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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/3065/2022

DCSO/78/2023 du 08.03.2023 ( PLAINT ) , REJETE

Normes : cc.2.al2; lp.22.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3065/2022-CS DCSO/78/23

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU MERCREDI 8 MARS 2023

 

Plainte 17 LP (A/3065/2022-CS) formée en date du 20 septembre 2022 par A______ SA, élisant domicile en l'étude de Me Pierre-Alain Killias, avocat.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du à :

-       A______ SA

c/o Me KILLIAS Pierre-Alain

p.a. MCE Avocats

Grand-Chêne 1-3

1002 Lausanne.

- B______ SA

______

______ [GE].

- Office cantonal des poursuites.

 

 


EN FAIT

A. a. A______ SA (anciennement C______ SA, D______ SA et E______ SA), est une société anonyme de droit suisse inscrite au Registre du commerce de Genève depuis le ______ 2013. Son administrateur unique est F______.

b. B______ SA est une société anonyme de droit suisse inscrite au Registre du commerce de Genève depuis le ______ 2009. Son administrateur unique est G______.

c. Depuis 2014, B______ SA estime être titulaire à l'encontre de A______ SA d'une prétention de 48'417 fr. 25 en capital, correspondant à une rémunération pour des services rendus entre les ______ 2013 et 8 mai 2014 ainsi qu'à des débours. Cette prétention est contestée dans son principe et son montant par A______ SA.

En 2015, B______ SA et A______ SA ont chacune mandaté un avocat, sans parvenir à résoudre leur différend. Depuis lors et jusqu'en 2019, les parties ont échangé de nombreuses correspondances et diverses propositions de règlement amiable ont été émises mais rejetées.

d. Parallèlement puis postérieurement à ces discussions, B______ SA a engagé à l'encontre de A______ SA plusieurs poursuites en recouvrement du montant réclamé de 48'417 fr. 25, augmenté des intérêts moratoires calculés à un taux de 5% l'an à compter du 16 juin 2014.

La première de ces poursuites (n° 1______) a été engagée par réquisition du 28 juillet 2016. Un commandement de payer a été notifié le 21 décembre 2016 à A______ SA, soit pour elle à F______, qui a formé opposition. Une réquisition de continuer la poursuite formée le 16 juin 2017 par B______ SA – sans qu'elle ait obtenu la levée de l'opposition ou que celle-ci ait été retirée – a été rejetée par décision de l'Office cantonal des poursuites (ci-après : l'Office) du 21 juin 2017.

Six autres poursuites ont suivi, engagées par réquisitions des 19 septembre 2017 (poursuite n° 2______), 17 septembre 2018 (poursuite n° 3______), 17 septembre 2019 (poursuite n° 4______), 7 juillet 2020 (poursuite n° 5______), 12 juillet 2021 (poursuite n° 6______) et 4 juillet 2022 (poursuite n° 7______). Les commandements de payer établis dans ces poursuites et dûment notifiés à A______ SA ont tous été frappés d'opposition; à ce jour, B______ SA n'a entrepris aucune démarche judiciaire en vue d'obtenir la levée de ces oppositions de telle sorte que ces poursuites, à l'exception de la dernière (poursuite n° 7______) dans laquelle le commandement de payer a été notifié le 23 août 2022, sont périmées (art. 88 al. 2 LP).

B. a. Par courrier adressé le 20 septembre 2022 à la Chambre de surveillance, A______ SA a requis la radiation de la poursuite n° 7______ en raison de son caractère selon elle abusif. A l'en croire, la répétition annuelle depuis sept ans des poursuites n'avait d'autre but que d'exaspérer son administrateur F______.

b. Dans ses observations du 7 octobre 2022, l'Office s'en est rapporté à justice sur le caractère abusif de la poursuite.

c. Par détermination du 18 octobre 2022, B______ SA a conclu implicitement au rejet de la requête de radiation de la poursuite et, expressément, à ce qu'il soit constaté que A______ SA était sa débitrice à hauteur des montants de 69'102 fr. 40 au 19 octobre 2022 et de 5'361 fr. 75, auxquels il convenait d'ajouter les frais de poursuite ainsi que le "coût d'opportunité" du temps consacré depuis huit ans au règlement du dossier.

B______ SA a consacré l'essentiel de ses écritures à la description des origines de la prétention invoquée ainsi qu'aux échanges intervenus entre elle et A______ SA la concernant. Elle a expliqué la répétition de poursuites non continuées par le besoin de "maintenir la validité du CDP, et en relation avec l'article 88 de la LB [recte : LP]".

d. Lors d'une audience tenue le 21 février 2022, G______, comparaissant pour B______ SA, a réitéré les explications sur les origines de la prétention invoquée en poursuites et soutenu que celle-ci avait été à tout le moins partiellement reconnue par F______ pour le compte de A______ SA, puisqu'il avait formulé des propositions d'arrangement amiable. Selon G______, il appartenait maintenant à F______ de formuler une nouvelle proposition, qui soit "acceptable". Dans le cas contraire, B______ SA n'aurait d'autre choix que d'introduire une action civile, ce qu'elle aurait toutefois souhaité éviter.

G______ a également déclaré que c'est l'Office qui lui avait indiqué qu'une poursuite s'éteignait si elle n'était pas renouvelée dans les douze mois, raison pour laquelle il avait veillé à déposer une nouvelle réquisition de poursuite chaque année.

e. La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de la LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre des mesures prises par l'office qui ne peuvent être attaquées par la voie judiciaire (art. 17 al. 1 LP). La plainte doit être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP).

