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Décisions | Sommaires

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C/6976/2022

ACJC/1488/2022 du 14.11.2022 sur JTPI/9598/2022 ( SCC ) , JUGE

Normes : CPC.257
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/6976/2022 ACJC/1488/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 14 NOVEMBRE 2022

Entre

A______ SA, sise c/o B______ SA, rue ______, Genève, mais faisant élection de domicile auprès de son administrateur unique Me C______, ______, Genève, appelante d’un jugement rendu par le Tribunal de première instance de ce canton le 19 août 2022, comparant en personne.

et

D______ SA, sise ______[VD], intimée, comparant par Me Christophe PIGUET, avocat, Integr.a, Avenue du Théâtre 16, Case postale 7175, 1002 Lausanne, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/9598/2022 du 19 août 2022, notifié à A______ SA le
23 août 2022, le Tribunal de première instance a déclaré irrecevable la requête en protection de cas clair formée le 4 avril 2022 par A______ SA à l’encontre d’D______ SA (ch. 1 du dispositif), condamné A______ SA aux frais judiciaires arrêtés à 1'000 fr. (ch.2) ainsi qu'à verser à D______ SA 1'000 fr. de dépens (ch. 3) et a débouté les parties de toutes autres conclusions
(ch. 4).

B. a. A______ SA a formé appel de ce jugement le 2 septembre 2022, concluant à ce que la Cour de justice l'annule et condamne D______ SA à lui fournir dans les trente jours un décompte de l’opération faisant état du bilan final de l’opération immobilière «  E______ », une liste complète et détaillée des écritures comptables liées à cette opération, les pièces justificatives liées aux écritures comptables susmentionnées, un décompte de l’opération faisant état du bilan prévisionnel de l’opération « F______ », une liste complète et détaillée des écritures comptables liées à cette opération, les pièces justificatives liées aux écritures comptables susmentionnées, les états financiers 2018 à 2020
d’D______ SA ainsi qu’un état des engagements à la clôture de chaque exercice. Elle a par ailleurs conclu à ce que la Cour prononce ces condamnations sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 CP pour l’administratrice unique d’D______ SA, ordonne une perquisition dans les locaux
d’D______ SA si celle-ci ne fournit pas les informations requises dans le délai imparti et l’autorise à solliciter directement le concours de la force publique, le tout avec suite de frais et dépens.

b. D______ SA a conclu à la confirmation du jugement querellé, avec suite de frais et dépens.

c. Les parties ont été informées le 17 septembre 2022 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. A______ SA est active dans le domaine des opérations immobilières. Son administrateur unique avec signature individuelle est C______, qui exerce la profession d'avocat.

D______ SA est également active dans l’immobilier. Son administratrice unique avec signature individuelle est L______.

b.a A______ SA, en tant que prêteuse, et D______ SA en tant qu'emprunteuse, ont conclu les contrats de prêt suivants destinés à financer des opérations immobilières :

- Contrat du 6 février 2017 portant sur 425'000 fr. (opération F______).

- Contrat du 31 mai 2017 portant sur 115'000 fr. (opération E______ ou G______).

- Contrat du 31 mars 2018 portant sur 285'600 fr. (opération H______).

- Contrat du 16 juillet 2018 portant sur 184'000 fr. (opération I______).

- Contrat du 16 juillet 2018 portant sur 265'000 fr. (opération J______).

b.b Ces cinq contrats, rédigés sur un modèle similaire, prévoient qu'A______ SA est rémunérée par un intérêt annuel et une participation à la marge bénéficiaire de l'opération.

Les articles 4 de ces contrats prévoient que toutes les informations, sans aucune restriction, seront remises à A______ SA à des intervalles réguliers.D______ SA s'engage à transmettre à cette dernière toute information utile permettant de suivre l'évolution de la promotion, de sa commercialisation et de ses coûts financiers, sur l'avancement du projet, ses étapes, les contrats dont la signature est envisagée, etc. Toute décision relative au prix de vente des logements doit être prise avec l'accord d’A______, qui peut solliciter en tout temps les éclaircissements et informations qu'elle jugera utiles.

