la défenderesse – en particulier du rapport d’expertise du Dr E______ – et de l’ensemble des pièces médicales, qu’il pouvait retenir une incapacité de travail entière du 24 décembre 2018 au 24 mars 2019 puis une capacité de travail entière sur le plan psychiatrique.

Le demandeur fait certes valoir que l’OAI n’aurait pas encore rendu de décision à la suite de l’avis du 14 février 2022 du SMR. Cela étant, ce service n’a pas estimé que les rapports médicaux versés au dossier, incluant ceux des Drs C______ et E______, ne lui permettaient pas de se prononcer en l’état du dossier et justifiaient une instruction complémentaire. Le SMR s’est, au contraire, rallié aux conclusions du Dr E______ en retenant, sur le plan psychiatrique, une incapacité de travail entière du 24 décembre 2018 au 24 mars 2019, puis une capacité de travail entière à compter du 25 mars 2019, tout en réservant l’avis de la CJCAS sur cette question dans la procédure A/3102/2020 dont il ne connaissait pas encore l’issue.

7.2.2 Par l’intermédiaire de son psychiatre traitant, le Dr C______, le demandeur conteste la fin de ses troubles psychiques, respectivement la fin de l’incapacité de travail en découlant à la date retenue par l’expert. Il fait valoir en outre que l’incapacité de travail résultant de ses troubles psychiques aurait duré au-delà du 24 mars 2019, qu’elle se serait maintenue de façon continue en 2019, 2020 et n’aurait pris fin qu’au cours de l’année 2021. Il soutient par ailleurs en substance que les troubles cardiovasculaires, ayant nécessité des hospitalisations en 2019 et 2020, seraient intimement liés aux troubles psychiques.

Aussi convient-il d’examiner, dans un premier temps, si les informations recueillies auprès du Dr C______ sont de nature à apporter une contre-preuve, soit à faire naître un doute sérieux sur la fin de l’incapacité de travail du demandeur le 24 mars 2019 au soir, au point que cette version des faits n’apparaisse plus comme étant la plus vraisemblable. Dans le cas contraire, il s’agira, dans un second temps (ci-après : consid. 8.2.2.2), d’examiner si des modifications pertinentes de l’état de fait ont eu lieu après l’expertise du Dr E______, au point de justifier un droit aux prestations pour la période s’ouvrant le 1er mai 2019. Auquel cas, le demandeur supporte le fardeau de la preuve pour l’incapacité de travail relative à cette période et cela avec le degré de la preuve stricte (cf. l’ATF 148 III 105 consid. 3.3.1 précité ; ATAS/79/2021 consid. 10.3).

7.2.2.1.    En ce qui concerne, tout d’abord, la question de l’extinction du droit aux indemnités journalières, fondée sur le rapport d’expertise du Dr E______, le Dr C______ s’est déterminé sur l’appréciation de son confrère au moyen d’un « rapport médical complémentaire » du 18 mai 2020 (pièce 17 demandeur et M8 défenderesse), dans lequel il retient, en synthèse, que le demandeur a été davantage affecté qu’il n’y paraît par son licenciement et que le trouble de l’adaptation avec réaction dépressive prolongée (F43.21 CIM-10) était toujours actif au moment de l’évaluation par l’expert, vu les composantes dépressives et anxieuses qu’il présentait à l’époque de l’expertise, de sorte que son état de santé ne permettait pas d’envisager une reprise immédiate d’une activité professionnelle et que son incapacité de travail était de 100%.

Formulant un premier reproche, le Dr C______ relève que l’expert se serait fondé sur un entretien d’une durée de seulement soixante minutes pour forger ses convictions. C’est le lieu de rappeler que la durée de l’examen – qui n’est pas en soi un critère de la valeur probante d’un rapport médical –, ne saurait remettre en question la valeur du travail de l’expert, dont le rôle consiste notamment à se prononcer sur l’état de santé psychique de l’assuré, dans un délai relativement bref (cf. entre autres, l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_722/2018 du 12 décembre 2018 consid. 4.2 et les arrêts cités).

Le Dr C______ relève ensuite que le Dr E______ n’a observé aucun trouble neurovégétatif, contrairement à lui. Il ne va cependant pas jusqu’à contester le
fait que des manifestations de « suractivation » neurovégétative ne seraient pas apparues lors de l’entretien avec l’expert (cf. p. 2 in fine du rapport du 18 mai 2020). Il ajoute néanmoins que ces manifestations seraient présentes dans le récit et les plaintes du demandeur, tels que l’expert les relate en p. 4 de son rapport, dans le cadre de sa recherche d’éventuelles angoisses. Il apparaît ainsi que la question d’éventuels troubles neurovégétatifs n’a pas de portée propre mais est extrapolée par le Dr C______ à partir de plaintes connues de l’expert, dont le
Dr C______ ne tire pas un diagnostic qui serait différent de celui de son confrère (trouble de l’adaptation avec réaction dépressive prolongée), à tout le moins dans son rapport du 18 mai 2020, la divergence apparaissant au niveau de la persistance ou non d’un état dépressif au moment de l’expertise.