La nullité d'une mesure contraire à des dispositions édictées dans l'intérêt public ou dans l'intérêt de personnes qui ne sont pas parties à la procédure de poursuite doit être constatée par l'autorité de surveillance indépendamment de toute plainte recevable (art. 22 al. 1 LP). Est notamment nulle une poursuite introduite dans un but sans le moindre rapport avec la procédure de poursuite, en particulier pour tourmenter délibérément le poursuivi (ATF 115 III 18).

Il n'appartient ni aux offices des poursuites ni aux autorités de surveillance de décider si une prétention est exigée à bon droit ou non, l'examen du bien-fondé de la prétention faisant l'objet de la poursuite relevant exclusivement de la compétence du juge ordinaire (ATF 113 III 2 consid. 2b; arrêt du Tribunal fédéral 5A_76/2013 du 15 mars 2013 consid. 3.1).

1.2 La poursuivie s'est en l'occurrence adressée à la Chambre de céans plus de dix jours après la notification du commandement de payer, soit après l'expiration du délai de plainte. Il y a toutefois lieu d'entrer en matière sur le grief invoqué, soit le caractère abusif de la poursuite, puisque son éventuelle admission entraînerait la nullité de la poursuite, et donc sa radiation du Registre des poursuites (art. 8a al. 3 let. a LP).

Les conclusions de la poursuivante tendant à la constatation de ses créances sont pour leur part irrecevables dès lors qu'elles relèvent de la compétence du juge ordinaire.

2. 2.1 La nullité d'une poursuite pour abus de droit au sens de l'art. 2 al. 2 CC ne peut être admise par les autorités de surveillance que dans des cas exceptionnels, notamment lorsqu'il est manifeste que le poursuivant agit dans un but n'ayant pas le moindre rapport avec la procédure de poursuite ou pour tourmenter délibérément le poursuivi. Une telle éventualité est, par exemple, réalisée lorsque le poursuivant procède par voie de poursuite contre une personne dans l'unique but de détruire sa bonne réputation. L'existence d'un abus ne peut être reconnue que sur la base d'éléments ou d'un ensemble d'indices démontrant de façon patente que l'institution du droit de l'exécution forcée est détournée de sa finalité (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1; ATF 115 III 18 consid. 3b; arrêts du Tribunal fédéral 5A_1020/2018 du 11 février 2019, 5A_317/2015 du 13 octobre 2015 consid. 2.1, 5A_218/2015 du 30 novembre 2015 consid. 3; DCSO/321/10 du 8 juillet 2010 consid. 3.b).

2.2 Il n'est pas disputé en l'espèce que les parties s'opposent dans le cadre d'un litige pécuniaire portant sur une prétention de l'ordre de 50'000 fr. en capital invoquée – a priori de bonne foi – par la poursuivante à l'encontre de la poursuivie. Il n'y a donc en soi rien d'illégitime – et la poursuivie ne soutient pas le contraire – à engager une poursuite en recouvrement de ce montant.

En revanche, le fait d'engager, en relation avec cette même prétention, sept poursuites en sept ans sans jamais demander la mainlevée de l'opposition ni la reconnaissance judiciaire de sa créance, et sans que ces dépôts répétés ne paraissent justifiés par aucun intérêt légitime et raisonnable, est en principe et objectivement susceptible de constituer un abus de droit (cf. p. ex. ATF 115 III 18).

Il résulte cela étant des explications données en audience par l'administrateur unique de la poursuivante – que la Chambre de céans considère crédibles – que celle-ci n'entendait pas par ce comportement harceler et tourmenter la poursuivie et son administrateur unique mais, vraisemblablement sous l'empire d'une confusion entre la péremption de la poursuite au sens de l'art. 88 al. 2 LP et la péremption ou la prescription de sa prétention au sens des art. 127 ss. CO induite par des renseignements donnés sous forme orale par l'Office, considérait que le renouvellement annuel de la poursuite, de manière à ce qu'il y ait toujours une poursuite susceptible d'être continuée au sens de l'art. 88 LP, était indispensable à la sauvegarde de ses droits. Il ne peut ainsi être retenu que la poursuivante ait agi dans un but sans le moindre rapport avec la procédure de poursuite, de telle sorte que la poursuite litigieuse n'est pas nulle.

Il sera pour le surplus relevé que la poursuivante sait maintenant que le comportement qu'elle a adopté jusqu'à aujourd'hui en répétant des poursuites ayant le même objet sans jamais demander que l'opposition soit écartée n'était pas utile à la préservation de ses droits (sous réserve d'une volonté, non invoquée en l'espèce, d'interrompre la prescription de la prétention) et qu'il est objectivement de nature à constituer un abus de droit. Elle s'exposerait donc, si elle devait persister dans ce comportement sans être en mesure de le justifier par un motif légitime, au risque qu'une poursuite ultérieure soit déclarée nulle pour abus de droit.

3. La procédure est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens (art. 62 al. 2 OELP).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

Au fond :

Constate que la poursuite n° 7______ n'est pas nulle.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Madame Natalie OPPATJA et Monsieur Mathieu HOWALD, juges assesseurs, juges assesseurs; Madame Véronique AMAUDRY-PISCETTA, greffière.

 

Le président :

Patrick CHENAUX

 

La greffière :

Véronique AMAUDRY-PISCETTA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.