La périodicité pour la remise des informations précitées est de deux mois pour les opérations F______ et E______, de trois mois pour l'opération H______ et de six mois pour I______ et J______.

L’art. 4 des contrats relatifs à ces deux dernières opérations prévoient
qu'D______ SA doit remettre à A______ SA, à sa demande, ses états financiers et un état à jour de ses engagements.

L'art. 7 des contrats stipule qu'D______ SA doit établir un décompte final avec copie des factures y relatives.

c. Les 25 mars et 2 octobre 2020 D______ SA a transmis différentes informations à A______ SA concernant les promotions précitées.

Il résultait notamment du courrier du 2 octobre 2020 que l'opération F______ avançait correctement et que le prêt serait remboursé à la fin du chantier.

d. Le 21 décembre 2020, A______ SA a mis en demeure D______ SA de lui fournir des informations écrites détaillées sur l'avancement des opérations F______, G______ et H______. L’opération G______ étant terminée, un décompte final devait notamment lui être transmis, conformément aux dispositions contractuelles.

Elle précisait que les prêts relatifs aux opérations I______ et 3 avaient pris fin en raison du fait que les travaux n'avaient pas pu commencer comme prévu. D______ SA était en demeure pour le remboursement et des poursuites avaient été engagées.

e. Le 4 janvier 2021, D______ SA a répondu qu'elle lui transmettrait à la fin du mois des comptes annuels provisoires. Cela lui permettrait de déterminer dans quelle mesure il lui serait possible de rembourser tout ou partie des prêts ou de procéder à une distribution de bénéfice.

f. Le 5 mars 2021, D______ SA a transmis à A______ SA une note d’information sur l'avancement des opérations immobilières précitées.

g. Le 16 mars 2021, A______ SA a mis D______ SA en demeure de rembourser le prêt relatif à l'opération H______ ainsi que les intérêts courus. Elle exigeait en outre le décompte final relatif à l'opération G______, qui était terminée, et mettait D______ SA en demeure de rembourser le prêt y relatif, intérêts et marge bénéficiaires compris.

h. Le 15 décembre 2021, D______ SA a fourni à A______ SA une note d’information sur les différentes opérations.

i. Le 20 janvier 2022, A______ SA a relevé que ces informations étaient lacunaires. Se fondant sur les articles 4 et 7 des contrats concernés, elle a mis en demeure sa partie adverse de lui fournir au 1er février 2022 un décompte final détaillé relatif à l'opération G______, un décompte provisionnel détaillé pour F______ et tous justificatifs utiles, y compris les états financiers
d'D______ SA et les extraits de compte pertinents du grand livre.

j. Parallèlement, A______ SA a fait notifier à D______ SA les commandements de payer suivants :

- Le 22 février 2021, commandement de payer, poursuite n° 1______, portant sur 507'370 fr., intérêts en sus, au titre de remboursement du prêt octroyé le
16 juillet 2018 pour les contrats I______ et 3.

- Le 13 avril 2021, commandement de payer, poursuite n° 2______, portant sur 234'950 fr., intérêts en sus, au titre de remboursement du prêt octroyé le
18 mai 2017 pour le contrat E______.

- Le 13 avril 2021, commandement de payer, poursuite n° 3______, portant sur 322'728 fr., intérêts en sus, au titre de remboursement du prêt octroyé le
31 mars 2018 pour le contrat H______.

La mainlevée provisoire des oppositions formées à ces commandements de payer a été prononcée par jugement de la Juge de paix du district de N______ du
13 octobre 2021.

k. Le 27 avril 2022, D______ SA a formé à l'encontre d'A______ SA une action en libération de dette auprès du Tribunal de première instance, concluant à ce que celui-ci constate qu'elle n'est pas débitrice des montants précités.

Elle a notamment fait valoir que les contrats de prêts concernés étaient partiellement nuls, s'agissant du taux d'intérêt conventionnel et du pourcentage du bénéfice convenu.

l. Le 4 avril 2022, A______ SA a formé devant le Tribunal à l'encontre d'D______ SA une requête de protection par la voie du cas clair, prenant les mêmes conclusions que celles figurant dans son appel.