Sur ce dernier point, l’argumentation du Dr C______ est fondée sur les critères en faveur d’une dépression, eux-mêmes relevés par l’expert (idées de dévalorisation, diminution de l’estime de soi, fatigabilité, perte d’intérêt, diminution de l’appétit, troubles du sommeil) et les critères attestant d’éventuelles angoisses qui sont tirés des déclarations du demandeur que l’expert a reproduites dans le texte de son rapport. Par ce biais, le Dr C______ aboutit, certes, à des conclusions qui vont dans le sens de la persistance des troubles d’un état dépressif au-delà du 24 mars 2019, mais en passant sous silence l’évolution du cas relatée par l’expert, en particulier l’absence de limitation fonctionnelle psychique ou mentale objectivable au moment – et tout au long – de l’examen par ce dernier, cet état étant étayé par une vigilance normale, de même qu’une gestuelle et un flux idéique qui ne le sont pas moins. Par ailleurs, l’expert n’a noté, ni signe visible de fatigue ou de fatigabilité, ni trouble de l’attention ou de la mémoire, ni inhibition psychique, ni ralentissement physique ou psychique, ni manque de réactivité dans la communication (cf. rapport d’expertise, p. 6-7). On constate par ailleurs que contrairement à ce qui est le cas dans le rapport d’expertise, le degré fonctionnel de l’atteinte à la santé n’a pas fait l’objet, de la part du Dr C______, d’une analyse complète au moyen des indicateurs jurisprudentiels (ci-dessus : consid. 5). Ce médecin se limite, au contraire, à faire part de son désaccord avec un point de l’analyse tiré de l’axe « contexte social » (à savoir le fait que l’expert aurait omis de noter que le demandeur ne sortait plus avec ses amis, d’où un retrait social), respectivement un point tiré de la catégorie « cohérence », à savoir que le fait de ne consulter son psychiatre qu’une fois tous les 15 jours ne serait pas, selon lui, un argument quant à l’absence de dépression mais le signe d’une capacité intégrative limitée du patient. Ce faisant, le Dr C______ n’explique toutefois pas en quoi les indicateurs jurisprudentiels – qu’il se contente de discuter de manière sélective – auraient dû conduire l’expert à aboutir à des conclusions différentes. À cet égard, force est d’ailleurs de constater que dans un rapport daté du 14 février 2019 (pièce 5 demandeur et M2 défenderesse), rendu un peu plus d’un mois avant l’entretien du demandeur avec l’expert, le Dr C______ rapportait pourtant lui-même une légère diminution de l’anxiété, tout en précisant que si l’incapacité de travail, qui était en lien avec la résiliation du contrat de travail, demeurait entière jusqu’à nouvel avis, son patient n’en souhaitait pas moins poursuivre son activité professionnelle d’agent de sécurité, celle-ci étant raisonnablement exigible auprès d’un autre employeur.

Même sans indication d’une date précise de reprise, cette dernière affirmation n’en révèle pas moins que le Dr C______ était déjà d’avis,
le 14 février 2019, que l’incapacité de travail du demandeur revêtait un caractère passager car contextuel (notification d’une lettre de licenciement le 30 septembre 2018), indépendamment des troubles neurovégétatifs et du retrait social qu’il mentionnait déjà à cette époque.

Au regard de ces éléments, la chambre de céans est d’avis que les critiques émises par le Dr C______ à l’encontre du rapport d’expertise – qui ne font état d’aucun élément objectivement vérifiable et suffisamment important qui aurait été ignoré par le Dr E______ – ne sont pas suffisamment cohérentes et circonstanciées pour mettre en doute les conclusions claires et bien motivées du rapport d’expertise du Dr E______, que le SMR a fait siennes dans son avis du 14 février 2022.

Il s’ensuit que le demandeur échoue à rendre plus vraisemblable l’affirmation selon laquelle son incapacité de travail n’aurait pas cessé à compter du 25 mars 2019.

7.2.2.2.    Il convient à présent d’examiner s’il existe, le cas échéant, un droit aux prestations d’assurance, sur la base d’une modification de l’état de fait qui serait postérieure à l’expertise du Dr E______.

On rappellera tout d’abord qu’il découle des CGA que pour les personnes assurées qui, à la fin de l’assurance, sont frappées d’une incapacité de travail ou de gain,
le droit aux prestations pour le cas en cours est maintenu dans le cadre des dispositions contractuelles (prestation complémentaire). Le droit à la prestation complémentaire s’éteint lorsque la personne assurée recouvre sa pleine capacité de travail (art. 9.4 CGA). Cependant, la prestation complémentaire selon l’art. 9.4 CGA n’est pas applicable en cas de rechute selon l’art. 17.2 CGA, soit en cas de réapparition d’une maladie entraînant une incapacité de travail d’au moins 25% (cf. art. 12.1 CGA).