La requête indique qu'elle est représentée par l'étude M______ SA et qu'elle comparaît par Me C______, avocat.

A______ SA a fait valoir que sa partie adverse ne lui avait pas fourni les informations prévues par les contrats de prêt litigieux, alors même qu'elle avait reconnu devoir rembourser les prêts relatifs aux opérations E______, I______ et J______ et H______.

m. Le 12 avril 2022, le Tribunal a requis d'A______ SA la production d'une procuration en faveur de son conseil Me C______.

Le lendemain, ce dernier a répondu qu'en tant qu'administrateur d'A______ SA avec signature individuelle il estimait qu'il n'était pas nécessaire de fournir une procuration.

n. D______ SA a conclu à ce que le Tribunal déclare la demande irrecevable, subsidiairement la rejette.

Elle a fait valoir que Me C______, administrateur unique d'A______ SA, n'était pas autorisé à se conférer une procuration pour représenter la société en justice car un contrat avec soi-même était illicite, puisqu'il créait un conflit d'intérêt. Par ailleurs, le cas n'était pas clair.

o. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

p. La cause a été gardée à juger par le Tribunal le 17 août 2022.

 

 

EN DROIT

1. L'appel a été déposé dans les délais et forme légaux à l'encontre d'une décision rendue dans une cause portant sur une valeur litigieuse supérieure à 10'000 fr. de sorte qu'il est recevable de ce point de vue (art. 308 et 314 CPC).

L’intimé fait valoir que Me C______, administrateur unique de l’appelante, ne peut pas représenter celle-ci car il n’a pas produit de procuration l’y autorisant. En tout état de cause, s’il l’avait fait, une telle procuration ne serait pas valable car cela équivaudrait à un contrat conclu avec soi-même, lequel est illicite.

Cette argumentation ne saurait être entérinée. En tant qu’administrateur unique de l’appelante, Me C______, organe de celle-ci, est en droit de la représenter en justice, sans qu’il soit nécessaire qu’il dispose d’une procuration (ATF 141 III 80  consid. 1 et 2).

S’il est vrai que l’indication figurant dans la requête, selon laquelle l’appelante est représentée par l’étude d’avocat au sein de laquelle œuvre Me C______ et comparaît par ce dernier, est ambiguë, en ce sens qu’il n’en ressort pas clairement que le précité agit en sa qualité d’organe de l’appelante, cela n’a aucune conséquence sur la recevabilité de la requête ni sur celle de l’appel.

Celui-ci est dès lors recevable.

2. Le Tribunal a retenu que l'état de fait était contesté par l'intimée, mais sans motivation suffisante. Par contre, la situation juridique n'était pas claire car les parties n'étaient pas liées par un contrat de mandat, de sorte que l'art. 400 CO n'était pas applicable. L'appelante se prévalait de la mauvaise exécution des contrat la liant à l'intimée, ce qu'elle ne pouvait faire que sur la base des
art. 97 ss CO. « Or la réalisation des conditions de cette base légale n'était pas démontrée » et l'appelante ne concluait pas « à la réparation d'un dommage ».

L'appelante fait valoir qu'elle est en droit d'exiger l'exécution des contrats qui lient les parties sur la base des art. 97 et 107 CO. A teneur desdits contrats, l’intimée était tenue de lui fournir les informations qu’elle demandait.

L'intimée soutient que les art. 97ss CO « permettent dans certains cas au créancier d'exiger l'exécution du contrat sous forme de mise en demeure, mais la sanction, en cas de non-exécution, est l'action en dommages intérêts ». L’action de sa partie adverse n’était pas une action de droit matériel mais « une requête de mesures provisionnelles (ou de preuve à futur) déguisée, destinée à permettre à l’appelante d’obtenir des documents devant l’aider à établir le solde de ses prétentions ». Les documents requis par l'appelante pourraient l’être dans le cadre de l'action en libération de dette pendante.