Sachant qu’il est établi, en l’espèce, que le demandeur a recouvré sa capacité de travail entière le 25 mars 2019 et que sa sortie du cercle des personnes assurées a eu lieu en même temps que la fin de son contrat de travail, soit le 30 avril 2019 au soir, le « droit à la rechute » est en pratique limité à la période comprise entre le 26 mars et le 30 avril 2019.

Aussi convient-il d’examiner si postérieurement au rapport d’expertise du 23 mars 2019 du Dr E______, une modification de l’état de fait s’est produite au cours de cette brève période.

Dans son rapport du 18 mai 2020, le Dr C______ relate l’évolution de la situation depuis l’entretien d’expertise du 19 mars 2019 en faisant tout d’abord état de son désaccord avec l’expert, s’agissant de l’évolution très favorable relatée par ce dernier (cf. rapport d’expertise, p. 6, let. B). En tant que cette prise de position se rapporte à la période jusqu’à l’expertise, elle n’est pas pertinente puisqu’elle a déjà fait l’objet d’une appréciation des preuves dans le sens retenu supra (ci-dessus : consid. 8.2.2.1).

Le Dr C______ indique ensuite que le demandeur « présente toujours une anxiété importante, une humeur triste [ ]. Il reste très découragé face à cette situation [ ] ». Il ne ressort pas de cette description de symptômes, qui exprime un état pathologique stationnaire aux yeux de ce médecin, que la santé psychique du demandeur se serait aggravée entre le 26 mars et le 30 avril 2019. Cela ressort au demeurant aussi d’une brève prise de position du Dr E______ du 31 juillet 2020 (pièce M9 défenderesse) dans laquelle ce dernier indique que, pour la période qui a suivi son appréciation de la capacité de travail du 19 mars 2019, le rapport du Dr C______ n’apporte aucun élément nouveau du point de vue des limitations fonctionnelles. Enfin, le Dr E______ mentionne qu’il « maintient son rapport d’examen en appréciation de la capacité de travail du 23.03.2019, tout le rapport, et seulement le rapport ».

Dans ces circonstances, la preuve d’une rechute qui aurait eu lieu entre le 26 mars et le 30 avril 2019 n’a pas été rapportée.

Dans son rapport du 18 mai 2020, le Dr C______ rappelle, enfin, que le demandeur a été hospitalisé en novembre 2019, en raison d’un dysfonctionnement auriculaire gauche, et qu’en avril 2020, il a subi un arrêt cardio-respiratoire suite auquel il a bénéficié de la pose d’un pacemaker.

La chambre de céans constate qu’il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir si, comme le Dr C______ l’a soutenu lors de son audition du 3 mars 2022, il existerait un lien entre les problèmes psychiques et les problèmes cardiaques. En effet, il est constant qu’une incapacité de travail pour raisons cardiaques ne s’est manifestée qu’après le 30 avril 2019, soit à une époque où le demandeur ne faisait déjà plus partie du cercle des personnes assurées auprès de la défenderesse. Aussi n’est-il pas nécessaire d’examiner plus précisément les périodes pendant lesquelles les troubles cardiaques ont été à l’origine d’une incapacité de travail, cette dernière n’étant de toute manière pas assurée.

7.3 Le demandeur requiert, enfin, la mise en œuvre d’une expertise judiciaire.
Il n’est toutefois pas nécessaire de donner suite à une telle mesure probatoire
dès lors que les preuves produites ont permis à la chambre de céans de statuer
sur le droit litigieux. Par ailleurs, sachant que, de l’avis même du Dr C______, le trouble psychique aurait cessé courant 2021 au plus tard, rendant ainsi impossible son examen par un médecin (si ce n’est de manière rétrospective au moyen des pièces du dossier déjà discutées), l’expertise sollicitée ne serait pas de nature à modifier le résultat des preuves qu’il y a lieu de tenir pour acquis, au vu des explications qui précèdent (ci-dessus : consid. 8.2 ss) et par appréciation anticipée des preuves (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2).

8.             Compte tenu de ce qui précède, la demande doit donc être rejetée.

9.             Pour le surplus, il n’est pas alloué de dépens à la défenderesse, à la charge du demandeur (art. 22 al. 3 let. b de la loi d’application du Code civil suisse et d’autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 [LaCC – E 1 05]), ni perçu de frais judiciaires (art. 114 let. e CPC et 22 al. 3 let. b LaCC).

*****

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare la demande recevable.

Au fond :

2.        La rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile (Tribunal fédéral suisse, avenue du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14), sans égard à sa valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. b LTF). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoqués comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

Le président

 

 

 

 

Philippe KNUPFER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) par le greffe le