2.1.1 Aux termes de l'art. 257 al. 1 CPC, le tribunal admet l'application de la procédure sommaire lorsque l'état de fait n'est pas litigieux ou est susceptible d'être immédiatement prouvé (let. a) et que la situation juridique est claire (let. b). Le tribunal n'entre pas en matière sur la requête lorsque cette procédure ne peut pas être appliquée (al. 3).

Selon la jurisprudence, l'état de fait n'est pas litigieux lorsqu'il n'est pas contesté par le défendeur; il est susceptible d'être immédiatement prouvé lorsque les faits peuvent être établis sans retard et sans trop de frais. En règle générale, la preuve est rapportée par la production de titres, conformément à l'art. 254 al. 1 CPC. La preuve n'est pas facilitée: le demandeur doit ainsi apporter la preuve certaine des faits justifiant sa prétention; la simple vraisemblance ne suffit pas. Si le défendeur fait valoir des objections et exceptions motivées et concluantes, qui ne peuvent être écartées immédiatement et qui sont de nature à ébranler la conviction du juge, la procédure du cas clair est irrecevable (ATF 141 III 23 consid. 3.2;
138 III 620 consid. 5.1.1).

La situation juridique est claire lorsque l'application de la norme au cas concret s'impose de façon évidente au regard du texte légal ou sur la base d'une doctrine et d'une jurisprudence éprouvées. En règle générale, la situation juridique n'est pas claire si l'application d'une norme nécessite l'exercice d'un certain pouvoir d'appréciation de la part du juge ou que celui-ci doit rendre une décision en équité, en tenant compte des circonstances concrètes de l'espèce (arrêt du Tribunal fédéral 4A_295/2017 du 25 avril 2018 consid 3.1).

La protection des cas clairs peut en principe être accordée pour tout type d’action (condamnatoire, formatrice ou en constatation), pourvu que l’affaire ne soit pas soumise à la maxime d’office (Alberti, Tutela giurisdizionale nei casi manifesti (art. 257 CPC), RSPC 2010, 101 ss, 114).

On devra l’admettre en matière de reddition de comptes lorsque l’employeur ou le mandataire refuse sans motif de fournir les informations dues; mais non en revanche lorsque le droit à l’information est disputé, par exemple en matière bancaire (Bohnet, Commentaire romand, n. 13 ad art.257 CPC).

2.1.2 Selon l’art. 97 al. 1 CO, lorsque le créancier ne peut obtenir l’exécution de l’obligation ou ne peut l’obtenir qu’imparfaitement, le débiteur est tenu de réparer le dommage en résultant, à moins qu’il ne prouve qu’aucune faute ne lui est imputable. Les dispositions de la loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite et du code de procédure civile s’appliquent à l’exécution (al. 2).

A teneur de l’art. 102 al. 1 CO, le débiteur d’une obligation exigible est mis en demeure par l’interpellation du créancier. Lorsque le jour de l’exécution a été déterminé d’un commun accord, ou fixé par l’une des parties en vertu d’un droit à elle réservé et au moyen d’un avertissement régulier, le débiteur est mis en demeure par la seule expiration de ce jour (al. 2).

L’art. 107 al. 1 CO stipule que, lorsque, dans un contrat bilatéral, l’une des parties est en demeure, l’autre peut lui fixer un délai convenable pour s’exécuter. Si l’exécution n’est pas intervenue à l’expiration de ce délai, le droit de la demander et d’actionner en dommages-intérêts pour cause de retard peut toujours être exercé; cependant, le créancier qui en fait la déclaration immédiate peut renoncer à ce droit et réclamer des dommages-intérêts pour cause d’inexécution ou se départir du contrat (al. 2).

Le créancier dont le débiteur n’exécute pas ou exécute mal son obligation peut exiger l’exécution effective. L’action en exécution n’est pas énoncée en tant que telle dans la partie générale; elle y est plutôt sous-entendue (cf. art. 97 al. 2 et
107 al. 2 CO) comme un corollaire nécessaire et implicite de la liberté contractuelle. Sa mise en œuvre procédurale est réglée, pour les créances d’argent ou de sûretés, dans la LP et pour les autres dans le CPC (Thévenoz, Commentaire romand, n. 4b intro. art. 97-109 CO).

2.2 En l’espèce, contrairement à ce qu’a retenu le Tribunal, il est possible d’exiger l’exécution d’une obligation par la voie du cas clair sur la base des articles 97 et 107 CO, si les conditions prévues par l’art. 257 CPC sont réalisées. Le fait que l’appelante n’ait pas conclu à la réparation d’un dommage est sans pertinence.

Les renseignements requis par l’appelante en lien avec les opérations E______ et F______ doivent lui être fournis par l’intimée en application des articles 4 et 7 des contrats relatifs à ces opérations.

L’appelante est par ailleurs en droit d’exiger la remise des états financiers de l’intimée et un état à jour de ses engagements en application des articles 4 des contrats relatifs aux opérations I______ et J______.

L’intimée ne le conteste d’ailleurs pas. Elle ne conteste pas non plus n’avoir pas fourni ces informations à l’appelante, en dépit des mises en demeure que celle-ci lui a adressées.

Contrairement à ce que soutient l’intimée, la requête de l’appelante est bien une action de droit matériel, fondée sur une obligation contractée par l’intimée, et non une requête de preuve à futur. L’appelante est en droit d’exiger l’exécution des contrats litigieux conformément aux art. 97 et 107 al. 1 CO. Elle n’a en effet pas choisi d’utiliser la voie de la demande de dommages intérêts prévue par
l’art. 107 al. 2 CO.

Le fait que l’intimée ait introduit une action en libération de dette n’est pas déterminant. En effet, l’intimée ne conteste dans le cadre de cette action que la validité des taux d’intérêts et du pourcentage des bénéfices fixés par les contrats litigieux mais ne remet pas en question la validité des obligations d’information prévues par lesdits contrats.

Il ressort de ce qui précède que le cas est clair, en ce sens que l’intimée a l’obligation de fournir les informations requises par l’appelante en application des articles 4 et 7 des contrats de prêts conclus par les parties les 6 février 2017,
31 mai 2017, 31 mars 2018 et 16 juillet 2018.

L’intimée n’allègue pas avoir satisfait à ses obligations.

Elle sera dès lors condamnée à le faire, conformément aux conclusions de l’appelante.

3. L’appelante requiert que la Cour assortisse cette condamnation de menace de la peine prévue à l’art. 292 CP pour l’administratrice de l’intimée et qu’elle ordonne en outre une « perquisition » dans les locaux de l’intimée, si celle-ci ne devait pas déférer à cette injonction.

L’intimée se prononce comme suit sur ces conclusions : « la sanction prévue à l’art. 292 CP n’est qu’une amende de 1'000 fr. bien dérisoire au regard de la valeur litigieuse invoquée ; quant à la « perquisition » ( ) on imagine volontiers le temps qu’il faudrait pour la mettre en place. Et que se passerait-il si, comme c’est le cas actuellement, les documents requis par A______ SA ne se trouvent pas dans les locaux d’D______ SA, mais de sa fiduciaire ? ».

3.1 Le tribunal saisi du fond peut prononcer des mesures de contrainte indirecte au sens de l’art. 343 al. 1 CPC (art. 236 al. 2 CPC); celles-ci ne pourront néanmoins être exécutées directement, mais devront être concrétisées par le tribunal de l'exécution (arrêt du Tribunal fédéral 5A_1047/2017 du 3 mai 2018 consid. 3.3.1).

Selon l’art. 343 al. 1 CPC, lorsque la décision prescrit une obligation de faire, de s’abstenir ou de tolérer, le tribunal de l’exécution peut : a. assortir la décision de la menace de la peine prévue à l’art. 292 CP; b. prévoir une amende d’ordre de 5000 francs au plus; c. prévoir une amende d’ordre de 1000 francs au plus pour chaque jour d’inexécution; d. prescrire une mesure de contrainte telle que l’enlèvement d’une chose mobilière ou l’expulsion d’un immeuble; e. ordonner l’exécution de la décision par un tiers. La partie succombante et les tiers sont tenus de fournir tous renseignements utiles et de tolérer les perquisitions nécessaires (al. 2). La personne chargée de l’exécution peut requérir l’assistance de l’autorité compétente (al. 3).

La menace de la peine prévue à l'art. 292 CP constitue une règle de contrainte propre à favoriser l'exécution de la décision. Dans l'hypothèse où des circonstances font apparaître que celle-ci sera exécutée sans problème, il n'apparaît pas insoutenable de renoncer à menacer la partie qui succombe de la sanction prévue par cette norme pénale (arrêt du Tribunal fédéral 5A_839/2010 du 9 août 2011 consid. 6.3).

Le législateur ne donne aucun ordre de préférence entre les mesures proposées; le choix du tribunal doit en tout état de cause respecter le principe de la proportionnalité (Jeandin, Commentaire romand, n. 8a ad art.343 CPC).

3.2 En l’espèce, l’on ne peut pas conclure des indications fournies par l’intimée dans sa réponse à l’appel qu’elle acceptera d’exécuter sans problème les injonctions de la Cour.

Il se justifie dès lors de prononcer ladite injonction sous la menace de la peine prévue par l’art. 292 CP, mesure qui est proportionnée, ce que l’intimée ne conteste pas, puisqu’elle estime dérisoire la peine encourue.

La menace de ladite peine sera adressée, comme le requiert l’appelante, à l’égard de l’administratrice unique de l’intimée.

Il n’y a par contre pas lieu d’ordonner une perquisition dans les locaux de l’intimée avec le concours de la force publique. Une telle mesure serait disproportionnée au vu des enjeux de la présente cause et excessivement difficile à mettre œuvre. Il n’est de plus pas établi, comme le relève à juste titre l’intimée, qu’une perquisition permette d’exécuter la décision de manière correcte, puisqu’il n’est pas certain que les documents concernés se trouvent dans les locaux de l’intimée.

Il résulte de ce qui précède que le jugement querellé sera annulé et que la Cour ordonnera à l’intimée de produire les documents requis par l’appelante, sous la menace, dirigée à l’encontre de l’administratrice unique de l’intimée, de la peine prévue par l’art. 292 CP.

4. L’intimée, qui succombe, sera condamnée aux frais des deux instances
(art. 106 al. 1 CPC).

Tant les frais judiciaires de première instance que ceux d’appel seront arrêtés à 1'000 fr. et compensés avec les avances de même montant versées par l’appelante, acquises à l’Etat de Genève (art. 26 et 35 RTFMC et 111 CPC). L’intimée sera condamnée à verser 2'000 fr. à ce titre à l’appelante.

Dans la mesure où l’appelante plaide en personne et qu’elle n’établit pas avoir effectué des démarches particulières justifiant l’allocation de dépens au sens de l’art. 95 al. 3 CPC, il ne sera pas alloué de dépens.

 

* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 2 septembre 2022 par A______ SA contre le jugement JTPI/9598/2022 rendu le 19 août 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/6976/2022-20 SCC.

Au fond :

Annule ce jugement et, statuant à nouveau :

Condamne D______ SA à fournir à A______ SA, dans les trente jours dès réception de la présente décision, les documents suivants :

- un décompte de l’opération faisant état du bilan final de l’opération immobilière E______;

- une liste complète et détaillée des écritures comptables liées à l’opération précitée;

- les pièces justificatives liées aux écritures comptables susmentionnées;

- un décompte de l’opération faisant état du bilan prévisionnel de l’opération

F______;

- une liste complète et détaillée des écritures comptables liées à l’opération F______;

- les pièces justificatives liées aux écritures comptables susmentionnées;

- les états financiers 2018 à 2020 d’D______ SA ainsi qu’un état des engagements à la clôture de chaque exercice.

Prononce cette injonction sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 CP, à savoir l’amende, menace adressée à l’encontre de L______, administratrice unique d’D______ SA.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête à 2'000 fr. les frais judiciaires des deux instances, les met à la charge
d’D______ SA et les compense avec les avances versées, acquises à l’Etat de Genève.

Condamne D______ SA à verser à A______ SA 2'000 fr. au titre des frais judiciaires des deux instances.

Dit qu’il n’est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.

 

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Marie-Pierre GROSJEAN

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.